Létiquette
de la cuisine traditionnelle chinoise
HUO JIANYING
La complexité de létiquette liée
à la cuisine traditionnelle chinoise navait dégale
que la splendeur de ses banquets. Aujourdhui, les rites
sont heureusement simplifiés, mais manger à la chinoise
reste encore tout un art.
LA cuisine traditionnelle chinoise a aidé
la nation chinoise non seulement à manger à sa faim
et même à déguster des mets délicieux,
mais aussi à faire évoluer beaucoup de mécanismes
sociaux sous linfluence de la doctrine des rites confucianistes.
Premièrement : travailler à sa perfection.
Daprès lévaluation qu'en faisaient nos
ancêtres, il existait trois genres de gastronomes. D'abord,
ceux qui mangent gloutonnement : plus il y en a, mieux cela vaut.
Puis, ceux qui recherchent des saveurs délectables : pour
savourer des mets délicieux, on ne regarde pas à
la dépense et on ménage ses efforts. Et enfin, ceux
qui cultivent leurs dons naturels : on veille à lhygiène,
on excelle dans lart culinaire ou on suit un régime
sévère. Ce dernier genre de gastronome sert aujourdhui
dexemple aux autres. En effet, cette conception de l'alimentation
correspond aux besoins pour la santé et répond à
lidée antique voulant que « ne rechercher ni
réputation ni fortune, mais jouir dune grande vertu
et dun grand prestige »
Deuxièmement : renforcer les bons rapports
entre parents et amis. Dans la société agricole
d'autrefois, les Chinois appréciaient une famille nombreuse
et les quatre générations vivant sous le même
toit. Toute la famille se réunissait à la fête
du Printemps. Les membres de la famille sasseyaient autour
de la table par ordre dâge. Le banquet qu'on organisait
servait sans aucun doute de trait dunion entre les membres
de la famille.
Dans la société, lorsque de vieux
amis se retrouvaient dans une atmosphère des plus cordiales,
le banquet servait dintermédiaire entre les amis
et créait un vaste champ daction où lon
établissait des relations humaines.
Troisièmement : acquérir la confiance
et la réputation. La société féodale
était fortement hiérarchisée. Donner un banquet
en lhonneur des fonctionnaires jouait un grand rôle
dincitation dans les rapports entre lempereur et ses
fonctionnaires. En tant que fonctionnaire, participer à
un banquet de la cour impériale était considéré
comme une manifestation de la grande considération et de
la confiance de lempereur. Zuo Zongtang (1812-1885), général
renommé de la dynastie des Qing (1644-1911), était
friand de viande. À un banquet de la cour impériale,
limpératrice douairière Ci Xi (1835-1908)
donna lordre de donner plus de viande au général
Zuo. Surpris de faire lobjet de tant de faveurs, même
sous les yeux de ses collègues, Zuo Zongtang consomma tous
les plats. Parce qu'il avait manifesté du respect pour
limpératrice, il passa alors pour un parfait mas-tu-vu.
Le protocole classique
Concernant le protocole classique, on dit que le
banquet de la cour impériale était très strict.
Du début à la fin, les convives devaient agir avec
prudence. La moindre négligence pouvait constituer une
infraction grave inattendue. En 1005, 2e année du règne
Jingde de lempereur Zhenzong de la dynastie des Song (960-1279),
lempereur ordonna un renforcement du protocole des banquets
de la cour impériale. Les convives devaient être
vêtus de façon impeccable et agir de façon
sérieuse. À cause de ses nombreuses prescriptions
et interdictions, on peut dire que le banquet de la cour impériale
paralysait les convives. Rien que dapprendre les formules
obsolètes qui étaient requises pouvait exiger six
ou douze mois defforts. La salle de banquet était
sous la surveillance des fonctionnaires de garde. Le convive qui
enfreignait la discipline était sanctionné conformément
au règlement. On a rapporté que le nombre total
de caractères chinois dans le célèbre ouvrage
de stratégie écrit par Sunzi (Sun Wu) nest
que de quelque cinq mille, alors que le nombre total de caractères
chinois des formules périmées à retenir pour
un banquet de la cour impériale dépassait même
dix mille.
