Visite chez les Qiang de Taoping
WANG
LEI
 |
Un vieux sorcier dans
un village qiang. |
Pour les blasés de la grande ville qui ne sont toutefois
pas prêts à se retrouver en pleine nature, la vie dans un village
de l’ethnie qiang peut s’avérer un choix prometteur de découvertes.
Le
village des Qiang de Taoping compte une centaine de foyers et
se trouve à 170 km à l’ouest de Chengdu, chef-lieu de la
province du Sichuan. Construit en 111 av. J.-C., ce village a
une histoire deux fois millénaire, mais il est en bon état de
conservation, malgré les guerres.
Le
pôle d’intérêt : des maisons en pierre à l’allure de fortins
À l’origine,
les Qiang étaient une vieille tribu nomade de l’ouest de la Chine
et étaient réputés belliqueux. Ils habitent maintenant l’intérieur
du Sichuan, surtout les districts de Maoxian, Wenchuan et Lixian,
ainsi que la région de Songpan. Les « diaolou »
en pierre des Qiang sont fort particulières. Ces fortins s’appuient
sur les montagnes et utilisent les pierres naturelles comme matériaux.
Ils s’élèvent sur 30 mètres environ. À chaque étage, ils
sont percés de fenêtres des quatre côtés, lesquelles servaient
autrefois pour le tir. En ce temps-là, quand les ennemis se pointaient,
les gens se transmettaient des messages par le dernier étage.
 |
Un « Diaolou » (fortin) dans le village. |
Selon
les personnes âgées de l’endroit, au moment de construire une
maison, les Qiang n'utilisaient ni dessins ni fil; ils comptaient
uniquement sur la coordination de leurs yeux et de leurs mains.
On ne peut pas dire que ces maisons soient sans défaut, mais elles
sont vraiment bien alignées et solides. Ces maisons hexaèdres
sont ingénieusement conçues et d'allure recherchée, que ce soit
pour la répartition des étages ou le choix de chaque pierre. Comme
matériaux, en plus des pierres, on emploie de la boue et du bois.
L'édifice le plus ancien du village, construit avec de la boue
jaune et des pierres, est un exemple d’ingéniosité mathématique,
géométrique et mécanique, et il témoigne de l’intelligence de
cette vieille ethnie au cours de l’histoire.
Les
demeures des Qiang comptent souvent quatre étages, reliés par un escalier ne permettant
le passage que d’une seule personne à la fois. La fonction de
chaque étage est également rationnelle : le rez-de-chaussée
est destiné à l’élevage des volailles; le premier étage sert aux
fonctions principales de la maison, par exemple les chambres à
coucher, la salle de séjour et la cuisine; le deuxième est une
zone destinée aux fonctions secondaires, équipée de chambres à
coucher et de dépôts; le troisième sert à faire sécher les céréales;
et le quatrième étage est un espace sacré, destiné spécialement
à conserver les pierres blanches, vénérées par les Qiang. Le plancher
de la salle de séjour du premier étage est en bois, avec des piliers
qui soutiennent le plafond et aident à soutenir les étages supérieurs;
des murs en planches de bois séparent les chambres. Il y a une
niche sacrée dans la salle de séjour; c'est l’endroit où toute
la famille offre les sacrifices. En effet, les Qiang sont animistes
et gardent aussi la tradition du culte des ancêtres.
L’endroit
le plus important dans la salle de séjour est le foyer. Il est
formé de longues pierres et le feu brûle en permanence. Sur ce
feu se dresse un support à trépied où l’on peut déposer des casseroles
et des contenants d’eau. Dans leurs temps libres, les membres
de la famille s’assoient autour du foyer, sur des bancs en bois.
