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             « L’inactivité, 
              ce n’est pas pour moi! » 
            LOUISE 
              CADIEUX 
            
               
                  | 
               
               
                | M. Ledran 
                  en compagnie de Jia Fuheng, directeur de produits de l’usine. | 
               
             
            Jean-Paul Ledran, un Français résidant d’Évreux, 
              fait partie des retraités heureux de l’être, mais qui ont décidé 
              de ne pas passer leurs journées devant la télé. Et c’est en Chine, 
              où il est venu comme coopérant à neuf reprises depuis 1999, qu’il 
              ajoute du piquant à sa vie tranquille. En 2000, il a reçu la médaille 
              de l’Amitié, conférée chaque année par le gouvernement chinois à 
              50 experts étrangers qui ont apporté une contribution exceptionnelle.  
            Question : Nos lecteurs ont sûrement envie de connaître la feuille de route 
              d’un coopérant de votre âge en Chine. Quelle est la vôtre? 
            Réponse : Je 
              suis ingénieur céramiste, diplômé d’une Grande École, celle de la 
              céramique qui était située à Sèvres au moment de mes études. J’ai 
              trente ans d’expérience dans la céramique technique magnétique; 
              en termes plus simples, cela concerne des aimants qui donnent l’induction 
              magnétique, dans un moteur par exemple, ou qui sont utilisés, entre 
              autres, dans des objets comme des hauts parleurs. C’est très pointu 
              comme domaine, il y a très peu de grandes entreprises de ce secteur 
              dans le monde et donc, très peu d’ingénieurs comme moi. En 1998, 
              j’ai pris ma retraite, mais je ne voulais pas rester inactif. Depuis 
              1999, je viens en Chine à peu près deux fois l’an en mission. 
            Q : Comment ont été initiées toutes ces 
              missions en Chine? 
            R : Un ami revenait d’une mission organisée 
              par l’ECTI, et il m’a parlé de cette organisation. 
            Q : Est-ce une organisation française? 
              Pouvez-vous nous la présenter brièvement, surtout ses liens avec 
              la Chine? 
            R : Je ne peux vous la présenter dans tous 
              ses détails, mais disons que c’est une association française 
              sans but lucratif dont la mission est, entre autres, d’aider 
              aux pays en développement par de la coopération scientifique, technique, 
              culturelle ou humanitaire. Elle regroupe 3 000 volontaires 
              seniors bénévoles qui vont faire partager leurs connaissances à 
              des entreprises, en particulier les PME, à des administrations, 
              des collectivités des organismes professionnels, publics ou privés, 
              des associations, des organisations internationales, des fondations 
              individuelles ou d’entreprise. En gros, l’ECTI reçoit les demandes de coopération 
              et affecte le candidat approprié selon les besoins du demandeur. 
              On dit que 50 % des coopérants remplissent des missions en 
              Chine, surtout dans le domaine technique, mais dans ma spécialité, 
              je suis le seul. 
            Q : Lors de ces missions, vous êtes-vous 
              rendu dans beaucoup d’endroits en Chine? 
            R : Surtout dans le Zhejiang, l’Anhui et 
              le Jiangsu, mais la prochaine fois, j’aimerais bien coopérer avec 
              une entreprise de l’Ouest, peut-être à Chengdu, au Sichuan. 
            Q : Et dans les entreprises, comment se 
              passe votre séjour? 
            R : J’y suis habituellement pendant 15 jours 
              durant lesquels on s’apprivoise mutuellement. Vous savez, la réalité 
              réserve parfois des surprises… J’explique les procédés de fabrication 
              du produit, je réponds aux questions, je parle du marketing, je 
              fais un peu de physique et de chimie, j’essaie de découvrir si les 
              ingénieurs et les techniciens ont des difficultés particulières, 
              je tente de les orienter vers des choses nouvelles. C’est quand 
              même un travail ardu, car je dois parler toute la journée en anglais, 
              par l’intermédiaire d’une interprète, et il y a beaucoup de termes 
              techniques. La grosseur des groupes varie, il peut y avoir jusqu’à 
              vingt personnes. 
            Q : Qu’avez-vous observé de particulier 
              dans ces entreprises chinoises? 
            R : Oh!, de tout. Des entreprises prospères et d’autres qui 
              sont en difficulté, lorsque le niveau technique est vraiment faible. 
              Certaines où l’atmosphère est bonne, paternaliste même, et d’autres 
              qui sont menées d’une main de fer; des immenses, avec près de 10 000 
              employés, comme des plus petites, avec 350 employés, comme la dernière 
              où je suis allé. Mais règle générale, c’est la R&D qui constitue 
              le manque le plus flagrant. Le côté rationnel, cartésien, comme 
              celui dont on a hérité par notre culture, n’y est pas.  De plus, 
              la proportion des ingénieurs et techniciens au sein des ouvriers 
              est assez faible. Parfois, c’est l’administration de l’entreprise 
              qui n’est pas au point.  
            
