Être 
                printemps pour toute chose
              
                WANG KEPING
              Ce 
                mois-ci, la philosophie chinoise nous apprend que, dans le monde 
                d'aujourd'hui, où nous sommes si vulnérables à des menaces réelles, 
                telles qu’une attaque terroriste et des fléaux comme le SRAS, 
                il est d'autant plus nécessaire de garder l'esprit du printemps 
                et de tout ce qui est beau dans la nature.
              
                
Le 
                vieux dicton « Le printemps est la saison la plus marquante » 
                est profondément enraciné dans la conscience chinoise. Il a une 
                signification particulière dans les régions rurales où le printemps 
                est la saison du labour et de la planification du travail pour 
                l'année qui commence. En milieu urbain, il indique le temps des 
                promenades et l'agrément du temps plus chaud. La vue des jeunes 
                femmes, ayant finalement mis de côté leurs vêtements chauds d'hiver 
                et qui sont désormais vêtues de tissus légers et colorés mettant 
                pleinement en valeur leur charme féminin est un aspect de cette 
                saison qui ajoute beaucoup à l'esthétique globale. Tout bien considéré, 
                du point de vue chinois, le printemps est un temps de couleurs, 
                de charme et de gaieté.
              Une appréciation bien articulée 
                de la magnificence du printemps peut générer la capacité d'être 
                « un printemps pour toute chose »  (yu wu wei chun). Ce concept reflète l'humanisme 
                naturaliste du taoïste Zhuangzi. Le mot yu indique l'interaction entre X et Y, un sujet et un objet ou, dit 
                autrement, un contemplateur humain des choses qui sont sous contemplation. 
                « Les choses » (wu) 
                réfèrent à la nature dans toute sa gloire −montagnes et 
                eau, fleurs et arbres, oiseaux et autres animaux, étoiles et nuages, 
                clair de lune et soleil. Ces aspects de la nature sont des manifestations 
                de pure beauté. On retrouve leurs contreparties négatives dans 
                la distinction artificielle, au sens holistique, entre vie et 
                mort, chance et malchance, richesse et pauvreté, utilité et futilité, 
                éloge et blâme. Ces comparaisons sont basées sur des jugements 
                de valeur bien relatifs qui se relient trop bien avec les préoccupations 
                continuelles de gain et de perte qui affligent et imprègnent la conscience, bannissant toute perspective de tranquillité spirituelle.
              Dans ce contexte, que veut-on 
                dire par « être printemps » (wei 
                chun) ?  Le printemps (chun) est la saison de la vitalité, de la chaleur humaine et de la 
                joie. C'est souvent un symbole d’espoir et de nouvelles perspectives 
                et aspirations. Ici toutefois, on réfère particulièrement à un 
                lien harmonieux étroit entre l'homme et la nature, un courant 
                interactif d'optimisme et de bonne volonté entre l'environnement 
                perceptible et le « moi intérieur ». Dans ce sens, si 
                tu aimes la nature, elle ne te trahira jamais : tu es en 
                symbiose avec elle. Un arbre planté au printemps procure, par 
                son ombre, une fraîcheur inestimable au plus fort de l'été. Par 
                conséquent, « être printemps pour toute chose » correspond 
                à être en harmonie avec tout ce qui nous entoure et à en apprécier 
                ainsi les effets bienfaisants. Cela dénote une conscience naturaliste 
                du rôle de chaque chose dans la nature, et une attitude humaniste 
                envers la quête du « caractère parfait » (cai quan) de l'humain.
              Une appréciation vraie de la 
                nature apporte un contentement bien particulier : le « caractère 
                parfait » est atteint quand l'esprit arrive à se maintenir 
                dans la paix issue de ce contentement. Cette appréciation vraie 
                nécessite de libérer l'esprit de l'égoïsme axé sur les valeurs. 
