SEPTEMBRE 2004

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

La Chine multiple (suite et fin)

Zhou Yaowen

Les 55 ethnies minoritaires de Chine présentent entre elles de grandes différences quant au chiffre de leur population, à leur état de regroupement et de cohabitation avec les Han. Elles subissent à des degrés différents l’influence historique de la langue et de l’écriture han.

Une carte linguistique complexe

Selon des statistiques de 1990, on peut esquisser une carte linguistique comprenant quatre groupes de régions différentes :

1. Les régions monolingues. Elles couvrent principalement le Nord, l’Ouest, les zones frontalières du Sud-Ouest et les localités ethniques des districts, départements et régions autonomes sur les plateaux du Qinghai-Tibet, du Yunnan-Guizhou et du Sichuan de l’Ouest, telles que les localités à population essentiellement ouïgoure de la région autonome ouïgoure du Xinjiang, les zones agricoles ou pastorales à population tibétaine de la région autonome du Tibet, la région des Yi du département autonome yi de Liangshan, dans la province du Sichuan, la région des Lisu du département autonome lisu de Nujiang, dans la province du Yunnan. Dans ces régions, les Han habitent pour la plupart dans les centres urbains, se mêlant rarement avec les ethnies minoritaires qui vivent à la campagne ou dans les zones pastorales. Ces régions monolingues abritent environ 18 millions d’habitants, soit 20 % du total national des ethnies minoritaires.

2. Les régions en voie de devenir bilingues. Elles parlent les langues ethniques plus la langue han. Elles sont réparties dans les localités autonomes des zones frontalières de la Chine du Sud et du Sud-Ouest, ainsi que du plateau du Yunnan-Guizhou, telles que Nanning, Baise, Hechi et Liuzhou de la région autonome zhuang du Guangxi, où se concentrent les Zhuang; les départements du Xishuangbanna et de Dehong du Yunnan, où se regroupent les Dai; ainsi que le district autonome va de Cangyuan, qui est le pays des Va. Dans ces régions, les autochtones parlent leur propre langue dans la vie courante, mais un nombre croissant d’entre eux, vivant côte à côte avec les Han, ont appris la langue de leurs voisins. De plus, au cours des cinq dernières décennies, depuis l’avènement de la Chine nouvelle, de nombreux jeunes et adolescents ont pu apprendre à l’école la langue et l’écriture han. Environ 29 millions d’habitants, soit 32 % de la population totale des ethnies minoritaires, vivent dans ce deuxième groupe de régions linguistiques.

3. Les régions proprement bilingues. Elles emploient en même temps les langues ethniques et la langue han. Ce sont des régions dans lesquelles cohabitent pour la plupart les ethnies minoritaires et les Han, où les premières, en général peu nombreuses, ont leurs propres villages. Ainsi, beaucoup de Salar, de Dauer et d’Oroqen savent parler la langue han qu’ils utilisent habituellement dans leurs relations avec les Han. D’autres ethnies à population relativement nombreuse, mais largement dispersée parmi les Han, se sont vite familiarisées avec la langue de ces derniers. Par exemple, les Zhuang, les Mongols, les Bouyei et les Yi emploient indifféremment le han et leur propre langue dans une partie des localités. Ces régions bilingues comptent environ 16 millions d’habitants, soit 18 % des populations minoritaires de Chine.

4. Les régions employant ou adoptant le han comme langue maternelle où cohabitent les Han et des ethnies minoritaires. Ces dernières, plus nombreuses en effectifs, adoptent la langue han qui devient la langue courante de tous les habitants, jeunes et vieux, hommes et femmes. Ainsi, les Hui parlent depuis toujours le han, les Mandchous en font de même depuis les temps modernes, et au moins 99 % des Tujia ont adopté la langue han. La même option se remarque dans certaines régions, chez une partie des Mongols, Yi, Miao, Dong, Xibe et Dongxiang. Environ 28 millions de personnes, représentant 30 % des populations ethniques, ont ainsi fait leur la langue des Han.

Les chiffres susmentionnés, tirés des statistiques datant de la dernière décennie, ne reflètent plus exactement la réalité, car, entre-temps, un nombre important de jeunes et d’adolescents des ethnies minoritaires ont appris le han dans leurs classes d’enseignement bilingue ou exclusivement en langue han, ou par le biais de la radio, de la télévision, du cinéma et d’autres médias. Un nombre croissant d’habitants ethniques ont pu ainsi, à côté de leur langue maternelle, maîtriser la langue commune de la nation chinoise.

