Sommes-nous toujours sur
la même longueur d'onde?
HUANG CAI
La
France et la Chine s'attirent depuis toujours et se témoignent
de bons sentiments malgré la distance qui les sépare.
Mais est-ce la véritable Chine que les Français connaissent?
En
cette période de l'Année de Chine en France, j'ai
constaté avec beaucoup de bonheur que les Français
désirent connaître un peu mieux mon pays. Dans les
couloirs du métro, les affiches sur les activités
culturelles chinoises attirent l'attention des Parisiens; les admirateurs
des arts de l'empire du Milieu ne ratent pas les nombreuses expositions
sur les thèmes aussi différents qu'intéressants;
les concerts donnés par des artistes venus de Beijing, de
Guangzhou ou de Xi'an reçoivent des tollés d'applaudissements.
J'ai même trouvé en librairie des rayons spécialement
consacrés à la littérature chinoise! À
travers ces activités, les Français montrent leur
vif intérêt non seulement envers la Cité interdite,
mais aussi envers la Chine contemporaine et dynamique. C'est surtout
cette volonté de découverte des Français qui
m'a profondément impressionnée.
Mais
puisque je me considère comme une observatrice attentive
et critique, j'ai remarqué aussi que quelques Français
semblent porter des illères qui les empêchent
de mieux connaître mon pays.
Comme
les deux pays sont éloignés l'un de l'autre, la plupart
des Français prennent contact avec la Chine grâce aux
médias qui servent un peu de lunettes d'approche. Malheureusement,
parfois, les lentilles ne sont pas très bien mises au point.
Ma
ville dans le champ d'horizon
Récemment,
sur une chaîne nationale française, j'ai suivi un reportage
télévisé sur la Chine et celui-ci a attiré
d'autant plus mon attention qu'il racontait la vie d'une famille
de Chengdu, ma ville natale. Quel bonheur de revoir les bois de
bambous, les retraités qui jouent au mah-jong avec leur tasse
de thé à côté, les oiseaux qui chantent
dans leurs petites cages en bois! Au début, j'aimais le travail
du journaliste qui savait bien montrer les scènes typiques
de ma ville en quelques images. Mais au fur et à mesure que
se déroulait le reportage, mon admiration diminuait et je
plongeais dans mes réflexions. En fait, ce reportage concernait
un prisonnier chinois qui, selon le journaliste, avait été
emprisonné à cause de propos inconvenants diffusés
dans lnternet. Le journaliste ne nous a pas expliqué ce qui
s'était passé exactement, et moi, je ne pouvais rien
conclure, puisque je ne connaissais pas cette affaire. Par contre,
la caméra s'attardait sur l'épouse et le fils du malheureux
détenu, tous les deux rejetés par la société
; selon ce reportage, la femme de cet homme avait perdu son travail
et son fils avait été expulsé de l'école,
et aucun autre établissement ne voulait l'admettre. Quel
" désespoir " ! Avec ses gros plans sur la main
de la mère qui caressait la tête de l'enfant, le journaliste
nous a montré des images émouvantes qui faisaient
monter des larmes aux yeux! Si j'avais été une Française,
comme la plupart des spectateurs devant l'écran, j'aurais
sûrement été bouleversée par ces images
qui montraient l'enfant, dans les bras de sa mère, lisant
une lettre qu'il avait écrite à son père. Mais
je suis Chinoise, je connais la Chine et je comprends le chinois
Je me suis aperçue que ce pauvre petit portait l'uniforme
de son école et qu'il racontait dans sa lettre avoir obtenu
de bonnes notes. Une contradiction entre ce que l'enfant disait
et l'interprétation du journaliste. Un paradoxe du reportage
qui prônait la liberté d'expression, mais qui me semblait
dénaturer les faits. Et malheureusement, cet exemple n'est
pas le seul.
Le
Tibet, un grand favori
Je
me rappelle d'un autre reportage sur la Chine, sur le Tibet cette
fois, une terre encore plus mystérieuse et plus attirante
pour les Français. À l'écran, des petits écoliers
tibétains lisaient des textes à haute voix, une scène
de tous les jours qui se passe dans toutes les écoles du
monde. La voix du narrateur, pleine d'émotion, disait que
ces petits étaient obligés d'apprendre le mandarin,
tandis que l'enseignement du tibétain, leur langue maternelle,
était interdit. Voilà une interprétation qui
tentait de dénoncer la " colonisation culturelle "
des Han au Tibet. Mais très ironiquement, les manuels que
tenaient les écoliers étaient en tibétain,
au lieu d'être en chinois comme le disait le journaliste!
