La
Chine multiple (suite et fin)
Zhou Yaowen
Les 55 ethnies minoritaires de Chine présentent entre elles
de grandes différences quant au chiffre de leur population,
à leur état de regroupement et de cohabitation avec
les Han. Elles subissent à des degrés différents
linfluence historique de la langue et de lécriture
han.
Une carte linguistique complexe
Selon des statistiques de 1990, on peut esquisser une carte linguistique
comprenant quatre groupes de régions différentes :
1. Les régions monolingues. Elles couvrent principalement
le Nord, lOuest, les zones frontalières du Sud-Ouest
et les localités ethniques des districts, départements
et régions autonomes sur les plateaux du Qinghai-Tibet, du
Yunnan-Guizhou et du Sichuan de lOuest, telles que les localités
à population essentiellement ouïgoure de la région
autonome ouïgoure du Xinjiang, les zones agricoles ou pastorales
à population tibétaine de la région autonome
du Tibet, la région des Yi du département autonome
yi de Liangshan, dans la province du Sichuan, la région des
Lisu du département autonome lisu de Nujiang, dans la province
du Yunnan. Dans ces régions, les Han habitent pour la plupart
dans les centres urbains, se mêlant rarement avec les ethnies
minoritaires qui vivent à la campagne ou dans les zones pastorales.
Ces régions monolingues abritent environ 18 millions dhabitants,
soit 20 % du total national des ethnies minoritaires.
2. Les régions en voie de devenir bilingues. Elles parlent
les langues ethniques plus la langue han. Elles sont réparties
dans les localités autonomes des zones frontalières
de la Chine du Sud et du Sud-Ouest, ainsi que du plateau du Yunnan-Guizhou,
telles que Nanning, Baise, Hechi et Liuzhou de la région
autonome zhuang du Guangxi, où se concentrent les Zhuang;
les départements du Xishuangbanna et de Dehong du Yunnan,
où se regroupent les Dai; ainsi que le district autonome
va de Cangyuan, qui est le pays des Va. Dans ces régions,
les autochtones parlent leur propre langue dans la vie courante,
mais un nombre croissant dentre eux, vivant côte à
côte avec les Han, ont appris la langue de leurs voisins.
De plus, au cours des cinq dernières décennies, depuis
lavènement de la Chine nouvelle, de nombreux jeunes
et adolescents ont pu apprendre à lécole la
langue et lécriture han. Environ 29 millions dhabitants,
soit 32 % de la population totale des ethnies minoritaires, vivent
dans ce deuxième groupe de régions linguistiques.
3. Les régions proprement bilingues. Elles emploient en
même temps les langues ethniques et la langue han. Ce sont
des régions dans lesquelles cohabitent pour la plupart les
ethnies minoritaires et les Han, où les premières,
en général peu nombreuses, ont leurs propres villages.
Ainsi, beaucoup de Salar, de Dauer et dOroqen savent parler
la langue han quils utilisent habituellement dans leurs relations
avec les Han. Dautres ethnies à population relativement
nombreuse, mais largement dispersée parmi les Han, se sont
vite familiarisées avec la langue de ces derniers. Par exemple,
les Zhuang, les Mongols, les Bouyei et les Yi emploient indifféremment
le han et leur propre langue dans une partie des localités.
Ces régions bilingues comptent environ 16 millions dhabitants,
soit 18 % des populations minoritaires de Chine.
4. Les régions employant ou adoptant le han comme langue
maternelle où cohabitent les Han et des ethnies minoritaires.
Ces dernières, plus nombreuses en effectifs, adoptent la
langue han qui devient la langue courante de tous les habitants,
jeunes et vieux, hommes et femmes. Ainsi, les Hui parlent depuis
toujours le han, les Mandchous en font de même depuis les
temps modernes, et au moins 99 % des Tujia ont adopté la
langue han. La même option se remarque dans certaines régions,
chez une partie des Mongols, Yi, Miao, Dong, Xibe et Dongxiang.
Environ 28 millions de personnes, représentant 30 % des populations
ethniques, ont ainsi fait leur la langue des Han.
Les chiffres susmentionnés, tirés des statistiques
datant de la dernière décennie, ne reflètent
plus exactement la réalité, car, entre-temps, un nombre
important de jeunes et dadolescents des ethnies minoritaires
ont appris le han dans leurs classes denseignement bilingue
ou exclusivement en langue han, ou par le biais de la radio, de
la télévision, du cinéma et dautres médias.
Un nombre croissant dhabitants ethniques ont pu ainsi, à
côté de leur langue maternelle, maîtriser la
langue commune de la nation chinoise.
À chaque ethnie son écriture
Avant la fondation de la République populaire de Chine en
1949, 16 ethnies minoritaires -Mongols, Tibétains, Ouïgours,
Kazakhs, Coréens, Kirghiz, Uzbeks, Tatars, Xibe, Russes,
Yi, Dai, Jingpo, Lisu, Lahu et Miao- avaient déjà
leur propre écriture. Pendant les années 1950, 14
écritures alphabétiques en lettres latines ont été
créées pour dix ethnies -Zhuang, Bouyei, Yi, Miao,
Hani, Lisu, Naxi, Dong, Va et Li- dont quatre dialectes pour les
Miao, deux pour les Hani et un pour chacune des huit autres. Par
la suite, des projets décriture en lettres latines
ont été mis au point respectivement pour les Tu et
la branche Zaiwa de lethnie Jingpo. Tous ces seize projets
décritures alphabétiques sont actuellement en
état de diffusion ou dapplication expérimentale,
sauf les projets élaborés pour les Li et le dialecte
Haya des Hani qui nont pas été mis à
lessai, le nouveau projet dalphabétisation de
lécriture syllabique des Yi, dont la mise à
lessai sest arrêtée au milieu des années
1970, ainsi que le projet pour normaliser lécriture
ancienne des Yi de la province du Sichuan et créer une écriture
syllabique et phonétique, intitulé « Projet
de normalisation de lécriture yi » du Sichuan.
