MARS 2004

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

La montée des villages de peintres

– singulier phénomène des villes et des bourgs

ZHANG HUA

Lü Xiao’er, un des fondateurs du village de peintres. Photo fournie par Lü Xiao’er.

Un homme a su tirer parti de la vague des villages de peintres et offrir un concept nouveau genre qui respecte à la fois les besoins des peintres et le cadre naturel des lieux.

Un lit de briques chauffé par-dessous avec des bûches (huokang), un mur de briques à découvert et non blanchi à la chaux où sont accrochées des calligraphies et des photos en noir et blanc, des séchoirs en rotin pour abricots, le linteau de la porte tapissé de vieux journaux… : aucune trace des temps industriels modernes ne peut être décelée dans cette maison au cœur du « village de peintres Koulou », fondé par Lü Xiao’er. D’apparence, cet endroit ne ressemble qu’à une cour campagnarde on ne peut plus ordinaire, avec ses 14 maisons à portes et fenêtres rouges. En fait, il ne ressemble guère au regroupement de maisons de forme étrange, conçues par leur propriétaire, que l’on trouve fréquemment dans les autres villages de peintres et où des paysages exceptionnels se cachent derrière une haute enceinte. Ici, seulement quelques chaises formant un salon de thé avec terrasse, des blocs de bois laqués noirs avec motifs de caractères chinois rouges, des tables recouvertes de nappes à dessins abstraits offerts par des peintres coréens…  Un tel lieu, qui vous invite à découvrir la vie au naturel, figure rarement parmi les villages de peintres très à la mode. Pourtant, c’est justement la raison pour laquelle des artistes viennent s’y réunir.

De l’idée à la réalité

 

« J’adore ce mode de vie tout simple. Mon objectif est de mettre ce lieu d’études, d’échanges et d’hébergement à la disposition des gens qui veulent faire de la peinture, mais qui n’en ont pas les moyens », confie Lü Xiao’er, trente et un ans, lunettes à monture noire et tenue de coton paysanne. Cet homme dit se sentir très heureux et détendu en écoutant le murmure des sources et l’aboiement des chiens non loin, en admirant l’ancienne Muraille qui serpente dans les montagnes environnantes et en se posant comme témoin du va-et-vient des peintres avec leur carton de dessins sous le bras.

En effet, son village était auparavant un musée folklorique du district de Huairou où il avait exposé des instruments agricoles comme des rouleaux de pierre, des pioches, des anciens outils de pierre excavés du terrain local, des canons de pierre des Yuan, des poteries en faïence et des œuvres de calligraphie et de peinture de grands auteurs faisant partie de sa collection. À l’époque, il voulait faire connaître les vestiges et les us et coutumes locaux, mais le public se montrait peu chaleureux. « Dans ce contexte, un article sur la formation à Paris d’un village de peintres où se réunit une dizaine d’artistes d’une même école picturale m’a soudain éveillé. Moi-même, je suis peintre et j’ai des œuvres, pourquoi ne serai-je pas capable de fonder un tel village? », se demanda-t-il

C’est ainsi que Lü Xiao’er a transformé son musée en un village de peintres à la fin des années 1990, tout comme l’ont fait à la même époque ses homologues des districts de Mentougou, Tongzhou ou Changping en banlieue de Beijing. À ce moment-là, l’économie et l’informatique se développaient à toute allure en Chine et les Chinois choisissaient, à l’instar des artistes étrangers, le calme de la campagne pour se consacrer à leur création dans de grands ateliers. Ils sont alors venus acheter ou louer des maisons de paysans, et en raison du bien-être qu’ils y ont tous trouvé, ont fondé un regroupement de peintres dans cet Éden culturel, profitant d’une vie alliant le traditionnel et le moderne, l’art et le naturel. Sans doute, ces gens étaient des artistes à succès, mais les jeunes débutants, dont la carrière artistique venait à peine de débuter, se rassemblaient à Beijing, ce centre d’informations culturelles et d’occasions commerciales, afin de trouver une vie professionnelle artistique libre. Tiraillés entre leur aspiration spirituelle et la réalité, ces jeunes artistes menaient une vie vagabonde, cherchant leur pied-à-terre. L’éclosion des villages de peintres a justement répondu à leurs attentes.

Sur la route principale menant au district de Huairou, Lü Xiao’er a érigé un panneau indiquant aux habitants de la capitale l’existence de son village situé au bourg Jiuduhe, à 80 kilomètres de la ville. Les peintres, tout curieux, ont suivi la piste et ont finalement découvert l’endroit. Dès le début, Lü a respecté strictement son principe : son village ne recevrait que les peintres, en raison de leur penchant commun. Ici, on fournit aux peintres démunis le vivre et le couvert, mais on refuse les touristes qui veulent y prendre un repas. Lü leur recommande plutôt d’aller dans les familles paysannes du voisinage qui peuvent les accueillir. S’il agit ainsi, c’est que Lü, né dans une famille nécessiteuse et ayant eu une expérience particulièrement difficile lors de ses études de peinture, a connu la précarité des relations humaines. « Quand j’étais très pauvre, en grande difficulté, personne ne me prêtait assistance, alors que maintenant que j’ai une vie plus aisée, bizarrement, je dépense moins. Avant, j’utilisais le recto et le verso du papier, mais aujourd’hui, alors que je n’ai plus besoin de me soucier du côté pécunier pour acheter mes papiers, tout le monde m’en donne pour que je dessine! Voilà comment le monde fonctionne. » Il pense que cela n’est pas raisonnable ni équitable et, au moins pour cette raison, il a bien l’intention d’aider les peintres.

