AVRIL 2004

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

On n’est pas riche d’argent seulement

LISA CARDUCCI

Lorsque j’ai fait la connaissance de Yang Jinpin, je l’ai tout de suite trouvée sympathique. J’ai continué de la fréquenter pour vérifier si ma première impression était justifiée. Et elle l’était. Yang est peut-être une femme « ordinaire », mais elle a de belles qualités humaines, dont la simplicité avec laquelle elle a accepté mon interview.

Yang Jinpin, le travail que vous faites est sans doute peu connu à l’étranger. Pouvez-vous nous en parler un peu?

Que célèbre-t-on aujourd’hui avec un tel bouquet?

Je travaille pour une compagnie d’administration, de service et d’entretien d’un complexe domiciliaire au nord-est de la capitale chinoise. Nous sommes actuellement quatre employées au bureau, toutes arrivées en même temps. Nous devons répondre aux questions et aux plaintes des résidants, et répartir le travail à faire entre les divers employés : menuisiers, plombiers, électriciens, etc. Nous percevons aussi les frais de propriété commune d’une centaine de foyers, les frais de téléphone, d’électricité; nous louons les places de stationnement, affichons les avis publics, et bien d’autres tâches, comme la comptabilité et la préparation de divers rapports.

Depuis combien de temps occupez-vous ce poste?

Seulement trois ou quatre mois. Nous sommes une nouvelle équipe nommée après la démission en bloc de nos prédécesseurs. Le gouvernement ne permet pas que les bâtiments de copropriété demeurent sans personne qui s’en occupe. Il a donc demandé immédiatement à notre compagnie d’afficher les postes.

Je crois que votre situation, comme relève, n’est pas des plus roses. J’ai entendu dire que certains propriétaires n’avaient pas encore versé les frais dus depuis plus de deux ans; d’autres en partie seulement. C’est vrai?

C’est vrai. Nous ne disposons pas de mesures de sanctions légales. La persuasion? Ce n’est pas toujours efficace. Cela est injuste pour ceux qui paient régulièrement, car tout le monde jouit des mêmes services. Quand le chauffage commence le 15 novembre, il y en a pour tous les résidants, qu’ils aient payé ou non.

J’imagine que les gens qui entrent dans votre bureau le font davantage pour rapporter des problèmes que pour vous faire des compliments. Il faut donc beaucoup de patience et de politesse.

Il faut être chaleureux et compréhensifs. Et respectueux aussi. Honnête. Aimer les gens, et désirer vraiment leur rendre service.

Il semble que vous ayez toutes ces qualités. Tout à l’heure, je vous ai entendue donner des renseignements à la dame qui voulait acheter une maison. Cela fait-il partie de votre tâche ou le faites-vous de vous-même?

Si je voulais, je pourrais lui dire : il y a un tableau à l’entrée, allez voir s’il y a des annonces qui vous intéressent. Mais j’aime rendre service. Quand c’est possible, pourquoi pas?

Quelle est la principale difficulté de votre travail?

La pression exercée par les collègues de notre nouvelle équipe et la direction.

Puis-je écrire cette réponse dans mon entrevue?

Si c’est en langue étrangère, oui; en chinois, vaut mieux pas.

Les heures de travail ne vous accablent pas? Il me semble vous voir au bureau plus souvent qu’il ne faut.

Yang Jinpin au milieu de ses collègues chez elle.

C’est vrai que je n’ai pas encore eu de congés fixes, et que je travaille souvent très tard le soir.  Mais c’est que nous ne sommes pas encore tout à fait organisées. Aussi, si je travaille plus tard que les autres, c’est qu’il y a des tâches que je peux faire et que les autres ne peuvent assumer. De plus, quand on aime ce qu’on fait, on ne ressent pas le poids des heures.

Votre compétence est due à votre expérience antérieure?

En partie. J’ai d’abord travaillé dans une étude d’architectes, puis je me suis occupée de finition-décoration de maisons. J’ai plus de vingt ans d’expérience de travail.

Je peux vous demander combien vous gagnez?

Mon salaire de base est de 600 yuans par mois (8,27 yuans = 1 USD); mais les primes, les bonis, on ne les a pas encore calculés depuis mon arrivée ici. Donc je ne connais pas encore le montant.

Comment vous sentez-vous si l’on vous expose un problème que vous ne pouvez régler?

On peut toujours régler un problème; parfois, ce n’est pas de ma compétence, mais je peux trouver la réponse auprès de la personne désignée.

Il y a vingt ans, la propriété domiciliaire privée était encore inconnue en Chine.  Quelle université vous a donc préparée à ce métier?

Nous étions huit frères et sœurs. Je suis la sixième. Chez nous, aucun n’a terminé l’université. Malgré tout, tous sont bien placés et gagnent honorablement leur vie. Et chacun s’intéresse à quelque chose comme la peinture, la musique.

Ils vivent tous à Beijing. Vous arrive-t-il souvent d’être tous réunis avec vos parents, pour la fête du Printemps par exemple?

C’est impossible! Ils ont tous des enfants; jamais autant de personnes ne peuvent être libres en même temps. Nous nous voyons par affinité, en petits regroupements.

Dans quel quartier habitez-vous?

Dans l’arrondissement Shijingshan, à la dernière station de métro au sud-ouest de la ville. C’est là que se trouvent les collines de l’Ouest avec leurs Huit Sites panoramiques, Badachu. L’endroit où j’habite et l’endroit où je travaille jouissent d’air frais, sans pollution.