               
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                | M. Ledran 
                  donne un cours de formation au personnel technique de la société 
                  Nanjing Liyuan Power Magnetic Group Co Ltd, de Lishui, province 
                  du Jiangsu, en février dernier. | 
               
             
            Q : Et les points forts? 
            R : La discipline au travail, un bon contrôle 
              du processus de fabrication, le sérieux. Et il y a aussi des entreprises 
              qui s’en tirent fort bien. Entre autres, à mon avis, le Groupe Hengdian 
              du Zhejiang est la première entreprise mondiale dans le domaine 
              de la céramique magnétique. Il s’efforce actuellement d’accéder 
              à un niveau technique encore supérieur. Dans peu de temps, ce groupe 
              sera vraiment une superpuissance dans le domaine. D’autres entreprises 
              sont plus petites, mais elles s’apprêtent à faire un bond technologique, 
              à ouvrir une nouvelle usine, c’est prometteur. 
            Q : Après tant de missions, vous connaissez 
              mieux la Chine. Mais vous souvenez-vous de vos premières expériences? 
            R : Ça n’a pas été facile. En Chine, tout est à découvrir, 
              la culture, les baguettes, la traduction… Et on nous met dans le 
              bain rapidement, on nous demande directement nos impressions sur 
              l’entreprise.  On sent aussi parfois un peu de méfiance de part 
              et d’autre, c’est bien humain. Je me sentais bienvenu, mais un peu 
              parachuté; mais au bout de deux jours, ça allait. 
            Q : Pourquoi revenir si souvent en mission 
              en Chine, et pas ailleurs? 
            R. : D'abord, j’aime ce que je fais, la céramique, 
              et j’aime la Chine. J’apprécie la culture, la nouveauté et la cuisine 
              chinoise. (M. Ledran nous a avoué son penchant pour le canard 
              laqué). Je m’intéresse un peu à la peinture chinoise, mais ce 
              que j’aime surtout, ce sont les gens; ils sont si gentils et si 
              rigolards. Ensuite, il faut dire que parmi les pays en développement, 
              il n’y a que l’Inde, à part la Chine, qui a des entreprises dans 
              mon domaine de compétence. En Amérique du Sud, ce sont surtout des 
              filiales de grandes multinationales, et ces dernières peuvent les 
              aider. 
            Q : Quelle est la plus grande difficulté 
              de vos missions en Chine? 
            R :  Je dirais le manque d’ouverture. Je vous donne un exemple. 
              Un jour, je parlais des problèmes que nous avions en France avec 
              la céramique au sortir du four. Personne ne semblait avoir ce problème 
              dans le groupe; mais j’ai annoncé que, le lendemain, je traiterais 
              de la question plus en profondeur. Croyez-le ou non, le lendemain, 
              la salle était pleine! Les ingénieurs avaient le même problème, 
              mais c’est comme s’ils avaient été honteux à en parler. 
            Et puis, il y a aussi l’adaptation que je dois 
              vivre en peu de temps; les choses plus tristes qui me frappent comme 
              les énormes différences de revenu entre certains endroits, la pollution 
              de l’air, le manque de respect de l’environnement dans certaines 
              petites villes… 
            Q : Et vos meilleurs souvenirs? 
            R. : Le meilleur n’est pas lié à une mission, 
              mais au moment où j’ai reçu la médaille de l’Amitié. Lorsqu’on me 
              l’a décernée, je ne me sentais pas vraiment à la hauteur; mais depuis 
              lors, cette médaille m’a aiguillonné, m’a exigé d’être toujours 
              à la hauteur des attentes des entreprises où je vais. Et puis, dans 
              toutes les entreprises, je peux dire que je suis très bien traité. 
              J’aime quand on peut prendre un bon repas ensemble et partager nos 
              impressions et, bien sûr, les visites touristiques. Grâce à elles, 
              on peut découvrir bien des choses qui, de l’extérieur ne nous semblaient 
              pas ainsi. Par exemple, lors de ma dernière mission dans le Jiangsu, 
              j’ai visité un temple taoïste qui venait d’être construit. J’ai 
              appris beaucoup sur cette religion, mais j’ai été aussi très surpris 
              d’apprendre que le temple avait été construit avec des fonds du 
              gouvernement; moi qui croyais que toute religion était bannie en 
              Chine…. 
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