Il y a plus de deux millénaires, la doctrine
confucéenne préconisait que lapplication des
rites confucéens permettrait de gouverner le pays et de
dispenser léducation civique. Dans son recueil des
ouvrages, Xunzi ou Xun Kuang (313-238 av. J.-C.) a écrit
: « Sans rites, les gens ne pourront vivre, les affaires
ne pourront se régler et lÉtat ne pourra pas
réaliser la stabilité. »
Les règles originelles de la cuisine traditionnelle
chinoise pourraient remonter aux rites sacrificiels. En tant que
pierre angulaire, la classe dominante sy intéressait
tout spécialement.
Tout comme pour le banquet de la cour impériale,
la carte dinvitation devait être distribuée
dabord à linvité. Autrefois, selon le
protocole classique, la place dhonneur était en face
de la porte dentrée et les convives sasseyaient
successivement dans lordre, à gauche et à
droite, ou à lest et à louest de cette
place; lhôte le faisait en dernier. Cette règle
se pratique encore, mais le protocole occidental sapplique
aussi.
Lhôte donnait le signal du début
du repas en servant les invités qui se trouvaient à
sa droite et à sa gauche, à laide des baguettes
se trouvant sur un couvert à part. Dans les banquets, à
droite du couvert, on trouvait de petits bols pour lalcool.
Le repas se terminait avec des fruits servis soit à table,
soit sur les tables basses devant les fauteuils de réception.
Recevoir des invités et manger ensemble
L'étiquette de la cuisine traditionnelle
chinoise s'appliquait dans deux situations : recevoir des invités
et manger ensemble.
Recevoir des invités. Après avoir
mis le couvert, les ustensiles à lusage de chaque
convive devaient être à la bonne place. Un hôte
avisé devait bien connaître l'endroit où disposer
la nourriture. Généralement, la nourriture de base
était placée à gauche du convive; le jus
de viande, à droite; les mets de viande, vers lextérieur,
et les sauces, vers lintérieur, tout cela pour que
le tout soit plus facile à prendre.
Par ailleurs, le garçon de restaurant devait
connaître dans quelle direction mettre les plats, leur position
et la place des grands mets. Lorsquil offrait des plats
à chaque convive, il devait porter le plateau dans sa paume
gauche et distribuer les plats avec sa main droite. Si le maître
posait des questions, il devait lui répondre en tournant
la tête d'un côté pour l'éloigner du
plat. En offrant du poisson, la bouche de celui-ci ne devait pas
être orientée en direction du convive. Il devait
également connaître les détails suivants :
les arêtes de la queue du poisson sont plus faciles à
enlever; le ventre est plus délicieux en hiver et le dos,
plus gras en été. Le plat de poisson devait être
placé à droite de la place dhonneur.
Manger ensemble. L'étiquette demandait aux
convives de distinguer entre les personnes de rangs supérieur
et inférieur. Les parents et les hôtes distingués
étaient de rang supérieur et on devait les respecter.
Le principe fondamental consistait à considérer
les personnes de rang supérieur comme le cur dun
banquet ou dun repas. Ce sont toujours ces derniers qui
dirigeaient le repas et les personnes de rang inférieur
cherchaient à leur être agréables.
L'étiquette consistait à rendre conformes
les conduites moins appropriées. Cette règle fut
inscrite dans les Mémoires sur les Rites, il y a déjà
plus de deux mille ans : lun des trois Cérémonials
classiques, compilés tardivement sous les Han antérieurs,
au Ier siècle av. J.-C.
Pour la politesse, avant de prendre le repas, les
personnes de rang inférieur sasseyaient plus en arrière.
Pour la propreté, elles devaient ne sapprocher de
la table qu'au cours du repas. Les personnes de rang supérieur
devaient guider les autres à exprimer leurs remerciements
sincères pour les faveurs obtenues du Ciel et de leurs
ancêtres. En attendant les aliments et la venue des hôtes,
les convives devaient rester debout pour manifester leur politesse.
