AVRIL 2004

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

Le Grand Théâtre national de Chine : en rupture de style

DANIEL COGEZ

L’automne prochain, le Grand Théâtre national de Chine ouvrira ses portes. Pourquoi ce projet a-t-il été si contesté? Laissons parler son concepteur et les architectes responsables..

L’architecture est incontestablement l’un des Beaux-Arts les plus éminents. Les monuments, châteaux, belles résidences, ouvrages d’art légués à la postérité par les différentes civilisations sont toujours dignes de notre admiration. Et dans ce domaine, la Chine occupe sur la scène internationale une place remarquable avec des constructions dont la réputation n’est plus à faire comme la Cité interdite et la Grande Muraille.

Mais un phénomène nouveau a fait son apparition au XXIe siècle : l’échange des cultures et des savoir-faire. Au lieu d’être un produit purement national, l’architecture se mondialise avec des résultats parfois contestables, comme les inévitables cubes de béton et de verre visibles dans toutes les métropoles, les gratte-ciel démesurés défiant l’espace, mais aussi des réalisations plus originales comme la pyramide du Louvre que l’on doit à Yeoh Ming-peï et ... le futur Grand Théâtre national de Chine.

Cette dernière réalisation, dont le concepteur est l’architecte français renommé Paul Andreu, est en rupture totale avec l’environnement classique de la place Tian’anmen. Le futur Grand Théâtre, par sa forme tout en courbes et sa structure métallique, ne s’apparente guère avec les murs pourpres et les toits de tuiles jaunes vernissées de la Cité interdite, ni avec les styles classiques du Musée d’histoire nationale et de l’Assemblée populaire nationale.. Le projet présenté par le cabinet d’architecture français a pour cette raison été vivement contesté et conserve encore quelques détracteurs. Certains, en voyant la maquette du Grand Théâtre,  comparent l’édifice à « un batracien prêt à bondir ». Pour s’imposer, le cabinet d’architecture français a du vaincre de nombreuses résistances : tout ce qui est futuriste ou simplement d’avant-garde dérange...

Ces résistances ont dû cependant plier devant la décision souveraine du gouvernement chinois qui a choisi de retenir le projet.

Un dôme en titane

Pour mieux connaître ce projet, nous avons écouté les propos de François Tamisier, l’un des architectes responsables, qui s’est exprimé lors d’une conférence à l’Alliance française de Beijing. C’est au terme d’une compétition serrée entre soixante équipes en lice que le cabinet français d’architecture de Paul Andreu a réussi à s’imposer en juillet 1999 dans ce projet de construction. Le contrat sera exécuté entièrement sous la direction des architectes français François Tamisier et François Carion, en collaboration avec cinquante architectes et ingénieurs chinois. Le permis de construire a été délivré le 6 décembre 2001 et les travaux ont commencé dans la foulée le 13 décembre suivant.

Désormais, mille ouvriers sont à l’œuvre sept jours sur sept et 24h sur 24. Sur une dalle de 25 000 m2 sera édifié un dôme en titane de 220m de long, 140m de large et 65m de hauteur. Cette structure abritera l’Opéra de Beijing, une salle de concert et un théâtre à l’italienne. Chaque bâtiment aura sa fonction propre et sera indépendant des autres. Au total, en une seule soirée, six mille personnes pourront assister à trois spectacles différents. Le bâtiment sera disposé au milieu d’un lac et l’accès principal se fera par une galerie couverte de cent mètres de long sous ce lac

La réalisation du gros œuvre a été judicieusement répartie entre trois équipes de travail venant des trois « capitales » de la Chine : Beijing, capitale politique, Shanghai, capitale économique et Hongkong, capitale financière.

 L’idée des concepteurs a consisté à abolir les façades imposantes et à poser dans l’espace une bulle ellipsoïde aux formes très harmonieuses. Le dôme de couleur argentée est découpé par une verrière qui s’ouvre comme un rideau de scène. À l’intérieur, en dehors des bâtiments destinés aux spectacles, seront aménagées des salles d’exposition, des boutiques et des cafétérias dans lesquelles le public pourra circuler librement. La décoration fera appel à des matériaux typiques de la Chine, comme le bois rouge, le marbre, le laque et les rehauts d’or. Ce théâtre, selon la volonté de Paul Andreu, doit être porteur de plasticité : il s’agit de réintégrer les idées de la Renaissance et de ne pas faire de cet espace une réplique de palais des congrès.