Ainsi, à part lécriture han employée
dans tout le pays, la Chine compte 30 sortes décritures
appartenant à 20 ethnies minoritaires.
Parmi ces 30 écritures ethniques, à lexception
de lécriture ancienne des Yi et de la nouvelle écriture
normalisée des Yi du Sichuan, qui sont toutes deux syllabiques,
on peut classer les 28 autres écritures en cinq groupes,
selon lorigine des lettres de leur alphabet :
1. Lettres sanskrites : écritures tibétaine et dai
(4 sortes);
2. Lettres ouïgoures anciennes : écritures mongole
et xibe;
3. Lettres arabes : écritures ouïgoure, kazakhe et
kirghize;
4. Lettres latines : écritures zhuang, bouyei, dong, hani,
va, jingpo, zaiwa et tu;
5. Lettres conventionnelles : écritures coréenne,
miao ancienne du nord-est du Yunnan.
Les écritures tibétaine et yi ancienne possèdent
les plus longues histoires, remontant à plus de mille ans.
Dautres datent seulement de quelques siècles, telles
que les écritures mongole, ouïgoure, kazakhe, kirghize,
coréenne et dai. Appartenant traditionnellement à
leur propre ethnie, elles sont relativement populaires, en particulier
les écritures mongole, tibétaine, ouïgoure, kazakhe
et coréenne, qui sont couramment employées. Après
la fondation de la République populaire, ces cinq dernières
ont été utilisées par les maisons dédition
en langues ethniques, centrales et locales pour publier un grand
nombre douvrages. Un système denseignement bilingue
(langue ethnique plus langue han), avec priorité accordée
à la première, se pratique un peu partout dans les
écoles primaires et secondaires, pendant que des cours et
des spécialités enseignés en langue ethnique
fonctionnent dans certaines facultés et écoles supérieures.
Lécriture kirghize, moins populaire que les cinq précédentes,
occupe la place principale dans lenseignement primaire et
secondaire de cette ethnie et pour publier une série de livres
de lecture. Lécriture dai, avec ses quatre variantes,
adaptées chacune à un dialecte différent et
se limitant à lusage local, ne constitue pas encore
une écriture unique pour toute lethnie. En 1954, lécriture
dai de Dehong, rénovée, et celle du Xishuangbanna
ont commencé à être enseignées à
lécole primaire et pour publier manuels, livres, journaux
et périodiques.
Quant à lécriture ancienne, traditionnelle,
des Yi, des différences dialectales notables, aggravées
en particulier par la diversité des caractères demprunt
pour un même son dans les différents dialectes, empêchent
luniformisation de lécriture yi et restreignent
énormément son usage. Cependant, le « Projet
de normalisation de lécriture yi » du Sichuan
(à employer principalement dans la zone dialectale nord),
approuvé et mis en application en 1989 par le Conseil des
affaires dÉtat, est largement utilisé aujourdhui
dans les régions des Yi du département autonome yi
de Liangshan et enseigné dans les écoles primaires
et une partie des écoles secondaires. Il connaît une
bonne diffusion.
La nouvelle écriture zhuang, approuvée et mise en
application en 1957 par le Conseil des affaires dÉtat,
est entrée dans les écoles primaires et secondaires
dune partie des zones peuplées de Zhuang, tandis que
dautres écritures traditionnelles ou nouvellement créées
des ethnies de la Chine du Sud ne cessent denregistrer des
succès encourageants dans lusage officiel ou dessai.
DOCUMENT
Les lecteurs qui voudraient approfondir leurs connaissances sur
le sujet peuvent consulter les documents de référence
suivants (en chinois) :
1) La Réforme de lécriture de la Chine contemporaine,
sous la direction de WANG JUN, Éditions Chine contemporaine,
1995.
2) Les Dialectes chinois et les enquêtes sur les dialectes,
sous la direction de ZHAN BOHUI, Éditions de lÉducation
du Hubei, 1991.
3) « Écriture han », article rédigé
par ZHOU ZUMO pour le chapitre « Langues et écritures
», Grande Encyclopédie chinoise, Éditions Grande
Encyclopédie chinoise, 1988.
4) Les Écritures des minorités ethniques de Chine,
sous la direction de lInstitut de recherches ethniques, relevant
de lAcadémie des sciences sociales de Chine et du département
culturel de la Commission dÉtat pour les affaires ethniques,
Éditions de tibétologie,1992.
5) Étude sur lusage des langues et écritures
des ethnies minoritaires de Chine, par ZHOU YAOWEN, Éditions
de lAcadémie des sciences sociales de Chine, 1995.
ZHOU YAOWEN : ethnolinguiste, chercheur de lInstitut de recherches
ethniques, Académie des sciences sociales de Chine.
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