                On connaît la souffrance due aux maux sociaux et aux difficultés 
                humaines provenant d'un jugement borné du bon et du mauvais en 
                regard des faveurs et des intérêts personnels : en suivant 
                les lois de la nature, il est possible d'observer les voies du 
                destin et d'éviter cette souffrance. Le concept de Zhuangzi est 
                l'idéal fondamental : ce par quoi l'on appartient à l'humanité 
                est insignifiant et petit (miaohu 
                xiaozai, suoyi shuyu ren ye); ce par quoi tu t'identifies 
                à la nature est grand et imposant (aohu 
                dazai, ducheng qi tian). Dans la première partie, une personne 
                est coincée dans les limites 
                du « petit Je », en prenant l'homme comme la mesure 
                de toute chose, et en le confinant exclusivement aux affaires 
                humaines, ignorant ainsi le rôle supérieur de la nature dans tout 
                le sens du mot. Dans la seconde partie, la sublimation s'est produite, 
                en passant du « petit Je » au « grand Nous », 
                et par une identification consciente avec la nature. En d'autres 
                termes, l’horizon de l’homme s'élargit à une perspective holistique 
                de l'interdépendance entre l'humanité et la nature, plutôt que 
                de porter des jugements basés sur des valeurs matérielles égoïstes. 
                Dans la terminologie de Zhuangzi, cette étape apporte le genre 
                de liberté spirituelle de faire « l'excursion heureuse » 
                (xiao yao you), par 
                laquelle l’homme peut « errer, librement et à l'aise, avec 
                tout ce qu'il y a autour » (chengwu 
                yi youxin), et « chevaucher les nuages du ciel, se promener 
                sur le soleil et la lune, et errer ainsi à souhait au-delà des 
                quatre océans » (cheng yunqi, qi riyue, er youhu sihai zhiwai). Tout ceci signifie 
                un moment qui transcende le monde humain fini, pour permettre 
                l'entrée dans le monde cosmique de l'infinité. L'illumination 
                ultime est atteinte quand « Ciel et Terre et moi voyons le 
                jour ensemble, et que toute chose est une avec moi » (tiandi 
                yuwo bingsheng, er wanwu yuwo weiyi). Ce fantasme de liberté 
                absolue sans frontières est caractérisé par l'unité de l'homme 
                et de l'univers; cette unité étant l'accomplissement du Tao omnipotent 
                ou dans un sens semblable, la vie idéale.
              Quoique le conseil de Zhuangzi 
                « Être printemps pour toute chose » est inspirant pour 
                ce qui concerne l'effet bienfaisant mutuel de l’harmonie étroite 
                entre les humains et la nature, personnellement, je le trouve 
                exagérément idéaliste, et donc pratiquement irréalisable. Pourtant, 
                ceci peut tout de même être adopté comme attitude générale dans 
                laquelle la nature est considérée sous quatre aspects : un 
                aspect ontologique dans lequel les humains sont une partie de 
                la nature qui, à son tour, nourrit l'ensemble de l'humanité;  
                un aspect épistémologique dans lequel la nature constitue 
                un corps de connaissances exigeant une recherche illimitée, et 
                qui est une source constante de nouvelles découvertes; un 
                aspect écologique où la nature doit être correctement protégée 
                et utilisée afin de réaliser un développement durable; et, finalement, 
                un aspect esthétique où la nature est la source primitive de toutes 
                les beautés. L'aspect esthétique est lié au concept de Kant de 
                « contemplation désintéressée », par lequel la découverte 
                des formes innombrables de beauté de la nature rend possible la 
                projection des sentiments et des émotions dans une telle contemplation 
                esthétique. On se débarrasse ainsi complètement du mondain, et 
                l'empathie humaine est échangée contre de la sympathie pour la 
                nature, ce qui produit un défoulement psychique. Dans le monde 
                d'aujourd'hui, où nous sommes si vulnérables à des menaces réelles, 
                telles qu'une attaque terroriste et des fléaux comme le SRAS, 
                il est d'autant plus nécessaire de garder l'esprit du printemps 
                et de tout ce qui est beau dans la nature.