MARS 2004

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

Le thé n’a jamais laissé froid

HUO JIANYING

Ce n’est pas toutes les boissons qui peuvent se targuer d’avoir inspiré tant de sentiments et influencé profondément la vie des gens. Le thé est de celle-là.

Théière pourpre en terre cuite.

En 1795, après avoir régné durant 60 ans, l’empereur Qianlong des Qing (1644-1911) décida de céder le pouvoir à son fils.  Des mandarins déclarèrent alors unanimement : « L’État ne doit pas se trouver sans souverain, ne serait-ce qu’un seul jour! » L’empereur Qianlong prit alors sa tasse de thé et déclara : « Le souverain ne peut manquer de thé, ne serait-ce qu’un seul jour! » En réalité, Qianlong expliquait sa longévité par l’importance qu’il accordait au thé.  Décédé à quatre-vingt-huit ans, Qianlong est passé à l'histoire comme ayant eu une longue vie.  Quelqu’un a même prétendu que sa longévité aurait été due au fait d'avoir souvent bu du thé.

Donner au thé une place impériale

L’empereur Qianlong aimait beaucoup les voyages, dont visiter la pittoresque Chine du Sud.  Il s'y rendit en tournée d’inspection à six reprises, dont quatre fois à Hangzhou, région productrice de thé.  Ayant bien observé des théiers, il connaissait la culture, la cueillette et la préparation du thé.  S’introduisant souvent dans la vie des cultivateurs, il adorait goûter le thé, surtout le Longjing de bonne qualité.  Plus tard, il composa quatre poèmes pour glorifier ce thé.

Au pic Shizi se trouve un temple bouddhique devant lequel poussent dix-huit théiers.  Un jour, l’empereur Qianlong décida de goûter certaines de leurs feuilles bien infusées.  Dès lors, il considéra ces arbres comme les théiers impériaux et demanda aux habitants locaux d'approvisionner l’empereur en feuilles de thé chaque année. Depuis ce temps, cette boisson est connue comme le thé Longjing au parfum délicat.  Le pic Shizi est aujourd’hui un site touristique célèbre.  Grâce à sa haute qualité, le thé Junshan Yinzhen du Hunan jouit également de cette très bonne réputation.  Par ailleurs, l’empereur Qianlong a aussi donné le nom Dahongpao au thé du Fujian et le nom Tieguanyin au thé Wulong de son district d’Anxi.  Ces deux marques réputées sont encore vendues aujourd’hui.

Une marque de politesse de l’époque de Qianlong est également très courante maintenant.  Lorsque le maître offrait ou remplissait une tasse de thé à un hôte distingué, l’hôte devait frapper légèrement la table avec son majeur et son index pour signifier ses remerciements au maître.  En effet, au cours d’une tournée d’inspection du Sud, l’empereur Qianlong et sa suite s'étaient déguisés pour effectuer leurs contrôles.  Morts de soif, tous entrèrent dans une maison de thé.  L’empereur Qianlong n’attendit pas le service du garçon de thé et s'empressa de remplir la tasse de thé de ses serviteurs.  Ceux-ci furent surpris de faire l’objet de tant de faveurs et ne savaient que faire.  S’ils s’agenouillaient, cela pouvait facilement trahir l’identité de l’empereur; par contre, s'ils ne le faisaient pas, ils violaient l’étiquette de la cour impériale.  L'un d'eux trouva alors une solution pour se tirer d’embarras.  Il avança sa main droite et frappa légèrement la table avec son majeur et son index pour signifier ses remerciements.  L’empereur Qianlong en éprouva une satisfaction profonde.  C'est ainsi que naquit ce geste de remerciement, encore en usage.

En tant qu’expert dégustateur de thé, l’empereur Qianlong connaissait bien le lien entre l’eau et le thé.  Les anciens disaient : « Pour préparer le thé, il faut infuser les feuilles dans l’eau bouillante. Dans ce cas, la qualité de l’eau joue toujours un rôle important, car l’expérience montre qu’une eau de bonne qualité avec un thé de moindre qualité permet d’obtenir une bonne boisson chaude; dans les autres cas, la qualité de la boisson préparée sera au moins aussi bonne. » Les faits ont confirmé cette théorie.

Nouveau thé Longjing.

D’après certains documents historiques, l’empereur Qianlong donna ordre de fabriquer un récipient en argent (hydromètre rudimentaire) pour mesurer le poids spécifique de l’eau de source, car le poids de l’eau est un indice de sa qualité.  D’après les mesures de l’empereur Qianlong, le poids de l’eau de la colline Yuquan de Beijing était le plus faible; cette eau était donc la meilleure.  Pour relater ce procédé de mesure de la qualité de l’eau, l’empereur Qianlong avait rédigé un article intitulé La colline Yuquan, première source du pays.

