Cette 
                ville qui est la mienne… (II)
               
              CHEN 
                JING
               
              
                 
                    | 
                
                 
                  | Église catholique, rue Wangfujing 
                    à Beijing. | 
                
              
              De 
                la capitale des Gaules à la capitale de l’empire du Milieu, la 
                coopération pour sauver le patrimoine urbain se met en place. 
                À la question « Conserver ou démolir? », soulevée le 
                mois dernier, nous vous proposons les réponses d’autres spécialistes 
                qui étaient présents au premier séminaire du Centre de réflexions 
                et d’expériences sino-européennes sur la protection des patrimoines 
                de l’humanité.
              Il y a vingt siècles, Momoros 
                et Atepomaros, deux princes gaulois, baptisaient leur ville Lugdunum, 
                la Lyon d’aujourd'hui; un millénaire plus tôt, à l’époque des 
                Royaumes combattants, les Yan s’installaient à l’emplacement de 
                l’actuelle Beijing. Au nom même de la notion de patrimoine, que 
                l’UNESCO a définie et qui doit appartenir à l’Humanité entière, 
                Beijing n’est pas laissée à elle-même pour assumer la protection 
                de son espace urbain. Et voilà que la présence à Beijing du représentant 
                officiel du maire de Lyon, M. Michel Chomarat, apporte à ses habitants 
                le soutien des Lyonnais…
                En effet, comme d’autres villes européennes, telles Saint-Pétersbourg, 
                Venise, Prague et Porto, Lyon s’enorgueillit de sites historiques 
                urbains inscrits à la liste du patrimoine mondial. À ce titre, 
                la reconnaissance de l’UNESCO assigne à la ville la mission de 
                proposer « un développement exemplaire – durable diraient 
                certains – pour les siècles à venir. » C’est dans ce contexte 
                que Lyon veut servir d’exemple à la capitale de Chine. « La fragmentation 
                entre un centre reconnu par l’humanité et les autres quartiers 
                est à éviter », indique M. Chomarat, venant ainsi renforcer le 
                propos de Mme Domenach-Chich, directrice adjointe de l’UNESCO 
                à Beijing : « La préservation des villes historiques 
                ne peut réussir que si elle a un sens pour la société contemporaine 
                et que si elle s’inscrit dans la planification globale du développement 
                urbain et régional ».
                L’ethnologue Yu Shuo a pu admirer la diversité des caractéristiques 
                propres à chacune des villes européennes du patrimoine mondial 
                pendant son séjour sur le vieux continent. Celle-ci regrette beaucoup 
                la métamorphose des villes chinoises qui rend ces dernières presque 
                méconnaissables. Elle avoue avoir la nostalgie des étroites ruelles, 
                simples et paisibles, de l’ancienne Beijing, de cette ambiance 
                d’antan qui est perdue. Selon ses dires, des échanges devront 
                s’intensifier pour que l’Europe communique ses expérimentations 
                réussies.
              Le transculturel 
                et la conservation
              
                
                    | 
                
                
                  | Le troisiême périphérique 
                    de Beijing: les gratte-ciel et les vieilles demeures se confondent. | 
                
              
              Mme Yu a aussi expliqué dans 
                quelle mesure le « transculturel », une nouvelle approche 
                de l’anthropologie, peut s’appliquer à la conservation. Avec le 
                déplacement et la rencontre des hommes, on constate un processus 
                de déterritorialisation des cultures, de leur enrichissement mutuel 
                en allant puiser ce qui leur est utile. En bref, à cause de la 
                présence d’autrui, de ses réactions envers nos conduites, on se 
                rectifie. Et aujourd’hui, c’est justement la Chine qui se présente 
                comme le champ d’expérimentation des pratiques pour protéger son 
                patrimoine. Cette Chine est tiraillée, d’une part entre la fierté 
                de sa splendide histoire, et d’autre part, la volonté de se moderniser. 
                Bien que la notion de conservation soit née en Occident il y a 
                plus de deux cents ans, à la suite des ravages de la Révolution 
                française, il s’agit de discuter d’un même sujet avec un certain 
                décalage temporel et spatial en vue d’un échange efficace d’expériences. 
                En outre, dans les deux cas, c’est la valeur et la qualité de 
                l’existence humaine qui sont en question.
              En effet, ce genre d’échanges 
                n’a jamais cessé au fil de l’histoire. Les jardins à la chinoise, 
                très en vogue en France au XVIIIe siècle, en sont une preuve. 
                En terminologie spécialisée, on appelle cet apprentissage mutuel 
                « Movement toward other 
                » (mouvement vers les autres), précise Mme Yu. L’intervention 
                de la ville de Lyon dans la réhabilitation de la ville de Beijing, 
                à savoir la participation des architectes et des sociologues lyonnais, 
                attestera le souhait d’échanges des deux municipalités.
              La Terre 
                Patrie, une notion centrale
              
                
              
                
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                  | Vue du Vieux Lyon. | 
                
              
              Mme Yu a aussi cité la Terre 
                Patrie de l’anthroposociologue Edgar Morin, président de l'Agence 
                européenne pour la culture (UNESCO) : « Le problème essentiel 
                est que l’humanité n’est pas capable d’être l’humanité, et que 
                le monde n’est pas capable de devenir le monde. » Cela ne peut 
                en aucun cas nous laisser indifférents. Selon Morin, des réformes 
                doivent être mises en œuvre, en particulier sur le plan éducatif. 
                « Jamais il n’y eut une cause aussi grande, aussi noble, 
                aussi nécessaire que la cause de l’humanité pour à la fois, et 
                inséparablement, survivre, vivre et s’humaniser », a-t-il 
                solennellement prononcé. Espérons que la conception de « Patrimoine 
                de l’Humanité » s’enrichisse de son application en Chine 
                pour mieux servir à tous les peuples de la Terre.
              Comment retrouver ma vieille 
                ville? En fouillant dans les marchés aux puces les vieilles cartes 
                postales? Ces croquis et photos fanés par les ans suscitent la 
                mélancolie et la tristesse. C’est beau, mais navrant. Ce qui a 
                vu naître nos ancêtres et ce qui a donné l’essence même de notre 
                nature se voient anéantis sous les couches de peinture de la modernité. 
                Il n’est pas encore trop tard pour redessiner, revivifier, embellir 
                ce qui nous est le plus cher. Le Centre d’échanges est une de 
                ces tentatives de conscience patrimoniale. À l’ancien Observatoire 
                près de la porte Jianguo, on observera les actions des habitants 
                en vue de la protection de leur patrimoine : enquêtes, recherches, 
                analyses, propositions de conseils, expérimentations, applications, 
                une série d’actions que l’on va entreprendre pas à pas. Qui sait 
                si, de ce site également, les extra-terrestres n’identifieront 
                pas l’Homme à travers cette ville typique…