JUIN 2004

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

Visite chez les Qiang de Taoping

WANG LEI

Un vieux sorcier dans un village qiang.

Pour les blasés de la grande ville qui ne sont toutefois pas prêts à se retrouver en pleine nature, la vie dans un village de l’ethnie qiang peut s’avérer un choix prometteur de découvertes.

Le village des Qiang de Taoping compte une centaine de foyers et se trouve à 170 km à l’ouest de Chengdu, chef-lieu de la province du Sichuan. Construit en 111 av. J.-C., ce village a une histoire deux fois millénaire, mais il est en bon état de conservation, malgré les guerres.

Le pôle d’intérêt : des maisons en pierre à l’allure de fortins

À l’origine, les Qiang étaient une vieille tribu nomade de l’ouest de la Chine et étaient réputés belliqueux. Ils habitent maintenant l’intérieur du Sichuan, surtout les districts de Maoxian, Wenchuan et Lixian, ainsi que la région de Songpan. Les « diaolou » en pierre des Qiang sont fort particulières. Ces fortins s’appuient sur les montagnes et utilisent les pierres naturelles comme matériaux. Ils s’élèvent sur 30 mètres environ. À chaque étage, ils sont percés de fenêtres des quatre côtés, lesquelles servaient autrefois pour le tir. En ce temps-là, quand les ennemis se pointaient, les gens se transmettaient des messages par le dernier étage.

Un « Diaolou » (fortin) dans le village.

Selon les personnes âgées de l’endroit, au moment de construire une maison, les Qiang n'utilisaient ni dessins ni fil; ils comptaient uniquement sur la coordination de leurs yeux et de leurs mains. On ne peut pas dire que ces maisons soient sans défaut, mais elles sont vraiment bien alignées et solides. Ces maisons hexaèdres sont ingénieusement conçues et d'allure recherchée, que ce soit pour la répartition des étages ou le choix de chaque pierre. Comme matériaux, en plus des pierres, on emploie de la boue et du bois. L'édifice le plus ancien du village, construit avec de la boue jaune et des pierres, est un exemple d’ingéniosité mathématique, géométrique et mécanique, et il témoigne de l’intelligence de cette vieille ethnie au cours de l’histoire.

Les demeures des Qiang comptent souvent quatre étages, reliés par un escalier ne permettant le passage que d’une seule personne à la fois. La fonction de chaque étage est également rationnelle : le rez-de-chaussée est destiné à l’élevage des volailles; le premier étage sert aux fonctions principales de la maison, par exemple les chambres à coucher, la salle de séjour et la cuisine; le deuxième est une zone destinée aux fonctions secondaires, équipée de chambres à coucher et de dépôts; le troisième sert à faire sécher les céréales; et le quatrième étage est un espace sacré, destiné spécialement à conserver les pierres blanches, vénérées par les Qiang. Le plancher de la salle de séjour du premier étage est en bois, avec des piliers qui soutiennent le plafond et aident à soutenir les étages supérieurs; des murs en planches de bois séparent les chambres. Il y a une niche sacrée dans la salle de séjour; c'est l’endroit où toute la famille offre les sacrifices. En effet, les Qiang sont animistes et gardent aussi la tradition du culte des ancêtres.

L’endroit le plus important dans la salle de séjour est le foyer. Il est formé de longues pierres et le feu brûle en permanence. Sur ce feu se dresse un support à trépied où l’on peut déposer des casseroles et des contenants d’eau. Dans leurs temps libres, les membres de la famille s’assoient autour du foyer, sur des bancs en bois. De la vapeur se dégage de la casserole, le petit pain d'orge du Tibet grille dans la cendre, alors que le vin dans la cruche exhale son parfum…

Aux temps anciens, les ancêtres des Qiang ont construit un réseau hydraulique complexe et pratique qui permet aux eaux de la rivière de serpenter dans le village. En y marchant, partout on entend le murmure de l’eau, mais on n’arrive pas à voir cette eau. En effet, des canaux ont été construits sous les principales voies du village et sous certaines maisons. Les gens peuvent y puiser l’eau en soulevant une ardoise. En plus de faciliter la vie, ces canaux jouent aussi un rôle de prévention contre les incendies et de régularisation de l’humidité. D’ailleurs, comme les canaux sont assez larges pour permettre aux gens d’y entrer, ils pourraient aussi jouer un rôle de défense, en temps de guerre.

