Le Grand Théâtre national de Chine : en rupture de
style
DANIEL COGEZ
L’automne
prochain, le Grand Théâtre national de Chine ouvrira ses portes.
Pourquoi ce projet a-t-il été si contesté? Laissons parler son
concepteur et les architectes responsables..
L’architecture est incontestablement l’un des Beaux-Arts les plus éminents.
Les monuments, châteaux, belles résidences, ouvrages d’art légués
à la postérité par les différentes civilisations sont toujours
dignes de notre admiration. Et dans ce domaine, la Chine occupe
sur la scène internationale une place remarquable avec des constructions
dont la réputation n’est plus à faire comme la Cité interdite
et la Grande Muraille.
Mais un phénomène nouveau a fait son apparition au XXIe siècle :
l’échange des cultures et des savoir-faire. Au lieu d’être un
produit purement national, l’architecture se mondialise avec des
résultats parfois contestables, comme les inévitables cubes de
béton et de verre visibles dans toutes les métropoles, les gratte-ciel
démesurés défiant l’espace, mais aussi des réalisations plus originales
comme la pyramide du Louvre que l’on doit à Yeoh Ming-peï et ...
le futur Grand Théâtre national de Chine.
Cette dernière réalisation, dont le concepteur est l’architecte français renommé
Paul Andreu, est en rupture totale avec l’environnement classique
de la place Tian’anmen. Le futur Grand Théâtre, par sa forme tout
en courbes et sa structure métallique, ne s’apparente guère avec
les murs pourpres et les toits de tuiles jaunes vernissées de
la Cité interdite, ni avec les styles classiques du Musée d’histoire
nationale et de l’Assemblée populaire nationale.. Le projet présenté
par le cabinet d’architecture français a pour cette raison été
vivement contesté et conserve encore quelques détracteurs. Certains,
en voyant la maquette du Grand Théâtre,
comparent l’édifice à « un batracien prêt à bondir ».
Pour s’imposer, le cabinet d’architecture français a du vaincre
de nombreuses résistances : tout ce qui est futuriste ou
simplement d’avant-garde dérange...
Ces résistances ont dû cependant plier devant la décision souveraine du gouvernement
chinois qui a choisi de retenir le projet.
Un dôme en titane
Pour
mieux connaître ce projet, nous avons écouté les propos de François
Tamisier, l’un des architectes responsables, qui s’est exprimé
lors d’une conférence à l’Alliance française de Beijing. C’est
au terme d’une compétition serrée entre soixante équipes en lice
que le cabinet français d’architecture de Paul Andreu a réussi
à s’imposer en juillet 1999 dans ce projet de construction. Le
contrat sera exécuté entièrement sous la direction des architectes
français François Tamisier et François Carion, en collaboration
avec cinquante architectes et ingénieurs chinois. Le permis de
construire a été délivré le 6 décembre 2001 et les travaux ont
commencé dans la foulée le 13 décembre suivant.
Désormais, mille ouvriers sont à l’œuvre sept jours sur sept et 24h sur 24.
Sur une dalle de 25 000 m2 sera édifié un dôme
en titane de 220m de long, 140m de large et 65m de hauteur. Cette
structure abritera l’Opéra de Beijing, une salle de concert et
un théâtre à l’italienne. Chaque bâtiment aura sa fonction propre
et sera indépendant des autres. Au total, en une seule soirée,
six mille personnes pourront assister à trois spectacles différents.
Le bâtiment sera disposé au milieu d’un lac et l’accès principal
se fera par une galerie couverte de cent mètres de long sous ce
lac
La réalisation du gros œuvre a été judicieusement répartie entre trois équipes
de travail venant des trois « capitales » de la Chine :
Beijing, capitale politique, Shanghai, capitale économique et
Hongkong, capitale financière.
L’idée des concepteurs a consisté
à abolir les façades imposantes et à poser dans l’espace une bulle
ellipsoïde aux formes très harmonieuses. Le dôme de couleur argentée
est découpé par une verrière qui s’ouvre comme un rideau de scène.
À l’intérieur, en dehors des bâtiments destinés aux spectacles,
seront aménagées des salles d’exposition, des boutiques et des
cafétérias dans lesquelles le public pourra circuler librement.
La décoration fera appel à des matériaux typiques de la Chine,
comme le bois rouge, le marbre, le laque et les rehauts d’or.
Ce théâtre, selon la volonté de Paul Andreu, doit être porteur
de plasticité : il s’agit de réintégrer les idées de la Renaissance
et de ne pas faire de cet espace une réplique de palais des congrès.
