Les
femmes rurales des ethnies minoritaires,
des
laissées-pour-compte de l’OMC?
LOUISE
CADIEUX
 |
M. Li Xiaoyun, chef d’équipe de
la recherche et professeur au Centre pour le développement intégré
de l’agriculture, Collège des humanités et du développement,
Université agricole de Chine. |
Alors que bien des consommateurs chinois se réjouissent
de la baisse des prix de certains produits, conséquence de la participation
de la Chine à l’OMC et de la plus grande circulation des marchandises
qu’elle entraîne, certains paysans chinois voient leurs revenus
baisser. Comme le démontre une étude financée par la Banque mondiale,
parrainée par la Division du développement de la Commission d’État
des affaires ethniques et dirigée par le professeur Li Xiaoyun de
l’Université agricole de Chine, l’OMC exerce un lourd impact sur
les producteurs agricoles des régions rurales, mais plus particulièrement
sur les femmes des ethnies minoritaires dont le développement économique
tirait déjà de l’arrière.
 
Il suffit de lire les journaux des pays « développés »
et de regarder quelquefois leurs journaux télévisés pour s’apercevoir
que les agriculteurs de ces pays protestent souvent contre le sort
que l’OMC leur inflige. En Chine, les paysans ne sont pas épargnés
non plus. En accord avec ses engagements pris envers cette organisation,
la Chine doit réduire ses tarifs, ouvrir ses marchés agricoles et
éliminer ses subsides aux exportations. Tous ces changements sont
évidemment en train de transformer profondément le secteur agricole
chinois, non seulement sur le plan de sa structure, mais également
sur celui de l’utilisation de la terre et des aspects de la production.
Les prix intérieurs subissent une forte pression à la baisse en
raison du prix international déjà plus faible, et les paysans, pour
lesquels l’agriculture était auparavant la principale source de
revenus, doivent souvent trouver dans les villes une source supplémentaire
de revenu. Conséquence : l’agriculture se féminise et les femmes
rurales sont directement touchées par les changements en cours.
Bien sûr, cet impact était prévisible, mais lorsque,
de surcroît, cette situation touche les femmes des ethnies minoritaires,
déjà en mauvaise posture économique, il va sans dire que la sonnette
d’alarme devait être tirée, ce que le rapport de recherche de l’équipe
du professeur Li Xiaoyun a fait.
La recherche avait mis l’accent sur les femmes appartenant à quatre
ethnies représentatives vivant dans différentes régions du pays
et dont la population est aussi fort différente. Il s’agit des
Zhuang, qui vivent dans la région autonome zhuang du Guangxi (Sud)
et comptent quelque 16 millions d’habitants; des Ouïgours, qui vivent
dans la région autonome ouïgoure du Xinjiang (Ouest) et représentent
8,4 millions d’habitants; des Mongols, qui habitent la région autonome
de Mongolie intérieure (Nord-Ouest), avec 5,8 millions d’habitants,
et des Hezhe qui vivent dans la province du Heilongjiang (Nord)
et comptent moins de 100 000 habitants. On a aussi évalué l’impact
sur la culture principale de ces ethnies, soit respectivement la
canne à sucre, le coton, la laine et la fève de soja.
La situation des régions ethniques….
En dépit des nombreux efforts déployés par le gouvernement pour
développer les régions ethniques, leur niveau de développement tire
toujours de l’arrière, et la route semble encore longue avant qu’elles
aient même atteint le niveau national. Ainsi, parmi les quatre
indices utilisés pour évaluer le développement économique et social
dans les régions ethniques − infrastructures, soins de santé,
éducation et déplacement−dans chacun des cas, l’indice était
plus bas que la moyenne nationale. Par exemple, en 2002, 43,2 %
des villages ethniques n’avaient pas d’accès aux routes, 2,57 millions
de personnes avaient encore des difficultés d’approvisionnement
en eau potable et 54,3 % de ces villages n’avaient pas de dispensaire.
En outre, 38,7 % d’entre eux n’avaient pas d’école primaire,
de sorte que la main-d’œuvre ethnique a un taux d’illettrisme plus
élevé. Par contre, comme le taux de déplacement est aussi très faible,
tout semble indiquer que la population ethnique tire toujours principalement
sa subsistance de l’agriculture − dans une proportion de 64 %−
alors que la moyenne nationale est de 50,1 %. La pauvreté est
donc plus présente dans les régions ethniques.
…et des femmes
Étant donné que l’agriculture prédomine dans les
régions ethniques, qu’elle se féminise depuis la dernière décennie
et qu’elle est l’un des secteurs les plus touchés par les exigences
de l’OMC, il va sans dire que le niveau de vie des femmes ethniques,
qui dépendent fortement de l’agriculture, subit l’impact de la baisse
des prix causée par l’ouverture au marché international, en d’autres
mots, une diminution des revenus. En fait, l’OMC semble accentuer
des tendances négatives déjà présentes.
