AVRIL 2005

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

 

Un bouddhiste au quotidien

LISA CARDUCCI

Zhang Junzhou et Niu Yueying sont mes voisins. Tous les jours à 17 h, j’entends chez eux de la musique bouddhique. C’est donc autour de la religion qu’a tournée notre première conversation, et j’ai voulu en savoir davantage sur le bouddhisme des laïcs.

Zhang Laoshi (appellation polie), êtes-vous né dans une famille bouddhiste?

Pas du tout. Je suis né dans la province du Shaanxi il y a près de 70 ans. Nous étions six enfants, deux filles suivies de quatre garçons. J’occupais le milieu de cette marmaille. Ma mère croyait vaguement au bouddhisme, mais moi, c’est la pensée de Mao Zedong que je suivais.

Y a-t-il quelqu’un de votre famille qui ait fréquenté l’université?

Non. Nous avons fait soit le premier soit le deuxième cycle du secondaire, c’est tout. Nous n’étions ni riches ni pauvres, mais dans ce temps-là, avant la Libération, c’était déjà beaucoup. Pour ma part, j’ai fréquenté l’école de métiers.

À Beijing?

Non, à Xi’an. En 1960 j’ai été envoyé à Beijing pour travailler au ministère des Transports. Un an plus tard, j’ai été inscrit dans l’armée, et je travaillais où le besoin m’appelait. Ma santé n’était pas très bonne et on travaillait dur; en 1964, j’ai subi une opération. Ensuite, on m’a envoyé en convalescence à Dalian pour deux ou trois mois. En 1970, j’ai quitté l'armée pour une usine d’automobiles à Beijing. Je suis à la retraite depuis 1988.

Et vous, Niu Laoshi, quelles étaient vos conditions de famille?

Nous étions aussi six enfants, j’étais la deuxième. Je suis originaire de Beijing, de famille enregistrée comme « urbaine », mais en 1962, mon père est devenu agriculteur dans la banlieue de la capitale.

Quand avez-vous commencé à travailler?

Aussitôt terminé le premier cycle du secondaire, en 1968, comme mon père dans l’agriculture, dans l'arrondissement Chaoyang.

Jusqu’à votre retraite?

Non. En 1981, j’ai commencé à travailler pour le Bureau des parcs et forêts de la municipalité de Beijing. J’ai pris ma retraite en 2001.

Comment vous êtes-vous rencontrés?

Par l’intermédiaire de sa grande sœur que j’avais connue à l'hôpital.

Et vous vous êtes mariés.

Nous avons deux fils. L’aîné a 37 ans, il est célibataire et fait du commerce. Le second travaille comme agent de bord pour Air China international, et il a une fillette de 4 ans, Nuo Nuo, de son nom de bébé.

Mais tout cela ne me dit pas comment vous avez approché le bouddhisme.

Zhang : Ce n’est qu’en 1994 que j’y ai adhéré. D’abord, quand j’ai pris ma retraite, j’ai commencé à faire du qigong (une technique de contrôle de la circulation de l’énergie vitale) pour améliorer ma santé. Mais je me suis bientôt rendu compte que la plupart des gens qui pratiquaient le qigong étaient des bouddhistes, et c’est de là que venait leur succès, leur force. J’ai donc commencé à assister à des réunions. D'abord, j’ai suivi les enseignements de Yu Xiaofei. Je me sentais bien. Puis je suis devenu disciple de la grande Lin Shuhua, qui nous révélait les profondeurs de l'ésotérisme. Elle était allée en Australie. Ma santé s’améliorait. Dans les groupes, j’ai entendu des témoignages frappants et j’ai été témoin de guérisons extraordinaires. J’ai vu aussi des phénomènes inexplicables. Par exemple, une dame, dans une assemblée, irradiait de la lumière. Les rayons sortaient de son corps et formaient une sphère lumineuse autour de son corps. Je lui ai demandé si elle le savait. Elle a demandé : « De quelle couleur, la lumière? » C’était une très belle lumière blanche. Ensuite, elle a réabsorbé cette lumière, qui est rentrée en elle comme de petites gouttes de pluie brillantes. C’était très beau et très apaisant.

Vous m’avez déjà raconté plusieurs phénomènes du genre. Malheureusement, l'espace nous restreint et je ne pourrai pas les décrire tous.

Il y a eu aussi la maladie de ma femme. Rien à faire, les médecins ne savaient comment la soulager. Alors, j’ai tenté quelque chose : j’ai pris un verre d’eau, l'ai placé devant le Bouddha, et j’ai prié. Ensuite j’ai tendu le verre à ma femme et lui ai demandé de boire l’eau. Nous n’avions rien à perdre.

Niu : Ça a marché. Je n’ai pas eu besoin de subir l’opération prévue et le mal n’est jamais revenu. C’est depuis ce temps que le bouddhisme est entré dans ma vie.

Le bouddhisme occupe-t-il une grande place dans votre vie?

Zhang : Il est très important. Il a changé notre vie. Avant, il nous arrivait de nous disputer, comme tous les couples. Pourquoi? Parce que nous subissions la pression de la vie, la lutte pour la survie, la course, et que nous étions fatigués. Maintenant, nous sommes très calmes et savons résoudre les problèmes par le dialogue et dans la paix.

Vos fils sont aussi bouddhistes?

Peut-être pas très profondément, mais ils sont entourés de croyants : leurs collègues, les amis… Ils acceptent bien les principes.

La musique que vous écoutez pendant une heure chaque fin d’après-midi, est-ce une règle du bouddhisme?

C’est une règle que nous nous sommes faite parce qu’elle nous convient et suivant les conseils de maître Yang, une autre grande bouddhiste.

