Être un rat de bibliothèque à Paris
              HUANG CAI
              
                
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                  | « La place 
                    de la Sorbonne » : j'aime son animation. | 
                
              
              Depuis que j’étudie à Paris, je passe passablement de temps dans ses nombreuses 
                bibliothèques et je m’y plais. Chacune a un style et un charme 
                qui lui sont propres.
              La queue du dimanche matin
              Chaque année, avant la fête du Printemps, des milliers d’étudiants chinois 
                font la queue devant les guichets pour acheter un billet de train, 
                dans l’espoir de passer un moment de bonheur avec leurs parents. 
                En France, les étudiants font aussi la queue, mais c’est pour 
                aller travailler à la bibliothèque…
              Le dimanche matin, je passe souvent une heure, voire même plus, à attendre 
                devant l’entrée de la Bibliothèque nationale François Mitterrand, 
                la seule bibliothèque ouverte ce jour-là à Paris. L’heure d’ouverture 
                est midi, mais dès 11h, la queue s’allonge : des centaines 
                de jeunes de toutes les couleurs et de tous les milieux. Certains 
                causent avec des copains, d’autres s’assoient par terre pour écrire 
                dans leurs cahiers : une scène fort typique sur les terrasses 
                de cette bibliothèque. Puis, à l’ouverture, tout le monde court 
                vers les salles de lecture parce que les places sont limitées. 
                La salle D, celle qui est consacrée aux sciences politiques et 
                juridiques, est toujours la première à être bondée; il faut donc 
                faire vite, sinon il faudra attendre encore des heures à la porte 
                de la salle! Avoir une place dans la bibliothèque, surtout le 
                dimanche, c’est vraiment une course contre la montre!
              Mais toutes ces peines ne sont pas perdues, car une fois installée dans 
                la salle, j’ai toujours l’impression d’être au comble du bonheur. 
                Des milliers de bouquins en français ou en anglais sont à ma portée, 
                grâce au catalogue informatisé; dans la salle, je peux librement 
                consulter Internet, et les aimables bibliothécaires sont toujours 
                prêts à me donner un coup de main. Je me sens très bien dans ces 
                salles, avec les grandes tables et les chaises en bois lourd, 
                l’air chaud qui souffle sous la table et qui réchauffe les pieds, 
                la prise de courant devant chaque place qui me permet de travailler 
                avec mon PC, et surtout la lumière… Eh oui, contrairement à l’habitude 
                des Chinois qui ont des salles d’étude souvent trop éclairées, 
                ici, l'éclairage est doux, discret, laissant les lecteurs travailler 
                dans une sorte de sérénité. Si j’ai la chance d’avoir une place 
                près de la fenêtre, en arrière-plan, les grands arbres du jardin 
                m’offrent un décor qu’on ne trouve nulle part ailleurs à Paris. 
                Voilà bien une autre raison importante pour laquelle je n’hésite 
                pas à me rendre à cette bibliothèque malgré les heures d’attente. 
                Dans la salle B, grâce aux ordinateurs multimédias, on peut faire 
                son choix dans l’énorme réserve musicale de la Bibliothèque nationale. 
                Après des heures laborieuses dans la salle D, quel plaisir de 
                s’évader un peu avec la belle voix d’Édith Piaf!
              Les bibliothèques du quartier latin
              En semaine, les étudiants ont le choix des bibliothèques. Il suffit de 
                consulter le catalogue informatisé qui met en réseau les bibliothèques 
                universitaires de Paris et de la province pour trouver les livres 
                dont on a besoin, puis de s’y rendre. L’inscription est très simple 
                et souvent gratuite. Le plus courant, c’est de s’inscrire à une 
                ou deux bibliothèques générales et à une bibliothèque spécialisée 
                dans le domaine de ses études. En ce qui me concerne, je me rends 
                dans les nombreuses bibliothèques du quartier latin, mais ma bibliothèque 
                préférée, c’est la Sainte-Geneviève! 
              C’est une « grande dame » de 150 ans qui loge dans un immeuble 
                du XVIIe siècle, à la place du Panthéon, à côté de 
                Rousseau, Voltaire et de Hugo. Avec ses deux millions de livres 
                en philosophie, en histoire, en sciences appliquées, c’est la 
                bibliothèque générale où je trouve toujours les livres dont j’ai 
                besoin, même les nouvelles publications. Elle est élégante avec 
                sa décoration centenaire, ses sculptures, ses tableaux, ses lampes 
                classiques sur les grandes tables en bois. Mais elle est aussi 
                très moderne : son catalogue informatisé peut être consulté, 
                des documents, téléchargés directement dans Internet à la maison, 
                et elle organise même des expositions en ligne. Hier comme aujourd’hui, 
                c’est une dame toujours très courtisée; tous les jours, même en 
                semaine, une attente d’une demi-heure pour y entrer n’est pas 
                rare.
              Je fréquente souvent les bibliothèques du quartier latin, car j’aime l’ambiance 
                que créent tous ces jeunes qui, sac au dos et bouquins en main, 
                se réunissent à la place de la Sorbonne ou au jardin du Luxembourg, 
                en quelque sorte les cours de ces bibliothèques. Après le travail 
                dans les salles de lecture, comme il fait bon se retrouver dans 
                les cafés ou les petits bistrots, juste à côté, pour discuter 
                ou rigoler. Et il ne manque pas de bons cafés dans le quartier 
                latin! Ambiance sympa, café impeccable, ces lieux ajoutent un 
                charme particulier aux bibliothèques du quartier!
              Les bibliothèques des Parisiens
              
