De
la difficulté de vendre des produits fromagers
DANIEL
COGEZ
 |
M.
Lin Huipeng, directeur général de Bongrain (Chine). |
Si le fromage est
une tradition culinaire largement répandue en France, ce n’est
pas le cas en Chine. Il existe bien du « fromage de soja »,
le tofu, mais cela ne correspond pas au fromage avec son goût
et son odeur bien prononcés dont tous les Français raffolent.
C’est pourquoi j’ai cherché à savoir comment un produit fromager
pouvait être vendu en Chine et rencontré le directeur général
d’une filiale de la société agro-alimentaire Bongrain bien connue
en France.
Avant de relater l’interview,
je veux insister sur un point. Le directeur général, Lin Huipeng,
a le sens des relations publiques. Après l’avoir contacté par
courriel, il m’a répondu : « D’accord, téléphonez-moi! »
Et quand je lui ai téléphoné, il m’a donné rendez-vous pour le
lendemain. Je n’ai donc pas affronté les embarras, les circonvolutions
et les filtrages exercés par les secrétaires plus ou moins revêches
de certaines sociétés françaises. Ouf! tant mieux!
- Lin Huipeng, pourriez-vous
présenter votre société?
- Le siège principal de la société Bongrain
est implanté à Viroflay dans les Yvelines près de Paris. C’est
un groupe agro-alimentaire fondé dans les années 1950 par M. Jean-Noël
Bongrain qui est toujours membre du directoire de surveillance.
Cette société a lancé le fromage Caprice
des dieux, bien connu en France avec sa boîte cartonnée de
forme ovale. La société s’est ensuite développée et a créé le
Tartare, fromage de
pâte fraîche aux assaisonnements divers. D’autres produits ont
été créés toujours en matière fromagère comme le Chaumes, le St Agu, le Bresse bleu, le Livarot, etc. Tous les consommateurs français ont apprécié, un jour
ou l’autre, l’un de ces produits.
À partir de 1980, la société a commencé
son expansion hors des frontières, d’abord en direction de l’Amérique
du Sud et des États-Unis, puis dans les années 1990 vers les pays
de l’Est, l’Australie, l’Inde, le Japon et la Chine. C’est une
expansion mondialiste.
- En quelle année la société Bongrain s’est-elle implantée en Chine?
- En 1998. L’usine a été installée
à Tianjin, non loin de la capitale de la Chine et emploie 60 à
80 personnes suivant les périodes. Elle couvre une surface de
3000 m2 avec la possibilité d’agrandissements.
On y fabrique le fromage fondu de marque Pikifou. Le financement a été assuré exclusivement
avec les capitaux de la société Bongrain. Nous sommes une société
pionnière et nous vendons des produits particuliers.
- Comment se présentent vos produits?
- Ils se déclinent sous forme de petits
carrés de fromage emballés dans du papier alu et conditionnés
dans des boîtes cartonnées d’un poids de 120 grammes. Une tour
Eiffel sur l’emballage évoque l’origine d’un produit français
made in China. Il existe
deux sortes de produits de marque Pikifou avec des emballages différents, bleu et jaune.
- Quel a été votre parcours professionnel
avant de prendre la direction de la filiale en Chine?
- J’ai 38 ans. Après avoir fait
mes études à Xiamen dans le Fujian, j’ai été admis en Thaïlande
dans une école internationale d’ingénieurs spécialisés en agro-alimentaire.
J’y suis resté quatre ans, de 1983 à 1987, avant d’aller en France
pour passer mon doctorat à Montpellier. Je suis entré en 1993
dans la société Bongrain où j’ai été chargé de la recherche et
du développement. Ensuite j’ai été nommé responsable du projet
Chine, et en 1997, je suis allé à Tianjin pour le concrétiser.
Nous avons développé des produits
adaptés à la clientèle chinoise, très laitiers et très doux, faciles
à consommer. Il n’y a aucune préparation puisque le produit est
prêt à consommer. La composition de ce produit fromager est différente
de celle qu’on trouve en Europe parce que les Chinois n’aiment
pas le goût trop fort; ils mangent certes du « tofu puant »,
mais ils ne sont guère habitués aux fromages fabriqués en Europe.
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À
voir la mine de l'un d'eux, il est clair que ce ne sont pas
tous les Chinois qui aiment le fromage! |
- Quels sont vos circuits de distribution?
- Désormais nos produits sont lancés sur
le marché chinois et on couvre l’ensemble des grandes villes depuis
Changchun et Harbin dans le Nord-Est jusqu’au Guangdong et le
Sichuan en passant par le Shaanxi. Dernièrement, nous avons réussi
à nous implanter au Xinjiang et cela s’annonce un marché prometteur.
- Quels sont les problèmes liés à la distribution en Chine?
- Il faut, là comme ailleurs, passer obligatoirement
par la chaîne du froid et utiliser des camions réfrigérés. C’est
pourquoi nous louons des camions à Beijing et faisons appel à
des sociétés partenaires dans les autres régions. Nos produits
sont vendus en grandes surfaces uniquement, car les petites épiceries
ne peuvent pas stocker et conserver nos produits.
- Quelle concurrence devez-vous affronter?
- Il n’y a pas trop de concurrence, car
le marché est nouveau. Il y a aussi des problèmes de fabrication
et de logistique qui ne sont pas faciles à résoudre. C’est comme
le tofu en France... Nous sommes leader sur le marché des fromages
à pâte molle et occupons 30 % de ce marché.
- Quelles sont les taxes prélevées sur les revenus de votre société par
l’État chinois?
- En fait, il y a deux sortes de taxes :
l’une de 30 % prélevée par l’État et l’autre de 3 %
prélevée par la municipalité. En fait, comme nous sommes implantés
dans une zone économique spéciale, nous pouvons bénéficier de
réductions. L’État chinois a annoncé qu’il accordait des mesures
préférentielles pour les investisseurs étrangers, mais en réalité
celles-ci sont peu à peu supprimées parce qu’il y a beaucoup d’investisseurs
étrangers d’une part et parce qu’il faut veiller au respect de
l’équanimité avec les investisseurs chinois.
- Avez-vous des projets d’expansion?
- Nous avons certes des projets d’expansion,
mais c’est un marché difficile qui exige beaucoup d’investissements.
Et le consommateur chinois n’a pas encore bien compris ce qu’est
un produit fromager. Il faut qu’il s’accoutume. Nos commerciaux
– ils sont une dizaine- s’efforcent de créer le besoin parmi les
consommateurs.
Lin Huipeng s’est montré très discret
sur le tonnage de la production ainsi que sur le montant du chiffre
d’affaires. Toutefois, il est clair que vendre des produits fromagers
en Chine est un défi, qu’il faut savoir changer les goûts des
consommateurs, leur faire admettre la qualité et la saveur d’un
produit et leur intérêt aussi pour la santé.
Si on veut se placer sur le terrain
des comparaisons, la démarche de la société Bongrain est un peu
équivalente à celle d’une société qui voudrait commercialiser
le fromage de soja en France. Il faut de l’audace et de la persévérance...