Vouer
sa vie actuelle à préparer la prochaine
LISA CARDUCCI
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Lauteure en compagnie du lama
Genga Naowu devant le temple de Wendu. |
Contrairement à la croyance populaire,
Bouddha, ou « le » Bouddha, désigne non pas
Dieu, mais le fondateur de cette religion, Sakyamuni. Le bouddhisme
est, pourrait-on dire, une religion sans dieu. Lobjectif
des bouddhistes consiste à se perfectionner le plus quils
le peuvent en ce monde afin dentrer dans la prochaine vie
au plus haut niveau possible. Certains moines (du bouddhisme tibétain),
des « lamas », atteignent un si haut niveau quon
les appelle « bouddhas vivants » ou tulku. Le 15 août,
jai rencontré pour nos lecteurs un moine du Qinghai,
Genga Naowu, qui dédie sa vie actuelle à la préparation
de la prochaine.
Cest grâce au chauffeur que javais
engagé, Zhang Jun, que jai fait sa connaissance.
« Aka!
Aka! », appelle-t-il de
tous ses poumons tandis que nous gravissons lescalier en
pente raide du temple. Attendant une réponse, il mexplique
: « Cest ainsi quon sadresse aux moines.
» Soudain, japerçois Genga Naowu, la trentaine
avancée, souriant, au sommet de la colline. Cest
sa dentition parfaite et dune blancheur éclatante
qui me frappe dabord.
GN : Vous êtes la bienvenue chez moi. Entrez,
entrez!
Je remarque que Genga Naowu est sur ses chaussettes;
je retire donc mes sandales.
Vous habitez « dans » le temple?
Jy passe la plus grande partie de mon temps.
Ici, cest « ma » salle. Elle vient dêtre
rénovée au coût de 7 millions de yuans. Venez,
je vous fais visiter.
Je ne savais pas que ce monastère, Wendusi,
était si important!
Bien sûr quil lest. LÉtat
a rénové les grands temples du Tibet. La restauration
des moins célèbres, comme le nôtre, a été
financée par des fidèles, dont des industriels qui
ont donné 300 000, 400 000 et même 600 000 yuans.
Vous voyez ces quatre « gardiens du ciel »? Ils sont
en bronze plaqué or.
Vous êtes nombreux à vivre ici?
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La route serpente vers Wendusi dans
un paysage époustouflant. |
Nous sommes 150 actuellement. (Pendant ma visite,
je nen croiserai que cinq.) Les autres sont au monastère
de Taer. Vous avez visité Taersi?
Bien sûr! Jarrive de Xining justement.
Et jen garderai un magnifique souvenir.
Taer a été sauvé des
Japonais en 1945. Et de la Révolution culturelle. Car les
gens lont fermé quand ils ont senti le danger, puis
ont quitté les lieux.
Jy ai admiré de magnifiques sculptures
en beurre de yack. Les moines dici en fabriquent aussi?
Ici même, non, mais nos moines vont le faire
à Taer. Vous savez quil faut trois mois de
travail, à une température de -15 à 30
°C, pour réaliser une uvre? Autrefois, cétait
les mêmes artistes qui le faisaient pendant des années,
jusquà ce quon soit obligé de les amputer,
quand leurs doigts gelaient. Les jeunes moines aujourdhui
ne sont pas très enclins à ce sacrifice et cest
un art qui va sans doute disparaître.
La maison familiale du Xe panchen-lama est ici,
à Wendu. Je viens de la visiter. Quel paysage époustouflant
dans la région! Les montagnes de terre rouge sont fertiles
au pied, et plus on monte, plus elles se dénudent. Et ces
crevasses, ces coulisses de chaque côté de la route,
ces pains de sucre pointus qui surgissent de la plaine verte!
Je suis originaire de Wendu moi aussi. Vous avez
pris des photos?
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Le chauffeur Zhang Jun travaille
comme un guide et un ami, bien plus que comme un commerçant
de service.
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Jaurais bien voulu, mais les piles de mon
appareil sont à plat. Celles de mon magnétophone
aussi; je devrai transcrire cette entrevue de mémoire,
à l'aide de quelques notes. Mais parlons de vous. Pourquoi
êtes-vous devenu moine?
Autrefois, quand une famille navait quun
fils, il ne se faisait pas moine; mais si elle en avait davantage,
lun dentre eux entrait au temple et y restait de lâge
de 3 ans jusquà 25 ans. Ensuite, il choisissait de
quitter ou de rester.
Cest votre cas?
Non. Je suis entré au temple à 10
ans.
Vous pourriez sortir si vous le vouliez?
Je naurais quà ouvrir la porte
et men aller. Mais cest mon choix.
Venez, nous allons voir la salle de prière.
