MAI 2004

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

Être un rat de bibliothèque à Paris

HUANG CAI

« La place de la Sorbonne » : j'aime son animation.

Depuis que j’étudie à Paris, je passe passablement de temps dans ses nombreuses bibliothèques et je m’y plais. Chacune a un style et un charme qui lui sont propres.

La queue du dimanche matin

Chaque année, avant la fête du Printemps, des milliers d’étudiants chinois font la queue devant les guichets pour acheter un billet de train, dans l’espoir de passer un moment de bonheur avec leurs parents. En France, les étudiants font aussi la queue, mais c’est pour aller travailler à la bibliothèque…

Le dimanche matin, je passe souvent une heure, voire même plus, à attendre devant l’entrée de la Bibliothèque nationale François Mitterrand, la seule bibliothèque ouverte ce jour-là à Paris. L’heure d’ouverture est midi, mais dès 11h, la queue s’allonge : des centaines de jeunes de toutes les couleurs et de tous les milieux. Certains causent avec des copains, d’autres s’assoient par terre pour écrire dans leurs cahiers : une scène fort typique sur les terrasses de cette bibliothèque. Puis, à l’ouverture, tout le monde court vers les salles de lecture parce que les places sont limitées. La salle D, celle qui est consacrée aux sciences politiques et juridiques, est toujours la première à être bondée; il faut donc faire vite, sinon il faudra attendre encore des heures à la porte de la salle! Avoir une place dans la bibliothèque, surtout le dimanche, c’est vraiment une course contre la montre!

Mais toutes ces peines ne sont pas perdues, car une fois installée dans la salle, j’ai toujours l’impression d’être au comble du bonheur. Des milliers de bouquins en français ou en anglais sont à ma portée, grâce au catalogue informatisé; dans la salle, je peux librement consulter Internet, et les aimables bibliothécaires sont toujours prêts à me donner un coup de main. Je me sens très bien dans ces salles, avec les grandes tables et les chaises en bois lourd, l’air chaud qui souffle sous la table et qui réchauffe les pieds, la prise de courant devant chaque place qui me permet de travailler avec mon PC, et surtout la lumière… Eh oui, contrairement à l’habitude des Chinois qui ont des salles d’étude souvent trop éclairées, ici, l'éclairage est doux, discret, laissant les lecteurs travailler dans une sorte de sérénité. Si j’ai la chance d’avoir une place près de la fenêtre, en arrière-plan, les grands arbres du jardin m’offrent un décor qu’on ne trouve nulle part ailleurs à Paris. Voilà bien une autre raison importante pour laquelle je n’hésite pas à me rendre à cette bibliothèque malgré les heures d’attente. Dans la salle B, grâce aux ordinateurs multimédias, on peut faire son choix dans l’énorme réserve musicale de la Bibliothèque nationale. Après des heures laborieuses dans la salle D, quel plaisir de s’évader un peu avec la belle voix d’Édith Piaf!

Les bibliothèques du quartier latin

En semaine, les étudiants ont le choix des bibliothèques. Il suffit de consulter le catalogue informatisé qui met en réseau les bibliothèques universitaires de Paris et de la province pour trouver les livres dont on a besoin, puis de s’y rendre. L’inscription est très simple et souvent gratuite. Le plus courant, c’est de s’inscrire à une ou deux bibliothèques générales et à une bibliothèque spécialisée dans le domaine de ses études. En ce qui me concerne, je me rends dans les nombreuses bibliothèques du quartier latin, mais ma bibliothèque préférée, c’est la Sainte-Geneviève!

C’est une « grande dame » de 150 ans qui loge dans un immeuble du XVIIe siècle, à la place du Panthéon, à côté de Rousseau, Voltaire et de Hugo. Avec ses deux millions de livres en philosophie, en histoire, en sciences appliquées, c’est la bibliothèque générale où je trouve toujours les livres dont j’ai besoin, même les nouvelles publications. Elle est élégante avec sa décoration centenaire, ses sculptures, ses tableaux, ses lampes classiques sur les grandes tables en bois. Mais elle est aussi très moderne : son catalogue informatisé peut être consulté, des documents, téléchargés directement dans Internet à la maison, et elle organise même des expositions en ligne. Hier comme aujourd’hui, c’est une dame toujours très courtisée; tous les jours, même en semaine, une attente d’une demi-heure pour y entrer n’est pas rare.

