FÉVRIER 2004

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

Les grandes manœuvres de la grande distribution

DANIEL COGEZ

Le complexe commercial Auchan, à Beijing, a été ouvert officiellement le 8 décembre dernier, sur une surface de 13 hectares.

Si l’on cherche des signes tangibles de la politique d’ouverture de la Chine et du respect des règles de la libre concurrence, c’est dans le domaine de la grande distribution qu’il faut les trouver. Les implantations de grandes surfaces par des sociétés étrangères se multiplient et les différentes enseignes se livrent à une concurrence acharnée. Ainsi, alors que Carrefour renforce son implantation à travers la Chine, Auchan vient d’ouvrir sa première grande surface à Beijing et le géant américain WalMart s’installe à Tianjin.

On a glosé et disserté à perte de vue sur le marché chinois et sur l’importance qu’il prendra au cours des années à venir.  Ce fait de société n’a pas échappé à ceux dont le principal métier est de vendre des produits de consommation courante, les grandes chaînes de la distribution.

Depuis 1997, le courant s’accélère et la concurrence est vive principalement entre les chaînes françaises et américaines. Tantôt les Américains marquent des points, notamment à Dalian, province du Liaoning, où WalMart se trouve au centre et Carrefour à l’extérieur de la ville, et tantôt ce sont les Français comme à Beijing ou à Qingdao, province du Shandong, où Carrefour en position de force attire une chalandise importante. 

Des ouvertures à cadence accélérée

Déjà solide dans les principales municipalités comme Beijing (4 magasins), Shanghai (6 magasins) et Tianjin (3 magasins), Carrefour s’étend désormais jusque dans le Grand Ouest de la Chine, avec l’ouverture d’un magasin à Urumqi, dans la région autonome du Xinjiang. Rappelons que Carrefour est le deuxième distributeur mondial avec un chiffre d’affaires de 78 milliards d’euros (2000) et 9 200 magasins répartis dans 31 pays.

D’après M. Christian Honoré, directeur général du marketing à Carrefour, « le groupe en ce qui concerne la zone Asie compte 4 000 magasins, dont 126 hypermarchés répartis dans huit pays; il emploie 28 000 salariés. Le chiffre d’affaires pour cette zone s’est élevé à 5,2 milliards d’euros. À la fin juin 2003, la Chine représentait à elle seule 40 hypermarchés pour un chiffre d’affaires annuel de 1,37 milliard d’euros. Le rythme d’ouverture pour la seule Chine continentale se fera à une cadence accélérée de 12 à 15 hypermarchés par an, soit un doublement des implantations en trois ans. »

M. Honoré précise encore « que le groupe Carrefour est arrivé fin juillet 2003 avec une nouvelle enseigne, Dia, spécialisée dans la distribution à bas prix. Dix-sept magasins sont déjà ouverts à Shanghai, et le contrat en joint-venture avec une société chinoise a été signé pour l’ouverture de magasins à Beijing. À terme, ce sont, au cumul de Shanghai et Beijing, plus de 500 magasins Dia que le groupe prévoit ouvrir d’ici à 2005. »

Auchan a emboîté le pas et, après avoir ouvert des magasins à Shanghai, Hangzhou et Suzhou, le groupe a inauguré, le 8 décembre dernier, un magasin de 12 000 m2 à Beijing, du côté du quatrième périphérique ouest. M. Bruno Mercier, directeur général d’Auchan pour la Chine, précise que « ce magasin, dénommé Beijing Golden Seasons, est implanté dans un centre commercial d’une surface totale de 13 hectares et que les autres enseignes du groupe sont B & Q où sont vendus des produits d’équipement pour la maison, Aika, un magasin de meubles, et des restaurants ». De nombreux habitants du quartier se sont réjouis de cette ouverture qui comble le manque de grands magasins dans un secteur éloigné du centre-ville.

Cette grande surface et ses annexes reproduisent ce qui existe à la périphérie des grandes villes européennes : tout est surdimensionné en quantités et en volumes de marchandises. Le consommateur y trouvera certainement son intérêt, notamment lorsque certains produits de qualité sont vendus dans le cadre d’une promotion. Les premières promotions organisées par Auchan ont provoqué de véritables ruées vers les étals, alors même que le magasin n’était pas ouvert officiellement.

Côté clients : l’attrait du nouveau

L’inauguration du magasin Carrefour à Fangyuan Dasha le 8 août 2000.

