Le
thé n’a jamais laissé froid
HUO JIANYING
Ce n’est pas toutes les boissons qui peuvent se targuer d’avoir inspiré
tant de sentiments et influencé profondément la vie des gens.
Le thé est de celle-là.
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Théière pourpre en terre cuite. |
En 1795, après avoir régné durant 60 ans, l’empereur
Qianlong des Qing (1644-1911) décida de céder le pouvoir à son
fils. Des mandarins déclarèrent
alors unanimement : « L’État ne doit pas se trouver
sans souverain, ne serait-ce qu’un seul jour! » L’empereur
Qianlong prit alors sa tasse de thé et déclara : « Le
souverain ne peut manquer de thé, ne serait-ce qu’un seul jour! »
En réalité, Qianlong expliquait sa longévité par l’importance
qu’il accordait au thé. Décédé
à quatre-vingt-huit ans, Qianlong est passé à l'histoire comme
ayant eu une longue vie. Quelqu’un
a même prétendu que sa longévité aurait été due au fait d'avoir
souvent bu du thé.
Donner au thé une place impériale
L’empereur Qianlong aimait beaucoup les voyages,
dont visiter la pittoresque Chine du Sud. Il s'y rendit en tournée d’inspection à six
reprises, dont quatre fois à Hangzhou, région productrice de thé. Ayant bien observé des théiers, il connaissait
la culture, la cueillette et la préparation du thé. S’introduisant souvent dans la vie des cultivateurs,
il adorait goûter le thé, surtout le Longjing de bonne
qualité. Plus tard, il
composa quatre poèmes pour glorifier ce thé.
Au pic Shizi se trouve un temple bouddhique
devant lequel poussent dix-huit théiers.
Un jour, l’empereur Qianlong décida de goûter certaines
de leurs feuilles bien infusées.
Dès lors, il considéra ces arbres comme les théiers impériaux
et demanda aux habitants locaux d'approvisionner l’empereur en
feuilles de thé chaque année. Depuis ce temps, cette boisson est
connue comme le thé Longjing au parfum délicat. Le pic Shizi est aujourd’hui un site
touristique célèbre. Grâce
à sa haute qualité, le thé Junshan Yinzhen du Hunan jouit
également de cette très bonne réputation.
Par ailleurs, l’empereur Qianlong a aussi donné le nom
Dahongpao au thé du Fujian et le nom Tieguanyin
au thé Wulong de son district d’Anxi.
Ces deux marques réputées sont encore vendues aujourd’hui.
Une marque de politesse de l’époque de Qianlong
est également très courante maintenant. Lorsque le maître offrait ou remplissait une tasse de thé à un hôte
distingué, l’hôte devait frapper légèrement la table avec son
majeur et son index pour signifier ses remerciements au maître. En effet, au cours d’une tournée d’inspection du Sud, l’empereur
Qianlong et sa suite s'étaient déguisés pour effectuer
leurs contrôles. Morts
de soif, tous entrèrent dans une maison de thé.
L’empereur Qianlong n’attendit pas le service du garçon
de thé et s'empressa de remplir la tasse de thé de ses serviteurs. Ceux-ci furent surpris de faire l’objet de
tant de faveurs et ne savaient que faire. S’ils s’agenouillaient, cela pouvait facilement trahir l’identité
de l’empereur; par contre, s'ils ne le faisaient pas, ils violaient
l’étiquette de la cour impériale.
L'un d'eux trouva alors une solution pour se tirer
d’embarras. Il avança sa main droite et frappa légèrement
la table avec son majeur et son index pour signifier ses remerciements.
L’empereur Qianlong en éprouva une satisfaction
profonde. C'est ainsi
que naquit ce geste de remerciement, encore en usage.
En tant qu’expert dégustateur de thé, l’empereur
Qianlong connaissait bien le lien entre l’eau et le thé. Les anciens disaient : « Pour préparer
le thé, il faut infuser les feuilles dans l’eau bouillante. Dans
ce cas, la qualité de l’eau joue toujours un rôle important, car
l’expérience montre qu’une eau de bonne qualité avec un thé de
moindre qualité permet d’obtenir une bonne boisson chaude; dans les autres cas, la qualité
de la boisson préparée sera au moins aussi bonne. » Les faits
ont confirmé cette théorie.
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Nouveau thé Longjing. |
D’après
certains documents historiques, l’empereur Qianlong donna ordre de fabriquer
un récipient en argent (hydromètre rudimentaire) pour mesurer
le poids spécifique de l’eau de source, car le poids de l’eau
est un indice de sa qualité. D’après les
mesures de l’empereur Qianlong, le poids de l’eau de la colline
Yuquan de Beijing était le plus faible; cette eau était donc la
meilleure. Pour relater ce procédé de mesure de la qualité de l’eau, l’empereur Qianlong avait rédigé un article intitulé La
colline Yuquan, première source du pays.
