FÉVRIER 2004

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

Des Chinoises de talent de l’Antiquité

HUO JIANYING

À propos de leur beauté ou de leur laideur, l’histoire ne dit mot. Certaines femmes ont avant tout marqué leur époque par leur talent et leur intelligence.

Des femmes de talent

L’histoire rapporte que, pendant la dynastie des Song du Nord (960-1127), Su Xun (1009 -1066), un lettré de renom, et sa conjointe eurent trois enfants fort doués et célèbres : le poète Su Dongpo (1037-1102), le lettré Su Che (1039-1112) et la lettrée Su Xiaomei, la cadette.  Les deux fils étaient non seulement célèbres, mais aussi des lettrés de troisième grade (doctorat). Intelligente, Su Xiaomei manifesta, dès sa tendre enfance, beaucoup de talent, et elle acquit une solide instruction.  Reconnaissant son savoir-faire, son père affirma un jour : « C'est dommage qu’elle soit une fille; autrement, elle aussi aurait été un personnage renommé aux examens officiels.  »

À l’époque féodale, le système des examens impériaux était le principal moyen par lequel les hommes pouvaient accéder à la fonction publique.  Si ce système avait permis aux femmes d’y participer, je crois que la plupart des hommes auraient perdu leur poste et l’histoire de la Chine aurait pu être très différente…

Bien que ce système injuste eût contraint beaucoup de femmes de valeur à rester dans l’ombre, il n’a pas réussi à dissimuler leur talent remarquable.  Le cours de l’histoire n’a pu négliger leur position sociale et leur rôle historique; par exemple, l’impératrice Wu Zetian (624 -750) et sa servante Shangguan Wan’er (664 -710) ont ajouté un nouveau chapitre à l’histoire de Chine.

Wu Zetian et Shangguan Wan’er

Shangguan Wan’er (à g.) et  Wu Zetian.

En 684, Wu Zetian usurpa le pouvoir, et en 690, elle monta sur le trône, devenant ainsi la seule impératrice dans l’histoire de Chine. Elle changea alors le nom de la dynastie en celui de Zhou.  Shangguan Wan’er, une femme douée, était alors l’assistante experte de l’impératrice.

À l'origine, Shangguan Wan’er était une servante ayant gagné la confiance de Wu Zetian ; pendant plusieurs dizaines d’années, elle fut une de ses aides importantes,  une inséparable de l'impératrice, un peu comme le corps et son ombre.  Le sort de la dynastie des Tang a été longtemps entre les mains de ces deux femmes compétentes.  Le temps est le juge le plus impartial et le plus impitoyable.  Les faits historiques ont confirmé la contribution impérissable de ces femmes à la stabilité et à la prospérité de la dynastie des Tang.

Cependant, du jour de leur rencontre à leur connaissance réciproque et jusqu’à leur exercice commun du pouvoir, ces deux femmes talentueuses connurent un chemin semé d’embûches. 

Shangguan Wan’er était née dans une famille de fonctionnaires.  Son grand-père, Shangguan Yi, avait été ministre important de la Cour impériale et poète célèbre de la dynastie des Tang.  Sous le règne de l’empereur Gaozong (649 -683), il avait été mêlé à une rivalité acharnée pour le pouvoir.  Finalement, il avait été mis à mort sous de fausses accusations.  Ayant été compromis dans cette affaire judiciaire, son fils fut victime de ce crime.  Heureusement, à cette époque, alors que la mère de Shangguan Wan’er s’était vendue comme esclave de la cour impériale en serrant son enfant contre son sein, cette dernière n’avait qu’un mois.  Cette enfant était douée d’une bonne mémoire.  Malgré l’adversité, elle s’adonna aux études auprès des femmes fonctionnaires.  D’année en année, elle lut énormément et laissa libre cours à son inspiration.  Alors que l’adolescente avait quatorze ans, Wu Zetian prit connaissance des poèmes brillants et d’un talent littéraire exceptionnel de cette fille, alors qu’elle était chez le prince héritier, et elle la convoqua.  Par la suite, Shangguan Wan’er devint sa secrétaire.  À dix-neuf ans, elle était déjà une femme faisant autorité auprès de l’impératrice.  Elle avait le droit de rédiger des décrets impériaux et de vérifier des rapports adressés à l’empereur.

On dit qu’alors qu’elle était enceinte d’elle, la mère de Shangguan Wan’er aurait rencontré une divinité en rêve qui lui aurait offert une balance.  Un oniromancien aurait interprété son rêve en disant que cet enfant ferait autorité et maîtriserait plus tard des affaires d’État.