Si le maître servait de la nourriture à un convive,
celui-ci devait la recevoir avec intérêt.
Daprès les Mémoires sur les
Rites, à un banquet, on devait sabstenir de manger
et de boire de façon excessive ou comme une personne mal
élevée. On devait bien mastiquer, avaler lentement
et sabstenir de produire des bruits importuns. On ne devait
pas remettre dans lassiette de la nourriture quon
avait prise. À la table de banquet, on ne devait pas gruger
un os. On devait prendre la soupe tout doucement après
le repas. On devait aussi sabstenir de se curer les dents
au cours du repas; si cela était inévitable, on
devait dissimuler le geste avec la main. On ne devait pas assaisonner
de nouveau la soupe pour faire preuve de ses connaissances. À
un banquet, on ne devait pas se lamenter sur ses problèmes;
il fallait plutôt oublier tous ses ennuis, ce qui répond
bien encore aujourdhui à la conception de la gastronomie
chinoise.
Lutilisation des baguettes
Dans les mains des Chinois, les baguettes remplissent
toujours une fonction quasi « magique ». Avec les
baguettes, il est facile de prendre des mets préparés
ou des fèves de soja. Inscrite dans le Cérémonial
officiel de Chine, cette technique « magique » simple
doit bien remonter à plus de 4 000 ans.
En Chine, lutilisation des baguettes ne consiste
pas seulement à prendre des mets en morceaux préhensiles.
Elle sert aussi à illustrer la position sociale et l'étiquette
officielle. Par ailleurs, elles ont aussi, à l'occasion,
causé des malheurs inattendus.
Par exemple, ce fut le cas pour Tang Su, un fonctionnaire
de lépoque des Song du Nord (960-1127). Un jour quil
accompagnait lempereur dans un banquet, par mégarde,
il offensa lempereur en déposant ses baguettes horizontalement
sur la table. Daprès le protocole, déposer
ses baguettes horizontalement devant lempereur était
un crime. Cela correspondait en effet à traiter lempereur
de façon non convenable et à résister à
sa supériorité. Il fut par conséquent déporté
à la frontière.
Règle générale, les baguettes
ont environ 8 pouces. Il y en a de toutes sortes. Les plus simples
sont en bambou ou en bois. Les plus raffinées sont en bois
laqué, en os, ou en ébène. Il en existe en
étain, mais elles sont rares, en ivoire et en argent. Les
baguettes en plastique sont aussi en usage maintenant.
D'après l'étiquette de la cuisine
traditionnelle chinoise, dans les banquets, on ne doit pas faire
de fanzhengkuai, qiaokuai, gongkuai, cikuai, mikuai, yikuai, taokuai,
jiaochakuai, tuipankuai et tiankuai.
Fanzhengkuai : tenir ses baguettes l'une de façon
normale et l'autre inversée (ce qui signifie que le ventre
affamé prend tout à gré). Qiaokuai : frapper
le bol, lassiette ou la table avec les baguettes (devenir
fou comme un mendiant). Gongkuai : planter les baguettes dans
les aliments (évoque une cérémonie funèbre).
Cikuai : utiliser les baguettes comme une fourchette (se conduire
grossièrement). Mikuai : hésiter à prendre
des plats en prenant ses baguettes (mal élevé).
Yikuai : prendre de la nourriture et la remettre dans le plat
(manquer de politesse). Taokuai : avec les baguettes, creuser
un trou pour chercher de la nourriture par l'intérieur
(mauvaise habitude). Jiaochakuai : prendre un mets en même
temps qu'un autre convive (être pressé de manger).
Tuipankuai : avec les baguettes, pousser le bol ou lassiette
(jouer comme un enfant). Et tiankuai : nettoyer les baguettes
à coups de langue (se rendre ridicule).
Dans les banquets, les baguettes peuvent être
posées à leur place, à droite du convive.
Les baguettes ne doivent être déposées horizontalement
que si les convives de rang supérieur ont fait de même.
L'étiquette de la cuisine traditionnelle
chinoise sest transmise de génération en génération
pour former un principe de la civilisation gastronomique.