Autour de la « bulle »,
un parc sera créé de façon à respecter l’environnement, conformément
aux vœux des autorités de la municipalité de Beijing en prévision
des Jeux Olympiques de 2008.
L’ensemble des travaux devrait être achevé à la fin de l'année prochaine,
vraisemblablement pour la fête nationale le 1er octobre.
Les concepteurs s’efforceront de rester dans les limites assignées
dans l’enveloppe initiale, soit 2 milliards 680 millions de yuans.
Un grand maître de l’architecture moderne
Pour
bien connaître les motivations des concepteurs, il faut se référer
à l’interview accordée par Paul Andreu à Yu Xi, grand reporter
au Quotidien du Changjiang, et paru dans l’ouvrage « Traits
d’union culturels France-Chine » (Beijing 2003).
L’architecte Paul Andreu s’est révélé très vite comme l’un des meilleurs concepteurs
de l’époque contemporaine. Âgé de 29 ans seulement, il fut chargé
de réaliser le nouvel aéroport Roissy-Charles-De-Gaulle qui a
été inauguré en 1974 après huit ans de travaux. Cette réalisation
absolument moderniste a servi de modèle pour d’autres aéroports
dans le monde. Les passagers en partance ou à l’arrivée ont toujours
l’impression de vivre dans un autre monde en circulant à l’intérieur
de l’aéroport. C’est tout naturellement à Paul Andreu qu’a été
confié la conception du nouvel aéroport chinois de Pudong à Shanghai :
les formes galbées du toit et l’agencement intérieur suscitent
là aussi l’admiration des spécialistes.
Au sujet du projet du Grand Théâtre national de Chine, Paul Andreu s’est expliqué
en ces termes : « J’estime que le contraste frappant
de style peut refléter clairement les progrès de l’époque. On
dit que les nouveaux édifices à côté de la Cité interdite doivent
garder un style traditionnel et classique... Alors pourquoi la
pyramide en verre du Louvre conçue par Yeoh Ming Peï, célèbre
architecte d’origine chinoise, est-elle si bien accueillie? »
Et Paul Andreu de rappeler que ce projet avait provoqué en son
temps bien des polémiques et que certains n’hésitaient pas à le
qualifier de « Lunapark à la mode Disney!!! Aujourd’hui,
les mauvaises langues se sont tues et la grande majorité des visiteurs
restent étonnés par la beauté et l’élégance de la « pyramide »
du Louvre qui s’enchâsse parfaitement au milieu de très vieux
murs datant du XVIe siècle.
En ce qui concerne son projet, Paul Andreu le décrit comme « une coquille
d’oeuf qui contient la vie ».. En effet, c’est le but de
ce théâtre à multifonctions : « J’ai essayé de transformer
le théâtre en une communauté théâtrale. Ce n’est pas un grand
théâtre constitué par trois petits. Il pourra être ouvert à tout
le monde. Par conséquent, j’ai conçu deux passages : l’un
pour les spectateurs et l’autre pour le public. On viendra sur
la plate-forme en traversant un passage souterrain, et on montera
sur la haute terrasse pour admirer à cœur joie non seulement les
paysages à la surface des plans d’eau du lac d’alentour, mais
aussi voir les paysages à l’intérieur de la Cité interdite. J’ai
aussi pensé à des espaces permettant d’organiser différentes expositions
artistiques et des activités culturelles. Ce mode de conception
permettra d’attirer le plus grand nombre de gens impressionnés
par la culture chinoise.
Enfin, j’ai conçu une forme de « coquille » qui pourra recouvrir
toute cette vitalité. Et cette coquille flottera sur l’eau. Quand
l’on entre dans ce théâtre, on aura l’impression de pénétrer dans
un monde de rêve... J’ai aussi ébauché un long passage à partir
de l’extérieur pour éviter les sensations brutales aux spectateurs.
Mon projet a insisté sur le contraste et l’équilibre. La coquille est une
structure très simple; elle fait un contraste frappant avec les
édifices anciens des alentours. Mais elle garde toujours un effet
d’écho ».
Du 20 septembre au 6 octobre 2004 se déroulera à Beijing la première grande
biennale d’architecture dans le Centre d’architecture de Chine,
rue Sanlihe, arrondissement Xicheng. Elle comportera huit expositions
d’une surface de 57000 m2, huit forums réunissant
10 000 spécialistes venus du monde entier, et deux millions de
visiteurs sont attendus.
Les participants à cette biennale seront certainement parmi les premiers à
visiter la « coquille » du Grand Théâtre National posée
par Paul Andreu au cœur de la capitale chinoise.