FÉVRIER 2004

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

Les Chinois se laissent-ils séduire par Cupidon?

LI WUZHOU

Dire « Je t’aime »... avec des fleurs.

En Occident, évoquer l’amour et les amoureux, c’est souvent penser à la Saint-Valentin, aux roses et aux chocolats. Désormais, les Chinois semblent aussi adopter cette mode, pour le plus grand bonheur des jeunes, mais au grand regret de certains autres.

Ces dernières années, avec la diversification des modes de vie, les fêtes et les mœurs des Occidentaux sont de plus en plus acceptées en Chine. La Saint-Valentin est l’une des deux fêtes occidentales (l’autre est Noël) les mieux accueillies par les Chinois. Pendant celles-ci, les jeunes s’en donnent à cœur joie.

Une simple astuce des commerçants et des médias ?

« La Saint-Valentin est vraiment l’astuce des commerçants et des médias! Les uns ont besoin d’informations pour attirer des lecteurs et des auditeurs, les autres ont bien l’intention de vendre leurs marchandises », déclare franchement monsieur Yu, un journaliste âgé, en critiquant la Saint-Valentin en Chine. « Cette fête est plutôt une journée pour les commerçants chinois que pour les amoureux », ajoute-t-il.
La presse et Internet n’hésitent pas à faire couler beaucoup d’encre, même un mois avant ces deux fêtes. Les uns mènent des discussions sur les idées les plus originales pour célébrer, tandis que les autres profitent de ce moment pour solliciter l’envoi de manuscrits en faisant miroiter des primes. Quant aux commerçants, ils ne perdent pas une occasion de faire de la publicité…

Tout ce brouhaha donne à penser que la Saint-Valentin va bientôt arriver. «Ne devriez-vous pas faire quelque chose? » semble-t-on insinuer.  Même les gens les plus frustrés sur le plan sentimental sont la cible des commerçants. Bien avant le 14 février, on annonce sur certains sites Web l’organisation de rencontres d’internautes célibataires. Bien sûr, ces rencontres ne sont pas gratuites; chacun doit verser 100 ou 200 yuans. On organise ces rencontres pour que les célibataires sortent de leur solitude et fassent la connaissance de nouveaux partenaires. Ce service est assez bien accueilli par les âmes seules et les tickets d’entrée s’envolent rapidement.

Le marché des fleurs est très animé pour la Saint-Valentin. La rose revêt une signification particulière et coûte évidemment assez cher. Il est normal que les roses coûtent deux ou trois fois plus cher qu’en temps ordinaire, et il n’est pas surprenant non plus que son prix soit multiplié par cinq ou six le jour même de la fête. L’année dernière, bien que le prix d’une sorte de rose bleue ait atteint 180 yuans la tige, dans un marché de la ville de Nanjing, on en a vendu presque 10 000.

Pour la Saint-Valentin, de grands magasins installent des comptoirs spéciaux de cadeaux. Les affaires des restaurants occidentaux ne sont pas en reste non plus. Si l’on n’y a pas réservé de places, on n’en trouvera pas ce jour-là.

Quant aux technologies de pointe, il vaut mieux dire qu’elles servent davantage à rapporter des profits aux commerçants plutôt qu’à donner un nouveau visage à la Saint-Valentin chinoise. Bien avant la fête, les principaux portails, dont Sina et Sohu, ont ouvert des pages d’e-commerce. Même avant Noël, des sites Web pensaient déjà à une série de fêtes en offrant des services de cadeaux aux internautes.

Un vif désir de romantisme

Bien que la Saint-Valentin soit teintée d’une forte couleur commerciale, il est incontestable qu’elle satisfait le besoin de romantisme des Chinois et qu’elle est très appréciée par les jeunes.

Wang Li, employée dans une société étrangère, espère recevoir 99 roses pour la Saint-Valentin. « Ce qui compte dans cette fête, c’est l’ambiance; je sais que mon ami m’aime, mais j’espère qu’il me le démontrera de nouveau en m’offrant un bouquet de roses », avoue-t-elle.

Liu Ping, ingénieur en informatique, compte offrir un bouquet de roses à son épouse. « Bien que ma femme considère, comme bien d’autres Chinois, qu’un amoureux est synonyme de tierce personne, nous sommes non seulement des compagnons, mais aussi des amoureux; il faut davantage de romantisme et de tendresse dans notre couple. »

« L’enthousiasme envers cette fête démontre l’ouverture d’esprit des Chinois qui ont été, pendant des millénaires, prudes et renfermés à propos des relations homme-femme », a exprimé un commentateur chinois dans Internet. « Avant la réforme et l’ouverture, amour était un mot dangereux. Dans certains films et pièces de théâtre d’alors, le personnage principal était toujours célibataire », a-t-il poursuivi.

