MARS 2005

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

Le palais de la vie éternelle, le summum de l’opéra Kunqu

ZHANG HONG

En tête de la première liste de l'UNESCO sur les 19 biens du « patrimoine mondial oral et immatériel », publiée en 2001, on trouvait l’opéra Kunqu de Chine. Depuis lors, « Le palais de la vie éternelle » est considéré comme le meilleur opéra Kunqu à avoir été produit et le summum de l'excellence en matière de représentation.

Deux siècles d’éloges

Les XVIIe et XVIIIe siècles correspondent à l'âge d'or du Kunqu, époque où les Chinois avaient une vénération collective pour cet opéra folklorique. L’envergure et la portée de cette passion pour le Kunqu, qui a eu cours pendant deux cents ans, sont encore inégalées dans l'histoire du théâtre chinois. Selon Lin Zhaohua, directeur du Théâtre d'art populaire de Beijing : « Seul le Kunqu peut rivaliser avec la tragédie grecque ou n'importe quel autre art classique de la scène dans le monde. » L'auteur taïwanais Bai Xianyong, dans son Un adepte à vie du Kunqu, insiste sur le fait que le Kunqu cristallise l'essence de la musique, de la danse, de la littérature et de l'esprit des habitants de la Chine.

En tant que « mentor de l'art théâtral », le Kunqu est reconnu comme l'opéra folklorique le plus raffiné et le plus élégant de Chine. Ses airs constituent du matériel standard de formation pour les interprètes de l’opéra de Pékin et des autres écoles d'opéra chinois. Les lettrés et les gens du peuple étaient des habitués du Kunqu, de sorte que cet art a absorbé un contenu plus élevé de culture élitiste de la Chine que n'importe quel autre opéra folklorique. Par conséquent, on l’acclame comme le parangon du théâtre chinois traditionnel.

Hong Sheng, un des dramaturges les plus célèbres de Chine, est né en 1645 dans une chaumière située à l’extérieur de la ville de Hangzhou. Le palais de la vie éternelle, sa création, et Le pavillon des pivoines de Tang Xianzu, un dramaturge accompli de la dynastie des Ming (1368-1644), sont considérés comme des chefs-d'œuvre du Kunqu. En 2004, des investisseurs taïwanais ont fait revivre ces deux classiques sur la scène pour que le public chinois contemporain puisse profiter de la quintessence du théâtre chinois ancien

Le palais de la vie éternelle a été présenté en première en février 2004 à Taipei et a reçu un accueil chaleureux. Les cinq représentations suivantes ont été présentées devant des salles combles. En commémoration du 300e anniversaire de la mort de Hong Sheng, la compagnie a fait une mise en scène de cet opéra à Beijing en décembre 2004. L'opéra effectue une tournée dans d'autres villes historiques et culturelles, ainsi qu’à Hongkong et en Europe en 2005. Cette renaissance du Kunqu a redonné aux Chinois un aspect précieux de leur culture, lequel avait été oublié depuis trop longtemps.

La beauté du Kunqu

Les arts nobles survivent aussi longtemps qu'il y a des gens ayant un niveau culturel pour les apprécier. Pendant la première renaissance du Kunqu, de 1980 au début des années 1990, le nombre des interprètes dépassait souvent celui des membres de l’assistance. Comme le mot Kunqu correspond également à la prononciation du caractère chinois signifiant somnolent, à la blague, on désignait cet opéra sous le nom de l'opéra somnolent. Les amateurs de théâtre, peu informés sur le Kunqu, trouvaient son tempo lent, son livret formel et excessivement élégant, absolument incompréhensible. Ils évitaient donc cet opéra.

Cependant, aux XVIIe et XVIIIe siècles, le Kunqu était aussi populaire que les chanteurs pop d'aujourd'hui. Comment un opéra folklorique pouvait-il avoir un effet si profond sur l’ensemble de la société? Selon Bai Xianyong, « le Kunqu combine la beauté de la musique, de la danse et de la littérature. Puisqu’il s’est raffiné sans interruption pendant 400 ans, c'est maintenant le summum esthétique de l'art chinois de la scène. »

Le Kunqu est issu des régions situées au sud du cours inférieur du fleuve Yangtsé. Suzhou, ville historique et culturelle célèbre,  était le centre du Kunqu pendant les dynasties des Ming (1368-1644) et des Qing (1644-1911). Le dialecte Wu de Suzhou, si agréable à l’oreille, caractérise les cadences mélodieusement poétiques de cet opéra.

