SEPTEMBRE 2004

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

L’étiquette de la cuisine traditionnelle chinoise

HUO JIANYING

La complexité de l’étiquette liée à la cuisine traditionnelle chinoise n’avait d’égale que la splendeur de ses banquets. Aujourd’hui, les rites sont heureusement simplifiés, mais manger à la chinoise reste encore tout un art.

LA cuisine traditionnelle chinoise a aidé la nation chinoise non seulement à manger à sa faim et même à déguster des mets délicieux, mais aussi à faire évoluer beaucoup de mécanismes sociaux sous l’influence de la doctrine des rites confucianistes.

Premièrement : travailler à sa perfection. D’après l’évaluation qu'en faisaient nos ancêtres, il existait trois genres de gastronomes. D'abord, ceux qui mangent gloutonnement : plus il y en a, mieux cela vaut. Puis, ceux qui recherchent des saveurs délectables : pour savourer des mets délicieux, on ne regarde pas à la dépense et on ménage ses efforts. Et enfin, ceux qui cultivent leurs dons naturels : on veille à l’hygiène, on excelle dans l’art culinaire ou on suit un régime sévère. Ce dernier genre de gastronome sert aujourd’hui d’exemple aux autres. En effet, cette conception de l'alimentation correspond aux besoins pour la santé et répond à l’idée antique voulant que « ne rechercher ni réputation ni fortune, mais jouir d’une grande vertu et d’un grand prestige »

Deuxièmement : renforcer les bons rapports entre parents et amis. Dans la société agricole d'autrefois, les Chinois appréciaient une famille nombreuse et les quatre générations vivant sous le même toit. Toute la famille se réunissait à la fête du Printemps. Les membres de la famille s’asseyaient autour de la table par ordre d’âge. Le banquet qu'on organisait servait sans aucun doute de trait d’union entre les membres de la famille.

Dans la société, lorsque de vieux amis se retrouvaient dans une atmosphère des plus cordiales, le banquet servait d’intermédiaire entre les amis et créait un vaste champ d’action où l’on établissait des relations humaines.

Troisièmement : acquérir la confiance et la réputation. La société féodale était fortement hiérarchisée. Donner un banquet en l’honneur des fonctionnaires jouait un grand rôle d’incitation dans les rapports entre l’empereur et ses fonctionnaires. En tant que fonctionnaire, participer à un banquet de la cour impériale était considéré comme une manifestation de la grande considération et de la confiance de l’empereur. Zuo Zongtang (1812-1885), général renommé de la dynastie des Qing (1644-1911), était friand de viande. À un banquet de la cour impériale, l’impératrice douairière Ci Xi (1835-1908) donna l’ordre de donner plus de viande au général Zuo. Surpris de faire l’objet de tant de faveurs, même sous les yeux de ses collègues, Zuo Zongtang consomma tous les plats. Parce qu'il avait manifesté du respect pour l’impératrice, il passa alors pour un parfait m’as-tu-vu.

Le protocole classique

Concernant le protocole classique, on dit que le banquet de la cour impériale était très strict. Du début à la fin, les convives devaient agir avec prudence. La moindre négligence pouvait constituer une infraction grave inattendue. En 1005, 2e année du règne Jingde de l’empereur Zhenzong de la dynastie des Song (960-1279), l’empereur ordonna un renforcement du protocole des banquets de la cour impériale. Les convives devaient être vêtus de façon impeccable et agir de façon sérieuse. À cause de ses nombreuses prescriptions et interdictions, on peut dire que le banquet de la cour impériale paralysait les convives. Rien que d’apprendre les formules obsolètes qui étaient requises pouvait exiger six ou douze mois d’efforts. La salle de banquet était sous la surveillance des fonctionnaires de garde. Le convive qui enfreignait la discipline était sanctionné conformément au règlement. On a rapporté que le nombre total de caractères chinois dans le célèbre ouvrage de stratégie écrit par Sunzi (Sun Wu) n’est que de quelque cinq mille, alors que le nombre total de caractères chinois des formules périmées à retenir pour un banquet de la cour impériale dépassait même dix mille.