                 
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                  | L'éclairage 
                    discret permet de travailler dans la sérénité. | 
                
              
              En parlant des bibliothèques de Paris, il y a une chose que je ne dois 
                pas oublier : les bibliothèques municipales! Les étudiants 
                trouvent parfois ces bibliothèques trop générales, moins scientifiques, 
                mais moi, je les apprécie beaucoup pour leur accessibilité et 
                l’amabilité de leur personnel. Imaginez : il y a une soixantaine 
                de bibliothèques dans les 20 arrondissements de Paris, il y en 
                a donc toujours une qui est près de la maison ou du bureau. Que 
                c’est pratique! Tout ce réseau est ouvert à chaque citoyen de 
                Paris, et il suffit d’une simple pièce d’identité pour s’inscrire. 
                À chaque visite, on peut emprunter cinq livres, cinq bandes dessinées, 
                cinq revues, sans parler des cassettes et des CD, et pour 3 semaines 
                en plus! Quel bonheur! 
              Évidemment, dans chacune de ces bibliothèques, on ne trouve pas de tout; 
                certaines d’entre elles sont plutôt spécialisées en littérature 
                ou couvrent les connaissances générales. Par exemple, pendant 
                les vacances d’août, j’ai emprunté toutes les œuvres de Marcel 
                Pagnol à la Bibliothèque Fessart, située à deux pas de chez moi. 
                Après la rentrée, comme cette bibliothèque ne pouvait plus rassasier 
                mon appétit, j’en ai profité pour utiliser la carte me donnant 
                accès à la soixantaine de salles de lecture du grand Paris, des 
                collections de 3 millions de documents! Le déplacement ne me gêne 
                pas, car il me permet de découvrir les différents arrondissements 
                de la ville. Au pire, si le bouquin que je demande ne se trouve 
                pas dans ces bibliothèques ou s’il a déjà été emprunté, je ne 
                me décourage pas, car en dernier ressort, je peux avoir recours 
                à la réserve centrale. Avec l’aide des bibliothécaires, je peux 
                commander le bouquin à la réserve et le recevoir dans les jours 
                qui suivent. Génial, n'est-ce pas? 
              C’est ainsi que les bibliothécaires sont devenus mes amis, et s’ils ont 
                lu un bouquin que je voudrais lire ou si le sujet les intéresse, 
                je peux discuter avec eux; dans les bibliothèques municipales, 
                l’ambiance est vraiment conviviale. Même les retardataires sont 
                peu sanctionnés! La règle veut que les premiers retards soient 
                enregistrés, mais ils n’entraînent pas directement une amende; 
                si les retards s’accumulent jusqu’à un certain seuil, la personne 
                doit alors verser la somme entière. Je trouve cette façon de faire 
                très compréhensive et raisonnable parce qu’il arrive à tout le 
                monde d’avoir un empêchement ou une défaillance, et qu’en même 
                temps, le système sait se montrer sévère pour les irresponsables!
              Des souvenirs remontent à la surface…
              Submergée dans le bonheur que me procurent les bibliothèques de Paris, 
                je me remémore souvent les difficultés que j’ai connues pour avoir 
                accès aux livres en français quand j’ai commencé à apprendre cette 
                langue à Beijing. Des amis français avaient dû me poster des romans 
                de Colette! Maintenant, avec Internet, les informations en langue 
                française sont beaucoup plus accessibles, mais les belles œuvres 
                de cette langue et l’héritage culturel français nécessitent encore 
                l’intermédiaire des bibliothèques. Espérons que le futur Centre 
                culturel français de Beijing mettra beaucoup de livres à la disposition 
                des nombreux étudiants chinois, amoureux du français.