Presque tous les opéras Kunqu sont des histoires d'amour. Une aria de dix minutes, accompagnée du mouvement gracieux de longues manches en soie blanche, relate une histoire d'amour émouvante. La manipulation élégante des longues manches de soie par l'interprète, qui décrit les caractères chinois exécutés dans un style calligraphique libre et cursif, est un festin visuel en soi. Selon Gu Duhuang, directeur de Le palais de la vie éternelle, « une représentation de Kunqu est bien davantage qu’un seul divertissement, c’est un festin artistique qui nourrit l'appréciation esthétique. »

Le Kunqu : à l’ancienne ou à la moderne?

Scène de Le palais de la vie éternelle, cet opéra Kunqu.

« Il y a eu beaucoup d’œuvres de Kunqu ces 450 dernières années, mais c’est Le palais de la vie éternelle qui traduit au mieux l'excellence littéraire et artistique de l'opéra », dit Zeng Yongyi, professeur à l'université de Taiwan et expert de cette pièce. Il croit que c’est l'histoire d'amour de l'empereur Xuanzong des Tang et de sa concubine Yang Yuhuan, tel que le présente l'opéra, qui exprime le mieux l'idéal chinois de l'amour. Dans celui-ci, l’engagement total rend la vie et la mort sans signification face à cet amour qui obnubile tout.

Les représentations traditionnelles de Kunqu étaient toujours très longues. Une seule production pouvait durer plusieurs jours. La version originale de Le palais de la vie éternelle comportait 50 actes, et Gu Duhuang en a choisi 28 pour une représentation en trois soirées. L’intention sous-jacente à cette représentation prolongée était de recréer le Kunqu dans sa forme originale.

Le directeur Lin Zhaohua s’exprime ainsi : « Nous avons encouragé notre culture nationale et notre théâtre traditionnel depuis des décennies, mais nous n’avons déployé aucun effort pour célébrer notre forme la plus élevée d'art de la scène. » Il se rappelle avoir assisté à un opéra Kunqu « innovateur », dans lequel les chaussures des interprètes étaient identiques à celles portées dans l’opéra de Pékin, et où il n'y avait aucun accompagnement musical à la flûte, un aspect essentiel du Kunqu. Lorsqu’il est allé à l'arrière-scène, il a trouvé trois flûtes abandonnées dans un coin poussiéreux. Lors d’une interview qu’il a donnée à un journaliste après la représentation, son commentaire amer a été que la compagnie avait réussi à tuer le Kunqu.

« Le garder traditionnel, traditionnel et encore plus traditionnel », voilà le principe de travail de Gu Duhuang. Il explique : « Yip Kam Tim insiste sur le fait que, de nos jours, respecter la tradition véritablement authentique signifie être d'avant-garde, un sentiment grâce auquel nous nous sommes serré la main. » Ils ont conclu un accord dans moins d’une demi-heure. L’unique condition de Gu était que la mise en scène de Yip n’éclipse pas la vraie représentation.

Gu Duhuang est né dans une grande famille aisée et a étudié l’art dramatique occidental. Il ne partage pas la passion dévorante de Bai Xianyong pour le Kunqu, mais croit que l'art de la scène, qu’il soit chinois ou occidental, entretient un lien. Ayant cela bien en tête, il a essayé de préserver l'originalité du Kunqu, plutôt que de le reproduire comme une fausse antiquité.

Pour Gu, le danger de l’« homicide » –le risque que le Kunqu soit remplacé par d'autres genres d'opéra folklorique− n'est pas aussi grand que le risque du « suicide » que posent les personnes du domaine du Kunqu qui insistent pour le moderniser, le populariser et l’occidentaliser. Pour sa part, Gu ne s'oppose pas à la création d’un nouvel opéra, mais il attache plus d'importance à reconstituer et à préserver la tradition. À son avis, la condition préalable cruciale aux productions contemporaines de Kunqu est de respecter sa forme originale, à défaut de quoi le résultat sera médiocre.