De la vapeur se dégage de la casserole, le petit pain d'orge du
Tibet grille dans la cendre, alors que le vin dans la cruche exhale
son parfum…
Aux
temps anciens, les ancêtres des Qiang ont construit un réseau
hydraulique complexe et pratique qui permet aux eaux de la rivière
de serpenter dans le village. En y marchant, partout on entend
le murmure de l’eau, mais on n’arrive pas à voir cette eau. En
effet, des canaux ont été construits sous les principales voies
du village et sous certaines maisons. Les gens peuvent y puiser
l’eau en soulevant une ardoise. En plus de faciliter la vie, ces
canaux jouent aussi un rôle de prévention contre les incendies
et de régularisation de l’humidité. D’ailleurs, comme les canaux
sont assez larges pour permettre aux gens d’y entrer, ils pourraient
aussi jouer un rôle de défense, en temps de guerre.
Le
village dispose de huit portes, dispersées selon le modèle des
Huit Trigrammes (les trigrammes sont formés de trois lignes superposées,
les unes pleines et les autres brisées;
ils sont disposés en octogone et forment une rose des vents
à huit directions). Pour affronter l'ennemi en temps de guerre,
31 passages bien desservis et reliant chaque foyer avaient été
ouverts dans le village. Chaque passage est équipé de trous noirs
par lesquels les gens pouvaient tirer vers l’extérieur. Au moment
de la guerre, les gens pouvaient donc se soutenir les uns les
autres, et les soldats, s’embusquer dans les passages.
« Mes
ancêtres me racontaient que notre village n'aurait jamais pu être
pris, même s’il avait été encerclé pendant des années; sa seule
limite était d’avoir suffisamment d’aliments en réserve »,
confie un vieillard qiang, qui ajoute du même souffle : « Maintenant,
il n’y a plus de guerres et nous développons le tourisme. Les
touristes sont nombreux. »
Des
coutumes étonnantes
 |
Fêter le Nouvel An
des Qiang. |
Au
village des Qiang de Taoping, on compte maintenant 98 foyers où
les touristes peuvent loger.
À l’occasion
de fêtes ou d'activités importantes, comme les cérémonies nuptiales
ou les anniversaires de naissance, tout le village se réunit autour
de la demeure d’une famille; on y boit du vin et on chante des
chansons folkloriques, tout en dansant le « shalang »,
une danse qiang.
Les
gens de l'ethnie Qiang ont un vif sens de l’esthétique, et cela
se retrouve partout dans leur vie quotidienne. Par exemple, les
membres de la famille portent des vêtements qu'ils confectionnent
eux-mêmes et brodent des fleurs de toutes sortes. Les nuages,
les fleurs et les herbes sur les chaussures des hommes sont tellement
vivants qu’on a l’impression de voler en les portant. Sans parler
des ceintures ornées de fleurs qui rivalisent de splendeur. Quant
aux femmes, belles et intelligentes, à l’esprit agile et aux mains
adroites, les fleurs s’épanouissent sur elles, de la tête aux
pieds.
Les
Qiang ont aussi une passion pour la décoration. Même si les maisons
sont fort simples, il arrive que les gens y affichent des dessins,
les décorent de quelques
plumes de faisans dorés
ou mettent des fleurs dans une bouteille en verre.
Si
l’on mange chez des Qiang, on peut voir la ménagère faire la cuisine.
Elle ajoute souvent du bois pour que le feu soit toujours bien
ardent. Pour le petit déjeuner des hôtes, la maîtresse de maison
prépare souvent des nouilles « qieqiemian ». Celles-ci sont coupées
de la grosseur d’une baguette, et on les mélange avec des pommes
de terre, des tomates et des légumes verts. On met ces nouilles
et du bouillon dans un grand bol. Puis, selon les goûts, on y
ajoute du piment en poudre, des haricots fermentés et une cuillerée
de sauce épaisse au jus de viande et aux œufs. Sur cette soupe,
on saupoudre finalement une poignée de ciboules vertes coupées
et on verse de l’huile pimentée.
Comme
les Qiang vivent dans des montagnes isolées et qu’ils travaillent
du lever au coucher du soleil, ils ont imaginé différentes façons
d’exprimer la joie, la colère, la tristesse, le plaisir et le
rêve et ont forgé une riche culture. Les Qiang excellent au chant
et à la danse. Les chants folkloriques sont libres et prolongés.