Au
cours du processus de mesure de l’eau, l’empereur Qianlong s’aperçut
que le poids de la neige fondue et celui de la rosée étaient
moins élevés que celui de l’eau de source de la colline
Yuquan. Par contre, la neige tombe rarement à gros flocons et elle est moins
propre que la rosée. À
cause de cela, l’empereur Qianlong choisissait aussi des
rosées estivales et automnales pour préparer du thé.
Un poème intitulé Infuser du thé avec la rosée
recueillie sur des feuilles de lotus fut composé par
l’empereur Qianlong dans le jardin impérial nommé « Hameau
de villégiature de Chengde ». Chaque année, pour fuir la
chaleur, l’empereur y passait la période de mai à septembre pour
traiter les affaires du gouvernement.
Dans un poème, il écrivit : « Sur un lac immense
d’eau limpide, l’air est chargé du parfum suave des fleurs de
lotus; sur ces feuilles, la rosée du matin est justement l’eau
qu'il faut pour préparer le thé. »
Après
avoir abdiqué, l’empereur Qianlong vécut ses dernières années
à déguster du thé dans le pavillon Jingqingzai du parc
Beihai de Beijing.
Adorer
le thé… mais délaisser les affaires de l’État
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Préparation du thé à l’époque des Song (960-1127)
exposée dans un musée. |
Zhao Ji (1082-1135), l’empereur Huizong (1100-1125)
de la dynastie des Song (960-1127), est un personnage historique
controversé. Il devint
empereur par une erreur historique.
Zhao Ji était le frère cadet de l’empereur Zhezong
(1085-1100) qui n’avait pas de fils. C’est ainsi qu’à la mort de ce dernier,
le trône fut cédé à Zhao Ji.
N'ayant pas l’esprit préparé à gouverner et manquant d’intérêt
pour le trône, Zhao Ji utilisa l’autorité impériale pour satisfaire
ses goûts artistiques.
Certains prétendent que Zhao Ji était né artiste
et qu’il était exceptionnellement doué. Il aimait passionnément les poèmes en vers inégaux, les inscriptions
sur bronze et sur stèle, les peintures et les calligraphies. Il fonda l’Académie des Beaux-Arts, collectionna
des objets d’art, exploita de jolies pierres dures et composa
des ouvrages pour exposer des objets en bronze, des peintures
et des calligraphies. En
2002, son ouvrage Des animaux rares rapporta 25,3
millions de yuans (3,04 millions de dollars US) lors d'une vente
aux enchères.
Par ailleurs, Zhao Ji fit aussi des analyses
sur la culture du thé. Essai
sur le thé, la seule monographie de l’empereur Huizong, fut
composée en 1107. Ses
vingt textes ont répertorié les lieux de production, les modes
de cueillette et de préparation du thé, les services à thé, les
qualités du thé et de l’eau, ainsi que la qualité comparée de
différents thés au moyen de tests publics bien détaillés.
Par exemple, un article intitulé Cueillette
du thé raconte que l'on doit cueillir le thé à l’aube et arrêter
au lever du soleil. Pour
éviter que le thé ne soit souillé par la sueur de la main, la
cueillette doit se faire avec deux ongles. En ce qui concerne
la qualité de l’eau, Zhao Ji estimait que l’eau de source
est de première qualité, l’eau de puits, de seconde qualité, et
l’eau de rivière, de qualité inférieure. Il a aussi écrit que le broyage du thé doit se faire avec une roue
et une auge d’argent, et que les services à thé doivent être composés
de récipients de couleur noire et de dimension standard.
La comparaison de la qualité de différents thés
par des tests publics était une activité bien en vogue à l’époque
des Song. Tous, de l’empereur
jusqu'aux gens du commun, se passionnaient pour l'activité de
comparaison des modes de préparation du thé, des services à thé
et des qualités du thé et de l’eau. Cette activité se déroulait ainsi :
trois ou cinq amis s’asseyaient dans une salle ou une cour pour
apprécier la préparation du thé, les qualités de l’eau et le bon
goût du thé, de même que sa couleur standard et l’exquise délicatesse
de son parfum.
L’empereur Huizong était d’une habileté rare
à cette activité. On disait
qu’il remuait son thé avec un ustensile en forme de brosse qui
faisait des ondulations intéressantes.
Au cours de ces activités, l’empereur Huizong se mettait
toujours en vedette et remportait la victoire, alors que dans
le traitement des affaires du gouvernement, ses idées étaient
confuses. Son pouvoir
tomba donc entre les mains des autres.
