Gouverner
autrement
CHEN
JING
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Les participants
au colloque de Shaoxing. |
Des
intellectuels chinois de renom se font l'écho de leur partenaire,
la Fondation pour le Progrès de l’Homme (FPH), en se préoccupant
de l’avenir des pays en voie de développement, et par là de celui
de tous les humains, notamment
par une réflexion sur la notion de gouvernance.
Vous
vous souvenez sans doute de la participation populaire à la dernière
édition du Forum social mondial (FSM), qui s'est tenue à Mumbai.
Pour étendre davantage leur influence, les fidèles de Porto Alegre
se sont déplacés en Asie. Y étaient aussi présents des Chinois,
engagés depuis un certain temps dans le mouvement altermondialiste
et introduits à ce mouvement par des ONG, notamment par la Fondation
Charles-Léopold Mayer pour le Progrès de l’Homme. Le directeur général
de cette Fondation, M. Pierre Calame, publiera prochainement en
Chine son livre La démocratie en miettes. Dans le cadre de
cette publication, M. Gao Linghan, qui a réalisé la traduction en
chinois du livre, et une vingtaine d'experts célèbres, se sont réunis,
en avril dernier, à Shaoxing du Zhejiang. Quelques-uns d'entre eux
étaient aussi allés au FSM à Mumbai, en janvier. Le colloque à Shaoxing
s’intitulait La gouvernance dans les pays en voie de développement,
et visait à formuler des propositions pour parfaire la version chinoise
du livre. Cette initiative a été réalisée grâce à la FPH et au Centre
Yanjing, présidé par M. Chen Jiaying de la faculté de philosophie
de l’Université Huadong à Shanghai.
L’introduction
dans cette brillante assemblée du nouveau concept de « gouvernance
», notion centrale du livre de Calame, se veut un phénomène dans
l’évolution des pensées en ce domaine dans notre pays. Ces « têtes
pensantes », pour la plupart philosophes et professeurs d’université,
ainsi que chercheurs d’instituts nationaux, se soucient de bonne
foi de l’avenir de notre grand empire. Bien que ces gens ne représentent
qu'une infime minorité, l’existence du groupe laisse certainement
entrevoir de futurs changements de stratégies au pays. À la session
annuelle de l’Assemblée populaire nationale de cette année, le premier
ministre Wen Jiabao a d’ailleurs prôné une « vision rationnelle
du développement », en rejetant l’obéissance aveugle à la croissance
du PNB.
Sortir
du dilemme
Selon
l’œuvre de Calame, la démocratie est en crise et fait appel à une
« révolution de la gouvernance ». Cette crise est « très
voisine, même racine des modes de développement » actuels, considérés
comme intouchables. Ainsi, les contradictions du monde sont d’autant
plus criantes que les acteurs d’avant-scène continuent de mener
des politiques aggravantes. Les participants ont jugé cette vision
« clairvoyante », du fait que, consciente de la déficience
croissante du système, elle tend à y mettre un frein. D’où l’urgence
d’un réagencement radical pour le XXIe siècle. Tout
comme le travail du maçon à qui l’on a confié la tâche de « réparer
à la marge l’édifice de l’administration », et qui s’aperçoit
que « les fondements de la maison sont à refaire ».
Ce genre
d’initiative a besoin de la solidarité internationale : les modalités
centrales de la gouvernance ne pourront naître que de la multiplication
des échanges d’expériences, sur laquelle M. Calame insiste beaucoup.
Pendant vingt ans fonctionnaire de l’État français, il croyait l’expérience
française très particulière. Toutefois, en partageant ses idées
avec ses homologues étrangers, M Calame exprime maintenant que cette
expérience « s’est révélée se retrouver dans tous les pays ».
Bien sûr, les pays en développement doivent, dans cette coopération
mondiale, avoir une représentation proportionnelle, apporter leurs
contributions et en bénéficier.
Et
en Chine ?
Vingt
ans de réforme et d’ouverture ont produit le miracle chinois. Cette
population laborieuse n’épargne aucun effort pour réédifier sa chère
patrie, et par là, faire s’épanouir ses membres. Pourtant, cette
population est maintenant confrontée à bien des problèmes sociaux
et écologiques, ainsi qu’à la conscience qu’elle n’est pas la seule
sur cette Planète. L’économie s’y développe à pleine vapeur, mais
il est temps de réfléchir sur le « développement social et humain
». La frénétique course en avant, l’insatiable désir de rattraper
le club des riches risquent d’aveugler. Cette attitude risque d’être
désastreuse pour le long terme.