Avant de participer aux affaires publiques, Shangguan Wan’er vouait une haine implacable à l’impératrice Wu Zetian qui avait fait tuer deux générations de sa famille.  Après avoir commencé à prendre part au gouvernement, elle comprit peu à peu que cette dominatrice était une bonne impératrice.  Elle faisait preuve non seulement de courage et de perspicacité, mais encore était assidue aux affaires publiques et aimait son peuple.  Parallèlement, Wu Zetian était bien au fait du sort de Shangguan Wan’er, et en bonne politicienne, elle donna sa confiance à cette fille talentueuse, la forma et lui confia des charges.

Plus tard, Wu Zetian accorda à Shangguan Wan’er la faveur d’épouser son fils Li Xian, l’empereur Zhongzong des Tang, qui régna de 705 à 710, et elle lui conféra le titre honorifique de Zhaorong.   À cette époque, Shangguan Wan’er alla jusqu’à assumer la fonction de premier ministre, et elle bénéficiait d’un traitement équivalant à celui accordé aux princes.  Dans cette position de force, elle assista de tout son cœur son mari pour mettre au jour un complot de coup d’État et le faire avorter.  Pour réprimer une révolte, elle se montra pleine de ressources dans les moments critiques et poussa les gardes du corps à attaquer le chef de l’armée rebelle.  Elle recommanda à son mari d’installer beaucoup de bibliothèques et de rechercher des hommes qualifiés.  Shangguan était également chargée de commenter des poèmes du pays.  Ainsi, un grand nombre de lettrés renommés se sont réunis autour d’elle.  On peut dire que toutes ses mesures encouragèrent grandement le progrès littéraire, de sorte que quantité de jeunes lettrés furent formés sous son influence.

En 710, Shangguan Wan’er fut involontairement tuée par Li Longji ( petit-fils de l’impératrice) pendant un coup d’État.  Deux ans plus tard, Li Longji, empereur Xuanzong (régna de 712 à 754) monta sur le trône.  Pour commémorer le talent de Shangguan Wan’er, il donna l’ordre de recueillir les documents qu’elle avait laissés.  Tous ces documents furent compilés en un livre de vingt volumes.  Le premier ministre Zhang Yue préfaça cet ouvrage.  Le talent et l’œuvre accomplie par Shangguan Wan’er furent hautement appréciés.  Zhang écrivit : « On sait que des femmes annalistes ont enregistré les succès et les erreurs de l’histoire de Chine et que des secrétaires impériaux ont participé aux affaires politiques ».  Shangguan Wan’er a excellé dans l’administration de deux dynasties : les Tang et les Zhou.  Chaque jour, elle a dû régler une multitude d’affaires importantes, mais son sens de la répartie lui a permis de faire face à des situations compliquées.  Dans la dynastie des Han (206 av. J.-C. -220 apr. J.-C), Ban Zhao, sœur cadette de Ban Gu, dont elle compléta l’Histoire des Han, et Zuo Fen, dans la dynastie des Jin (265 - 420), furent des femmes de lettres célèbres.  Tout comme Shangguan Wan’er, elles excellèrent à assister l’empereur dans les affaires politiques.  Dans le Recueil des poèmes des Tang, on compte 32 poèmes écrits par Shangguan Wan’er.

Ban Zhao et Cai Wenji

Rôle de Ban Zhao dans le Kunqu (opéra de Kunshan du Jiangxi).

Dans l’histoire de Chine, Ban Zhao (49 -120) est une historienne célèbre issue d’une famille de la haute noblesse. Ban Biao, son père, et Ban Gu, son frère aîné, sont des historiens connus de la dynastie des Han.

Ban Biao a composé 65 articles de la suite des Shi Ji, les Mémoires historiques de Sima Qian (145 -86 av.  J.-C.).  Après la mort de Ban Biao, Ban Gu continua L’Histoire des Han commencée par son père.  Il consacra plus de vingt ans à l’accomplissement de sa partie principale.  Impliqué dans une lutte entre hommes influents, Ban Gu mourut en prison en 92.  Pour achever L’Histoire des Han continuée par son frère, Ban Zhao prit la relève; et  pour populariser la langue classique utilisée dans ce livre, elle donna un cours dans la bibliothèque impériale.

Dans l’année Yongyuan des Han, l’empereur Hedi (88 -105), qui admirait beaucoup les connaissances de Ban Zhao, la fit venir à la cour impériale pour enseigner à l’impératrice et à des concubines.  Sous le règne de l’impératrice douairière Deng, Ban participa au gouvernement à titre de professeur.  À la mort de celle-ci,  l’impératrice douairière Deng se vêtit de blanc et décréta un deuil national.

Ban Zhao n’était pas seulement une historienne, mais aussi une femme de lettres.  Ses fu (genre de poèmes en prose rimée, en vogue sous les Han), ses odes et ses poèmes ont été compilés en un recueil de trois volumes.  Il est regrettable qu’une grande partie des chapitres aient été perdus. Aujourd’hui, il ne reste que huit poèmes en prose rimée.