 Autour de la « bulle », un parc sera créé de façon à respecter l’environnement, conformément aux vœux des autorités de la municipalité de Beijing en prévision des Jeux Olympiques de 2008.

L’ensemble des travaux devrait être achevé à la fin de l'année prochaine, vraisemblablement pour la fête nationale le 1er octobre. Les concepteurs s’efforceront de rester dans les limites assignées dans l’enveloppe initiale, soit 2 milliards 680 millions de yuans.

Un grand maître de l’architecture moderne

Pour bien connaître les motivations des concepteurs, il faut se référer à l’interview accordée par Paul Andreu à Yu Xi, grand reporter au Quotidien du Changjiang, et paru dans l’ouvrage « Traits d’union culturels France-Chine » (Beijing 2003).

L’architecte Paul Andreu s’est révélé très vite comme l’un des meilleurs concepteurs de l’époque contemporaine. Âgé de 29 ans seulement, il fut chargé de réaliser le nouvel aéroport Roissy-Charles-De-Gaulle qui a été inauguré en 1974 après huit ans de travaux. Cette réalisation absolument moderniste a servi de modèle pour d’autres aéroports dans le monde. Les passagers en partance ou à l’arrivée ont toujours l’impression de vivre dans un autre monde en circulant à l’intérieur de l’aéroport. C’est tout naturellement à Paul Andreu qu’a été confié la conception du nouvel aéroport chinois de Pudong à Shanghai : les formes galbées du toit et l’agencement intérieur suscitent là aussi l’admiration des spécialistes.

Au sujet du projet du Grand Théâtre national de Chine, Paul Andreu s’est expliqué en ces termes : « J’estime que le contraste frappant de style peut refléter clairement les progrès de l’époque. On dit que les nouveaux édifices à côté de la Cité interdite doivent garder un style traditionnel et classique... Alors pourquoi la pyramide en verre du Louvre conçue par Yeoh Ming Peï, célèbre architecte d’origine chinoise, est-elle si bien accueillie? » Et Paul Andreu de rappeler que ce projet avait provoqué en son temps bien des polémiques et que certains n’hésitaient pas à le qualifier de « Lunapark à la mode Disney!!! Aujourd’hui, les mauvaises langues se sont tues et la grande majorité des visiteurs restent étonnés par la beauté et l’élégance de la « pyramide » du Louvre qui s’enchâsse parfaitement au milieu de très vieux murs datant du XVIe siècle.

En ce qui concerne son projet, Paul Andreu le décrit comme « une coquille d’oeuf qui contient la vie ».. En effet, c’est le but de ce théâtre à multifonctions : « J’ai essayé de transformer le théâtre en une communauté théâtrale. Ce n’est pas un grand théâtre constitué par trois petits. Il pourra être ouvert à tout le monde. Par conséquent, j’ai conçu deux passages : l’un pour les spectateurs et l’autre pour le public. On viendra sur la plate-forme en traversant un passage souterrain, et on montera sur la haute terrasse pour admirer à cœur joie non seulement les paysages à la surface des plans d’eau du lac d’alentour, mais aussi voir les paysages à l’intérieur de la Cité interdite. J’ai aussi pensé à des espaces permettant d’organiser différentes expositions artistiques et des activités culturelles. Ce mode de conception permettra d’attirer le plus grand nombre de gens impressionnés par la culture chinoise.

Enfin, j’ai conçu une forme de « coquille » qui pourra recouvrir toute cette vitalité. Et cette coquille flottera sur l’eau. Quand l’on entre dans ce théâtre, on aura l’impression de pénétrer dans un monde de rêve... J’ai aussi ébauché un long passage à partir de l’extérieur pour éviter les sensations brutales aux spectateurs.

Mon projet a insisté sur le contraste et l’équilibre. La coquille est une structure très simple; elle fait un contraste frappant avec les édifices anciens des alentours. Mais elle garde toujours un effet d’écho ».

Du 20 septembre au 6 octobre 2004 se déroulera à Beijing la première grande biennale d’architecture dans le Centre d’architecture de Chine, rue Sanlihe, arrondissement Xicheng. Elle comportera huit expositions d’une surface de 57000 m2, huit forums réunissant 10 000 spécialistes venus du monde entier, et deux millions de visiteurs sont attendus.

Les participants à cette biennale seront certainement parmi les premiers à visiter la « coquille » du Grand Théâtre National posée par Paul Andreu au cœur de la capitale chinoise.