Les participants
aux rencontres ont été d’avis que les propositions du livre de Calame
peuvent être des solutions parmi d’autres. Comme la participation
de la société civile à la prise de décisions, et par là,
la prise en compte des divergences pour arriver à un relatif consensus,
satisfaisant pour chacun et apte à s’adapter à toutes les contraintes,
environnementales par exemple. Ou encore la subsidiarité active,
une façon cohérente de gérer les relations verticales, du local
au global, en mesure de mieux faire s’articuler les niveaux. On
avance néanmoins que des économistes de la Banque mondiale ont félicité
l’exceptionnelle capacité de gouvernance de la Chine, au point qu’elle
sert d’exemple pour les pays du tiers-monde.
Utopique
ou réaliste?
Reste
à parvenir à appliquer de telles propositions. Sans la pratique,
les théories sont beaucoup moins utiles. Que les penseurs approfondissent
davantage leur recherche et soient judicieux et éloquents dans leur
discours ne peut suffire. Dans le contexte où l'on se trouve, plus
d’efforts d’information sont nécessaires pour que de tels propos
soient entendus. Étant donné que, depuis les Lumières, le rationnel
a prévalu sur tout, la façon de convaincre les gens est une question
centrale. L’applicabilité de ces nouveaux modes de pensées pourrait
aussi paraître douteuse pour le public. Celui-ci ne risque-t-il
pas de se demander si, face aux vieilles habitudes, l’ambition d'opérer
des changements ne va pas reculer ? De même, bien qu’innovante,
cette initiative provenant de l’Occident ne risque-t-elle pas d’imposer
ses principes aux plus faibles?
En direct
avec M. Calame sur le forum intitulé Qiangguo -redresser
le pays- du site peopledaily.com (site du Quotidien du Peuple),
certains Chinois ont exprimé leur appréhension envers la « gouvernance
» : Serait-ce un concept qui n'aurait été inventé que pour dissimuler
de nouveaux actes déraisonnables? Le directeur de la FPH répond
que non : elle a pour vocation, tout en garantissant la paix, de
faire prospérer toutes et tous, une tentative à l’encontre de la
logique de puissance qui, elle, ferait périr l’humanité. D’autres
internautes ont évoqué l’impossibilité d’y faire adhérer certains
bureaucrates dont l’attention porte essentiellement sur leur promotion
et l’augmentation de leurs émoluments. Pour pallier cette lacune,
M. Calame recommande les nobles vertus que doit avoir un politicien.
Selon lui, les affirmations cyniques du genre « Les promesses
politiques n’engagent que ceux qui y croient » ne peuvent que
ruiner la démocratie.
D’autres
ont voulu savoir ce qui peut être fait actuellement en Chine en
ce qui concerne la gouvernance. M. Calame affirme que trois impératifs
s’imposent. D'abord, se débarrasser le plus tôt possible du modèle
américain : par exemple, l’urbanisme ne peut pas compter seulement
sur l’industrie automobile. Ensuite, se servir pleinement des ressources
scientifiques, afin de créer un mode de production agricole plus
en harmonie avec la nature. Finalement, renforcer les communications
commerciales régionales, de façon à mieux satisfaire les besoins
de la population.
Grosso
modo, ces propos ont valu à M. Calame l’approbation des internautes.
La réaction des gens dans cet espace de débat public a révélé également
les préoccupations et réflexions qui les habitent.
Autour
d’une question tellement cruciale pour toute la planète et aussi
globale, on réfléchit, discute, suggère. Mettre en œuvre les propositions
demande encore beaucoup d'efforts. Mais les grandes vagues sont
toujours précédées d'évolutions à tâtons. Et il est surtout encourageant
de voir que ces évolutions émergent en Chine. Citons l’Alliance
pour un monde responsable que soutient la FPH : « Si nos sociétés
continuent longtemps à vivre et à se développer de la manière dont
elles le font, l’humanité s’autodétruira. Nous refusons cette perspective.
» Aussi, nous devrons nous allier pour reconstruire « un
monde responsable, pluriel et solidaire ».
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