Il y a plus de deux millénaires, la doctrine confucéenne préconisait que l’application des rites confucéens permettrait de gouverner le pays et de dispenser l’éducation civique. Dans son recueil des ouvrages, Xunzi ou Xun Kuang (313-238 av. J.-C.) a écrit : « Sans rites, les gens ne pourront vivre, les affaires ne pourront se régler et l’État ne pourra pas réaliser la stabilité. »

Les règles originelles de la cuisine traditionnelle chinoise pourraient remonter aux rites sacrificiels. En tant que pierre angulaire, la classe dominante s’y intéressait tout spécialement.

Tout comme pour le banquet de la cour impériale, la carte d’invitation devait être distribuée d’abord à l’invité. Autrefois, selon le protocole classique, la place d’honneur était en face de la porte d’entrée et les convives s’asseyaient successivement dans l’ordre, à gauche et à droite, ou à l’est et à l’ouest de cette place; l’hôte le faisait en dernier. Cette règle se pratique encore, mais le protocole occidental s’applique aussi.

L’hôte donnait le signal du début du repas en servant les invités qui se trouvaient à sa droite et à sa gauche, à l’aide des baguettes se trouvant sur un couvert à part. Dans les banquets, à droite du couvert, on trouvait de petits bols pour l’alcool. Le repas se terminait avec des fruits servis soit à table, soit sur les tables basses devant les fauteuils de réception.


Recevoir des invités et manger ensemble

L'étiquette de la cuisine traditionnelle chinoise s'appliquait dans deux situations : recevoir des invités et manger ensemble.

Recevoir des invités. Après avoir mis le couvert, les ustensiles à l’usage de chaque convive devaient être à la bonne place. Un hôte avisé devait bien connaître l'endroit où disposer la nourriture. Généralement, la nourriture de base était placée à gauche du convive; le jus de viande, à droite; les mets de viande, vers l’extérieur, et les sauces, vers l’intérieur, tout cela pour que le tout soit plus facile à prendre.

Par ailleurs, le garçon de restaurant devait connaître dans quelle direction mettre les plats, leur position et la place des grands mets. Lorsqu’il offrait des plats à chaque convive, il devait porter le plateau dans sa paume gauche et distribuer les plats avec sa main droite. Si le maître posait des questions, il devait lui répondre en tournant la tête d'un côté pour l'éloigner du plat. En offrant du poisson, la bouche de celui-ci ne devait pas être orientée en direction du convive. Il devait également connaître les détails suivants : les arêtes de la queue du poisson sont plus faciles à enlever; le ventre est plus délicieux en hiver et le dos, plus gras en été. Le plat de poisson devait être placé à droite de la place d’honneur.

Manger ensemble. L'étiquette demandait aux convives de distinguer entre les personnes de rangs supérieur et inférieur. Les parents et les hôtes distingués étaient de rang supérieur et on devait les respecter. Le principe fondamental consistait à considérer les personnes de rang supérieur comme le cœur d’un banquet ou d’un repas. Ce sont toujours ces derniers qui dirigeaient le repas et les personnes de rang inférieur cherchaient à leur être agréables.

L'étiquette consistait à rendre conformes les conduites moins appropriées. Cette règle fut inscrite dans les Mémoires sur les Rites, il y a déjà plus de deux mille ans : l’un des trois Cérémonials classiques, compilés tardivement sous les Han antérieurs, au Ier siècle av. J.-C.

Pour la politesse, avant de prendre le repas, les personnes de rang inférieur s’asseyaient plus en arrière. Pour la propreté, elles devaient ne s’approcher de la table qu'au cours du repas. Les personnes de rang supérieur devaient guider les autres à exprimer leurs remerciements sincères pour les faveurs obtenues du Ciel et de leurs ancêtres. En attendant les aliments et la venue des hôtes, les convives devaient rester debout pour manifester leur politesse. Si le maître servait de la nourriture à un convive, celui-ci devait la recevoir avec intérêt.

