Les grandes manœuvres de la grande
distribution
DANIEL COGEZ
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Le complexe commercial Auchan,
à Beijing, a été ouvert officiellement le 8 décembre dernier,
sur une surface de 13 hectares. |
Si l’on
cherche des signes tangibles de la politique d’ouverture de la
Chine et du respect des règles de la libre concurrence, c’est
dans le domaine de la grande distribution qu’il faut les trouver.
Les implantations de grandes surfaces par des sociétés étrangères
se multiplient et les différentes enseignes se livrent à une concurrence
acharnée. Ainsi, alors que Carrefour renforce son implantation
à travers la Chine, Auchan vient d’ouvrir sa première grande surface
à Beijing et le géant américain WalMart s’installe à Tianjin.
On a glosé et disserté à perte de vue sur le marché
chinois et sur l’importance qu’il prendra au cours des années
à venir. Ce fait de société
n’a pas échappé à ceux dont le principal métier est de vendre
des produits de consommation courante, les grandes chaînes de
la distribution.
Depuis 1997, le courant s’accélère et la concurrence
est vive principalement entre les chaînes françaises et américaines.
Tantôt les Américains marquent des points, notamment à Dalian,
province du Liaoning, où WalMart se trouve au centre et Carrefour
à l’extérieur de la ville, et tantôt ce sont les Français
comme à Beijing ou à Qingdao, province du Shandong, où Carrefour
en position de force attire une chalandise importante.
Des ouvertures à cadence
accélérée
Déjà solide dans les principales municipalités comme
Beijing (4 magasins), Shanghai (6 magasins) et Tianjin (3 magasins), Carrefour s’étend désormais jusque dans
le Grand Ouest de la Chine, avec l’ouverture d’un magasin à Urumqi,
dans la région autonome du Xinjiang. Rappelons que Carrefour est
le deuxième distributeur mondial avec un chiffre d’affaires de
78 milliards d’euros (2000) et 9 200 magasins répartis dans 31
pays.
D’après M. Christian Honoré, directeur général du
marketing à Carrefour, « le groupe en ce qui concerne
la zone Asie compte 4 000 magasins, dont 126 hypermarchés répartis
dans huit pays; il emploie 28 000 salariés. Le chiffre d’affaires
pour cette zone s’est élevé à 5,2 milliards d’euros. À la fin
juin 2003, la Chine représentait à elle seule 40 hypermarchés
pour un chiffre d’affaires annuel de 1,37 milliard d’euros. Le
rythme d’ouverture pour la seule Chine continentale se fera à
une cadence accélérée de 12 à 15 hypermarchés par an, soit un
doublement des implantations en trois ans. »
M. Honoré précise encore « que le groupe Carrefour
est arrivé fin juillet 2003 avec une nouvelle enseigne, “Dia”, spécialisée dans la distribution
à bas prix. Dix-sept magasins sont déjà ouverts à Shanghai, et
le contrat en joint-venture avec une société chinoise a été signé
pour l’ouverture de magasins à Beijing. À terme, ce sont, au cumul
de Shanghai et Beijing, plus de 500 magasins Dia que le groupe
prévoit ouvrir d’ici à 2005. »
Auchan a emboîté le pas et, après avoir ouvert des
magasins à Shanghai, Hangzhou et Suzhou, le groupe a inauguré,
le 8 décembre dernier, un magasin de 12 000 m2
à Beijing, du côté du quatrième périphérique ouest. M. Bruno Mercier,
directeur général d’Auchan pour la Chine, précise que « ce
magasin, dénommé Beijing Golden Seasons, est implanté dans un
centre commercial d’une surface totale de 13 hectares et que les
autres enseignes du groupe sont B & Q où sont vendus des produits
d’équipement pour la maison, Aika, un magasin de meubles, et des
restaurants ». De nombreux habitants du quartier se sont
réjouis de cette ouverture qui comble le manque de grands magasins
dans un secteur éloigné du centre-ville.
Cette grande surface et ses annexes reproduisent
ce qui existe à la périphérie des grandes villes européennes :
tout est surdimensionné en quantités et en volumes de marchandises.
Le consommateur y trouvera certainement son intérêt, notamment
lorsque certains produits de qualité sont vendus dans le cadre
d’une promotion. Les premières promotions organisées par Auchan
ont provoqué de véritables ruées vers les étals, alors même que
le magasin n’était pas ouvert officiellement.
Côté clients : l’attrait du
nouveau
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L’inauguration
du magasin Carrefour à Fangyuan Dasha le 8 août 2000. |
Comment les consommateurs chinois perçoivent-ils
ces nouveaux magasins? Les grandes surfaces françaises ne pratiquent
pas des prix moins chers, tout juste parviennent-elles à s’aligner
sur leurs concurrentes chinoises. Toutefois, elles font la différence
grâce à une meilleure présentation, plus claire, plus gaie et
plus attractive. En outre, auprès de certains consommateurs, il
y a un phénomène d’attirance pour tout ce qui est exotique et
qui vient de l’étranger. Il suffit de voir le succès des fast-foods
par rapport aux petits restaurants de nourriture rapide traditionnels,
pourtant bien commodes (les délicieux baozi
sont nettement préférables aux tristes sandwiches insipides!).
