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             Les 
              couples DINK sont-ils des marginaux? 
            LISA 
              CARDUCCI 
            
               
                  | 
               
               
                | Dès que j’arrive au bureau, 
                  je me mets au travail, jusqu’à 17 h. | 
               
             
            « Double Income No Kids », 
              c’est l’expression qui a donné naissance au qualificatif DINK applicable 
              aux couples qui décident de ne pas avoir d’enfants. En Chine où 
              non seulement le respect filial est une vertu traditionnelle, mais 
              encore la loi oblige les enfants à prendre soin de leurs parents 
              âgés ou dans le besoin, choisir de ne pas donner naissance demande 
              du courage sinon de l’audace. 
            Gong Jieshi, bien que nous travaillions dans 
              le même édifice et au même étage, je vous connais peu. Parlez-moi 
              de vous, de votre enfance d’abord. 
            Je suis né dans la province centrale du Henan, 
              dans une famille très pauvre. Et j’ai été élevé comme pauvre. C’est 
              que mon père est décédé quand je n’avais que 4 ans, et ma mère était 
              seule pour nous élever. 
            Vous étiez plusieurs enfants? 
            J’ai trois sœurs et je suis le seul garçon. 
            Quel est votre rang dans la famille? 
            Je suis le troisième. Mes sœurs sont restées en 
              province. Je suis le seul à avoir fait des études universitaires. 
            Est-ce parce que vous étiez un garçon que vous 
              avez eu ce privilège? 
            Bien sûr!  
            À quel âge avez-vous quitté la campagne pour 
              la ville? 
            Après mes études secondaires, je suis venu fréquenter 
              l’Université de Beijing. Et je ne bouge plus.  
            Vous aimez bien la capitale? 
            J’ai un caractère plutôt… j’aime bien travailler 
              tout seul.  
            Comment se déroule une journée typique de Gong 
              Jieshi? 
            Mes journées sont toutes pareilles. Je me lève 
              entre 5 et 6 h. Je prends un très léger petit déjeuner. À 7 h, 
              je me mets en route et j’arrive au bureau vers 7 h 40 ou 7 
              h 50.  
            Quel est votre moyen de transport? 
            La bicyclette. C’est mon seul exercice. Avant, 
              je faisais un peu de sport, mais maintenant, je suis très occupé. 
              Dès que j’arrive au bureau, je me mets au travail, jusqu’à 17 h. 
            Vous faites la sieste après le déjeuner? 
            Je mène une vie très régulière. La sieste est 
              presque obligatoire. Mais depuis deux mois, j’ai dû m’en passer. 
              Je suis allé à l’étranger, il a fallu préparer ce voyage, et mon 
              horaire a été dérangé. Aussi, l’an dernier, j’ai été élu secrétaire 
              général d’un conseil relevant de l’Association des traducteurs de 
              Chine. À ce titre, je viens d’organiser une réunion à laquelle ont 
              participé une quarantaine d’experts : des professeurs, des 
              traducteurs, et presque tous les chefs d’une section française y 
              étaient. 
            Quel genre de travail accomplit cette association. 
               