Le village dispose de huit portes, dispersées selon le modèle des Huit Trigrammes (les trigrammes sont formés de trois lignes superposées, les unes pleines et les autres brisées;  ils sont disposés en octogone et forment une rose des vents à huit directions). Pour affronter l'ennemi en temps de guerre, 31 passages bien desservis et reliant chaque foyer avaient été ouverts dans le village. Chaque passage est équipé de trous noirs par lesquels les gens pouvaient tirer vers l’extérieur. Au moment de la guerre, les gens pouvaient donc se soutenir les uns les autres, et les soldats, s’embusquer dans les passages.

« Mes ancêtres me racontaient que notre village n'aurait jamais pu être pris, même s’il avait été encerclé pendant des années; sa seule limite était d’avoir suffisamment d’aliments en réserve », confie un vieillard qiang, qui ajoute du même souffle : « Maintenant, il n’y a plus de guerres et nous développons le tourisme. Les touristes sont nombreux. »

Des coutumes étonnantes

Fêter le Nouvel An des Qiang.

Au village des Qiang de Taoping, on compte maintenant 98 foyers où les touristes peuvent loger.

À l’occasion de fêtes ou d'activités importantes, comme les cérémonies nuptiales ou les anniversaires de naissance, tout le village se réunit autour de la demeure d’une famille; on y boit du vin et on chante des chansons folkloriques, tout en dansant le « shalang », une danse qiang.

Les gens de l'ethnie Qiang ont un vif sens de l’esthétique, et cela se retrouve partout dans leur vie quotidienne. Par exemple, les membres de la famille portent des vêtements qu'ils confectionnent eux-mêmes et brodent des fleurs de toutes sortes. Les nuages, les fleurs et les herbes sur les chaussures des hommes sont tellement vivants qu’on a l’impression de voler en les portant. Sans parler des ceintures ornées de fleurs qui rivalisent de splendeur. Quant aux femmes, belles et intelligentes, à l’esprit agile et aux mains adroites, les fleurs s’épanouissent sur elles, de la tête aux pieds.

Les Qiang ont aussi une passion pour la décoration. Même si les maisons sont fort simples, il arrive que les gens y affichent des dessins, les décorent de quelques plumes de faisans dorés ou mettent des fleurs dans une bouteille en verre.

Si l’on mange chez des Qiang, on peut voir la ménagère faire la cuisine. Elle ajoute souvent du bois pour que le feu soit toujours bien ardent. Pour le petit déjeuner des hôtes, la maîtresse de maison prépare souvent des nouilles « qieqiemian ». Celles-ci sont coupées de la grosseur d’une baguette, et on les mélange avec des pommes de terre, des tomates et des légumes verts. On met ces nouilles et du bouillon dans un grand bol. Puis, selon les goûts, on y ajoute du piment en poudre, des haricots fermentés et une cuillerée de sauce épaisse au jus de viande et aux œufs. Sur cette soupe, on saupoudre finalement une poignée de ciboules vertes coupées et on verse de l’huile pimentée.

Comme les Qiang vivent dans des montagnes isolées et qu’ils travaillent du lever au coucher du soleil, ils ont imaginé différentes façons d’exprimer la joie, la colère, la tristesse, le plaisir et le rêve et ont forgé une riche culture. Les Qiang excellent au chant et à la danse. Les chants folkloriques sont libres et prolongés. Les Qiang sont aussi passés maîtres à jouer de la flûte pour exprimer leurs sentiments. Celle-ci est fabriquée de deux tubes de bambou placés en parallèle. Quant à la danse « shalang », son rythme peut être vigoureux ou enlevant. Les Qiang peuvent danser à leur gré et quand bon leur semble, que ce soit sur un terrain plat, sur le toit ou autour du foyer.

