MARS 2004

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

L’espéranto vit toujours en Chine

DANIEL COGEZ

Le mot espéranto figure en toutes lettres à l’entrée du Bureau de publication et d’édition en langues étrangères de Beijing où il existe une section de cette langue. Et comme l’espoir qu’évoque ce mot semble encore bien vivant en Chine, l’Union internationale d’espéranto a choisi Beijing pour y tenir son congrès en juillet 2004.

Des membres de la section d'espéranto qui diffuse une revue dans Internet.

L’espéranto, « l’espoir d’une langue vivante adoptée par tous, simple et d’usage facile ». émane d’un linguiste polonais, le docteur Ludwik Zamenhof, né en 1859 à Byalistok, une région frontalière entre la Russie et la Pologne où se côtoyaient deux langues et deux civilisations; il est décédé en 1917 à Varsovie. C’est en 1887 qu’il publia les Fondements de la langue espérantiste et qu’il entraîna des esprits rationnels à se familiariser avec celle-ci. Dès son jeune âge, c’était pour lui une source d’étonnement. Pourquoi, se demande-t-il, faut-il dénommer un bar « drinkejo » et là « svejcarkaja », une confiserie « konditorskaja » ici, et là, « sukerajejo » ? C’est une simple question de bon sens qui se pose à tous les habitants des zones frontalières. Né dans le Nord de la France, j’avais remarqué de telles singularités. Me rendant vers Bruxelles, je lisais sur les panneaux d’autoroute : Courtrai, Gand et Lille en français. Et quand je revenais en France, sur les mêmes panneaux je voyais : Kortriijk, Gent et Riijsel. Si les habitués reconnaissent facilement les deux premières villes, le nom de Riijsel laissait perplexe. Il fallait alors avoir quelques notions de langue flamande pour savoir que Riijsel signifiait « l’île » et que la métropole lilloise était jadis une île implantée au milieu des marécages ! De quoi désorienter des touristes venus du Sud de la France...

Alors devant la multitude des langues et leurs mystères linguistiques, comment ne pas être tentés de chercher à créer une langue unique compréhensible par tous? Cette langue a existé en Europe au Moyen-Âge et jusqu’au XVIe siècle : le latin. Les étudiants de cette époque n’avaient aucune difficulté à suivre des cours en France même s’ils venaient d’Angleterre et à obtenir des grades dans n’importe quelle université du continent européen. Toutes les publications religieuses, philosophiques ou scientifiques se faisaient en latin. Mais peu à peu, la montée en puissance des nations a fait reculer cette langue européenne. Subrepticement, le latin est devenu une langue morte, tandis que naissaient et s’imposaient le français, l’allemand, l’anglais, l’italien, l’espagnol, le néerlandais et le portugais et que persistaient des patois et des dialectes locaux.

Durant une certaine période, le français s’imposa comme la langue des Cours et celle des diplomates de « l’Atlantique à l’Oural » suivant l’expression du général De Gaulle. De nos jours encore, la reine d’Angleterre parle très bien français et se sent très honorée d’être appelée « Madame »! Mais les temps changent et le français n’est plus la langue internationale que l’élite aime parler.

Depuis le XIXe siècle, des spécialistes comme le docteur Zamenhof se sont attelés à la tâche de trouver une nouvelle langue, bien qu’il soit difficile de créer une langue universelle.

Vers la simplification

Sans vouloir donner un cours d’espéranto, nous pouvons chercher à en comprendre les principes de création. D'abord, il s’agit de simplifier et de rationaliser, mais comment et dans quel sens?

Un ouvrage écrit en 1917 par l’un des membres de la Société des amis de l’espéranto va nous éclairer là-dessus.

« Simpla, flexsebla, belsona, vere internacia en siaj elementoj, Esperanto prezentas al la mondo civilizita la sole veran solvon de lingvo internacia. Tre facile per homoj ne multe instruitaj,Esperanto estas comprenata sen peno de la personoj bone edukitaj ». Je vais traduire en français sans avoir étudié cette langue à partir de mes notions de latin. « Simple, flexible, belle à entendre, vraiment internationale en ses éléments, l’espéranto présente à la civilisation mondiale la seule vraie solution de langue universelle. Très facile pour des hommes pas très instruits, l’espéranto peut être compris sans peine par des personnes de bonne éducation ». Nous soulignons les derniers mots. Il est évident que si je n’avais pas eu des bases de langue latine, je n’aurais pu comprendre ces deux phrases pour débutants en espéranto, car tout est basé sur les langues d’origine romane ou apparentées (russe notamment).