Que faites-vous pendant que joue la musique?

Cette musique est un enseignement. On ne fait rien d’autre que l’écouter. On ne pense à rien; on écoute. Ce que le bouddhisme a d’extraordinaire, c’est qu’il est une religion sans dieu. Le christianisme, l'islam adorent Dieu. Un bouddhiste ne croit qu’en lui-même. Il tend vers la perfection de son être. Le bouddha Sakyamuni n’est pas un dieu; c’est un homme, le fondateur du bouddhisme et le premier à atteindre la perfection. Il y a plusieurs bouddhas, comme il y a des saints pour les catholiques. Ce ne sont pas des dieux.

La Chine est un pays officiellement sans religion. L’État s’oppose-t-il à la pratique du bouddhisme?

Pas du tout! Voyez combien il y a de temples actifs! Les gens ont-ils besoin de se cacher pour pratiquer leur foi? Mao Zedong avait demandé à Zhou Enlai pourquoi il était si bon. Sa réponse? Premièrement, à cause du marxisme; deuxièmement, à cause du bouddhisme. On peut dire que la pensée de Chen Yi aussi était bouddhiste, et de Einstein ainsi que bien d’autres.

Et le taoïsme?

Le taoïsme et le bouddhisme sont semblables sur bien des plans. Ils sont fondamentalement pareils; c’est leur enseignement qui diffère. Je connais un taoïste qui a un pouvoir de guérison extraordinaire. Il a 79 ans mais est encore très en forme. Un homme jeune, grand et fort l’a regardé pratiquer le kung-fu pendant un mois avant de l'aborder. Il lui a demandé s’il acceptait un combat. Le vieillard a dit non, et le jeune croyait qu’il avait peur de perdre. Comme il insistait, le taoïste a dit : « D’accord, mais quel que soit le perdant, il ne devra rien réclamer au vainqueur. » Les choses clairement établies, le vieux a terrassé le jeune sans même le toucher.

Vous croyez en la réincarnation?

Oui. Tout ce que nous faisons, le bien comme le mal, s’inscrit dans notre future vie. Rien n’est perdu.

Pensez-vous qu’une personne puisse se réincarner en personne seulement ou même en animal?

Je pense que les deux sont possibles. Certains descendent très bas durant leur vie et ne méritent pas de renaître sous forme humaine.

Est-il interdit aux bouddhistes de consommer de la viande?

Rien n’est obligatoire, rien n’est interdit. Nous ne consommons plus de viande, ma femme et moi, parce que nous nous sentons mieux ainsi. Si nous sommes invités chez des gens qui nous servent de la viande, nous en prenons pour être polis, mais il n’y a pas de règles pour les bouddhistes « à la maison » (les laïcs, contrairement aux moines). La plupart des bouddhistes chinois ne mangent pas de « ji ya yu rou » (poulet, canard, poisson, viande). Mais prenez le Tibet, par exemple, sur les hauts plateaux, il fait froid et les gens ont besoin de viande.

Et les œufs?

Les œufs du marché, nous en mangeons parce qu’ils ne sont pas fécondés. Si quelqu’un élève des coqs et poules, les œufs seront probablement fécondés. De toute façon, les gens consomment trop de viande. Regardez, le SRAS l’an dernier. La maladie venait du Guangdong où l’on mange toutes les sortes de viande possibles. Même notre petit chien devrait être au régime végétarien –il vient de subir une intervention pour des calculs dans la vessie– mais il ne s’y fait pas! Nous mangeons surtout des fruits et des légumes, crus le plus souvent.

Tiens, c’est nouveau! Les Chinois ébouillantent même la laitue d’habitude!

La cuisson détruit les éléments nutritifs. Il faut conserver le yin et le yang. Les lamas jeûnent 49 jours par année; il y a des ermites qui ont vécu des années d’eau et de fruits sauvages.

Depuis que vous êtes à la retraite, comment passez-vous vos journées?

Au début, j’allais souvent au parc faire de l’exercice. C’est ainsi que j’ai approché le qigong puis le bouddhisme. J’ai aussi étudié un peu la peinture. Mais maintenant je n’en fais plus. Le bouddhisme veut qu’on vive une vie tranquille, qu’on se concentre sur une seule chose. Si je fais de la peinture, comment rester calme? Je dois courir à droite et à gauche chercher des couleurs, du papier… Je deviens nerveux, et cela engendre des conflits avec les autres.

Et vous, Niu Laoshi?

Il n’y a pas très longtemps que je suis à la retraite. Pour l'instant, je m’occupe beaucoup de notre petit chien, et je prends soin de ma petite-fille. Je vais la chercher à l’école quand ses parents sont au travail.

Une dernière question : Comment voyez-vous l'avenir de la Chine?

Zhang, après réflexion : Vous avez sûrement entendu dire que le XXIe siècle sera le siècle de la Chine. Je le crois, et je pense que cela sera dû au bouddhisme en grande partie. Le bouddhisme prêche la bienveillance envers tous. Aider les autres, sans parti pris. Le terrorisme s’est attaqué surtout aux pays riches et matérialistes. Le bouddhisme prêche aussi la vie tranquille. Cela convient parfaitement à la Chine qui a toujours été un pays pacifiste. Il enseigne à élargir sa pensée et à placer toutes ses actions –travailler, étudier, manger, se reposer– dans l’optique bouddhiste. Il faut se concentrer sur une seule chose si l’on veut avancer. Ou on avance, ou on recule. Les bouddhistes sont de plus en plus nombreux; ils sauveront le monde parce qu’ils aiment la paix. Le XXIe siècle sera un siècle de paix grâce à la Chine.