Se
différencier des autres… et de soi
LOUISE CADIEUX
et HU CHUNHUA
Pour le
peintre Li Dong, dont certaines œuvres ont été présentées à Paris
le printemps dernier dans le cadre de l’Année de la Chine en France,
s’adonner à la peinture est la concrétisation d’un rêve. Mais comment
ce policier du chemin de fer, issu d’une famille d’artistes, a-t-il
pu se tailler une place bien à lui dans ce monde qui semble bien
loin de son gagne-pain?
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Devant le célèbre rouleau de 51 mètres 10 000 li sur la
mer de Chine de Li Haitao. Cao Min. |
Rencontrer Li Dong, la trentaine avancée,
c’est aussi rencontrer Li Haitao, car père et fils partagent la
même passion de la peinture et semblent interagir comme deux doigts
de la main. Il arrive même qu’une question posée à l’un soit répondue
par l’autre…Toutefois, leur peinture est très différente. À 72 ans,
Li Haitao est un éminent peintre de la mer, thème rarement abordé
par la peinture traditionnelle chinoise qui privilégie montagne,
oiseaux et petits cours d’eau. Pour sa part, Li Dong affectionne
surtout les architectures anciennes
dont il aime faire ressortir l’histoire par une technique
de pointillisme propre à lui.
Li Dong, comment êtes-vous arrivé
à la peinture?
(Le père répond, en esquissant
un sourire de fierté, alors que Li Dong l’écoute, un peu en retrait)
Li Haitao : Oh!
il a commencé tout jeune. Vers 4 ans, quand je peignais, il montait
sur la table pour me regarder faire. Mais la première chose qu’il
a exécutée, c’est du modelage de figurines de guerriers en argile.
Comme il aimait faire du modelage, je me suis dit qu’il pourrait
sûrement peindre. C’est vers six ans qu’il a donc commencé dans
cette discipline. Sa mère et moi, nous l’amenions au jardin zoologique
et il faisait le croquis des animaux; les gens se rassemblaient
pour le regarder faire. Vers 7 -8 ans, il commençait déjà à faire
ses propres créations d’enfant. Par exemple, il a peint un rouleau
de plusieurs mètres présentant la mise en chantier du quartier.
L’été, il partait avec son chapeau et son tabouret et il peignait.
Li Dong :
Sans aucun doute, c’est mon père qui a eu le plus d’influence sur
moi et ma peinture, bien que je considère avoir eu quatre maîtres
depuis le début de mes études et de ma carrière. Enfant, quand je
peignais, mon père se montrait un maître sévère à mon égard. Chaque
jour, même durant les congés, je devais faire des croquis. Dès le
début, il m’a dit, tu dois peindre la vie authentique, sinon ta
peinture ne pourra jamais être une véritable œuvre d’art. Et maintenant,
quand je tente de traduire la vie chinoise, ce conseil me revient
toujours en tête.
Comment viviez-vous alors cette
situation?
Li Dong : J’éprouvais
beaucoup d’intérêt pour la peinture, mais je ressentais aussi passablement
de pression. Parfois, cette pression me paraissait un supplice,
mais une fois ma peinture terminée, j’étais vraiment content. Par
exemple, quand j’ai été choisi pour suivre des cours spéciaux au
Palais des pionniers Jingshan de Beijing, les samedis et dimanches,
j’ai ressenti beaucoup de fierté, car beaucoup de mes copains avaient
été éliminés. J’y ai étudié pendant cinq ans.
Avez-vous un souvenir marquant
lié à cette époque?
Li Dong :
Je me souviens avec beaucoup d’émotion de ma participation aux expositions
nationales pour les enfants, et de toutes les fois où une de mes
peintures a été primée. Mes peintures d’alors ont été présentées
à des expositions en Finlande, en Corée du Sud et dans d’autres
pays d’Asie. Dès cette époque, je rêvais d’être peintre et c’est
pour cela que j’ai toujours continué à me perfectionner : d’abord
au département des beaux-arts de l’Institut pédagogique de Beijing
et dans la classe supérieure de l’Institut de peinture de Beijing.
Vous semblez mener de front deux
professions, une au chemin de fer et l’autre comme peintre; vous
considérez-vous comme un professionnel maintenant?
Li Dong :
J’ai le dynamisme pour faire les deux. Je mène une vie tranquille
et je peins souvent la nuit. (Ici, Li Haitao intervient rapidement)
Li Haitao :
Ses activités liées à la peinture sont de niveau professionnel.
Il y a des gens qui peignent uniquement pour vendre et ne font pas
partie du groupe de peintres qui font de la recherche. Ici, c’est
difficile à dire si quelqu’un est professionnel ou amateur. Bien
sûr, quand on a réussi les examens de l’Académie de peinture, on
est professionnel. Mais en Chine, il n’y a que trois académies de
peinture reconnues par l’État : celles de Beijing, de Shanghai
et du Jiangsu; les peintres éminents s’y concentrent. N’empêche
qu’il y a beaucoup d’autres peintres et aussi d’autres sources de
reconnaissance. Si le niveau de la personne est élevé, on peut dire
qu’elle est professionnelle.
Votre peinture Petite cour intérieure que
l’on présente dans nos pages couleurs a été primée en 2003 par le
ministère de la Culture de Chine. Pouvez-vous nous la présenter?