Il y fait très sombre. Dommage que nous ne
puissions mieux voir toutes ces merveilles. Deux rangées
de sièges recouverts de tapis se font face. Cest
là que les moines prennent place pour la récitation
des soutras. Je my assois, sans demander lautorisation,
pour me mettre dans la peau dun lama. Aussitôt, un
« surveillant » invisible interpelle Genga Naowu,
qui me transmet lordre de me lever. Ces places sont exclusivement
réservées aux lamas.
Racontez-moi une journée ordinaire de votre
vie. À quelle heure commence-t-elle?
Je me lève à 5 h; je fais ma toilette,
et un peu de ménage. À 5 h 30, je prends mon petit
déjeuner.
Vous allez à la cantine?
Nous prenons deux repas en commun et un solitairement.
Vous mavez montré votre salle détude
tout à lheure. Quétudiez-vous?
De 8 à 11 h, je lis et jétudie.
Laprès-midi aussi. Et nous avons deux séances
de prière par jour. Jétudie les écritures
sacrées, les soutras.
En quelle langue?
En sanskrit et en tibétain. Je parle chinois,
mais je ne lécris pas. Je ne le lis pas non plus.
Dire quil y a encore des gens qui croient
encore à un génocide culturel imposé par
la Chine au Tibet. Enfin
, passons.
Je voudrais bien apprendre langlais. La plupart
des visiteurs étrangers le parlent, mais ne connaissent
pas le chinois ni le tibétain. À propos, un couple
est venu hier et la dame disait sans cesse « This is
this is
»; quest-ce que cela signifie?
Cela veut dire « Zhe shi
» Pouvez-vous
prendre la station anglaise de la CCTV?
Nous navons pas de télévision.
Pas dordinateur non plus.
Le téléphone?
Oui. Si vous pouviez menvoyer des livres danglais
élémentaire
Je veux bien, mais connaissez-vous les lettres latines?
Et pour la prononciation, comment ferez-vous?
Si je pouvais avoir aussi des cassettes
Vous avez un magnétophone?
Non. Mais un étudiant du secondaire, un membre
de ma famille, maidera.
Vous pouvez sortir du monastère?
Bien sûr. Je peux visiter ma famille ou recevoir
des visiteurs ici.
Bon, je vous enverrai quelque chose. Veuillez écrire
votre adresse postale ici.
Alors, il faudra laide du chauffeur Zhang,
car Genga Naowu nécrit pas le chinois.
Vous devriez être bouddhiste, madame Lisa
Vous ne lêtes pas, mais quelle est votre religion?
Une longue conversation sur la religion a suivi
cette question. Genga Naowu a répété quil
était bouddhiste, un bouddhiste convaincu et heureux de
lêtre. Cette religion lui convient parfaitement, affirme-t-il,
et il na jamais pensé en changer.
Nous sommes ensuite sortis sur la terrasse doù
nous pouvions admirer le paysage. Les piles de mon appareil photo
ont bien voulu se ranimer le temps dimmortaliser cette rencontre.
Nous voici maintenant dans la salle où se
trouve un stoupa en or aux dimensions imposantes et orné
de pierres précieuses et semi-précieuses de lInde
de la grosseur dune pomme. Il contient des reliques du Xe
panchen-lama. En quittant cette salle, Genga Naowu nous invite,
le chauffeur et moi, à prendre du thé dans sa chambre.
Comme à Lhasa, à Xiahe ou ailleurs,
il me semble que les moines aient toujours leur espace de vie
privé.
Cest ainsi.
Vingt minutes avant, Genga Naowu sétait
absenté un moment pour mettre de leau à chauffer.
La bouilloire est accrochée à un support métallique.
Leau bout sous leffet de lénergie solaire
amplifiée par une assiette concave qui rappelle une antenne
parabolique de télévision.
Je pense que le thé sera meilleur, à
lénergie solaire.
Prenez du pain, je vous en prie.
On dirait des pains faits à la maison. Cest
votre cuisinier qui les prépare?
Non. Cest ma famille. Chaque fois que jy
vais ou que quelquun vient me voir, on me donne plein de
choses.
Notre monastère est petit. Pas comme Taersi.
Vous avez vu, là, lancienne cuisine et les trois
énormes marmites, assez grandes pour contenir un buf,
vingt moutons ou cent poulets? Autrefois, 4 000 moines y vivaient.
Maintenant, ils sont moins de 700.
Oui, je les ai vues. Moi qui croyais que les moines
étaient végétariens!
Le bouddhisme han et le bouddhisme tibétain
sont différents. Les moines chinois (han) sont végétariens,
mais nous, nous consommons de la viande. Cela tient sans doute
au fait que notre population se composait uniquement de pasteurs
nomades autrefois. Nous ne cultivions pas de légumes. Limportant
consiste à ne pas tuer nous-mêmes un animal. Les
termes que nous utilisons pour désigner les moines et les
nonnes sont aussi différents. Nous disons « lama
» et « majun », tandis qu'en chinois, on dit
« heshang » et « nigu ».