AVRIL 2005

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

Mystères sous la couverte

 

Depuis longtemps déjà, la porcelaine de Chine a une renommée incontestable dans le monde, et chacun des fours impériaux qui ont fait jadis sa réputation possédait des caractéristiques qui lui étaient propres. Toutefois, on dit que le four Ge produisait une porcelaine tout aussi mystérieuse que renommée …

HUO JIANYING

Aux enchères chinoises, le prix d’un vase à craquelures avec deux anses du four Ge a atteint 10,50 millions de yuans (1,20 million de $US).

SOUS la dynastie des Song (960-1279), la guerre faisait rage à la frontière septentrionale de la Chine et des troupes d’envahisseurs harcelaient le pays à ses frontières. Au sud comme au nord du Yangtsé, le feu faisait rougir les fours où l’on fabriquait des milliers d’objets de fine porcelaine.

Feu de la guerre et feu des fours ont flambé sans arrêt pendant plus de 320 ans. Pendant les années de guerre, une dynastie pouvait disparaître peu à peu de la scène politique et courir à sa ruine, mais le feu des fours à porcelaine continuait toujours de fabriquer des produits au style des nouvelles dynasties.

Zhao Kuangyin (927-976), fondateur de la dynastie des Song, est devenu empereur en déclenchant un coup d’État militaire. Ayant peur de subir le même tour de passe-passe après avoir accédé au trône, l’empereur Zhao récupéra le plus vite possible les droits militaires de ses généraux subordonnés. Par ailleurs, il fit l’impossible pour restreindre leur pouvoir et limiter l’expansion militaire. Par conséquent, au cours d’une longue période de développement culturel, économique, scientifique et technique, la dynastie des Song commença à négliger l’édification de sa puissante armée de défense nationale.

La Chine est surnommée « le pays de la porcelaine » depuis l'Antiquité, ce qui montre bien l'ancienneté et la réputation de la fabrication de la porcelaine de Chine. 

Fresque présentant la fabrication des porcelaines d’un four impérial des Song (collection du Musée Guanyao des Song du Sud de Hangzhou).

Dans l’histoire du pays, la production porcelainière des fours impériaux a suscité une grande attention sous toutes les dynasties. Pourtant, sous la dynastie des Song du Nord, alors que les officiers et les soldats livraient des batailles sanglantes à la frontière, l’empereur réfléchissait toujours à la manière d’exploiter de nouveaux produits pour son plaisir. L’atmosphère de dégénération morale se répandait dans la haute société. C’est justement cet appétit sans limites qui a permis à la production porcelainière de connaître un essor extraordinaire. Sous les Song, cinq grands fours impériaux (les fours Ru, Guan, Ding, Jun et Ge) furent édifiés, et leurs porcelaines étaient connues dans tout le pays comme à l'étranger par leurs styles différents : les couleurs laiteuses et ivoire du four Ding ; la couleur bleu vert du four Ru ; la porcelaine noire à paroi mince avec bordure supérieure d’un violet pâle du four Guan; la couverte avec craquelures du four Ge; et les couleurs chatoyantes du four Jun.

Les fours, appelés Guanyao, ou fours impériaux à poterie des dynasties féodales, ont été utilisés longtemps pour la fabrication de produits de qualité. Aujourd'hui, ces fours peuvent être considérés comme des « fours nationaux modernes », et leurs produits sont des articles de premier choix pour l’État  Les Guanyao fabriquaient spécialement des porcelaines à l’usage de la famille impériale. Souvent, l’empereur s’occupait en personne de leurs styles, de leurs couleurs et de leurs formes. Pour assurer la qualité, les produits devaient être fabriqués de manière scientifique et respecter les normes dans toute leur rigueur. Ainsi, les produits de qualité inférieure étaient brisés, de sorte qu’il y avait peu de produits qui pouvaient être conservés. Citons l’exemple des porcelaines du four Ru : dans le monde, il y en a moins de cent. En dépit de la haute réputation des produits du four Ge, il en reste trois cents environ. Les produits des cinq fours des Song sont toujours recherchés par les collectionneurs chinois et étrangers. La hausse de leur valeur est souvent suivie dans le monde. En 2004, aux enchères tenues à New York, le prix transigé pour un bol à craquelures du four Ge a atteint 1,46 million de $US. Aux enchères chinoises, celui d’un vase à craquelures avec deux anses du four Ge a atteint 10,5 millions de yuans (1,2 million de $US).

