MARS 2004

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

Sommes-nous toujours sur la même longueur d'onde?

 

HUANG CAI

La France et la Chine s'attirent depuis toujours et se témoignent de bons sentiments malgré la distance qui les sépare. Mais est-ce la véritable Chine que les Français connaissent?

En cette période de l'Année de Chine en France, j'ai constaté avec beaucoup de bonheur que les Français désirent connaître un peu mieux mon pays. Dans les couloirs du métro, les affiches sur les activités culturelles chinoises attirent l'attention des Parisiens; les admirateurs des arts de l'empire du Milieu ne ratent pas les nombreuses expositions sur les thèmes aussi différents qu'intéressants; les concerts donnés par des artistes venus de Beijing, de Guangzhou ou de Xi'an reçoivent des tollés d'applaudissements. J'ai même trouvé en librairie des rayons spécialement consacrés à la littérature chinoise! À travers ces activités, les Français montrent leur vif intérêt non seulement envers la Cité interdite, mais aussi envers la Chine contemporaine et dynamique. C'est surtout cette volonté de découverte des Français qui m'a profondément impressionnée.

Mais puisque je me considère comme une observatrice attentive et critique, j'ai remarqué aussi que quelques Français semblent porter des œillères qui les empêchent de mieux connaître mon pays.

Comme les deux pays sont éloignés l'un de l'autre, la plupart des Français prennent contact avec la Chine grâce aux médias qui servent un peu de lunettes d'approche. Malheureusement, parfois, les lentilles ne sont pas très bien mises au point.

Ma ville dans le champ d'horizon

Récemment, sur une chaîne nationale française, j'ai suivi un reportage télévisé sur la Chine et celui-ci a attiré d'autant plus mon attention qu'il racontait la vie d'une famille de Chengdu, ma ville natale. Quel bonheur de revoir les bois de bambous, les retraités qui jouent au mah-jong avec leur tasse de thé à côté, les oiseaux qui chantent dans leurs petites cages en bois! Au début, j'aimais le travail du journaliste qui savait bien montrer les scènes typiques de ma ville en quelques images. Mais au fur et à mesure que se déroulait le reportage, mon admiration diminuait et je plongeais dans mes réflexions. En fait, ce reportage concernait un prisonnier chinois qui, selon le journaliste, avait été emprisonné à cause de propos inconvenants diffusés dans lnternet. Le journaliste ne nous a pas expliqué ce qui s'était passé exactement, et moi, je ne pouvais rien conclure, puisque je ne connaissais pas cette affaire. Par contre, la caméra s'attardait sur l'épouse et le fils du malheureux détenu, tous les deux rejetés par la société ; selon ce reportage, la femme de cet homme avait perdu son travail et son fils avait été expulsé de l'école, et aucun autre établissement ne voulait l'admettre. Quel " désespoir " ! Avec ses gros plans sur la main de la mère qui caressait la tête de l'enfant, le journaliste nous a montré des images émouvantes qui faisaient monter des larmes aux yeux! Si j'avais été une Française, comme la plupart des spectateurs devant l'écran, j'aurais sûrement été bouleversée par ces images qui montraient l'enfant, dans les bras de sa mère, lisant une lettre qu'il avait écrite à son père. Mais je suis Chinoise, je connais la Chine et je comprends le chinois… Je me suis aperçue que ce pauvre petit portait l'uniforme de son école et qu'il racontait dans sa lettre avoir obtenu de bonnes notes. Une contradiction entre ce que l'enfant disait et l'interprétation du journaliste. Un paradoxe du reportage qui prônait la liberté d'expression, mais qui me semblait dénaturer les faits. Et malheureusement, cet exemple n'est pas le seul.

Le Tibet, un grand favori

Je me rappelle d'un autre reportage sur la Chine, sur le Tibet cette fois, une terre encore plus mystérieuse et plus attirante pour les Français. À l'écran, des petits écoliers tibétains lisaient des textes à haute voix, une scène de tous les jours qui se passe dans toutes les écoles du monde. La voix du narrateur, pleine d'émotion, disait que ces petits étaient obligés d'apprendre le mandarin, tandis que l'enseignement du tibétain, leur langue maternelle, était interdit. Voilà une interprétation qui tentait de dénoncer la " colonisation culturelle " des Han au Tibet. Mais très ironiquement, les manuels que tenaient les écoliers étaient en tibétain, au lieu d'être en chinois comme le disait le journaliste! L'image démentait ce que le journaliste voulait faire croire aux spectateurs français qui, pour la plupart, ne pouvaient pas distinguer les caractères chinois des signes tibétains.