En banlieue de Beijing émergent des villages de peintres. Sur la photo, un de la banlieue ouest.

De bouche à oreille, le village a peu à peu acquis la renommée. Bon nombre de professeurs et d’étudiants des instituts des beaux-arts s’y rendent, attirés par cette réputation. Le professeur Jia de l’École des beaux-arts de Fengtai a comparé les villages de peintres connus et il a choisi celui de Lü pour y organiser un cours de peinture sur le vif pour ses élèves. Selon lui, on y trouve non seulement des paysages idylliques, la Muraille ancienne et des vieilles maisons, mais aussi ce village de peintres n’est pas touché par la culture commerciale moderne et est imprégné de la simplicité antique des intellectuels. Souvent le professeur Jia et les étudiants échangent des expériences avec Lü.

À part ces peintres, les personnalités du milieu de la culture fréquentent également le village. L’auteur Mo Yan, qui a connu la célébrité après l’adaptation, par Zhang Yimou, de son roman Le sorgho rouge, croit que sa création actuelle est inférieure à celle de ses vingt ans; il avoue toutefois avoir retrouvé sa source d’inspiration en se couchant sur le huokang de la maison de Xiao’er et en humant l’odeur des bûches qui brûlent. La mémoire ne peut donner ce bonheur indicible de retrouver les sensations d’autrefois.

Lü est en accord total avec les dires de Mo. Il voue toujours un culte à la nature. D’après lui, le lever du soleil dans les montagnes est beaucoup plus beau que celui en ville. « C’est au bout de longs voyages que les grands peintres comme Zhang Daqian ont pu créer des œuvres qui sont passées à la postérité. Si un peintre ne se confine qu’à la ville, tout au plus fera-t-il la fresque des personnages de la petite bourgeoisie, rien d’exceptionnel pour le reste. » Lü souhaite que les artistes puissent puiser leur inspiration dans ce village de peintres et y trouver leur vocation.

La vie n’est plus la même…

Cette nouvelle mission a valu au village Koulou, reculé et solitaire, quelques changements. Les villageois envoient maintenant leurs enfants apprendre la peinture chez Lü; celui-ci leur distribue gratuitement pinceaux, encre et cahiers de modèles d’écriture, tout en les encourageant à étudier cet art. En compagnie de Lü, les enfants vont au pont pour y dessiner et pratiquer la calligraphie; on accroche les œuvres aux balustres, ce qui forme un site fort coloré. Lü bénéficie également du contact avec cette jeunesse : « Il n’existe pas de frontière ni de hiérarchie pour l’art. Auprès des enfants, j’ai appris leur façon d’écrire et en ai fait des œuvres qui se sont avérées bien populaires. Par l’imitation répétitive, mes œuvres ressemblent finalement aux leurs. »

Par ailleurs, Lü demande à ses parents et aux villageois de servir de modèles pour les peintres. Ainsi il peuvent vivre de près l’art pictural. Le village de peintres attire des touristes de la capitale, et Lü ne manque jamais de leur recommander de visiter les anciennes maisons et les vestiges de la tour, datant de la dynastie des Yuan, et de partager la joie de vivre des paysans. C’est ainsi que, mine de rien, il encourage le tourisme local.

Aux yeux des villageois, Lü est une personne hors du commun; il a en effet facilement renoncé à la vie de citadins à laquelle, eux, aspirent depuis des générations. Mais Lü n'est pas de leur avis. Ayant avec succès ouvert et exploité des bars, des salons de thé et des compagnies de publicité en ville, il désapprouve la vanité et la vie luxueuse de certains citadins, et il ne veut pas se laisser gagner par labrutissement ambiant. Toutefois, il ne peut pas nier le rôle des expositions qu’on y organise souvent, telles la Biennale internationale des beaux-arts de Beijing, de même que les salons de l’auto qui lui ont permis de mieux connaître le monde et qui lui ont servi d’inspiration. C’est pourquoi, chaque mois, il se rend à Beijing pour y visiter les expositions qu’il estime importantes.

Pour agrandir son actuel village de peintres, Lü Xiao’er compte en construire un nouveau qui couvrira une superficie de 11 mu (1mu = 0,15ha). Pour ce faire, il s’est spécialement rendu au village Shangyuan et dans d’autres villages de peintres pour y mener des enquêtes et des recherches. Selon ses dires, il veut rompre avec les anciennes habitudes des peintres de se séparer de la vie ordinaire des gens par de hauts murs; il prône un environnement plus ouvert et plus convivial où les artistes communiquent librement entre eux.

La nouvelle de l’élargissement de son village s'est tout de suite répandue dans le milieu, et nombreux sont ceux qui veulent s’inscrire auprès de Lü Xiao’er. Mais ce dernier a ses propres critères. Par exemple, il propose de restreindre à quinze le nombre de peintres et de permettre à chacun des inscrits d’acheter au plus 200 m2 de terrain. Il se pose aussi comme le jury de sélection. « C’est comme choisir vos voisins. Si la tenue morale est médiocre, refus catégorique! », dit Xiao’er, avec entêtement.

Avec contentement, il confie : « Le nouveau village se basera sur le goût des paysans et j’y ajouterai leur conception de la nature. De l’extérieur, on dira que c’est un dé tout carré, et à l’intérieur, il y aura des ateliers avec éclairage sur cinq côtés pour ceux qui font de la peinture à l’huile, des ateliers à éclairage de trois côtés pour ceux qui font de la peinture traditionnelle chinoise et des ateliers communs pour tous, cloisonnés au milieu par un rideau. »

Sans doute, des histoires singulières vont encore se dérouler au village Koulou…