Profondément
« Chine »
LOUISE
CADIEUX
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La pagode de Yuxian qui remonte
à 972. |
Pour certains, Yuxian du Hebei peut évoquer la Chine profonde,
étant donné que les signes du développement économique y semblent
si peu patents; mais avant tout, sa richesse principale tient à
l’abondance de ses vestiges et traditions culturelles populaires,
si profondément aux couleurs chinoises.
À quelque quatre heures de route de Beijing, Yuxian
n’est pas encore un endroit très facilement accessible au touriste
individuel qui recherche un voyage de tout repos, mais on ne peut
regretter d’y être allé! Après une petite heure d’autoroute et avoir
traversé le secteur montagneux où serpente un tronçon de la Grande
Muraille, la route s’engage près du grand réservoir Guangting pour
déboucher dans une plaine parsemée de vignobles appartenant à la
société Rongcheng Huailai. Le terrain plat n’est cependant qu’une
pause de courte durée, car la route entre dans un secteur où le
paysage évoque celui du plateau de lœss, avec sa terre jaune creusée
de ravins profonds. Trois heures plus tard, peu avant d’arriver
à la ville de Yuxian proprement dite, on voit pointer le pic le
plus élevé de la province du Hebei : Xiao Wutaishan avec ses
plus de 2 800 mètres d’altitude. Yuxian est entourée de montagnes
qui semblent protéger des intrus les « traditions » qu’elle
abrite.
La ville n’a rien de très moderne : pas de
gratte-ciel (les constructions les plus hautes étant une tour de
télécoms et une pagode) beaucoup de maisons anciennes et des rues
à l’avenant. Comme bien d’autres villes chinoises, Yuxian s’anime
dès le petit matin. Dans ses rues, bicyclettes, motos et quelques
voitures serpentent entre la foule grouillante des piétons et des
vendeurs de toutes sortes. Dans cette ambiance aux antipodes du
high-tech XXIe siècle, la ville offre toutefois des installations
d’hébergement adéquates. En outre, la nourriture servie lors du
séjour que j’y ai effectué, avec un groupe de quelque 60 personnes,
inclut des mets locaux et savoureux, un point important pour des
voyageurs qui passent leurs journées à visiter des sites, dont beaucoup
sont éparpillés aux environs de la ville.
Le papier découpé, la renommée des lieux
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L'Ode aux
Jeux olympiques a exigé le travail de six personnes pendant
deux mois. |
Quel touriste en Chine ne s’est pas exclamé d’admiration
devant le raffinement des découpages de fleurs, d’oiseaux, d’animaux
et de personnages de toutes sortes, dans un papier extrêmement mince?
Une forme d’artisanat typiquement chinois! Yuxian n’est pas le seul
endroit de Chine où l’on s’y adonne, mais l’un des plus réputés.
Contrairement au papier du Shanxi et du Shaanxi qui est découpé
au ciseau, celui de Yuxian est effectué au découpoir, avec un choix
de quelque vingt-cinq types de lames. Lors de notre visite dans
l’un des ateliers, nous avons été à même de constater quelle application
(et patience!) les jeunes artisans mettent au travail. Selon la
complexité de l’œuvre, il faut de quelques heures à quelques jours,
voire parfois des mois, pour réaliser la tâche. Pour ce faire, l’artisan
place 50 épaisseurs de papier sous le papier modèle (les filles
en placent 35), et il taille patiemment tous les contours. Règle
générale, en une journée, un artisan peut tailler deux paquets de
50 feuilles. Par la suite, le papier découpé passe dans les mains
d’un autre artisan qui applique minutieusement les couleurs sur
cinq épaisseurs de papier à la fois. Tous ces jeunes sont des gens
de l’endroit. Le papier découpé n’est peut-être pas une passion
artistique pour chacun d’entre eux, mais à les voir travailler,
on sent qu’ils sont heureux d’avoir au moins un gagne-pain dans
ce coin de terre reculé. Après une visite de ces lieux, ces papiers
délicats prennent incontestablement une tout autre valeur dans le
comptoir d’un magasin!
Reconnaissant l’importance de cette forme d’artisanat
dans la culture populaire chinoise, l’UNESCO a décerné le titre
d’« artisan des beaux-arts populaires » à l’un des artisans
les plus renommés de Yuxian : Gao Tianliang. Cet homme, qui
approche la quarantaine, a déjà plus de 2 000 thèmes à son
actif, car il s’adonne à cet art depuis sa tendre enfance. Ce qui
pour lui, au début, était une activité lui permettant de se sortir
de la pauvreté et de soutenir sa famille, est maintenant une recherche
constante de nouveaux moyens d’expression artistique. Et cette passion,
Gao la transmet maintenant à plus de cent élèves. Dans le musée
privé qu’il exploite, nos yeux sont éblouis devant la variété des
œuvres, allant des plus petites à celles de grande dimension. Par
exemple, l’Ode aux Jeux olympiques, une carte de la Chine
grand format, exécutée pour souligner la victoire de la candidature
de Beijing, a exigé le travail de six personnes pendant deux mois.
Nuanquan : une curiosité de la nature
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Le pavillon près de
la source chaude à Nuanquan. |
L’un des attraits du district de Yuxian est la
quantité de temples et de villages anciens qu’il abrite. Parmi ceux-là,
Nuanquan est probablement le village le plus particulier et le plus
ancien. Cet emplacement aurait été habité dès l’époque des Royaumes
combattants (475 -221 av. J.-C.) et aurait été un carrefour de communications
dont les principautés et les ethnies se disputaient la capture.