Par rapport à d’autres ethnies, l’habitude de boire de l’alcool des Qiang, dite « zajiu », est très particulière. Fabriqué avec de l’orge du Tibet et du blé cuits, leur alcool est mis dans un pot où l’on peut insérer un tube de bambou pour boire à petites gorgées. Tout le monde s’assoit donc autour de ce pot, aspire de l’alcool et en boit à tour de rôle, pour témoigner son respect au Ciel, à la Terre et à l’Humanité. L’alcool est frais et velouté, alors que la cérémonie est simple et solennelle. En général, cette façon de boire de l’alcool a pour objectif d’exprimer les bénédictions et d’accomplir un vœu, car les Qiang entretiennent un vif sentiment de gratitude. Pendant les fêtes folkloriques, comme celle de l’accomplissement des vœux du yack et de la rencontre des sacrifices au dieu de la Montagne, et pendant le festival de chants, les Qiang portent tous des costumes ethniques magnifiques, sacrifient des moutons, brûlent de l’encens et récitent des incantations pour exprimer leur reconnaissance à l’égard du dieu de la Montagne et du dieu des Yacks, tout en fêtant les bonnes récoltes de l’année courante et en demandant un temps favorable pour les récoltes de l’année à venir.

Aux yeux des Qiang, les événements les plus importants de la vie sont le mariage et les funérailles. Selon la tradition, le processus de se rendre chez son fiancé ou sa fiancée, le jour du mariage, est solennel et complexe. Les deux protagonistes doivent suivre à la lettre les coutumes folkloriques, et à chaque étape, il doit y avoir de l’alcool ; par exemple, celui pour tenir la promesse, l’alcool des fiançailles et celui du mariage. Depuis l’Antiquité, à cause des guerres, les familles qiang avaient peu de membres. Les Qiang ont ainsi la coutume d’attacher de l’importance à la naissance d’un bébé. Les cérémonies après la naissance, comme la visite de la femme en couches et du nouveau bébé, l’offrande de l’alcool au premier mois ou au premier anniversaire du bébé, sont très solennelles. Certaines familles donnent même un nom ignoble à l’enfant ou lui font porter un tableau magique pour qu’il soit sain et sauf.

Tout comme ils accordent de l’importance à la naissance, les Qiang font de même pour la mort. Chez eux, en fonction de l’âge et des causes de décès, les funérailles diffèrent – inhumation ou incinération – mais les cérémonies sont solennelles et longues. La danse pour la mort fait revivre la tragédie antique de partir en expédition, alors que les chants du sorcier fendent le cœur. Les gens se rassemblent pour porter la personne décédée vers la montagne et creuser la tombe. Après cent jours d’offrande de sacrifices, on considère que la personne décédée est réellement retournée dans la nature.

Notes :

Fête : Le 1er jour du dixième mois du calendrier lunaire, les Qiang organisent les célébrations de leur Nouvel An dont les activités durent de trois à cinq jours. Selon les coutumes, les Qiang doivent offrir des sacrifices au Ciel, au dieu de la Montagne et au dieu du Village. Tout le village se rassemble pour manger ensemble, boire de l’alcool « zajiu » et danser « shalang » et se sépare, tout content.

Aliments : Les Qiang accordent de l’importance aux plats médicamenteux qui, selon eux, augmentent la force vitale, bénéficient aux reins et tonifient le yin (principe féminin) et les poumons.

Tabous : Lorsqu’il y a des malades ou des femmes en couches, la visite des inconnus est absolument interdite. Si on est invité chez des Qiang, il ne faut absolument pas enjamber le foyer.

Achats : Les femmes qiang excellent à la broderie. Les touristes peuvent acheter des objets d’artisanat brodés à la main.