MAI 2004

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

Profondément « Chine »

LOUISE CADIEUX

La pagode de Yuxian qui remonte à 972.

Pour certains, Yuxian du Hebei  peut évoquer la Chine profonde, étant donné que les signes du développement économique y semblent si peu patents; mais avant tout, sa richesse principale tient à l’abondance de ses vestiges et traditions culturelles populaires, si profondément aux couleurs chinoises.

À quelque quatre heures de route de Beijing, Yuxian n’est pas encore un endroit très facilement accessible au touriste individuel qui recherche un voyage de tout repos, mais on ne peut regretter d’y être allé! Après une petite heure d’autoroute et avoir traversé le secteur montagneux où serpente un tronçon de la Grande Muraille, la route s’engage près du grand réservoir Guangting pour déboucher dans une plaine parsemée de vignobles appartenant à la société Rongcheng Huailai. Le terrain plat n’est cependant qu’une pause de courte durée, car la route entre dans un secteur où le paysage évoque celui du plateau de lœss, avec sa terre jaune creusée de ravins profonds. Trois heures plus tard, peu avant d’arriver à la ville de Yuxian proprement dite, on voit pointer le pic le plus élevé de la province du Hebei : Xiao Wutaishan avec ses plus de 2 800 mètres d’altitude. Yuxian est entourée de montagnes qui semblent protéger des intrus les « traditions » qu’elle abrite.

La ville n’a rien de très moderne : pas de gratte-ciel (les constructions les plus hautes étant une tour de télécoms et une pagode) beaucoup de maisons anciennes et des rues à l’avenant. Comme bien d’autres villes chinoises, Yuxian s’anime dès le petit matin. Dans ses rues, bicyclettes, motos et quelques voitures serpentent entre la foule grouillante des piétons et des vendeurs de toutes sortes. Dans cette ambiance aux antipodes du high-tech XXIe siècle, la ville offre toutefois des installations d’hébergement adéquates. En outre, la nourriture servie lors du séjour que j’y ai effectué, avec un groupe de quelque 60 personnes, inclut des mets locaux et savoureux, un point important pour des voyageurs qui passent leurs journées à visiter des sites, dont beaucoup sont éparpillés aux environs de la ville.

Le papier découpé, la renommée des lieux

L'Ode aux Jeux olympiques a exigé le travail de six personnes pendant deux mois.

Quel touriste en Chine ne s’est pas exclamé d’admiration devant le raffinement des découpages de fleurs, d’oiseaux, d’animaux et de personnages de toutes sortes, dans un papier extrêmement mince? Une forme d’artisanat typiquement chinois! Yuxian n’est pas le seul endroit de Chine où l’on s’y adonne, mais l’un des plus réputés. Contrairement au papier du Shanxi et du Shaanxi qui est découpé au ciseau, celui de Yuxian est effectué au découpoir, avec un choix de quelque vingt-cinq types de lames. Lors de notre visite dans l’un des ateliers, nous avons été à même de constater quelle application (et patience!) les jeunes artisans mettent au travail. Selon la complexité de l’œuvre, il faut de quelques heures à quelques jours, voire parfois des mois, pour réaliser la tâche. Pour ce faire, l’artisan place 50 épaisseurs de papier sous le papier modèle (les filles en placent 35), et il taille patiemment tous les contours. Règle générale, en une journée, un artisan peut tailler deux paquets de 50 feuilles. Par la suite, le papier découpé passe dans les mains d’un autre artisan qui applique minutieusement les couleurs sur cinq épaisseurs de papier à la fois. Tous ces jeunes sont des gens de l’endroit. Le papier découpé n’est peut-être pas une passion artistique pour chacun d’entre eux, mais à les voir travailler, on sent qu’ils sont heureux d’avoir au moins un gagne-pain dans ce coin de terre reculé. Après une visite de ces lieux, ces papiers délicats prennent incontestablement une tout autre valeur dans le comptoir d’un magasin!

Reconnaissant l’importance de cette forme d’artisanat dans la culture populaire chinoise, l’UNESCO a décerné le titre d’« artisan des beaux-arts populaires » à l’un des artisans les plus renommés de Yuxian : Gao Tianliang. Cet homme, qui approche la quarantaine, a déjà plus de 2 000 thèmes à son actif, car il s’adonne à cet art depuis sa tendre enfance. Ce qui pour lui, au début, était une activité lui permettant de se sortir de la pauvreté et de soutenir sa famille, est maintenant une recherche constante de nouveaux moyens d’expression artistique. Et cette passion, Gao la transmet maintenant à plus de cent élèves. Dans le musée privé qu’il exploite, nos yeux sont éblouis devant la variété des œuvres, allant des plus petites à celles de grande dimension. Par exemple, l’Ode aux Jeux olympiques, une carte de la Chine grand format, exécutée pour souligner la victoire de la candidature de Beijing, a exigé le travail de six personnes pendant deux mois.

Nuanquan : une curiosité de la nature

Le pavillon près de la source chaude à Nuanquan.