Les grandes surfaces ouvertes par Carrefour à Beijing ne désemplissent
pas, et certains week-ends, de longues files d’attente se forment
devant les caisses pourtant très nombreuses. Il est difficile
de laisser la marchandise sur place quand on a déjà passé beaucoup
de temps pour s’approvisionner dans les rayons. Alors, les clients prennent leur mal en patience...
Méfiance envers les cartes
bancaires
Justifiée ou non, cette méfiance de la part des caissières
est constante. Par tradition, les Chinois préfèrent nettement
le paiement en liquide, xian
jin, et il est difficile de faire évoluer les mentalités.
Quand vous sortez votre carte de crédit, surtout lorsque vous
êtes un étranger, les caissières ont généralement un sursaut.
Certaines se rassurent quand il s’agit d’une carte bancaire chinoise,
mais d’autres bloquent le compte et vous font répéter deux, trois,
voire quatre fois votre code secret en déclarant « pas de
solution » (mei banfa).
Pour régler le problème, il y a deux méthodes : la première,
toujours déplaisante, consiste à appeler un ou une contrôleuse,
et la seconde, plus efficace, consiste à citer le nom d’une grande
surface chinoise où « la carte marche ». Miracle, la
machine fonctionne et le débit du compte est effectué! Le problème se complique avec les cartes de crédit
étrangères qui sont examinées à la loupe par la caissière, les
contrôleurs et quelquefois les directeurs appelés en renfort!
Donc, ne vous fiez pas à l’inscription placée au-dessus des
caisses : cartes de crédit acceptées! À vrai dire, il suffit
d’un peu de formation des caissières pour que ce problème disparaisse
ainsi que nous l’avons constaté dans le nouveau magasin Auchan
à Beijing.
Deux autres petits dispositifs de ce magasin rendent
les achats plus commodes. D’une part, les caissières mettent les
produits dans un sac à préouverture, et d’autre part, il y a une
barre pour le « client suivant ». Simple, mais pratique!
Côté
fournisseurs : le listing
Tous ceux qui connaissent un peu les règles commerciales
occidentales savent que « pour être listé, c’est-à-dire pour pouvoir vendre ses produits dans
les grandes surfaces, il faut payer un droit d’entrée ».
Quel est le montant de ce droit d’entrée? Celui-ci varie pour
les fournisseurs en fonction de la notoriété de la société, de
la quantité de produits qu’elle veut vendre, des marges consenties,
bref d’un ensemble de règles écrites ou non qui rendent le jeu
très subtil. Quand on veut être listé, il faut être un commerçant
avisé et un adroit négociateur pour préserver sa marge bénéficiaire.
En Chine, 17 sociétés en ont fait l’expérience. En
juin 2003, l’association « Shanghai Seed and Nut Roasters »
a protesté auprès de Carrefour qui, selon elle, imposait des charges
indues sur leurs produits mis en vente dans les magasins de cette
enseigne. Les compagnies chinoises menaçaient de retirer leurs
produits de tous les magasins si leurs revendications n’étaient
pas satisfaites. Apparemment, ce problème a été résolu dans l’intérêt
des deux parties, puisque les produits de marques comme Taifeng, Zhenglin et A Ming n’ont
pas disparu des rayons.
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Le rayon « frais »
du magasin de Fangyuan Dasha. |
Une grande
chaîne de distribution française spécialisée dans les articles
de sport, Décathlon, s’est également lancée à la conquête du marché
chinois, et l’organisation des prochains Jeux olympiques lui ouvre
de belles perspectives. Selon madame Zhuang Ying, responsable
des relations publiques, « Décathlon a aujourd'hui
trois magasins d'usine qui se trouvent respectivement à Shanghai,
Guangzhou et Shenzhen. Le premier magasin concept de la Société
vient d'être ouvert à Shanghai en novembre dernier. Le premier magasin type, ainsi
que d'autres magasins d'usine, nous donnent un résultat satisfaisant.
Cela est lié évidemment à une demande de plus en plus forte pour
les produits sportifs. » Il est intéressant de noter que
le vélo, autrefois moyen de locomotion essentiel en Chine, devient
comme ailleurs un article de sport acheté comme tel par les jeunes.
Pour conclure, on peut se demander quel sera l’impact
des implantations par des sociétés étrangères de grandes surfaces
en Chine. Concernant le marché intérieur, celui-ci sera difficile
à mesurer et il faudra attendre le recul de plusieurs années pour
avoir des chiffres précis. Mais une chose est sûre : l’impact
dans le domaine de l’emploi sera positif puisqu’une seule grande
surface se traduit par l’embauche de plus de six cents employés,
sans compter bien entendu le travail fourni en aval aux fournisseurs
et intermédiaires de toutes sortes. C’est un aspect non négligeable
et certainement positif pour l’économie chinoise.