Selon un fleuriste, le chiffre d’affaires de la Saint-Valentin représente plus de la moitié de son revenu annuel, ce qui montre non seulement la perspicacité des commerçants, mais également l’aspiration des Chinois au romantisme. Quel que soit le prix d’une rose à cette occasion, coûte que coûte, on veut en offrir un bouquet à la personne aimée.

Ceux qui s’intéressent le plus à la Saint-Valentin sont les jeunes et ceux qui ont été directement influencés par l’Occident.

Comme d’autres fêtes occidentales, la Saint-Valentin a fait ses débuts aux premières années de la décennie 1990. Depuis lors, les jeunes cherchent à s’habiller à la coréenne, à se donner un nom anglais et à célébrer des fêtes à l’occidentale. À Noël, les églises sont bondées de non-croyants. Lors de l’Halloween, ils achètent des masques. Ils espèrent ainsi profiter d’une ambiance de fête pour s’immerger dans un espace romantique. Rien que l’appellation Saint-Valentin, la fête du cœur, plongent beaucoup de Chinois dans la rêverie.

Sur la rue, les filles qui portent un bouquet de fleurs et une boîte de chocolat ont immanquablement moins de 25 ans. Pour les gens d’âge mûr, cela demande un grand courage d’agir de la sorte à la Saint-Valentin.

Marquer la Saint-Valentin d’une touche chinoise

Les ventes de chocolats sont animées pour la Saint-Valentin.

L’augmentation du prix des roses et l’animation des ventes de chocolats ne signifient pas pour autant que la Saint-Valentin occidentale soit acceptée totalement par la plupart des Chinois.

M. Li Jiangguo, employé dans un département d’urbanisme de Beijing, a été l’un des premiers étudiants admis à l’université après la Révolution culturelle en 1977. Au moment de ses études, il ne connaissait pas cette fête,. C’est en 1993 qu’il l’a découverte pour la première fois chez sa fleuriste et par les activités commerciales entourant la vente des chocolats. Pour suivre la mode et connaître cette nouveauté, il avait alors offert des fleurs à sa bien-aimée et l’avait invitée à dîner dans un restaurant; depuis qu’il est marié, il n’a jamais souligné cette fête. En effet, à ses yeux, une épouse et une amoureuse sont deux personnes différentes. Un jour, sa femme lui a proposé, tout doucement , de passer la Saint-Valentin ensemble, mais il a refusé en lui disant qu’il ne s’intéressait pas à cette fête occidentale.

« En d’autres mots, je suis un Chinois traditionnel et je n’accepte pas beaucoup cette fête; ce qui est plus important, c’est que j’assume la responsabilité de ma famille », dit M. Li en se justifiant.

Bien sûr, la plupart des personnes aspirent à souligner la Saint-Valentin, bien qu’elles passent cette fête à la chinoise. L’homme mûr est plus réaliste. Il offre à son amie des roses ou des chocolats plutôt que des bijoux. Cependant, la plupart des femmes mariées choisissent des bijoux; bien que le prix des fleurs ne soit pas très élevé, peu de femmes demandent les deux.

Pour la Saint-Valentin, M. Wang, 65 ans, projette d’acheter un bouquet de roses rouges à sa femme. Le couple fait vie commune depuis plus de 40 ans. En dépit de son âge, M. Wang  souhaite passer une fête des amoureux avec sa femme. Toutefois, cet homme nous a confié avoir un projet différent pour l’occasion : organiser une soirée pour renforcer l’amitié entre sa famille et ses voisins. N’est-ce pas une idée surprenante ?

Il faut souligner que c’est seulement dans les grandes villes chinoises que l’on célèbre la Saint-Valentin ; à la campagne, la plupart des gens ignorent encore cette fête.

La Saint-Valentin à la chinoise

La Saint-Valentin n’appartient pas seulement aux jeunes.