Les Qiang sont aussi passés maîtres à jouer de la flûte pour exprimer
leurs sentiments. Celle-ci est fabriquée de deux tubes de bambou
placés en parallèle. Quant à la danse « shalang », son rythme peut être vigoureux ou enlevant. Les Qiang
peuvent danser à leur gré et quand bon leur semble, que ce soit
sur un terrain plat, sur le toit ou autour du foyer.
Par
rapport à d’autres ethnies, l’habitude de boire de l’alcool des
Qiang, dite « zajiu », est très particulière. Fabriqué
avec de l’orge du Tibet et du blé cuits, leur alcool est mis dans
un pot où l’on peut insérer un tube de bambou pour boire à petites
gorgées. Tout le monde s’assoit donc autour de ce pot, aspire
de l’alcool et en boit à tour de rôle, pour témoigner son respect
au Ciel, à la Terre et à l’Humanité. L’alcool est frais et velouté,
alors que la cérémonie est simple et solennelle. En général, cette
façon de boire de l’alcool a pour objectif d’exprimer les bénédictions
et d’accomplir un vœu, car les Qiang entretiennent un vif sentiment
de gratitude. Pendant les fêtes folkloriques, comme celle de l’accomplissement
des vœux du yack et de
la rencontre des sacrifices au dieu de la Montagne, et
pendant le festival de chants, les Qiang portent tous des costumes
ethniques magnifiques, sacrifient des moutons, brûlent de l’encens
et récitent des incantations pour exprimer leur reconnaissance
à l’égard du dieu de la Montagne et du dieu des Yacks, tout en
fêtant les bonnes récoltes de l’année courante et en demandant
un temps favorable pour les récoltes de l’année à venir.
Aux
yeux des Qiang, les événements les plus importants de la vie sont
le mariage et les funérailles. Selon la tradition, le processus
de se rendre chez son fiancé ou sa fiancée, le jour du mariage,
est solennel et complexe. Les deux protagonistes doivent suivre
à la lettre les coutumes folkloriques, et à chaque étape, il doit
y avoir de l’alcool ;
par exemple, celui pour tenir la promesse, l’alcool
des fiançailles et celui du mariage. Depuis l’Antiquité, à cause
des guerres, les familles qiang avaient peu de membres. Les Qiang
ont ainsi la coutume d’attacher de l’importance à la naissance
d’un bébé. Les cérémonies après la naissance, comme la visite
de la femme en couches et du nouveau bébé, l’offrande de l’alcool
au premier mois ou au premier anniversaire du bébé, sont très
solennelles. Certaines familles donnent même un nom ignoble à l’enfant
ou lui font porter un tableau magique pour qu’il soit sain et
sauf.
Tout
comme ils accordent de l’importance à la naissance, les Qiang
font de même pour la mort. Chez eux, en fonction de l’âge et des
causes de décès, les funérailles diffèrent – inhumation ou incinération
– mais les cérémonies sont solennelles et longues. La danse pour
la mort fait revivre la tragédie antique de partir en expédition,
alors que les chants du sorcier fendent le cœur. Les gens se rassemblent
pour porter la personne décédée vers la montagne et creuser la
tombe. Après cent jours d’offrande de sacrifices, on considère
que la personne décédée est réellement retournée dans la nature.
Notes :
Fête : Le 1er jour
du dixième mois du calendrier lunaire, les Qiang organisent les
célébrations de leur Nouvel An dont les activités durent de trois
à cinq jours. Selon les coutumes, les Qiang doivent offrir des
sacrifices au Ciel, au dieu de la Montagne et au dieu du Village.
Tout le village se rassemble pour manger ensemble, boire de l’alcool
« zajiu »
et danser « shalang »
et se sépare, tout content.
Aliments : Les Qiang accordent
de l’importance aux plats médicamenteux qui, selon eux, augmentent
la force vitale, bénéficient aux reins et tonifient le yin (principe féminin) et les poumons.
Tabous : Lorsqu’il y a des
malades ou des femmes en couches, la visite des inconnus est absolument
interdite. Si on est invité chez des Qiang, il ne faut absolument
pas enjamber le foyer.
Achats : Les femmes qiang
excellent à la broderie. Les touristes peuvent acheter des objets
d’artisanat brodés à la main.