Sous les Ming et les Qing (1368-1911) on y a érigé diverses fortifications,
dont trois citadelles, ce qui vient encore souligner son importance
stratégique. Est-ce la source chaude qui fait le tour de la ville
et passe sous la place centrale du village qui a suscité tant de
convoitises? Probablement, car on connaît cette source depuis quelque
3000 ans! En 1833, les Qing ont fait construire un canal pour irriguer
les champs des environs, justement grâce à cette source, et les
villageois en tirent leur eau courante. Au moment de notre visite,
en plein hiver, les femmes faisaient la lessive dans l’étang Fengyuan
où, en dépit d’une température extérieure glaciale, l’eau était
tout simplement fraîche, froide aux dires de certains membres de
notre groupe.
Une autre curiosité de ce village, mais cette
fois au plan culturel, c’est une tradition tricentenaire typique
qui se tient, une fois l’an, à la fête des Lanternes (généralement
en février) : projeter du métal fondu sur la porte Nord du
village pour créer de jolis motifs.
Après avoir fait fondre de la ferraille à 1000
degrés, on verse la coulée de métal dans un grand seau, et avec
une grosse louche, on lance cette coulée sur le mur froid de la
porte Nord. Le contact du chaud avec le froid du mur fige la coulée
en des formes diverses. Selon les dires des gens de l’endroit, ce
serait l’ouvrier d’une fonderie locale qui en aurait eu l’idée,
alors qu’il se débarrassait des scories, en les lançant loin de
lui. Ces formes diverses auraient donc été à l’origine d’un divertissement
populaire fort prisé encore aujourd’hui.
Vivre le passé au quotidien
Les villages anciens des environs de Yuxian ne sont pas que des
vestiges qui attirent les archéologues et les historiens; des gens
y habitent et conservent tant bien que mal quantité de constructions
qui datent généralement des Ming et des Qing. Mais que la vie y
paraît dure, aux yeux des citadins que nous sommes, sans tous les
éléments du confort que l’on considère maintenant comme essentiels!
Par exemple, pour les quelque deux mille habitants de Songjiazhuang,
village bâti en 1372, la vie semble à mille lieues de celle des
gens de Beijing. Au détour d’une rue en terre, on y voit encore
de vieux outils de travail; bien sûr, l’architecture des corniches
et le raffinement de quelques portes ou fenêtres séduisent l’œil,
mais on ne peut oublier la lutte quotidienne pour la subsistance
qui s’y mène. Certains villageois nous ont ouvert gentiment la porte
de leur demeure : partout où nous sommes entrés, un petit poêle
chauffait, le kang (lit chauffé par-dessous) régnait en maître
et il y avait peu de choses à part l’essentiel.
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La jeune génération
foule les vieilles pierres de Xigupu. |
Xigupu, un autre de ces villages, a été choisi
comme cité du cinéma pour ses qualités architecturales. Ce village,
de l’époque de Kangxi des Qing, abrite 3000 personnes et édifie
peu à peu sa renommée depuis que sept ou huit films y ont été tournés.
Une rentrée de fonds bien accueillis par les villageois! On y trouve
aussi un temple où on vénère à la fois les divinités bouddhiques
et taoïstes. Une légende circule même sur sa construction. Selon
celle-ci, dix mendiants seraient un jour allés voir l’homme riche
du village, un dénommé Dong, pour lui demander de construire un
temple. Comme il trouvait le lieu inspirant, cet homme aurait acquiescé
à leur demande et dressé les plans du temple. Le jour de l’inauguration,
les dix mendiants seraient réapparus par hasard, mais ne seraient
jamais ressortis de ce temple : ils étaient des Immortels.
Notre tournée des villages a aussi donné lieu
à des retrouvailles. Nous nous sommes arrêtés à la résidence des
Wang, un domaine de la fin des Qing, qui possède maintes constructions,
un jardin, un cellier et même une scène de théâtre. L’ancien propriétaire,
un homme qui a aussi été un prospère commerçant de cuir à Beijing,
était l’arrière-grand-père de deux des membres de notre groupe.
Aujourd’hui, les lieux n’ont malheureusement plus la splendeur d’antan,
mais c’est toujours une lointaine cousine Wang qui y habite. Même
en Chine, le monde est petit!
Des trésors cachés
L’un des temples les plus intéressants de la région,
entre autres pour sa localisation, est le temple Zhongtaisi. Haut
juché, en plein décor de plateau de lœss, il semble une oasis de
tranquillité avec son gros cyprès qui a vu défiler bien des gens :
des gens du commun comme des vedettes de cinéma; en effet, en 1997,
certaines constructions du temple ont servi de lieu de production
cinématographique. Il faut dire, qu’en plus de ses attraits architecturaux
et religieux et de ses fresques, du haut de son pavillon, on a un
panorama superbe des environs. Ce temple s’enorgueillit d’une inscription
faite par l’empereur Daoguang.
Puis, au cœur même de Yuxian, deux constructions
méritent d’être vues de près. D’abord, une pagode de treize étages
remontant à 972. Bien conservée, elle se dresse parmi les habitations
ordinaires, et l’on doit même entrer dans la cour privée d’une maison
pour en faire le tour, comme si ces braves gens avaient décidé de
l’intégrer à leur quotidien. Finalement, avant le départ, une petite
visite au musée local nous a permis de mettre la dernière touche
à nos connaissances sur Yuxian, mais surtout d’admirer l’une de
ses salles, entièrement en bois, qui date de la dynastie des Yuan
(1279-1368). Quand on sort de cette salle, on ne peut s’empêcher
de penser à l’aspect de Yuxian autrefois, au temps où les choses
étaient conçues pour durer…
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