Quand les indésirables étaient au pouvoir, les braves gens
souffraient. Ainsi, l’État vivait des troubles internes
et était menacé d’invasions étrangères.
Plus tard, la décadence de la dynastie des Song permit
à Zhao Ji de céder sa place à son fils aîné et de donner libre
cours à sa passion pour les arts.
Deux ans plus tard, il fut fait prisonnier et mourut sans
sépulture le jour même où la ville tomba aux mains de l’ennemi.
Bien que des historiens le considèrent comme
un souverain stupide et dépravé, il faut reconnaître
qu'il a joué tout de même un rôle important dans le développement
artistique et culturel de la Chine antique.
Son ouvrage Essai sur le thé en a fait un personnage
de l’histoire de la culture du thé chinois.
Cet essai est plutôt une monographie qu’un manuel historique.
Bien que l'on ne puisse pas dire que sa passion pour le
thé ait porté préjudice à l’État, il est quand même difficile
d'admirer autant ses sentiments envers cette boisson.
Les
vertus du thé
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Réapparition de l’art traditionnel du
thé. |
Le thé est l'un des
types de boissons délicieuses et bonnes pour la santé. Li Shizhen (1518-1593), pharmacien de la dynastie
des Ming (1368-1644), a écrit dans son livre Les catégories
de Pencao que le thé est une plante qui peut réduire la chaleur
de l’organisme et le fortifier, de même que prévenir et traiter
des maladies. Récemment, des hommes de science chinois et
étrangers ont confirmé par des recherches les fonctions antitoxiques
et anticancéreuses du thé. Mais
même à l’époque de Li, il
y avait de plus en plus de personnes qui aimaient prendre du thé,
surtout des hommes renommés. Sur des théiers, des poèmes gravés
relatent les vertus du thé : refroidir la chaleur et produire
de l’air frais sous les bras. Ces deux phases, bien qu’un peu exagérées, sont écrites dans un
style très simple.
Lu Tong (790-835), poète de la dynastie des
Tang (618-907), est un exemple de ces hommes renommés. Il était
un poète ordinaire de cette époque.
Il a écrit une centaine de poèmes, dont un sur le thé qui
a été transmis de génération en génération. Lu Tong était généreux
de nature et ne tenait pas compte des usages.
Il a surmonté d’innombrables difficultés et obstacles dans
sa carrière officielle. Ayant
pris l’habitude de boire du thé, ses amis lui envoyaient souvent
du thé renommé.
Un jour, il composa un poème pour remercier
un ami qui lui avait envoyé du thé de bonne qualité. C’est le célèbre poème Sept bols de
thé. Dans celui-ci,
il écrit : « Après avoir bu sept bols de thé nouveau,
je sens que chaque bol a joué un rôle différent:
le premier bol de thé est destiné à éclaircir ma voix;
le deuxième à chasser mes ennuis; le troisième à m’inspirer; le
quatrième à dissiper ma rancune; le cinquième à avancer sans entraves;
le sixième à devenir immortel; et le septième à produire l’air
frais sous mes bras.»
Il y a beaucoup de poèmes antiques qui font
l’éloge du thé. Maniant
l’hyperbole, tous ces poèmes ont exprimé de beaux sentiments. Cependant, la touche vivante de Lu Tong fait en sorte que ces poèmes
sont plus typiques que d’autres.
Le thé cultivé pour ses feuilles contient un
alcaloïde et fournit une boisson excitante et tonique. Beaucoup de personnes en buvaient constamment
pour cette raison. L’impératrice
Wu Zetian (624-705), concubine puis épouse de l’empereur Kaozong
des Tang, était une femme de talent.
Tous les jours, elle avait de nombreuses affaires importantes
à régler. Bien qu'elle
eut considéré le thé comme une boisson excitante, elle refusait
tout de même d'en boire, car elle estimait qu'il nuisait à la
santé. Pour éduquer ses
fonctionnaires, elle utilisait l’exemple de la consommation de
thé. Elle disait :
« Il ne faut pas s’occuper que du présent, il faut aussi
se soucier de l’avenir. » Elle comprenait bien en effet que
le thé peut, à court terme, régulariser les fonctions de l’organisme,
mais elle estimait qu’il entraînerait des dangers potentiels et
qu’il nuirait à la santé, si consommé à long terme.
Dans la vie courante, selon un dicton chinois
populaire : « Après avoir ouvert la porte, on doit prendre
contact avec sept choses : bois, riz, huile, sel, sauce de
soja, vinaigre et thé. N’est-ce
pas la confirmation que le thé est une boisson absolument nécessaire
pour la plupart des Chinois ? »