AVRIL 2005

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

Chine double face

 

Daniel Cogez

Daniel Cogez est journaliste, écrivain et conférencier, et travaille en Chine depuis bon nombre d’années. Il est originaire de Douai, dans le nord de la France. Sa première publication, des nouvelles, remonte à 1977. Depuis lors, une dizaine de publications ont suivi, notamment des romans et des récits de voyage. « Chine double face » est son œuvre la plus récente parue aux Éditions en langues étrangères.

Moments de fraîcheur et de poésie

Le temple Wanshousi

Beijing est peu à peu absorbé par les routes à grande circulation et les immeubles modernes. Ses murs pourpres ont été bien repeints, mais, isolé, il ne paie pas de mine et reçoit peu de visiteurs. Je fus l’un d’eux un jour printanier de l’an 2000. Les magnolias faisaient exploser la splendeur de leurs fleurs blanches très charnues à l’ombre des vieux murs endormis.

À l’intérieur, curieusement, était organisée une exposition des collections du musée de la photographie de Paris! C’était très étonnant et entièrement décalé par rapport à l’endroit. Certes, il s’agissait d’appareils photos valétudinaires datant des débuts de l’art photographique, mais en ce lieu, je ne comprenais pas à quoi ils pouvaient servir et ce qu’ils pouvaient « révéler ». En fait, pour moi, ce que je ressentais dans ce temple c’était une sensation de calme et de plénitude. J’étais à l’écart de toutes les contingences ordinaires : je pouvais prier à ma guise, m’incliner devant les statues de Bouddha ou de Guanyin, me promener tranquillement sans être dérangé, et surtout ce qui m’impressionnait, c’était le silence qui régnait à l’intérieur de ce temple. Alors qu’au dehors c’était l’agitation, la triste frénésie des villes modernes, ici je n’entendais plus rien sinon le bruit du vent dans les branches.

Changsha : Le peintre du mur bleu 

 Dans une rue de Changsha, province du Hunan, un peintre achève son travail sur un mur. Un bleu merveilleux, pareil à l’azur sous l’éclat du soleil, pare le mur, long de cinquante mètres et haut de dix. Il reste seulement à l’extrémité de la surface une tache blanche aux contours irréguliers. Sur son échelle piquée contre le mur, le peintre contemple la tache et cesse son travail; il descend et regarde ce rond blanc qui se détache sur la surface bleu ciel. Elle ressemble à un nuage blanc, et lui paraît contenir l’infini...

Fang Daying, c’est son nom, s’éloigne. Son patron surgit et ne voyant pas le peintre au travail fulmine contre lui : « Où est donc passé ce fainéant? » Fang Daying ne prête aucune attention à son patron, et à quelques distances du mur, mesure l’impact de « son nuage » sur le mur blanc.

Le patron furieux est parti en quête d’un autre peintre pour finir le travail. Mais les autres refusent, car Fang Daying est le seul à pouvoir composer une telle nuance de bleu ciel.

Pendant ce temps, quelques passants remarquent le travail inachevé et s’interrogent. Fang Daying s’amuse de leur étonnement et ne se serait pas lassé du spectacle si son patron ne l’avait enfin découvert.

« Où étais-tu? Que faisais-tu? Va te remettre au travail immédiatement! » Quand le patron menace de lui enlever sa prime, Fang Daying se lève à contrecœur, gravit les barreaux de l’échelle, et à coups de pinceau très lents supprime le joli nuage.
Fang Daying a disparu, mais le mur est toujours là, à Changsha... sans tache et d’un bleu ciel très pur.

Face cachée, face réelle

Voici quelques aspects de la Chine glanés au fil des jours. Ce sont des croquis sur le vif, un peu comme des instantanés de photographe saisis au vol...

Ces visages expriment-ils l’excitation ou la joie?

Les exercices physiques

Quand s’éveille la Chine…

J’emploie ce titre qui rappelle le livre d’Alain Peyrefitte : « Quand la Chine s’éveillera ». Mais la Chine, je la regarde en ce début du XXIe siècle, non pas de façon abstraite comme notre cher ministre, mais de façon concrète. Ainsi, à 7 h du matin, j’entends le tic-tac régulier d’une balle de ping-pong dans l’une des cours de l’Institut, face à notre appartement. Et plus loin, dans la rue Baiwanzhuang, tout un peuple de retraités s’exerce aux agrès. Ils sont tout excités et s’agitent avec la plus grande conviction, mais la vieillesse imparablement fait son œuvre. Ni les corps ni les visages ne resplendissent de joie. Et par un contraste saisissant, plus loin, sur un banc, deux amoureux partagent l’émerveillement d’une rencontre, et je regarde leurs visages épanouis! Dans le cadre d’un « plan d’amélioration physique du peuple entier », les autorités, et notamment à Beijing, ont fait installer des agrès en divers endroits et ceux-ci sont pris d’assaut par les jeunes et des personnes âgées. Balançoires, disques tournants, ponts de singes, cordeaux, pédaliers, etc. permettent d’effectuer des mouvements divers. Mais ce qui surprendra les Occidentaux, ce sont les barres fixes destinées à masser les jambes et les cuisses sur lesquelles s’activent surtout les personnes âgées.

À reculons : Il est aussi curieux de voir les retraités marcher méthodiquement à reculons, mais à notre avis c’est dans la logique des choses!

À partir d’un certain âge, souvent la soixantaine, les personnes âgées en Chine adoptent un pas de sénateur. Ainsi, au supermarché près de Waiwenju qui est situé en sous-sol, il faut suivre le flot ascendant et descendant des retraités à leur rythme. J’ai ainsi chronométré une descente de vingt marches en une minute trente secondes, et il est impossible de doubler ou de dépasser les vieux en pleine descente ou pleine ascension, car ils barrent le passage et avancent le plus lentement possible pour bien montrer leur âge et le respect qu’on leur doit! Alors quand on reste encore un peu vigoureux, même à 60 ans, il faut patienter derrière la file!

Danses de salon en plein air : Dans différents squares, tant à Beijing que dans d’autres grandes villes, on peut voir le soir des couples évoluer au son d’une musique distillée par un lecteur de cassettes. Les plus avertis guident les pas des novices : tangos, valses, cha-cha-cha et rock très sages sont au programme. Pas de jerk, de slow, de rythmes endiablés et encore moins de rap! Il existe bien entendu des discothèques, mais le prix d’entrée et celui des consommations ne permettent pas à tous les amateurs de danse de les fréquenter. Alors, la rue se transforme en salle de danse, et les couples se livrent à un ballet très convivial dans la douce fraîcheur de la nuit...