Comment les consommateurs chinois perçoivent-ils ces nouveaux magasins? Les grandes surfaces françaises ne pratiquent pas des prix moins chers, tout juste parviennent-elles à s’aligner sur leurs concurrentes chinoises. Toutefois, elles font la différence grâce à une meilleure présentation, plus claire, plus gaie et plus attractive. En outre, auprès de certains consommateurs, il y a un phénomène d’attirance pour tout ce qui est exotique et qui vient de l’étranger. Il suffit de voir le succès des fast-foods par rapport aux petits restaurants de nourriture rapide traditionnels, pourtant bien commodes (les délicieux baozi sont nettement préférables aux tristes sandwiches insipides!). Les grandes surfaces ouvertes par Carrefour à Beijing ne désemplissent pas, et certains week-ends, de longues files d’attente se forment devant les caisses pourtant très nombreuses. Il est difficile de laisser la marchandise sur place quand on a déjà passé beaucoup de temps pour s’approvisionner dans les rayons.  Alors, les clients prennent leur mal en patience...

Méfiance envers les cartes bancaires

Justifiée ou non, cette méfiance de la part des caissières est constante. Par tradition, les Chinois préfèrent nettement le paiement en liquide, xian jin, et il est difficile de faire évoluer les mentalités. Quand vous sortez votre carte de crédit, surtout lorsque vous êtes un étranger, les caissières ont généralement un sursaut. Certaines se rassurent quand il s’agit d’une carte bancaire chinoise, mais d’autres bloquent le compte et vous font répéter deux, trois, voire quatre fois votre code secret en déclarant « pas de solution » (mei banfa). Pour régler le problème, il y a deux méthodes : la première, toujours déplaisante, consiste à appeler un ou une contrôleuse, et la seconde, plus efficace, consiste à citer le nom d’une grande surface chinoise où « la carte marche ». Miracle, la machine fonctionne et le débit du compte est effectué! Le problème se complique avec les cartes de crédit étrangères qui sont examinées à la loupe par la caissière, les contrôleurs et quelquefois les directeurs appelés en renfort! Donc, ne vous fiez pas à l’inscription placée au-dessus des caisses : cartes de crédit acceptées! À vrai dire, il suffit d’un peu de formation des caissières pour que ce problème disparaisse ainsi que nous l’avons constaté dans le nouveau magasin Auchan à Beijing.

Deux autres petits dispositifs de ce magasin rendent les achats plus commodes. D’une part, les caissières mettent les produits dans un sac à préouverture, et d’autre part, il y a une barre pour le « client suivant ». Simple, mais pratique!

Côté fournisseurs : le listing

Tous ceux qui connaissent un peu les règles commerciales occidentales savent que « pour être listé, c’est-à-dire pour pouvoir vendre ses produits dans les grandes surfaces, il faut payer un droit d’entrée ». Quel est le montant de ce droit d’entrée? Celui-ci varie pour les fournisseurs en fonction de la notoriété de la société, de la quantité de produits qu’elle veut vendre, des marges consenties, bref d’un ensemble de règles écrites ou non qui rendent le jeu très subtil. Quand on veut être listé, il faut être un commerçant avisé et un adroit négociateur pour préserver sa marge bénéficiaire.

En Chine, 17 sociétés en ont fait l’expérience. En juin 2003, l’association « Shanghai Seed and Nut Roasters » a protesté auprès de Carrefour qui, selon elle, imposait des charges indues sur leurs produits mis en vente dans les magasins de cette enseigne. Les compagnies chinoises menaçaient de retirer leurs produits de tous les magasins si leurs revendications n’étaient pas satisfaites. Apparemment, ce problème a été résolu dans l’intérêt des deux parties, puisque les produits de marques comme Taifeng, Zhenglin et A Ming n’ont pas disparu des rayons.

Le rayon « frais » du magasin de Fangyuan Dasha.

Une grande chaîne de distribution française spécialisée dans les articles de sport, Décathlon, s’est également lancée à la conquête du marché chinois, et l’organisation des prochains Jeux olympiques lui ouvre de belles perspectives. Selon madame Zhuang Ying, responsable des relations publiques, « Décathlon a aujourd'hui trois magasins d'usine qui se trouvent respectivement à Shanghai, Guangzhou et Shenzhen. Le premier magasin concept de la Société vient d'être ouvert à Shanghai en novembre dernier. Le premier magasin type, ainsi que d'autres magasins d'usine, nous donnent un résultat satisfaisant. Cela est lié évidemment à une demande de plus en plus forte pour les produits sportifs. » Il est intéressant de noter que le vélo, autrefois moyen de locomotion essentiel en Chine, devient comme ailleurs un article de sport acheté comme tel par les jeunes.

Pour conclure, on peut se demander quel sera l’impact des implantations par des sociétés étrangères de grandes surfaces en Chine. Concernant le marché intérieur, celui-ci sera difficile à mesurer et il faudra attendre le recul de plusieurs années pour avoir des chiffres précis. Mais une chose est sûre : l’impact dans le domaine de l’emploi sera positif puisqu’une seule grande surface se traduit par l’embauche de plus de six cents employés, sans compter bien entendu le travail fourni en aval aux fournisseurs et intermédiaires de toutes sortes. C’est un aspect non négligeable et certainement positif pour l’économie chinoise.