Ayant célébré la Saint-Valentin occidentale pendant une dizaine d’années, la Chine a maintenant trouvé sa propre fête de l’amour : le 7 du 7e mois du calendrier lunaire. Cette façon de faire a été proposée par des chercheurs qui s’opposent à « l’infiltration culturelle ». « La fête chinoise de l’amour, celle soulignant la rencontre d’un bouvier et d’une tisserande, a sombré dans l’oubli », se désole un professeur dans Internet. L’engouement de certains Chinois pour les fêtes occidentales fait presque en sorte qu’ils négligent leurs fêtes traditionnelles. « À l’époque où l’on propose de protéger la diversité culturelle dans le monde, nous, les Chinois, devons bien conserver nos propres traditions, » a-t-il mis en garde

Une entreprise de la province du Jiangsu a organisé un symposium pendant lequel les chercheurs ont lancé un mot d’ordre : remplacer la rose par le pois rouge (le pois rouge est considéré comme un objet d’amour en Chine) et créer une fête chinoise de l’amour.

Cette proposition a tout de suite été accueillie par la presse et par les commerçants qui sont toujours à l’affût d’activités commerciales. Toutefois, la réaction du marché montre que la plupart des Chinois restent indifférents à la fête de l’amour de leur propre pays. Dans la rue Sanlitun,  la rue des bars la plus animée à Beijing, aucun bar ne célèbre la Saint-Valentin chinoise. Quantité de fleurs qu’on avait préparées pour l’occasion se sont flétries, et en dépit des activités promotionnelles soigneusement organisées par les commerçants, les ventes de cadeaux n’ont pas été meilleures qu’en temps ordinaire.

Personne ne croit que la lune de l’étranger soit plus ronde que la lune chinoise, mais la Saint-Valentin occidentale semble vraiment plus chaleureuse que celle de la Chine.

D’après un chercheur sur l’histoire et les mœurs chinoises, en réalité, il n’existe pas de Saint-Valentin chinoise. La légende de la fête chinoise ne raconte pas seulement l’amour entre une fée et un humain, mais c’est un jour férié où la fille demande la sagesse à l’esprit de la tisserande.

« En Chine, les fêtes importantes sont des fêtes destinées à célébrer l’union de la famille ou à offrir un sacrifice aux ancêtres, à la nature et aux esprits. Pour leur part, les fêtes occidentales −Saint-Valentin, Fête des pères, Fête des mères − sont centrées sur l’humain. Les jeunes d’aujourd’hui ont besoin de romantisme et de divertissement, voire même de stimulation. La fête occidentale de l’amour semble bien satisfaire au besoin psychologique des jeunes Chinois, sans leur demander de comprendre une signification religieuse ou historique sérieuse, a expliqué un étudiant à la maîtrise en histoire d’une université de Beijing.

M. Chen Liansheng, professeur de folklore de l’université de Beijing, a déclaré : « L’introduction de Noël et de la Saint-Valentin est une nécessité du développement culturel. Si les Chinois apprécient ces fêtes, ils les incluront dans leur horizon culturel et en feront une nouvelle tradition de leur culture. »

Un autre chercheur approuve ce point de vue : « Que des Chinois portent le costume occidental et célèbrent des fêtes occidentales, ou que des étrangers fassent inversement, tout cela témoigne de l’ouverture et de la tolérance de la Chine à l’égard de la diversité culturelle et montre une tendance à l’intégration de la culture mondiale. Nous ne devons pas en faire tout un plat. » Ces deux points de vue ont été fort appréciés par beaucoup d’internautes.

La légende de la Saint-Valentin chinoise

Le 7 juillet du calendrier lunaire est aussi appelé la fête d’imploration de la sagesse. On dit que c’est le jour où un bouvier et une tisserande se sont rencontrés sur le pont que construit une pie une fois par année.

D’après cette légende, la tisserande est la petite-fille de la reine mère du Ciel, tandis que le bouvier est un orphelin sur terre. Ces deux-là se sont épousés malgré l’ordre de l’empereur du Ciel qui empêchait le mariage entre une immortelle et un humain. Ayant eut vent de cette affaire, l’empereur du Ciel envoya donc quelqu’un ramener la tisserande à la cour céleste ; à l’aide d’un bœuf surnaturel, le bouvier, mari de la tisserande, essaya de la rattraper, mais en vain. La reine mère tira alors une épingle à cheveux avec laquelle elle zébra le ciel. Rapidement, la Voie lactée sépara le bouvier de la tisserande. Pourtant, des deux côtés de cette voie, les deux amoureux ne fléchirent pas. Ému, l’empereur du Ciel leur permit de se rencontrer sur un pont jeté par une pie, le 7 du 7e mois de chaque année. C’est cette légende qui donna naissance à la fête chinoise de l’amour, et la pie est considérée par les Chinois comme un animal de bon augure.