« À l'origine, il y avait un répertoire de 500 œuvres, mais seulement 200 restent », déplore-t-il. Quant au nombre de personnes qui travaillent dans le Kunqu, Gu ne peut indiquer le nombre exact : « Environ six troupes d'opéra comportant un total de 900 interprètes. »

Gu considère le parrainage des amateurs taiwanais du Kunqu comme un geste héroïque. Sans la conception, l’investissement et la publicité de Bai Xianyong, de Yip Kam Tim et de Chen Qide, ni Le pavillon des pivoines ni Le palais de la vie éternelle n'auraient pu attirer l'attention du public, qu’ils soient classés patrimoine mondial intemporel ou non.

Scène d’un opéra Kunqu.

Cedric Aviani, de France, est coordinateur de Beijing Performance International pour Le  palais de la vie éternelle. La première fois qu'il a vu cet opéra, c’était à Taipei. Il a assisté à chacune des trois soirées de représentation, quelque chose qu'il n'aurait jamais imaginé pouvoir faire. Sa réaction : « C’était fantastique! Quiconque s’intéresse à la culture pure appréciera. » Aviani croit que ce superbe opéra chinois devrait appartenir au monde entier.

La véritable tradition semble d’avant-garde; la tradition est actuellement tendance. Le palais de la vie éternelle est plus qu’un opéra Kunqu, c’est davantage une vision grandiose d'art visuel et un projet artistique à long terme. C'est également un beau rêve : la culture occidentale a posé un défi à la culture chinoise depuis le XXe siècle. Qu’on identifie le Kunqu comme « le summum de l'art de la scène » est un signe que les Chinois ont regagné un volet précieux de leur superbe culture.

L’opéra Kunqu

Le Kunqu, également appelé « Kunshanqiang », est apparu dans la région de Kunshan, province du Jiangsu, au milieu du XIVe siècle. Il se distingue par ses arias raffinées et élégantes qui ont été perfectionnées au cours d’innombrables représentations. En 1621, il avait acquis une popularité à la grandeur du pays, laquelle a duré jusqu'au XVIIIe siècle.

Résumé de Le palais de la vie éternelle

Yang Yuhuan, concubine de l'empereur Xuanzong (685-762) de la dynastie des Tang, est une musicienne belle et modeste. Alors qu'elle est aimée de l'empereur, sa famille se voit conférer des positions influentes au sein de la cour impériale, et Yang Guozhong, son frère avide et corrompu,  est nommé premier ministre. Un jour, Yuhuan rêve que la déesse de la Lune lui enseigne la musique céleste. Yuhuan raconte ce rêve à l'empereur, et ensemble, ils recréent ce rêve, l'appelant le Nishangyuyiqu (Mélodie du manteau de plumes aux couleurs de l’arc-en-ciel). Étant donné que Yuhuan aime les litchis, l’empereur dépêche ses hommes en Chine du Sud pour aller chercher ce fruit succulent et sucré pour son amour. Dans leur course, les cavaliers piétinent à mort beaucoup de citoyens et détruisent des champs cultivés, ce qui cause le ressentiment du peuple.

À la septième nuit de la septième lune, connue comme la qixi, l'équivalent chinois du jour de la Saint-Valentin, Yuhuan et l'empereur échangent le vœu de s’aimer, leurs témoins étant les mythiques Niulang et Zhinu. Cependant, cette illusion de périodes heureuses qui les attendent ressemble à des fleurs dans un miroir ou au reflet de la lune dans l'eau et disparaît bientôt. Face à la rébellion, l'empereur n'a d’autre choix que d’acquiescer à la demande de l’armée qui tient Yuhuan responsable de la rébellion et exige sa mort. Après la suppression de la rébellion, l'empereur fait ériger une sculpture de Yuhuan en bois de santal et lui exprime son immense chagrin et son regret, et le fantôme de Yuhuan regrette son égoïsme dans la vie. Le dieu local de la Terre s’occupe d’elle, et Zhinu, qui lui est aussi sympathique, l'aide à devenir une déesse. Avec l'aide de la déesse de la Lune, de Zhinu et d'autres immortels, Yuhuan et l'empereur sont par la suite réunis dans le Palais de la lune, le jour de la fête de la Mi-Automne. Ils restent ensemble pour l'éternité.