            Actuellement, nous nous concentrons sur des mots 
              difficiles à traduire. Par exemple, « triple représentativité » 
              que nous employons depuis le printemps dernier; c’est un terme qui 
              ne me satisfait pas. Nous avons beaucoup discuté et n’avons pas 
              encore trouvé la réponse idéale. La langue doit rendre compte de 
              la réalité. Et la Chine a des réalités à elle, qu’elle exprime par 
              des termes très chinois. Pour nous, c’est clair, mais traduits en 
              langues étrangères, ces mots n’ont plus de sens. 
            Les entreprises sanzi, par exemple… 
            C’en est un autre. On n’est pas d’accord sur la 
              signification de ce mot, même en chinois. Quelle est la différence 
              entre une entreprise à capitaux mixtes et une entreprise en coopération? 
              Les étrangers ne comprennent pas.  
            Votre travail occupe une grande partie de votre 
              journée… 
            Mais le soir, je ne travaille pas. Je suis épuisé. 
              Je m’oblige à ne pas travailler. 
            Vous sortez? 
            Non, non, non. Le soir, non. Je lis les journaux, 
              regarde la télé. Le week-end, oui. 
            Vous avez des activités communes avec votre 
              épouse? 
            L’été, ensemble, on fait des excursions en montagne, 
              mais l’hiver il fait trop froid.  
            Pas de sport? 
            Non. Le vélo, chaque jour, ce n’est pas un sport, 
              c’est obligatoire. 
            Quel emploi occupe votre épouse? 
            Elle travaille pour Siemens, la société allemande. 
              Elle est comptable.  
            Quelle place occupe le travail dans votre cœur? 
            Pour moi, le travail, c’est tout! Je n’ai pas 
              peur du travail, mais de la retraite. 
            Comment envisagez-vous ce moment – qui viendra 
              un jour lointain – où vous serez forcé de prendre votre retraite? 
            Je m’inquiète peu de moi-même, car j’aime travailler, 
              mais ma femme aura de la difficulté. 
            À vous supporter à la maison? 
            Non, ce n’est pas ça! En tant que traducteur, 
              je pourrai continuer à m’occuper, mais le travail ne plaît pas à 
              mon épouse. Ma belle-mère, qui vit avec nous, s’ennuie beaucoup. 
              Je crains qu’à la retraite, mon épouse devienne comme sa mère. 
            Et vous n’avez pas d’enfant. 
            Bien sûr que non! 
            J’ai eu beaucoup de difficulté à trouver un 
              couple DINK qui accepte d’être interviewé. Comment expliquez-vous 
              cette attitude? 
            Je ne comprends pas pourquoi ma femme même refuse 
              l’interview. Pour moi, c’est normal; c’est mon choix. 
            
               
                  | 
               
               
                | Le travail est une sorte de 
                  refuge. Je crains la vie sociale. | 
               