D’après les Mémoires sur les Rites, à un banquet, on devait s’abstenir de manger et de boire de façon excessive ou comme une personne mal élevée. On devait bien mastiquer, avaler lentement et s’abstenir de produire des bruits importuns. On ne devait pas remettre dans l’assiette de la nourriture qu’on avait prise. À la table de banquet, on ne devait pas gruger un os. On devait prendre la soupe tout doucement après le repas. On devait aussi s’abstenir de se curer les dents au cours du repas; si cela était inévitable, on devait dissimuler le geste avec la main. On ne devait pas assaisonner de nouveau la soupe pour faire preuve de ses connaissances. À un banquet, on ne devait pas se lamenter sur ses problèmes; il fallait plutôt oublier tous ses ennuis, ce qui répond bien encore aujourd’hui à la conception de la gastronomie chinoise.

L’utilisation des baguettes

Dans les mains des Chinois, les baguettes remplissent toujours une fonction quasi « magique ». Avec les baguettes, il est facile de prendre des mets préparés ou des fèves de soja. Inscrite dans le Cérémonial officiel de Chine, cette technique « magique » simple doit bien remonter à plus de 4 000 ans.

En Chine, l’utilisation des baguettes ne consiste pas seulement à prendre des mets en morceaux préhensiles. Elle sert aussi à illustrer la position sociale et l'étiquette officielle. Par ailleurs, elles ont aussi, à l'occasion, causé des malheurs inattendus.

Par exemple, ce fut le cas pour Tang Su, un fonctionnaire de l’époque des Song du Nord (960-1127). Un jour qu’il accompagnait l’empereur dans un banquet, par mégarde, il offensa l’empereur en déposant ses baguettes horizontalement sur la table. D’après le protocole, déposer ses baguettes horizontalement devant l’empereur était un crime. Cela correspondait en effet à traiter l’empereur de façon non convenable et à résister à sa supériorité. Il fut par conséquent déporté à la frontière.

Règle générale, les baguettes ont environ 8 pouces. Il y en a de toutes sortes. Les plus simples sont en bambou ou en bois. Les plus raffinées sont en bois laqué, en os, ou en ébène. Il en existe en étain, mais elles sont rares, en ivoire et en argent. Les baguettes en plastique sont aussi en usage maintenant.

D'après l'étiquette de la cuisine traditionnelle chinoise, dans les banquets, on ne doit pas faire de fanzhengkuai, qiaokuai, gongkuai, cikuai, mikuai, yikuai, taokuai, jiaochakuai, tuipankuai et tiankuai.

Fanzhengkuai : tenir ses baguettes l'une de façon normale et l'autre inversée (ce qui signifie que le ventre affamé prend tout à gré). Qiaokuai : frapper le bol, l’assiette ou la table avec les baguettes (devenir fou comme un mendiant). Gongkuai : planter les baguettes dans les aliments (évoque une cérémonie funèbre). Cikuai : utiliser les baguettes comme une fourchette (se conduire grossièrement). Mikuai : hésiter à prendre des plats en prenant ses baguettes (mal élevé). Yikuai : prendre de la nourriture et la remettre dans le plat (manquer de politesse). Taokuai : avec les baguettes, creuser un trou pour chercher de la nourriture par l'intérieur (mauvaise habitude). Jiaochakuai : prendre un mets en même temps qu'un autre convive (être pressé de manger). Tuipankuai : avec les baguettes, pousser le bol ou l’assiette (jouer comme un enfant). Et tiankuai : nettoyer les baguettes à coups de langue (se rendre ridicule).

Dans les banquets, les baguettes peuvent être posées à leur place, à droite du convive. Les baguettes ne doivent être déposées horizontalement que si les convives de rang supérieur ont fait de même.

L'étiquette de la cuisine traditionnelle chinoise s’est transmise de génération en génération pour former un principe de la civilisation gastronomique.