À chaque ethnie son écriture

Avant la fondation de la République populaire de Chine en 1949, 16 ethnies minoritaires -Mongols, Tibétains, Ouïgours, Kazakhs, Coréens, Kirghiz, Uzbeks, Tatars, Xibe, Russes, Yi, Dai, Jingpo, Lisu, Lahu et Miao- avaient déjà leur propre écriture. Pendant les années 1950, 14 écritures alphabétiques en lettres latines ont été créées pour dix ethnies -Zhuang, Bouyei, Yi, Miao, Hani, Lisu, Naxi, Dong, Va et Li- dont quatre dialectes pour les Miao, deux pour les Hani et un pour chacune des huit autres. Par la suite, des projets d’écriture en lettres latines ont été mis au point respectivement pour les Tu et la branche Zaiwa de l’ethnie Jingpo. Tous ces seize projets d’écritures alphabétiques sont actuellement en état de diffusion ou d’application expérimentale, sauf les projets élaborés pour les Li et le dialecte Haya des Hani qui n’ont pas été mis à l’essai, le nouveau projet d’alphabétisation de l’écriture syllabique des Yi, dont la mise à l’essai s’est arrêtée au milieu des années 1970, ainsi que le projet pour normaliser l’écriture ancienne des Yi de la province du Sichuan et créer une écriture syllabique et phonétique, intitulé « Projet de normalisation de l’écriture yi » du Sichuan. Ainsi, à part l’écriture han employée dans tout le pays, la Chine compte 30 sortes d’écritures appartenant à 20 ethnies minoritaires.

Parmi ces 30 écritures ethniques, à l’exception de l’écriture ancienne des Yi et de la nouvelle écriture normalisée des Yi du Sichuan, qui sont toutes deux syllabiques, on peut classer les 28 autres écritures en cinq groupes, selon l’origine des lettres de leur alphabet :

1. Lettres sanskrites : écritures tibétaine et dai (4 sortes);

2. Lettres ouïgoures anciennes : écritures mongole et xibe;

3. Lettres arabes : écritures ouïgoure, kazakhe et kirghize;

4. Lettres latines : écritures zhuang, bouyei, dong, hani, va, jingpo, zaiwa et tu;

5. Lettres conventionnelles : écritures coréenne, miao ancienne du nord-est du Yunnan.

Les écritures tibétaine et yi ancienne possèdent les plus longues histoires, remontant à plus de mille ans. D’autres datent seulement de quelques siècles, telles que les écritures mongole, ouïgoure, kazakhe, kirghize, coréenne et dai. Appartenant traditionnellement à leur propre ethnie, elles sont relativement populaires, en particulier les écritures mongole, tibétaine, ouïgoure, kazakhe et coréenne, qui sont couramment employées. Après la fondation de la République populaire, ces cinq dernières ont été utilisées par les maisons d’édition en langues ethniques, centrales et locales pour publier un grand nombre d’ouvrages. Un système d’enseignement bilingue (langue ethnique plus langue han), avec priorité accordée à la première, se pratique un peu partout dans les écoles primaires et secondaires, pendant que des cours et des spécialités enseignés en langue ethnique fonctionnent dans certaines facultés et écoles supérieures.

L’écriture kirghize, moins populaire que les cinq précédentes, occupe la place principale dans l’enseignement primaire et secondaire de cette ethnie et pour publier une série de livres de lecture. L’écriture dai, avec ses quatre variantes, adaptées chacune à un dialecte différent et se limitant à l’usage local, ne constitue pas encore une écriture unique pour toute l’ethnie. En 1954, l’écriture dai de Dehong, rénovée, et celle du Xishuangbanna ont commencé à être enseignées à l’école primaire et pour publier manuels, livres, journaux et périodiques.

Quant à l’écriture ancienne, traditionnelle, des Yi, des différences dialectales notables, aggravées en particulier par la diversité des caractères d’emprunt pour un même son dans les différents dialectes, empêchent l’uniformisation de l’écriture yi et restreignent énormément son usage. Cependant, le « Projet de normalisation de l’écriture yi » du Sichuan (à employer principalement dans la zone dialectale nord), approuvé et mis en application en 1989 par le Conseil des affaires d’État, est largement utilisé aujourd’hui dans les régions des Yi du département autonome yi de Liangshan et enseigné dans les écoles primaires et une partie des écoles secondaires. Il connaît une bonne diffusion.

La nouvelle écriture zhuang, approuvée et mise en application en 1957 par le Conseil des affaires d’État, est entrée dans les écoles primaires et secondaires d’une partie des zones peuplées de Zhuang, tandis que d’autres écritures traditionnelles ou nouvellement créées des ethnies de la Chine du Sud ne cessent d’enregistrer des succès encourageants dans l’usage officiel ou d’essai.

DOCUMENT

Les lecteurs qui voudraient approfondir leurs connaissances sur le sujet peuvent consulter les documents de référence suivants (en chinois) :

1) La Réforme de l’écriture de la Chine contemporaine, sous la direction de WANG JUN, Éditions Chine contemporaine, 1995.

2) Les Dialectes chinois et les enquêtes sur les dialectes, sous la direction de ZHAN BOHUI, Éditions de l’Éducation du Hubei, 1991.

3) « Écriture han », article rédigé par ZHOU ZUMO pour le chapitre « Langues et écritures », Grande Encyclopédie chinoise, Éditions Grande Encyclopédie chinoise, 1988.

4) Les Écritures des minorités ethniques de Chine, sous la direction de l’Institut de recherches ethniques, relevant de l’Académie des sciences sociales de Chine et du département culturel de la Commission d’État pour les affaires ethniques, Éditions de tibétologie,1992.

5) Étude sur l’usage des langues et écritures des ethnies minoritaires de Chine, par ZHOU YAOWEN, Éditions de l’Académie des sciences sociales de Chine, 1995.

ZHOU YAOWEN : ethnolinguiste, chercheur de l’Institut de recherches ethniques, Académie des sciences sociales de Chine.