             
            Vous êtes marié depuis quinze ans. Votre décision 
              de ne pas avoir d’enfant remonte-t-elle aussi loin? 
            Au début, je voulais avoir un enfant, mais ma 
              femme avait un bon poste et travaillait très dur. En dehors de sa 
              carrière, elle voulait profiter de la vie. Pour les parents, c’est 
              obligatoire : il leur faut un petit-fils! À la campagne surtout. 
              Quelques années après, c’est moi qui n’en voulais plus, parce que 
              les enfants de notre famille ne me disent rien de bon. Je vois ma 
              sœur qui pleure chaque fois qu’elle parle de son fils. D’autres 
              ont abandonné leurs études, et parce que je vis à la ville, ils 
              comptent sur moi pour leur trouver un emploi.  
            Vos trois sœurs ont des enfants? 
            Ma grande sœur a eu trois filles, puis elle a 
              adopté un garçon. La deuxième a une fille et un garçon. La cadette 
              a eu un fils, et elle a adopté une fillette que les parents ne pouvaient 
              garder.  
            Parmi tous ces enfants, il n’y en a aucun qui 
              vous donne envie d’en avoir vous-même? 
            Non. Je crois que cette génération n’est pas comme 
              la nôtre. Nous soutenons nos parents, mais les jeunes actuels ne 
              pensent qu’à eux-mêmes. 
            Comment voyez-vous la prochaine génération 
              d’enfants? 
            Je travaille tout le temps, je n’ai pas le temps 
              de réfléchir.  
            Comme vous n’avez personne sur qui compter 
              dans vos vieux jours, prenez-vous des précautions, comme une assurance-vieillesse? 
            L’argent n’est pas un problème. J’ai un train 
              de vie modeste, et mes économies suffiront. À la retraite, quand 
              on devient tout seul, peut-être que c’est là qu’il y aura un problème. 
              L’argent n’est pas important; ce qui compte, c’est la capacité de 
              travailler. 
            La mesure « un enfant par couple » 
              est devenue une loi maintenant. Qu’en pensez-vous? 
            Je suis pour cette loi. Voyez, mes sœurs ont beaucoup 
              d’enfants. Ils n’aiment pas l’étude. Je ne comprends pas. Ce n’est 
              pas une question d’argent. Elles en ont.  
            Vos sœurs ont-elles été pénalisées pour avoir 
              eu trop d’enfants? 
            Bien sûr! 
            Croyez-vous que l’État donne suffisamment d’information 
              et de moyens pour que la loi soit respectée? 
            Je ne crois pas. Surtout dans les campagnes, où 
              il « faut » avoir un fils. L’application de la loi est 
              trop dure. Il faut des moyens plus souples. Les gens ne comprennent 
              pas la loi; ils l’exécutent seulement.  
            Vous connaissez plusieurs couples DINK? Se 
              considèrent-ils comme marginaux? 
            J’en connais plusieurs. Pour moi, c’est normal. 
              Ce sont les autres qui insistent pour que nous ayons un enfant. 
              Ma mère, par exemple, elle ne peut s’empêcher d’insister. 
            Comment réagissez-vous? 
            Je discute avec elle, mais je n’ai jamais réussi 
              à obtenir son accord. Même, elle prie pour que j’aie un enfant. 
            Et si Guanyin (déesse de la fécondité, entre 
              autres fonctions) vous jouait un tour, et qu’une grossesse imprévue 
              se présente, que feriez-vous? 
            Je ne pense jamais aux choses inutiles. J’ai une 
              vie régulière, je ne veux pas de changement. Chaque jour, c’est 
              le bureau, la maison. Ma femme est plus sociable. Elle fréquente 
              des amis; la plupart ont des enfants. Et puis, je n’aime pas les 
              enfants, en général.  
            Puisque l’argent ne semble pas être votre but, 
              quelle est la valeur principale du travail pour vous : l’accomplissement 
              personnel, l’acquisition de connaissances? 
            Le travail me permet de rester seul. C’est une 
              sorte de refuge. J’ai peur de la vie sociale. 
            À la retraite, quel rêve aimeriez-vous réaliser, 
              mis à part travailler encore? Voyager, peut-être? 
            Voyager me plait beaucoup. Mais quand je fais 
              quelque chose, je pense toujours à ma mère. Par exemple, l’an dernier, 
              nous avons fait construire une maison de 250 m2 
              pour elle. Donc, il ne faut pas gaspiller l’argent pour rien.  
            Vous avez déjà un appartement. Aimeriez-vous 
              en avoir un plus grand? 
            Actuellement, nos 60 m² ne suffisent pas. 
              C’est l’appartement de ma belle-mère. Le mien est loué. Je viens 
              d’obtenir le plus haut titre professionnel; normalement, j’aurais 
              droit à 120 m². Aussi, un troisième étage sans ascenseur n’est pas 
              commode pour ma belle-mère qui souffre des jambes. D’ici ma retraite, 
              notre unité aura sûrement fait construire d’autres appartements 
              et j’aurai droit d’en acheter un. Actuellement, les logements commerciaux 
              sont beaucoup trop chers, surtout au centre-ville.  
            Y a-t-il quelque chose que vous aimeriez ajouter? 
            Je suis de type passif. Réceptif. Je ne m’avance 
              jamais ni ne pose de questions. 
            Ce qui veut dire que si je ne pose pas les 
              bonnes questions, vous ne me direz rien. 
            Il faut qu’on vienne me chercher. Par exemple, 
              avant, je jouais au badminton avec mes collègues, mais une fois 
              que je suis devenu chef de la section française des Éditions en 
              langues étrangères, ils ne sont plus venus me chercher, et je n’y 
              suis pas allé non plus. 
            Vous croyez qu’on parle dans votre dos? 
            Peut-être. On ne me fait pas de reproches, mais 
              on ne me trouve pas normal. Je crois que je ne suis pas un bon chef; 
              je devrais aller vers les autres. Dans mon rapport de travail de 
              l’année 2003 – le croirez-vous? – j’ai même oublié de mentionner 
              le SRAS, alors que pour les autres, c’était l’événement le plus 
              important. C’est que pendant les quatre mois de l’épidémie, j’ai 
              travaillé comme d’habitude, enfermé dans mon bureau. J’ai même organisé 
              un séminaire le 18 avril. Plusieurs professeurs étaient absents 
              puisque c’était déjà la panique sur les campus.  
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