Les produits du four Ge

Un pot à six arêtes du four Longquan.

La fabrication de la porcelaine chinoise a une longue histoire. Il y a plus de 3 000 ans, la protoporcelaine a fait son apparition à l'époque des Shang (XVIe siècle-Xle siècle av. J. C.). La véritable porcelaine a atteint l’apogée de sa qualité à l'époque des Han de l'Est (25-220), époque durant laquelle un très grand nombre de fours ont été construits à Shangyu, dans l'actuelle province du Zhejiang, qui était alors le principal centre de production. Ses produits étaient d'une grande finesse avec une glaçure épaisse et homogène. La production de la porcelaine s’est répandue du sud au nord, les techniques de cuisson ont été perfectionnées et la qualité améliorée sous chaque dynastie. La fascination qu'elle a exercée s'explique aussi par le mystère, qui a longtemps semblé tenir du miracle aux yeux des étrangers, d'une matière issue de la terre et néanmoins translucide, brillante et sonore. La qualité de la porcelaine chinoise, l'harmonie et la diversité de ses formes et de ses décors, son indiscutable antériorité, puisque sa technique était déjà mise au point, ont assuré son prestige dans le monde entier.
En dépit du haut niveau technique de fabrication de la porcelaine, le charme du style de la porcelaine du four Ge a toujours joué un rôle irremplaçable. La couverte à craquelures des porcelaines du four Ge possède une grâce ineffable que toutes les autres reproductions ne peuvent jamais atteindre. Pour cette raison, bien que les sciences et techniques aient actuellement connu un grand développement, l’expertise des craquelures effectuée par les instruments ne peut remplacer celle des connaisseurs d’antiquités, car les spécialistes expérimentés peuvent établir l’authenticité des porcelaines en s’appuyant sur leur observation, leur sensation et leur analyse.   

Les craquelures des porcelaines du four Ge ont un style typique. Leur simplicité à la touche rustique était à la mode. En tant qu’objets d’artisanat, leur magnificence, leur aspect pratique, leurs décors et leurs formes satisfaisaient bien les besoins et étaient adaptés au goût de la haute société.

Sous divers modèles, la couverte craquelée à décor est devenue graduellement une des caractéristiques de la porcelaine du four Ge. Cette couverte présente un fin réseau de fissures jaunes et noires en surface, ce qu’on appelle en termes élogieux Jinsi Tiexian (fil d’or et fil de fer). Cette couverte est divisée en deux catégories : la glaçure craquelée naturelle et la glaçure artificielle. La glaçure naturelle se caractérise par une longue transformation sous des conditions naturelles (la température et l’humidité de l’air), et la glaçure artificielle est causée par une technique de cuisson.

L’homogénéité de la glaçure est la deuxième caractéristique de la porcelaine du four Ge. La couverte présente une glaçure épaisse et translucide comme le jade. On y peut admirer des bulles d’air ressemblant à des gouttes d’eau étincelantes.

Zikou Tiezu (bouche violette et pied brun) est la troisième caractéristique. Habituellement, l’épaisseur de la glaçure permet de réaliser une grande variété de couleurs. Dans ce cas, la glaçure est épaisse à la bouche du vase et se conjugue au violet, alors qu’au pied, elle est mince et joue dans les tons de brun.

Les couleurs de glaçures des porcelaines du four Ge comprennent : le blanc bleu,  le jaune grisâtre, le crème, etc. Les porcelaines fabriquées appartiennent principalement aux catégories d’objets suivants : imitation de vase rituel en bronze, vases à fleurs, brûle-parfum,  pots,  plats, bols et pinceliers (godet pour laver le pinceau). La plupart des objets sont menus et élégants, et peu de pièces dépassent 30 cm de haut.

La collection de porcelaines à craquelures du four Ge se concentrait principalement dans la cour impériale. Mais en tant qu’objets précieux rarement vus dans la société, on ne connaît malheureusement pas leur valeur authentique.