Par exemple, les femmes, qui assumaient déjà une grande part des
travaux agricoles, doivent travailler encore plus longtemps pour
tenter d’obtenir un revenu décent pour la famille et, confinées
davantage à la maison et aux travaux agricoles, elles diminuent
aussi leur chance d’emploi et de développement professionnel. En
outre, le revenu diminuant, il est clair que les chances des femmes
d’accéder à l’éducation, et, par ricochet, d’obtenir un statut social
leur permettant un certain contrôle des ressources familiales, sont
bien loin de s’élever. Et lorsque l’argent manque, ce sont aussi
les femmes qui souffrent d’une dégradation de leur situation sanitaire.
En effet, si on doit choisir qui devra mieux manger ou avoir accès
aux soins de santé, ce sont les hommes qui sont préférés. Ainsi,
la recherche a montré que le faible revenu, le travail physique
intense et les piètres infrastructures sanitaires pénalisent lourdement
la santé des femmes et leur espérance de vie.
Qui plus est, dans bien des cas, pour augmenter
le revenu et équilibrer le revenu familial, les femmes n’ont bien
souvent pas d’autres choix que d’agrandir la superficie cultivée,
donc d’augmenter leur tâche. Elles épandent aussi davantage d’engrais
et de pesticides pour essayer d’accroître le taux de production
de leurs champs et de réduire leurs coûts de production afin d’améliorer
la compétitivité de leurs produits. Un cycle infernal!
Déjà vulnérables, les femmes des ethnies minoritaires
sont donc plus facilement influencées par les impacts externes comme
ceux induits par la participation à l’OMC.
Par exemple, au Xinjiang, base de production du
coton de la Chine, les femmes ouïgoures contribuent à hauteur de
51,7 % de cette production. Depuis l’élimination de la subvention
à l’exportation sur ce produit, tel que l’exige l’OMC, le revenu
des femmes ouïgoures a diminué. Chez les Hezhe et les Mongoles,
l’arrivée massive de fèves de soja et de laine importées de meilleure
qualité que la production locale, a entraîné le même type d’effets.
Une lumière au bout du tunnel?
Bien sûr, dès l’entrée de la Chine à l’OMC, le
gouvernement central et les gouvernements des régions concernées
ont adopté des mesures pour ajuster les politiques de développement,
cherchant à la fois à satisfaire aux exigences de l’OMC et à accroître
le revenu des paysans. Parmi ces mesures, on compte l’usage plus
généralisé de semences améliorées, l’achat des produits agricoles
à des prix protégés, l’élimination de taxes, etc. Par exemple, la
région autonome zhuang du Guangxi fournit une subvention de 30 yuans
par mu (1 mu=0,15 hectare) aux paysans qui cultivent
la canne à sucre à forte teneur en sucre et dont l’aire cultivée
dépasse les 20 mu. La province du Heilongjiang fournit pour
sa part une subvention de 10 yuans le mu aux fermiers qui
plantent des fèves de soja très oléifères et 5 yuans le mu
pour les fèves de soja à forte teneur protéique. La Mongolie intérieure
fournit 2000 yuans par mouton pour l’amélioration génétique afin
que les moutons produisent une laine de meilleure qualité. Quoique
nécessaires, il est évident que ces mesures n’arrivent pas à combler
les écarts économiques qui se creusent.
C’est ainsi que l’équipe du professeur Li a aussi
soumis des recommandations à la Banque mondiale et aux instances
gouvernementales intéressées pour tenter de stopper le déclin du
niveau de vie des régions ethniques, et surtout des femmes, groupe
considéré comme l’un des plus durement touchés par l’OMC. En effet,
selon le rapport, sans des politiques préférentielles et l’intervention
d’un programme particulier à leur intention, rien ne pourra alléger
les souffrances qui découlent d’une telle situation, ce qui va à
l’encontre des intérêts d’un développement durable de la société
chinoise, de la solidarité nationale et de la sécurité aux frontières.
Le rapport à donc suggéré : 1. Des politiques prioritaires
d’ensemble pour les régions ethniques en accord avec l’OMC, ce qui
signifie l’élaboration de nouvelles politiques ou l’ajustement de
celles qui existent déjà. 2. La mise en place d’un fonds de développement
du niveau de vie dans les régions ethniques, lequel comprendrait
des paiements de transfert à ces régions pour combler leur manque
à gagner, la construction d’infrastructures, le soutien au développement
de l’industrie, des capitaux d’aide à la pauvreté par l’entremise
de prêts de microfinancement ou de prêts à faible intérêt, etc.
3. La mise en place d’un programme national de développement pour
l’amélioration du niveau de vie des femmes des ethnies minoritaires,
particulièrement sur le plan de la santé et de l’éducation. 4. L’établissement
d’un fonds spécial pour l’amélioration des capacités des femmes
ethniques (prêts pour l’amélioration des compétences). Ces recommandations
devraient être implantées avec l’assistance financière de la Banque
mondiale et la collaboration de la Commission des affaires ethniques
et de la Fédération des femmes.
L’implantation de telles mesures ne se fera certainement
pas du jour au lendemain; bien des femmes continueront de souffrir,
alors que d’autres pourront acheter à bas prix vêtements de coton
et pulls en laine que leurs consoeurs auront peiné à produire. Toutefois,
l’existence du rapport de l’équipe du professeur Li a au moins eu
le mérite d’ouvrir les yeux de tous ceux et celles qui veulent prendre
la peine de voir…
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