Une méthode logique

Comment simplifier une centaine de langues et d’idiomes? En procédant de façon logique.

o est la finale du nom parolo = parole

a est la finale de l’adjectif parola= oral

i est la finale du verbe paroli = parler

e est la finale de l’adverbe parole = verbalement

S’il y a pluriel, l’o et le a du nom et de l’adjectif se mouillent d’un (yod) j : comme homoj (les hommes) et bonaj (bons)

Le féminin est marquée par « in » ce qui donne pour mère « patrin » : ceci est une singularité en contradiction avec l’usage de la majorité des langues où la racine « ma » caractérise la mère ( mama en chinois et maman en français). Mais les espérantistes estiment qu’ils peuvent ainsi régler tous les problèmes de féminisation des mots comme « auteur, témoin, écrivain » etc...

En ce qui concerne les verbes, il y aura une désinence pour marquer le temps :

as pour le présent

is pour le passé

os pour le futur

us pour le conditionnel

u pour l’impératif.

Voilà réduites à l’essentiel les notions de l’articulation des phrases dans toutes les langues et les idées relatives au temps qui passe.

Maintenant, que faire avec les racines de base, celles qui servent à former les mots. Comment les choisir? Les espérantistes proposent une règle démocratique : « Si 160 millions de personnes parlent russe et 55 millions le français (base 1917), l’élection des mots se fera d’après les statistiques et pour ainsi dire d’après la carte électorale des mots ». Ainsi, la racine choisie est celle qui recueille le plus grand nombre de suffrages comme dans une élection! D'ailleurs, cela semble parfaitement normal, car si l’on compare plusieurs langues occidentales on constatera que bruna en espéranto a pour correspondant brun (français), braun (allemand) brown (anglais)brunet (russe)et bruno en italien, espagnol et portugais. Et le mot vino a pour correspondant vin (français), weine (allemand), wine (anglais), vino (russe, italien et espagnol)vinho (portugais).

Le fonds élémentaire d’une langue est de 40 à 50 000 mots, mais il faut tenir compte en Occident des emprunts très fréquents aux langues étrangères, des racines communes et des mots à usage multiple comme « lever » en français (élever, relever, levage, élévateur...)

L’espéranto se servant de ce principe du suffixe qui change le sens en a édicté de nouveaux dont voici les principaux ( tableau).

Il suffit donc de connaître quelques règles grammaticales sommaires et d’avoir un bon dictionnaire pour connaître et pratiquer l’espéranto. En théorie, les avantages d’une telle langue coulent de source : pour tous les pays, un document unique servant de référence, ce qui représente un gain de temps et d’argent. Mais de la théorie à la pratique, il y a un long chemin et c’est tout l’espace qui reste à parcourir.

Le congrès de Beijing en 2004

Le panneau à l’entrée indique la présence d’une section d’espéranto

Le Ier congrès des espérantistes s’est tenu à Boulogne-sur-mer (Nord de la France) en 1905. L’Union internationale d’espéranto compte 10 000 cotisants. Cette année, du 24 au 31 juillet, elle tiendra à Beijing son 89e congrès, et 1500 participants sont attendus. Selon les organisateurs, le but du congrès est « de renforcer l’amitié entre les peuples, développer les échanges culturels, promouvoir la paix dans le monde, faire connaître la Chine et les réformes en cours dans ce pays »

Quelle est l’importance de l’espéranto à l'heure actuelle? Dans le monde, cette langue compte plusieurs millions de pratiquants dont le niveau est variable, et plusieurs dizaines de milliers en Chine. Au total dans ce pays, cent mille personnes ont appris cette langue. Il existe une section de langue espérantiste forte d’une dizaine de membres au sein du Bureau d’édition et de publication en langues étrangères à Beijing, et celle-ci édite régulièrement une revue dans Internet ( www.espero.com.cn.; www.chinareport.com.cn )

Radio-Chine internationale diffuse de son côté une émission en esperanto qui conserve un public d’auditeurs fidèles. C’est d’ailleurs l’Institut de la radio de Beijing qui forme les étudiants en espéranto; à travers toute la Chine, il existe également des classes où sont formés des étudiants dans cette langue.

Certes on peut toujours rêver que l’ONU inscrive cette langue comme langue de travail universelle, mais ce serait sûrement un voeu pieux, étant donné la domination exercée par les anglophones sur cette institution internationale.

Alors en Chine qu’en est-il? En 2008 auront lieu pour la première fois dans ce pays les Jeux olympiques. On peut « espérer » que l’espéranto devienne la langue commune pour toutes les nations qui ne maîtrisent ni le chinois, ni l’anglais, ni le français, ni aucune des langues à large diffusion...