Aujourd'hui, en dépit de la distance géographique qui s'efface devant le progrès technique des communications et de l'ouverture de la Chine au monde, la découverte réciproque ne se fait pas du jour au lendemain. La Chine est loin d'être parfaite, mais à mon sens, ces deux reportages empêchaient les Français de découvrir la situation réelle. Bien que les contacts directs se soient multipliés entre les deux pays, le rôle des médias reste essentiel à la connaissance et à la compréhension mutuelle. Ces deux exemples, évidemment des cas particuliers, sont toutefois révélateurs d'une logique de réflexion de certains journalistes. Au lieu d'établir leur thèse à partir des faits, ils font l'inverse : ils instrumentalisent les images pour illustrer leurs idées préconçues. Mais le plus désolant, c'est que les journalistes ont le privilège d'être sur place et qu'ils jouissent d'une crédibilité importante auprès du public sur ce qui se passe dans un pays lointain comme la Chine.

Qu'en disent mes amis français?

À ce sujet, j'ai eu des discussions avec mes amis français. Beaucoup d'entre eux se montrent indignés d'être en quelque sorte trompés par des informations manipulées, surtout sur des questions délicates. D'après leurs dires, certains journalistes dénaturent les faits pour que les informations correspondent aux attentes du public. Mais quelles attentes ? Une conversation que j'ai eue avec un jeune Français a éclairci ce point. Étudiant d'une grande école prestigieuse, épris des arts asiatiques, cet ami est très intéressé par les informations sur la Chine. N'empêche que sur le type d'interprétations de certains journalistes, il a une attitude ambigüe. Selon son point de vue, dans le reportage concernant le détenu, les contradictions entre ce que dit le petit sur ses résultats scolaires et les propos qu'a tenus le journaliste sur les écoles chinoises qui, d'après lui, refusent d'admettre l'enfant ne sont que des détails négligeables; ces détails ne doivent pas obnubiler l'idée principale que les reportages entendent montrer : les défaillances du système chinois. Même chose pour le reportage sur le Tibet.

À mon avis, la Chine est loin d'être parfaite, des commentaires pertinents venant de l'extérieur l'aident à progresser. Mais sans m'engager dans un débat sur ce thème, j'ai finalement compris que les " attentes du public " que ces journalistes prétendaient viser, n'étaient que les clichés obsolètes et partiaux sur la Chine qui perdurent dans l'esprit de certains Français. Ces préjugés sont si forts que ces gens n'acceptent pas de les contester; ils attendent plutôt que des informations viennent les renforcer, sans souci sur l'authenticité des faits. Avoir des idées qui correspondent plus ou moins à la réalité ne me semble pas dramatique, pourvu que l'on ne s'obstine pas à les conserver indéfiniment. Le refus d'ouvrir les yeux, la fermeture, la sclérose de l'esprit me semblent plus dangereux, plus inquiétants que les préjugés eux-mêmes.

Évidemment, les idées de cet ami ne représentent que celles d'un certain nombre de Français. Je le constate tous les jours. Cependant, l'éternelle volonté d'approfondir la compréhension mutuelle et l'amitié me demande de tirer la sonnette d'alarme. L'immensité, la diversité, la particularité de la Chine font que sa découverte n'est guère facile, d'autant plus que ce pays évolue aujourd'hui à un rythme extraordinaire. Pourquoi ne pas éviter les pièges de la simplification, de la partialité, des préjugés ? Pour apprivoiser ce pays géant, il faut un esprit ouvert. Nous, les Chinois, avons besoin de progresser avec le temps; et pour vous, amis français, nous souhaitons voir disparaître les idées démodées et figées. En ouvrant bienles yeux , chacun peut découvrir les surprises que lui réserve l'autre!