Mais c’est à l’autre extrémité de la ville! Comment pouvez-vous aller au bureau?

Nous avons un dortoir dans le complexe domiciliaire où je travaille. Cela fait partie de notre contrat. Nos repas aussi coûtent très peu. Je retourne à la maison une fois par semaine environ. J’ai accepté de venir ici parce que mon fils, Yang Yang, fréquente une école dans l’arrondissement Chaoyang, et ainsi quand il quitte pour le week-end, il a moins loin à parcourir pour venir me voir.

Quand il vient, lui aussi a droit à une chambre?

Oui.

Chaoyang n’est pas près de chez vous non plus. Pourquoi une école si éloignée?

D’abord, parce qu’il n’a pas réussi l’examen d’entrée de l’école locale. Son école actuelle est de bon niveau, et les frais ne sont pas trop élevés. Je suis satisfaite.

Il est au secondaire?

Oui, en première année du deuxième cycle (9e année d’études). Il n’a pas encore 15 ans. Ses résultats sont convenables. Il n’étudie pas beaucoup, vraiment, mais il est très intelligent et apprend vite. Il se débrouille bien, en somme.

Quelle orientation prévoit-il?

La politique, c’est ce qui l’intéresse le plus. Mais on ne s’y taille pas facilement une place sans argent, sans relations, sans expérience. On verra; il est encore jeune. Je lui dis souvent qu’il ne faut pas seulement penser à gagner de l’argent, mais à se rendre utile à la société et à l’humanité. Le problème avec lui, ce ne sont pas les études mais la taille. Il mesure déjà 1,95 m. Combien peut-il grandir encore?

Son père est très grand?

Non, comme moi, 1,67 m. Personne dans la famille n’est aussi grand. Nous ignorons ce qui s’est passé. Il pèse une centaine de kilos, chausse 50; il n’existe ni sandales ni pantoufles pour lui, seulement des chaussures de sport. Les vêtements, il faut les chercher! Il mange et mange, et n’en a jamais assez.

Il y a un peu plus d’un an, j’ai été malade et j’ai dû garder le lit pendant six mois. C’est quand je me suis relevée que je me suis aperçue combien il avait encore grandi. Je lui ai dit : « C’est assez, arrête! », mais je sais bien qu’il n’y peut rien.

Accepte-t-il bien d’être plus grand que ses camarades?

Un certain temps, debout ou assis, il était toujours courbé, la tête basse. Maintenant, il s’accepte mieux. Je lui dis que pour un homme, une haute taille est un avantage. Mais il existe des problèmes réels pour les personnes aussi grandes. Dans un autobus par exemple, s’il reste debout, il doit se pencher. Et s’il veut s’asseoir, il ne peut occuper que le premier siège où rien ne fait obstacle à ses genoux.

Quand vous étiez malade, votre fils s’occupait-il de vous?

Oui. Il préparait à manger. Il a été obligé d’apprendre. Mais parfois c’était brûlé, parfois c’était trop salé. Et quand c’est devenu acceptable, j’étais guérie!

Ces jolis petits singes, c’est vous qui les avez dessinés?

Oui, pour l’anniversaire de la fillette d’un de nos ouvriers. J’ai commencé à dessiner très jeune. On me demandait souvent de dessiner, dans la famille, à l’école. Quand j’ai commencé à travailler, je n’avais plus le temps, et j’ai tout abandonné. Mais bientôt, mon fils n’aura plus besoin de moi une fois qu’il sera entré à l’université. J’aimerais me remettre à dessiner. Prendre le temps de m’asseoir, de lire, de cultiver des fleurs. Je n’ai pas touché un livre depuis que j’occupe mon nouveau poste. Quand j’ai un peu de temps, je suis trop fatiguée.

Quel genre de lectures préférez-vous?

L’histoire. Les romans historiques. Pendant mon alitement, j’ai raconté en entier le roman des Trois Royaumes à mon fils.

Vous avez d’autres talents cachés?

Des talents, non; une aptitude peut-être : je m’y connais un peu en massage. Parce que j’en ai eu besoin moi-même lorsque j’ai été malade, alors je m’y suis intéressée et j’ai appris. J’ai aussi appris l’art du maquillage. Pour moi-même d’abord; puis, parce que j’aime la beauté, j’ai commencé à donner des soins cosmétiques autour de moi. On se sent mieux quand on est jolie, pas vrai?

Le fils de Yang Jinpin à la batterie.

Yang Jinpin, si j’étais une fée qui, d’un coup de baguette magique, peut vous donner la possibilité de réaliser votre rêve le plus cher, que me demanderiez-vous? Si vous voulez, vous pouvez réfléchir et vous me donnerez la réponse plus tard.

Je peux répondre immédiatement à cette question. Si je pouvais ne plus avoir à travailler, je veux dire travailler pour gagner de l’argent, ce que j’aimerais serait de rester à la maison, de goûter la vie auprès de mon fils, et de peindre toute la journée en écoutant de la musique. Voilà mon plus grand rêve. Rien que d’en parler me fait du bien.

Yang Jinpin est une femme active, dévouée et efficace. Je lui ai demandé s’il y avait un marché aux oiseaux dans le quartier; un quart d’heure plus tard, elle me donnait la réponse par téléphone. Je lui ai demandé si elle connaissait un masseur aveugle (nouveau métier pour les personnes non voyantes), et c’est à elle que nous devrons le sujet d’une de mes prochaines entrevues.