Au cours du processus de mesure de l’eau, l’empereur Qianlong s’aperçut que le poids de la neige fondue et celui de la rosée étaient moins élevés que celui de l’eau de source de la colline Yuquan.  Par contre, la neige tombe rarement à gros flocons et elle est moins propre que la rosée.  À cause de cela, l’empereur Qianlong choisissait aussi des rosées estivales et automnales pour préparer du thé.  Un poème intitulé Infuser du thé avec la rosée recueillie sur des feuilles de lotus fut composé par l’empereur Qianlong dans le jardin impérial nommé « Hameau de villégiature de Chengde ». Chaque année, pour fuir la chaleur, l’empereur y passait la période de mai à septembre pour traiter les affaires du gouvernement.  Dans un poème, il écrivit : « Sur un lac immense d’eau limpide, l’air est chargé du parfum suave des fleurs de lotus; sur ces feuilles, la rosée du matin est justement l’eau qu'il faut pour préparer le thé. »

Après avoir abdiqué, l’empereur Qianlong vécut ses dernières années à déguster du thé dans le pavillon Jingqingzai du parc Beihai de Beijing.

Adorer le thé… mais délaisser les affaires de l’État

Préparation du thé à l’époque des Song (960-1127) exposée dans un musée.

Zhao Ji (1082-1135), l’empereur Huizong (1100-1125) de la dynastie des Song (960-1127), est un personnage historique controversé.  Il devint empereur par une erreur historique.  Zhao Ji était le frère cadet de l’empereur Zhezong (1085-1100) qui n’avait pas de fils.  C’est ainsi qu’à la mort de ce dernier, le trône fut cédé à Zhao Ji.  N'ayant pas l’esprit préparé à gouverner et manquant d’intérêt pour le trône, Zhao Ji utilisa l’autorité impériale pour satisfaire ses goûts artistiques.

Certains prétendent que Zhao Ji était né artiste et qu’il était exceptionnellement doué.  Il aimait passionnément les poèmes en vers inégaux, les inscriptions sur bronze et sur stèle, les peintures et les calligraphies.  Il fonda l’Académie des Beaux-Arts, collectionna des objets d’art, exploita de jolies pierres dures et composa des ouvrages pour exposer des objets en bronze, des peintures et des calligraphies.  En 2002, son ouvrage Des animaux rares rapporta 25,3 millions de yuans (3,04 millions de dollars US) lors d'une vente aux enchères.

Par ailleurs, Zhao Ji fit aussi des analyses sur la culture du thé.   Essai sur le thé, la seule monographie de l’empereur Huizong, fut composée en 1107.  Ses vingt textes ont répertorié les lieux de production, les modes de cueillette et de préparation du thé, les services à thé, les qualités du thé et de l’eau, ainsi que la qualité comparée de différents thés au moyen de tests publics bien détaillés.

Par exemple, un article intitulé Cueillette du thé raconte que l'on doit cueillir le thé à l’aube et arrêter au lever du soleil.  Pour éviter que le thé ne soit souillé par la sueur de la main, la cueillette doit se faire avec deux ongles. En ce qui concerne la qualité de l’eau, Zhao Ji estimait que l’eau de source est de première qualité, l’eau de puits, de seconde qualité, et l’eau de rivière, de qualité inférieure.  Il a aussi écrit que le broyage du thé doit se faire avec une roue et une auge d’argent, et que les services à thé doivent être composés de récipients de couleur noire et de dimension standard.

La comparaison de la qualité de différents thés par des tests publics était une activité bien en vogue à l’époque des Song.  Tous, de l’empereur jusqu'aux gens du commun, se passionnaient pour l'activité de comparaison des modes de préparation du thé, des services à thé et des qualités du thé et de l’eau.  Cette activité se déroulait ainsi : trois ou cinq amis s’asseyaient dans une salle ou une cour pour apprécier la préparation du thé, les qualités de l’eau et le bon goût du thé, de même que sa couleur standard et l’exquise délicatesse de son parfum. 