Li Dong :
Cette peinture évoque beaucoup la culture chinoise. C’est une maison
du Sud de Chine, parce que la culture chinoise est d’abord la culture
du Sud. Au centre, le bassin d’eau est important parce que l’eau
symbolise la fortune et qu’elle est concentrée dans ce bassin. Puis,
la maison semble proche de la nature, et les Chinois aiment et recherchent
une vie proche de la nature. C’est également une peinture qui illustre
bien le symbolisme de la peinture chinoise qui s’exprime à partir
de l’intérieur en allant vers l’extérieur, avec plein de retenue.
L’architecture chinoise préfère voir l’extérieur à partir de l’intérieur,
non pas à partir d’une structure extérieure colossale, mais à partir
d’un univers intérieur harmonieux, propice aux échanges humains.
Considérez-vous que vos œuvres
s’inscrivent dans cette tendance? Comment les qualifieriez-vous?
Li Dong : Pour
les Chinois, l’œuvre ne doit pas présenter l’image d’une chose,
mais la pensée qu’elle évoque. Dans ma peinture Ciel et Terre,
par exemple, l’édifice évoque une époque ancienne, mais il peut
aussi représenter le théâtre, le bâtiment physique comme tel; il
signifie aussi la grande scène de la vie où chacun a son rôle, monte
et descend dans l’échelle sociale. Regardez ma peinture de la maison
avec le linge de couleur. Elle évoque non seulement une maison ancienne,
mais aussi les générations qui y ont habité. Les taches de couleur
qu’apporte le linge étendu donne un air moderne, habité.
Laquelle de vos peintures représente
le plus gros défi artistique?
Li Dong :
Pour moi, tous les tableaux sont difficiles à réaliser. Cela me
demande beaucoup de concentration. (Li Haitao intervient ici).
Li Haitao :
Peindre, c’est facile. C’est penser et élaborer ce que l’on va peindre
qui ne l’est pas. La pensée, l’idée, c’est la liberté; mais l’organisation,
cela exige une technique stricte.
Li Dong :
J’ai toujours besoin de beaucoup de temps, au moins une semaine
pour faire un tableau.
Quelle est votre peinture préférée?
(Li Haitao intervient tout de suite)
Li Haitao :
C’est Marches sous les nuages. L’empereur a pris cette voie,
mais elle ne se termine jamais. Tous les petits empereurs d’aujourd’hui
peuvent l’emprunter. (il rit)
Li Dong :
Moi, ce n’est pas vraiment ma préférée. C’est plutôt celle-là. (Il
montre la peinture « Miroir »). La chaise traditionnelle
chinoise donne à penser que la personne qui s’y est assise est déjà
morte. Beaucoup de gens ont habité cette maison, car l’espace est
vaste, mais maintenant, tout est calme, sans vie. Ce calme évoque
la mort, mais la ligne lumineuse symbolise la vie, elle vient briser
cet état de mort. Et il y a le chat qui cherche une vie meilleure
ailleurs, qui veut aller vers la lumière.
Li Haitao, on dit qu’une de vos
peintures est considérée comme un trésor de la peinture?
Li Haitao :
En effet, c’est ainsi que l’a qualifiée le ministère de la Culture.
C’est un rouleau de 51 mètres de long et d’un mètre de large intitulé
10 000 li sur la mer de Chine. En 71 scènes, j’y présente
non seulement la mer, que je considère comme une source de vie,
mais aussi la vie des riverains de 10 provinces, ainsi que de Shanghai,
Tianjin, Hongkong, Macao et Taiwan. Tout au long de ce rouleau,
rien n’est pareil. Chaque bateau est différent selon l’endroit où
il se trouve, chaque scène reflète la vie locale et ses principaux
sites. J’ai mis cinq années à compléter cette peinture. Pour la
réaliser, j’ai parcouru 18 000 kilomètres pour bien observer
la vie locale. Comme ce rouleau a été complété avant 1990, certaines
des scènes ont disparu, ce qui donne à cette une œuvre une plus
grande portée historique.
Li Dong, maintenant que vos œuvres
ont pu être appréciées par le public français, quels sont vos projets?
Li Dong : Voir
mes œuvres être exposées pendant un mois dans le cadre de l’exposition
Visions d’Asie, dans une galerie près du Centre Pompidou,
m’a donné le goût de continuer. Oui, continuer à peindre, en m’inspirant
de la culture traditionnelle chinoise, et mettre en valeur mon style
propre, une sorte de pointillisme que j’ai développé. Je l’utilise
surtout pour présenter des objets anciens, parce qu’il me permet
de mieux faire ressortir leur âge, de leur donner une belle texture.
J’ai appris que, tous les deux,
vous partagiez un sceau commun de 8 caractères, est-ce vrai?
Li Dong :
Oui. Ce sceau trace notre chemin pour l’avenir. En gros, les quatre
premiers caractères signifient de ne ressembler en rien aux autres;
et les quatre derniers, de ne ressembler en rien à soi-même. Pour
un peintre, cela veut dire de ne pas rester enfermé dans un même
style, d’avancer. La création ne doit jamais être la même.
Li Haitao :
Je suis content de constater que mon art a influencé mon fils. Mais
il ne suit pas mes traces. Il a pris la voie qui est la sienne.
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