Rôle de Cai Wenji (à l’avant-plan) dans le théâtre parlé.

Cai Wenji est la fille de Cai Yong (132 -192), lettré célèbre des Han de l’Est (25 -220).  Née dans une période de troubles, cette femme de lettres renommée et érudite était également une musicienne accomplie.  Sa poésie narrative Hujia Shibapai est une œuvre qui a passé à la postérité.  Après la mort de son père en prison,  Cai a été capturée par des Tartares et est devenue l’épouse du roi Zuo Xianwang. Elle lui donna deux enfants.  Douze ans plus tard, Cao Cao (155 -220), chef militaire et poète,  qui était resté fidèle à son amitié avec Cai Yong, offrit de payer la rançon d’un otage (Cai Wenji).  Celle-ci en éprouva une joie mêlée de tristesse.  Cai était contente de rentrer chez elle, mais elle était aussi profondément affligée de se séparer à jamais de ses deux enfants.  Pour raconter le malheur de la population et sa vie errante, elle écrivit sa poésie narrative Hujia Shibapai.

Après son retour dans son pays natal, Cai Wenji épousa Dong Si, un fonctionnaire terrien.  Peu de temps après, Dong Si commit un crime et fut condamné à mort par Cao Cao.   Malgré le froid hivernal, Cai Wenji, les cheveux ébouriffés et pieds nus, intercéda pour son mari.  Touchés par la véracité des sentiments de cette femme, Cao Cao et ses fonctionnaires tombèrent d’accord pour absoudre le crime de Dong Si.

On sait que Cai Yong avait collectionné plus de 4 000 volumes.  Dans ce contexte, Cao Cao demanda à Cai Wenji quelle était la situation de ces livres.  Après avoir appris que tous ces livres avaient disparu, Cao Cao en éprouva bien du regret.  Cai Wenji demanda alors à Cao Cao de lui donner un pinceau et des papiers pour écrire les 400 articles qu’elle avait retenus, les ayant souvent récités par cœur.  S’appuyant sur son intelligence et son habileté, cette femme talentueuse a préservé des œuvres historiques.

Li Qingzhao

L’ancienne demeure de Li Qingzhao.

Li Qingzhao (1084 env. -1151) était née dans une famille de la haute noblesse.  Ses parents avaient une excellente culture littéraire.  Auprès d’eux, Li fit des études dès son plus jeune âge, et elle pouvait réciter beaucoup de poèmes.  Elle maîtrisait aussi des instruments de musique, le jeu de Go, la calligraphie et la peinture.

À 18 ans, elle épousa Zhao Mingcheng, fils d’un premier ministre.  Zhao Mingcheng se montrait studieux et passionné par ses études.  Il aimait ardemment les antiquités, surtout les inscriptions sur bronzes et stèles.  Ses aspirations élevées lui avaient permis de devenir un artiste faisant preuve d’une maîtrise exceptionnelle.

Li Qingzhao a toujours soutenu et respecté les études de son mari, bien que ses connaissances et ses habiletés eussent surpassé ceux de celui-ci.  On disait que ce couple vivait dans les études : « Chaque jour, après les repas, le couple allait au salon pour préparer du thé et discuter des connaissances de chacun sous le style questions/réponses.  Le gagnant pouvait boire du thé.  Souvent, les deux se tordaient de rire et l’eau éclaboussait leur vêtement.  »

En 1117, Zhao Mingcheng écrivit sa thèse Jinshi Lu (Recueil des inscriptions sur bronzes et stèles).  En 1128, des soldats des Jin prirent la ville de Qingzhou.  L’ancienne demeure du couple et les objets d’art historiques qui s’y trouvaient furent complètement brûlés par les feux de la guerre.  En 1129, Zhao Mingcheng mourut.  Apportant des livres, des peintures et des inscriptions de stèle, Li Qingzhao prit la fuite vers le Sud dans les rangs des réfugiés.  Au prix de grandes fatigues et de mille épreuves, elle installa finalement sa famille à Hangzhou.  Plus tard, elle consacra plusieurs années à accomplir l’ouvrage de son mari, ce qui totalisa 30 volumes, plus de 500 articles et plus de 2 000 sortes d’empreintes sur papier d’inscriptions lapidaire. Li Qingzhao écrivit beaucoup de ci (poème à chanter et poème en vers inégaux).  Son style simple est tout à fait original.

Depuis plusieurs années, on part à la recherche des traces historiques des femmes talentueuses de l’Antiquité.  Sous le joug du féodalisme, ces femmes traversèrent de rudes épreuves.  Heureusement, tout ceci fait partie du passé.