L’un des attraits du district de Yuxian est la quantité de temples et de villages anciens qu’il abrite. Parmi ceux-là, Nuanquan est probablement le village le plus particulier et le plus ancien. Cet emplacement aurait été habité dès l’époque des Royaumes combattants (475 -221 av. J.-C.) et aurait été un carrefour de communications dont les principautés et les ethnies se disputaient la capture. Sous les Ming et les Qing (1368-1911) on y a érigé diverses fortifications, dont trois citadelles, ce qui vient encore souligner son importance stratégique. Est-ce la source chaude qui fait le tour de la ville et passe sous la place centrale du village qui a suscité tant de convoitises? Probablement, car on connaît cette source depuis quelque 3000 ans! En 1833, les Qing ont fait construire un canal pour irriguer les champs des environs, justement grâce à cette source, et les villageois en tirent leur eau courante. Au moment de notre visite, en plein hiver, les femmes faisaient la lessive dans l’étang Fengyuan où, en dépit d’une température extérieure glaciale, l’eau était tout simplement fraîche, froide aux dires de certains membres de notre groupe.

Une autre curiosité de ce village, mais cette fois au plan culturel, c’est une tradition tricentenaire typique qui se tient, une fois l’an, à la fête des Lanternes (généralement en février) : projeter du métal fondu sur la porte Nord du village pour créer de jolis motifs.

Après avoir fait fondre de la ferraille à 1000 degrés, on verse la coulée de métal dans un grand seau, et avec une grosse louche, on lance cette coulée sur le mur froid de la porte Nord. Le contact du chaud avec le froid du mur fige la coulée en des formes diverses. Selon les dires des gens de l’endroit, ce serait l’ouvrier d’une fonderie locale qui en aurait eu l’idée, alors qu’il se débarrassait des scories, en les lançant loin de lui. Ces formes diverses auraient donc été à l’origine d’un divertissement populaire fort prisé encore aujourd’hui.

Vivre le passé au quotidien

Les villages anciens des environs de Yuxian ne sont pas que des vestiges qui attirent les archéologues et les historiens; des gens y habitent et conservent tant bien que mal quantité de constructions qui datent généralement des Ming et des Qing. Mais que la vie y paraît dure, aux yeux des citadins que nous sommes, sans tous les éléments du confort que l’on considère maintenant comme essentiels!  Par exemple, pour les quelque deux mille habitants de Songjiazhuang, village bâti en 1372, la vie semble à mille lieues de celle des gens de Beijing. Au détour d’une rue en terre, on y voit encore de vieux outils de travail; bien sûr, l’architecture des corniches et le raffinement de quelques portes ou fenêtres séduisent l’œil, mais on ne peut oublier la lutte quotidienne pour la subsistance qui s’y mène. Certains villageois nous ont ouvert gentiment la porte de leur demeure : partout où nous sommes entrés, un petit poêle chauffait, le kang (lit chauffé par-dessous) régnait en maître et il y avait peu de choses à part l’essentiel.

La jeune génération foule les vieilles pierres de Xigupu.

Xigupu, un autre de ces villages, a été choisi comme cité du cinéma pour ses qualités architecturales. Ce village, de l’époque de Kangxi des Qing, abrite 3000 personnes et édifie peu à peu sa renommée depuis que sept ou huit films y ont été tournés. Une rentrée de fonds bien accueillis par les villageois! On y trouve aussi un temple où on vénère à la fois les divinités bouddhiques et taoïstes. Une légende circule même sur sa construction. Selon celle-ci, dix mendiants seraient un jour allés voir l’homme riche du village, un dénommé Dong, pour lui demander de construire un temple. Comme il trouvait le lieu inspirant, cet homme aurait acquiescé à leur demande et dressé les plans du temple. Le jour de l’inauguration, les dix mendiants seraient réapparus par hasard, mais ne seraient jamais ressortis de ce temple : ils étaient des Immortels.

Notre tournée des villages a aussi donné lieu à des retrouvailles. Nous nous sommes arrêtés à la résidence des Wang, un domaine de la fin des Qing, qui possède maintes constructions, un jardin, un cellier et même une scène de théâtre. L’ancien propriétaire, un homme qui a aussi été un prospère commerçant de cuir à Beijing, était l’arrière-grand-père de deux des membres de notre groupe. Aujourd’hui, les lieux n’ont malheureusement plus la splendeur d’antan, mais c’est toujours une lointaine cousine Wang qui y habite. Même en Chine, le monde est petit!

Des trésors cachés

L’un des temples les plus intéressants de la région, entre autres pour sa localisation, est le temple Zhongtaisi. Haut juché, en plein décor de plateau de lœss, il semble une oasis de tranquillité avec son gros cyprès qui a vu défiler bien des gens : des gens du commun comme des vedettes de cinéma; en effet, en 1997, certaines constructions du temple ont servi de lieu de production cinématographique. Il faut dire, qu’en plus de ses attraits architecturaux et religieux et de ses fresques, du haut de son pavillon, on a un panorama superbe des environs. Ce temple s’enorgueillit d’une inscription faite par l’empereur Daoguang.

Puis, au cœur même de Yuxian, deux constructions méritent d’être vues de près. D’abord, une pagode de treize étages remontant à 972. Bien conservée, elle se dresse parmi les habitations ordinaires, et l’on doit même entrer dans la cour privée d’une maison pour en faire le tour, comme si ces braves gens avaient décidé de l’intégrer à leur quotidien. Finalement, avant le départ, une petite visite au musée local nous a permis de mettre la dernière touche à nos connaissances sur Yuxian, mais surtout d’admirer l’une de ses salles, entièrement en bois, qui date de la dynastie des Yuan (1279-1368). Quand on sort de cette salle, on ne peut s’empêcher de penser à l’aspect de Yuxian autrefois, au temps où les choses étaient conçues pour durer…