L’empereur Huizong était d’une habileté rare à cette activité.  On disait qu’il remuait son thé avec un ustensile en forme de brosse qui faisait des ondulations intéressantes.  Au cours de ces activités, l’empereur Huizong se mettait toujours en vedette et remportait la victoire, alors que dans le traitement des affaires du gouvernement, ses idées étaient confuses.  Son pouvoir tomba donc entre les mains des autres.  Quand les indésirables étaient au pouvoir, les braves gens souffraient.  Ainsi, l’État vivait des troubles internes et était menacé d’invasions étrangères.  Plus tard, la décadence de la dynastie des Song permit à Zhao Ji de céder sa place à son fils aîné et de donner libre cours à sa passion pour les arts.  Deux ans plus tard, il fut fait prisonnier et mourut sans sépulture le jour même où la ville tomba aux mains de l’ennemi.

Bien que des historiens le considèrent comme un souverain stupide et dépravé, il faut reconnaître qu'il a joué tout de même un rôle important dans le développement artistique et culturel de la Chine antique.  Son ouvrage Essai sur le thé en a fait un personnage de l’histoire de la culture du thé chinois.  Cet essai est plutôt une monographie qu’un manuel historique.  Bien que l'on ne puisse pas dire que sa passion pour le thé ait porté préjudice à l’État, il est quand même difficile d'admirer autant ses sentiments envers cette boisson.

Les vertus du thé

Réapparition de l’art traditionnel du thé.

Le thé est l'un des types de boissons délicieuses et bonnes pour la santé.  Li Shizhen (1518-1593), pharmacien de la dynastie des Ming (1368-1644), a écrit dans son livre Les catégories de Pencao que le thé est une plante qui peut réduire la chaleur de l’organisme et le fortifier, de même que prévenir et traiter des maladies.  Récemment, des hommes de science chinois et étrangers ont confirmé par des recherches les fonctions antitoxiques et anticancéreuses du thé.  Mais même à l’époque de Li,  il y avait de plus en plus de personnes qui aimaient prendre du thé, surtout des hommes renommés. Sur des théiers, des poèmes gravés relatent les vertus du thé : refroidir la chaleur et produire de l’air frais sous les bras.  Ces deux phases, bien qu’un peu exagérées, sont écrites dans un style très simple.

Lu Tong (790-835), poète de la dynastie des Tang (618-907), est un exemple de ces hommes renommés. Il était un poète ordinaire de cette époque.  Il a écrit une centaine de poèmes, dont un sur le thé qui a été transmis de génération en génération. Lu Tong était généreux de nature et ne tenait pas compte des usages.  Il a surmonté d’innombrables difficultés et obstacles dans sa carrière officielle.  Ayant pris l’habitude de boire du thé, ses amis lui envoyaient souvent du thé renommé.

Un jour, il composa un poème pour remercier un ami qui lui avait envoyé du thé de bonne qualité.  C’est le célèbre poème Sept bols de thé.  Dans celui-ci, il écrit : « Après avoir bu sept bols de thé nouveau, je sens que chaque bol a joué un rôle différent:  le premier bol de thé est destiné à éclaircir ma voix; le deuxième à chasser mes ennuis; le troisième à m’inspirer; le quatrième à dissiper ma rancune; le cinquième à avancer sans entraves; le sixième à devenir immortel; et le septième à produire l’air frais sous mes bras.»

Il y a beaucoup de poèmes antiques qui font l’éloge du thé.  Maniant l’hyperbole, tous ces poèmes ont exprimé de beaux sentiments.  Cependant, la touche vivante de Lu Tong fait en sorte que ces poèmes sont plus typiques que d’autres.

Le thé cultivé pour ses feuilles contient un alcaloïde et fournit une boisson excitante et tonique.  Beaucoup de personnes en buvaient constamment pour cette raison.  L’impératrice Wu Zetian (624-705), concubine puis épouse de l’empereur Kaozong des Tang, était une femme de talent.  Tous les jours, elle avait de nombreuses affaires importantes à régler.  Bien qu'elle eut considéré le thé comme une boisson excitante, elle refusait tout de même d'en boire, car elle estimait qu'il nuisait à la santé.  Pour éduquer ses fonctionnaires, elle utilisait l’exemple de la consommation de thé.  Elle disait : « Il ne faut pas s’occuper que du présent, il faut aussi se soucier de l’avenir. » Elle comprenait bien en effet que le thé peut, à court terme, régulariser les fonctions de l’organisme, mais elle estimait qu’il entraînerait des dangers potentiels et qu’il nuirait à la santé, si consommé à long terme.

Dans la vie courante, selon un dicton chinois populaire : « Après avoir ouvert la porte, on doit prendre contact avec sept choses : bois, riz, huile, sel, sauce de soja, vinaigre et thé.  N’est-ce pas la confirmation que le thé est une boisson absolument nécessaire pour la plupart des Chinois ? »