En 1931, M. Xiao Shunong a ouvert une boutique d’antiquités dans la rue Liulichang de Beijing. À la demande d’un ami, il est allé authentifier une collection chez une famille vivant dans une ruelle de Beijing. Son expertise a établi que cette porcelaine était une copie. Heureusement, en sortant, M. Xiao a aperçu par hasard un pincelier au travers des tas d’ordures. Constatant que cet objet était une porcelaine à craquelures du four Ge, il a demandé à la maîtresse de maison de le lui vendre. Celle-ci accepta l’offre sans hésitation. M. Xiao ne paya que cinq pièces d’argent pour acheter ce pincelier. Il faut dire qu’au prix du marché, cet objet pouvait alors atteindre 600 pièces d’argent (équivalant au prix d’un hectare de terre).

Recherches sur le four Ge

Un récipient du four Ge collectionné par le Musée d’histoire de Chine.

Sous les Song, les cinq grands fours impériaux avaient une haute réputation dans l’ensemble du pays. Mais les documents de la dynastie des Song ne font aucune mention du four Ge, alors qu’ils le font des quatre autres. Si vous cherchez un récit lié à ce four, il faut fouiller des documents écrits après cette dynastie.

Au début du XXe siècle, une vague de fouilles a eu lieu dans la région de Longquan, province du Zhejiang. Dans les documents de la dynastie des Ming (1368-1644), Longquan a toujours été considérée comme la région productrice de la porcelaine à craquelures du four Ge. Le jeune chercheur Chen Wanli a alors profité de cette occasion pour élucider le mystère. Pour effectuer ses recherches sur le four Ge, M. Chen a fait des enquêtes dans la région de Longquan. Ses efforts déployés aux ruines du four Longquan ont réussi au-delà de ses attentes : les preuves qui y ont été recueillies ont à peu près confirmé les écrits des documents. Cependant, de grandes différences persistaient aussi : des produits révélaient un ouvrage grossier, une couverte transparente, des couleurs et des dates différentes.

En 1930, un expert en antiquité a découvert une porcelaine d’un style Jinsi Tiexian au Palais impérial de Beijing. Après avoir effectué des recherches, il l’a évaluée comme provenant du four Ge, car elle correspondait à la description qu’en font les documents. Par ailleurs, quelques produits de ce four ont fait leur apparition tant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays.

Au cours des découvertes, on s’est aperçu que des documents historiques traitaient de fours anciens et de fours nouveaux. On a donc effectué aussi des recherches archéologiques, et on a finalement déchiffré l’énigme : la découverte de M. Chen était un produit du nouveau four Longquan, et la porcelaine à craquelures authentique était le produit de l’ancien four. Comme il existe très peu de documents sur la porcelaine à craquelures du four Ge, l’intérêt des archéologues s’est donc tourné vers la ville de Hangzhou au Zhejiang.

Sous la dynastie des Song, les Jin (1115-1235), qui régnaient en Chine du Nord, ont envahi le Sud. Dans ce contexte, Bianjing (l’actuelle Luoyang), capitale des Song, a été transférée à Lin’an (aujourd’hui Hangzhou). À Lin’an, l’empereur des Song donna l’ordre de construire son palais impérial et à ses fours de fabriquer de nouvelles porcelaines. 

Plus de 800 ans plus tard, ces deux fours ont été détruits en secret, ce qui a engendré de grandes difficultés pour les recherches archéologiques. En 1980, on a heureusement découvert les ruines des fours impériaux de la dynastie des Song pendant les fouilles de la ville de Lin’an.

En 1996, en raison de l’érosion causée par des pluies torrentielles, des débris de vases ont été mis au jour. Après des fouilles progressives, les ruines de l’ancien four Laohudong ont permis de dévoiler comment était fabriquée la couverte à craquelures de la porcelaine du four Ge. Grâce à ces fouilles, on a découvert sept fours à cuisson, un atelier, 24 fosses entassées de débris de vases et une grande quantité d’ustensiles de bonne qualité et de bon goût, surtout des vases rituels décrits dans les documents historiques. 

Depuis des années, un grand nombre d’experts chinois et étrangers effectuent des enquêtes sur place pour expertiser l’authenticité de la porcelaine à craquelures du four Ge. Après une mesure effectuée par l’Institut de recherches sur le silicate de Shanghai, on a établi que la glaçure des vases contient des éléments chimiques qui ressemblent à la couverte avec craquelures du four Ge. Après maintes conjectures, des experts ont estimé que le four Xiuneisi est probablement le four de remplacement du four impérial de la dynastie des Song, et les experts attendent toujours avec patience d’autres nouvelles preuves.