JUIN 2004

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

De la difficulté de vendre des produits fromagers

DANIEL COGEZ

M. Lin Huipeng, directeur général de Bongrain (Chine).

Si le fromage est une tradition culinaire largement répandue en France, ce n’est pas le cas en Chine. Il existe bien du « fromage de soja », le tofu, mais cela ne correspond pas au fromage avec son goût et son odeur bien prononcés dont tous les Français raffolent. C’est pourquoi j’ai cherché à savoir comment un produit fromager pouvait être vendu en Chine et rencontré le directeur général d’une filiale de la société agro-alimentaire Bongrain bien connue en France.

Avant de relater l’interview, je veux insister sur un point. Le directeur général, Lin Huipeng, a le sens des relations publiques. Après l’avoir contacté par courriel, il m’a répondu : « D’accord, téléphonez-moi! » Et quand je lui ai téléphoné, il m’a donné rendez-vous pour le lendemain. Je n’ai donc pas affronté les embarras, les circonvolutions et les filtrages exercés par les secrétaires plus ou moins revêches de certaines sociétés françaises. Ouf! tant mieux!

- Lin Huipeng, pourriez-vous présenter votre société?

- Le siège principal de la société Bongrain est implanté à Viroflay dans les Yvelines près de Paris. C’est un groupe agro-alimentaire fondé dans les années 1950 par M. Jean-Noël Bongrain qui est toujours membre du directoire de surveillance. Cette société a lancé le fromage Caprice des dieux, bien connu en France avec sa boîte cartonnée de forme ovale. La société s’est ensuite développée et a créé le Tartare, fromage de pâte fraîche aux assaisonnements divers. D’autres produits ont été créés toujours en matière fromagère comme le Chaumes, le St Agu, le Bresse bleu, le Livarot, etc. Tous les consommateurs français ont apprécié, un jour ou l’autre, l’un de ces produits.

À partir de 1980, la société a commencé son expansion hors des frontières, d’abord en direction de l’Amérique du Sud et des États-Unis, puis dans les années 1990 vers les pays de l’Est, l’Australie, l’Inde, le Japon et la Chine. C’est une expansion mondialiste.

- En quelle année la société Bongrain s’est-elle implantée en Chine?

- En 1998. L’usine a été installée à Tianjin, non loin de la capitale de la Chine et emploie 60 à 80 personnes suivant les périodes. Elle couvre une surface de 3000 m2 avec la possibilité d’agrandissements. On y fabrique le fromage fondu de marque Pikifou. Le financement a été assuré exclusivement avec les capitaux de la société Bongrain. Nous sommes une société pionnière et nous vendons des produits particuliers.

- Comment se présentent vos produits?

- Ils se déclinent sous forme de petits carrés de fromage emballés dans du papier alu et conditionnés dans des boîtes cartonnées d’un poids de 120 grammes. Une tour Eiffel sur l’emballage évoque l’origine d’un produit français made in China. Il existe deux sortes de produits de marque Pikifou avec des emballages différents, bleu et jaune.

- Quel a été votre parcours professionnel avant de prendre la direction de la filiale en Chine?

- J’ai 38 ans. Après avoir fait mes études à Xiamen dans le Fujian, j’ai été admis en Thaïlande dans une école internationale d’ingénieurs spécialisés en agro-alimentaire. J’y suis resté quatre ans, de 1983 à 1987, avant d’aller en France pour passer mon doctorat à Montpellier. Je suis entré en 1993 dans la société Bongrain où j’ai été chargé de la recherche et du développement. Ensuite j’ai été nommé responsable du projet Chine, et en 1997, je suis allé à Tianjin pour le concrétiser.

Nous avons développé des produits adaptés à la clientèle chinoise, très laitiers et très doux, faciles à consommer. Il n’y a aucune préparation puisque le produit est prêt à consommer. La composition de ce produit fromager est différente de celle qu’on trouve en Europe parce que les Chinois n’aiment pas le goût trop fort; ils mangent certes du « tofu puant », mais ils ne sont guère habitués aux fromages fabriqués en Europe.

À voir la mine de l'un d'eux, il est clair que ce ne sont pas tous les Chinois qui aiment le fromage!

- Quels sont vos circuits de distribution?

- Désormais nos produits sont lancés sur le marché chinois et on couvre l’ensemble des grandes villes depuis Changchun et Harbin dans le Nord-Est jusqu’au Guangdong et le Sichuan en passant par le Shaanxi. Dernièrement, nous avons réussi à nous implanter au Xinjiang et cela s’annonce un marché prometteur.

- Quels sont les problèmes liés à la distribution en Chine?

- Il faut, là comme ailleurs, passer obligatoirement par la chaîne du froid et utiliser des camions réfrigérés. C’est pourquoi nous louons des camions à Beijing et faisons appel à des sociétés partenaires dans les autres régions. Nos produits sont vendus en grandes surfaces uniquement, car les petites épiceries ne peuvent pas stocker et conserver nos produits.

- Quelle concurrence devez-vous affronter?

- Il n’y a pas trop de concurrence, car le marché est nouveau. Il y a aussi des problèmes de fabrication et de logistique qui ne sont pas faciles à résoudre. C’est comme le tofu en France... Nous sommes leader sur le marché des fromages à pâte molle et occupons 30 % de ce marché.

- Quelles sont les taxes prélevées sur les revenus de votre société par l’État chinois?

- En fait, il y a deux sortes de taxes : l’une de 30 % prélevée par l’État et l’autre de 3 % prélevée par la municipalité. En fait, comme nous sommes implantés dans une zone économique spéciale, nous pouvons bénéficier de réductions. L’État chinois a annoncé qu’il accordait des mesures préférentielles pour les investisseurs étrangers, mais en réalité celles-ci sont peu à peu supprimées parce qu’il y a beaucoup d’investisseurs étrangers d’une part et parce qu’il faut veiller au respect de l’équanimité avec les investisseurs chinois.

- Avez-vous des projets d’expansion?

- Nous avons certes des projets d’expansion, mais c’est un marché difficile qui exige beaucoup d’investissements. Et le consommateur chinois n’a pas encore bien compris ce qu’est un produit fromager. Il faut qu’il s’accoutume. Nos commerciaux – ils sont une dizaine- s’efforcent de créer le besoin parmi les consommateurs.

Lin Huipeng s’est montré très discret sur le tonnage de la production ainsi que sur le montant du chiffre d’affaires. Toutefois, il est clair que vendre des produits fromagers en Chine est un défi, qu’il faut savoir changer les goûts des consommateurs, leur faire admettre la qualité et la saveur d’un produit et leur intérêt aussi pour la santé.

Si on veut se placer sur le terrain des comparaisons, la démarche de la société Bongrain est un peu équivalente à celle d’une société qui voudrait commercialiser le fromage de soja en France. Il faut de l’audace et de la persévérance...