FÉVRIER 2004

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

Cette ville qui est la mienne… (II)

CHEN JING

Église catholique, rue Wangfujing à Beijing.

De la capitale des Gaules à la capitale de l’empire du Milieu, la coopération pour sauver le patrimoine urbain se met en place. À la question « Conserver ou démolir? », soulevée le mois dernier, nous vous proposons les réponses d’autres spécialistes qui étaient présents au premier séminaire du Centre de réflexions et d’expériences sino-européennes sur la protection des patrimoines de l’humanité.

Il y a vingt siècles, Momoros et Atepomaros, deux princes gaulois, baptisaient leur ville Lugdunum, la Lyon d’aujourd'hui; un millénaire plus tôt, à l’époque des Royaumes combattants, les Yan s’installaient à l’emplacement de l’actuelle Beijing. Au nom même de la notion de patrimoine, que l’UNESCO a définie et qui doit appartenir à l’Humanité entière, Beijing n’est pas laissée à elle-même pour assumer la protection de son espace urbain. Et voilà que la présence à Beijing du représentant officiel du maire de Lyon, M. Michel Chomarat, apporte à ses habitants le soutien des Lyonnais…
En effet, comme d’autres villes européennes, telles Saint-Pétersbourg, Venise, Prague et Porto, Lyon s’enorgueillit de sites historiques urbains inscrits à la liste du patrimoine mondial. À ce titre, la reconnaissance de l’UNESCO assigne à la ville la mission de proposer « un développement exemplaire – durable diraient certains – pour les siècles à venir. » C’est dans ce contexte que Lyon veut servir d’exemple à la capitale de Chine. « La fragmentation entre un centre reconnu par l’humanité et les autres quartiers est à éviter », indique M. Chomarat, venant ainsi renforcer le propos de Mme Domenach-Chich, directrice adjointe de l’UNESCO à Beijing : « La préservation des villes historiques ne peut réussir que si elle a un sens pour la société contemporaine et que si elle s’inscrit dans la planification globale du développement urbain et régional ».
L’ethnologue Yu Shuo a pu admirer la diversité des caractéristiques propres à chacune des villes européennes du patrimoine mondial pendant son séjour sur le vieux continent. Celle-ci regrette beaucoup la métamorphose des villes chinoises qui rend ces dernières presque méconnaissables. Elle avoue avoir la nostalgie des étroites ruelles, simples et paisibles, de l’ancienne Beijing, de cette ambiance d’antan qui est perdue. Selon ses dires, des échanges devront s’intensifier pour que l’Europe communique ses expérimentations réussies.

Le transculturel et la conservation

Le troisiême périphérique de Beijing: les gratte-ciel et les vieilles demeures se confondent.

Mme Yu a aussi expliqué dans quelle mesure le « transculturel », une nouvelle approche de l’anthropologie, peut s’appliquer à la conservation. Avec le déplacement et la rencontre des hommes, on constate un processus de déterritorialisation des cultures, de leur enrichissement mutuel en allant puiser ce qui leur est utile. En bref, à cause de la présence d’autrui, de ses réactions envers nos conduites, on se rectifie. Et aujourd’hui, c’est justement la Chine qui se présente comme le champ d’expérimentation des pratiques pour protéger son patrimoine. Cette Chine est tiraillée, d’une part entre la fierté de sa splendide histoire, et d’autre part, la volonté de se moderniser. Bien que la notion de conservation soit née en Occident il y a plus de deux cents ans, à la suite des ravages de la Révolution française, il s’agit de discuter d’un même sujet avec un certain décalage temporel et spatial en vue d’un échange efficace d’expériences. En outre, dans les deux cas, c’est la valeur et la qualité de l’existence humaine qui sont en question.

En effet, ce genre d’échanges n’a jamais cessé au fil de l’histoire. Les jardins à la chinoise, très en vogue en France au XVIIIe siècle, en sont une preuve. En terminologie spécialisée, on appelle cet apprentissage mutuel « Movement toward other » (mouvement vers les autres), précise Mme Yu. L’intervention de la ville de Lyon dans la réhabilitation de la ville de Beijing, à savoir la participation des architectes et des sociologues lyonnais, attestera le souhait d’échanges des deux municipalités.

La Terre Patrie, une notion centrale


Vue du Vieux Lyon.

Mme Yu a aussi cité la Terre Patrie de l’anthroposociologue Edgar Morin, président de l'Agence européenne pour la culture (UNESCO) : « Le problème essentiel est que l’humanité n’est pas capable d’être l’humanité, et que le monde n’est pas capable de devenir le monde. » Cela ne peut en aucun cas nous laisser indifférents. Selon Morin, des réformes doivent être mises en œuvre, en particulier sur le plan éducatif. « Jamais il n’y eut une cause aussi grande, aussi noble, aussi nécessaire que la cause de l’humanité pour à la fois, et inséparablement, survivre, vivre et s’humaniser », a-t-il solennellement prononcé. Espérons que la conception de « Patrimoine de l’Humanité » s’enrichisse de son application en Chine pour mieux servir à tous les peuples de la Terre.

Comment retrouver ma vieille ville? En fouillant dans les marchés aux puces les vieilles cartes postales? Ces croquis et photos fanés par les ans suscitent la mélancolie et la tristesse. C’est beau, mais navrant. Ce qui a vu naître nos ancêtres et ce qui a donné l’essence même de notre nature se voient anéantis sous les couches de peinture de la modernité. Il n’est pas encore trop tard pour redessiner, revivifier, embellir ce qui nous est le plus cher. Le Centre d’échanges est une de ces tentatives de conscience patrimoniale. À l’ancien Observatoire près de la porte Jianguo, on observera les actions des habitants en vue de la protection de leur patrimoine : enquêtes, recherches, analyses, propositions de conseils, expérimentations, applications, une série d’actions que l’on va entreprendre pas à pas. Qui sait si, de ce site également, les extra-terrestres n’identifieront pas l’Homme à travers cette ville typique…