L'image démentait ce que le journaliste voulait faire croire
aux spectateurs français qui, pour la plupart, ne pouvaient
pas distinguer les caractères chinois des signes tibétains.
Aujourd'hui,
en dépit de la distance géographique qui s'efface
devant le progrès technique des communications et de l'ouverture
de la Chine au monde, la découverte réciproque ne
se fait pas du jour au lendemain. La Chine est loin d'être
parfaite, mais à mon sens, ces deux reportages empêchaient
les Français de découvrir la situation réelle.
Bien que les contacts directs se soient multipliés entre
les deux pays, le rôle des médias reste essentiel à
la connaissance et à la compréhension mutuelle. Ces
deux exemples, évidemment des cas particuliers, sont toutefois
révélateurs d'une logique de réflexion de certains
journalistes. Au lieu d'établir leur thèse à
partir des faits, ils font l'inverse : ils instrumentalisent les
images pour illustrer leurs idées préconçues.
Mais le plus désolant, c'est que les journalistes ont le
privilège d'être sur place et qu'ils jouissent d'une
crédibilité importante auprès du public sur
ce qui se passe dans un pays lointain comme la Chine.
Qu'en
disent mes amis français?
À
ce sujet, j'ai eu des discussions avec mes amis français.
Beaucoup d'entre eux se montrent indignés d'être en
quelque sorte trompés par des informations manipulées,
surtout sur des questions délicates. D'après leurs
dires, certains journalistes dénaturent les faits pour que
les informations correspondent aux attentes du public. Mais quelles
attentes ? Une conversation que j'ai eue avec un jeune Français
a éclairci ce point. Étudiant d'une grande école
prestigieuse, épris des arts asiatiques, cet ami est très
intéressé par les informations sur la Chine. N'empêche
que sur le type d'interprétations de certains journalistes,
il a une attitude ambigüe. Selon son point de vue, dans le
reportage concernant le détenu, les contradictions entre
ce que dit le petit sur ses résultats scolaires et les propos
qu'a tenus le journaliste sur les écoles chinoises qui, d'après
lui, refusent d'admettre l'enfant ne sont que des détails
négligeables; ces détails ne doivent pas obnubiler
l'idée principale que les reportages entendent montrer :
les défaillances du système chinois. Même chose
pour le reportage sur le Tibet.
À
mon avis, la Chine est loin d'être parfaite, des commentaires
pertinents venant de l'extérieur l'aident à progresser.
Mais sans m'engager dans un débat sur ce thème, j'ai
finalement compris que les " attentes du public " que
ces journalistes prétendaient viser, n'étaient que
les clichés obsolètes et partiaux sur la Chine qui
perdurent dans l'esprit de certains Français. Ces préjugés
sont si forts que ces gens n'acceptent pas de les contester; ils
attendent plutôt que des informations viennent les renforcer,
sans souci sur l'authenticité des faits. Avoir des idées
qui correspondent plus ou moins à la réalité
ne me semble pas dramatique, pourvu que l'on ne s'obstine pas à
les conserver indéfiniment. Le refus d'ouvrir les yeux, la
fermeture, la sclérose de l'esprit me semblent plus dangereux,
plus inquiétants que les préjugés eux-mêmes.
Évidemment,
les idées de cet ami ne représentent que celles d'un
certain nombre de Français. Je le constate tous les jours.
Cependant, l'éternelle volonté d'approfondir la compréhension
mutuelle et l'amitié me demande de tirer la sonnette d'alarme.
L'immensité, la diversité, la particularité
de la Chine font que sa découverte n'est guère facile,
d'autant plus que ce pays évolue aujourd'hui à un
rythme extraordinaire. Pourquoi ne pas éviter les pièges
de la simplification, de la partialité, des préjugés
? Pour apprivoiser ce pays géant, il faut un esprit ouvert.
Nous, les Chinois, avons besoin de progresser avec le temps; et
pour vous, amis français, nous souhaitons voir disparaître
les idées démodées et figées. En ouvrant
bienles yeux , chacun peut découvrir les surprises que lui
réserve l'autre!
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