Je fréquente souvent les bibliothèques du quartier latin, car j’aime l’ambiance que créent tous ces jeunes qui, sac au dos et bouquins en main, se réunissent à la place de la Sorbonne ou au jardin du Luxembourg, en quelque sorte les cours de ces bibliothèques. Après le travail dans les salles de lecture, comme il fait bon se retrouver dans les cafés ou les petits bistrots, juste à côté, pour discuter ou rigoler. Et il ne manque pas de bons cafés dans le quartier latin! Ambiance sympa, café impeccable, ces lieux ajoutent un charme particulier aux bibliothèques du quartier!

Les bibliothèques des Parisiens

L'éclairage discret permet de travailler dans la sérénité.

En parlant des bibliothèques de Paris, il y a une chose que je ne dois pas oublier : les bibliothèques municipales! Les étudiants trouvent parfois ces bibliothèques trop générales, moins scientifiques, mais moi, je les apprécie beaucoup pour leur accessibilité et l’amabilité de leur personnel. Imaginez : il y a une soixantaine de bibliothèques dans les 20 arrondissements de Paris, il y en a donc toujours une qui est près de la maison ou du bureau. Que c’est pratique! Tout ce réseau est ouvert à chaque citoyen de Paris, et il suffit d’une simple pièce d’identité pour s’inscrire. À chaque visite, on peut emprunter cinq livres, cinq bandes dessinées, cinq revues, sans parler des cassettes et des CD, et pour 3 semaines en plus! Quel bonheur!

Évidemment, dans chacune de ces bibliothèques, on ne trouve pas de tout; certaines d’entre elles sont plutôt spécialisées en littérature ou couvrent les connaissances générales. Par exemple, pendant les vacances d’août, j’ai emprunté toutes les œuvres de Marcel Pagnol à la Bibliothèque Fessart, située à deux pas de chez moi. Après la rentrée, comme cette bibliothèque ne pouvait plus rassasier mon appétit, j’en ai profité pour utiliser la carte me donnant accès à la soixantaine de salles de lecture du grand Paris, des collections de 3 millions de documents! Le déplacement ne me gêne pas, car il me permet de découvrir les différents arrondissements de la ville. Au pire, si le bouquin que je demande ne se trouve pas dans ces bibliothèques ou s’il a déjà été emprunté, je ne me décourage pas, car en dernier ressort, je peux avoir recours à la réserve centrale. Avec l’aide des bibliothécaires, je peux commander le bouquin à la réserve et le recevoir dans les jours qui suivent. Génial, n'est-ce pas?

C’est ainsi que les bibliothécaires sont devenus mes amis, et s’ils ont lu un bouquin que je voudrais lire ou si le sujet les intéresse, je peux discuter avec eux; dans les bibliothèques municipales, l’ambiance est vraiment conviviale. Même les retardataires sont peu sanctionnés! La règle veut que les premiers retards soient enregistrés, mais ils n’entraînent pas directement une amende; si les retards s’accumulent jusqu’à un certain seuil, la personne doit alors verser la somme entière. Je trouve cette façon de faire très compréhensive et raisonnable parce qu’il arrive à tout le monde d’avoir un empêchement ou une défaillance, et qu’en même temps, le système sait se montrer sévère pour les irresponsables!

Des souvenirs remontent à la surface…

Submergée dans le bonheur que me procurent les bibliothèques de Paris, je me remémore souvent les difficultés que j’ai connues pour avoir accès aux livres en français quand j’ai commencé à apprendre cette langue à Beijing. Des amis français avaient dû me poster des romans de Colette! Maintenant, avec Internet, les informations en langue française sont beaucoup plus accessibles, mais les belles œuvres de cette langue et l’héritage culturel français nécessitent encore l’intermédiaire des bibliothèques. Espérons que le futur Centre culturel français de Beijing mettra beaucoup de livres à la disposition des nombreux étudiants chinois, amoureux du français.