JANVIER 2004

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

Shu Le, dessinateur du plan des hutong

YA QI

M. Shu devant la porte de l’ancienne demeure de Wan Rong, concubine du dernier empereur de la dynastie des Qing M. Shu Le interroge les gens de l’endroit sur l’histoire des hutong. M. Shu examine le vieil arbre de la cour du temple commémoratif de Yu Qian (1398-1457), haut fonctionnaire de la dynastie des Ming.

Si la vie réserve parfois bien des détours, celle de Shu Le l’a amené à découvrir ceux des nombreux hutong de Beijing. Son objectif :  que ces derniers restent gravés dans la mémoire de tous.

DANS les années 1980, Shu Le, qui avait grandi au pied des murs d’enceinte de Beijing, a vu de ses yeux la démolition et la disparition des hutong (ruelle) de la vieille ville. Au début, cette situation ne lui a donné que l’envie de faire un tour dans ces hutong pour graver leur image dans sa mémoire.  Mais après….

C’est ainsi qu’un jour, M. Shu s’est rendu au hutong Yongkang de l’avenue Dongzhimen, dans l’arrondissement Dongcheng. Cette ruelle est particulièrement intéressante, car il y a plusieurs hutong du même nom : Qianyongkang, HouYongkang, Yangkang N°1, Yangkang N°2, Yangkang N°3, et ainsi de suite jusqu’à cinq. Ce soir-là, après être revenu chez lui, cet homme d’un certain âge ne se souvenait plus de la localisation concrète de ces ruelles. En lisant des documents historiques de Beijing, il a découvert que, depuis des siècles, le nom et la localisation des hutong avaient beaucoup changé, mais qu’on ne savait toujours pas quand et comment ces ruelles l’avaient fait. « J’ai eu envie de dessiner un plan sur le changement des hutong de Beijing, dit M. Shu; si un jour il n’y a plus de hutong, on pourra au moins connaître l’aspect de la vieille ville de Beijing et le changement qu’ont connu ces hutong dans l’histoire. » Depuis lors, cet homme a commencé une nouvelle carrière : mesurer les hutong de ses pas pour en lever un plan.

Un travail de moine

Au début, M. Shu utilisait un ruban à mesurer de métal. Sans aide, il était obligé d’accrocher le bout du ruban à son vélo, mais cela créait des difficultés pour les passants. Un hasard lui a permis de trouver la bonne méthode : cinq pas réguliers équivalent à trois mètres. Il a donc commencé à compter le nombre de ses pas pour mesurer les hutong.

En fait, ce n’était pas la seule façon de ce genre, car au moment de la construction de la capitale à l’époque des Yuan (1206-1368), on avait aussi remplacé la règle par le mesurage au pas. Selon un document de cette époque, on avait élaboré une règle sur la largeur des rues, selon laquelle une grande rue était large de vingt-quatre pas, une ruelle, de douze et un hutong, de six. La structure urbaine était ordonnée comme un échiquier. Le mot hutong, dont la prononciation tire son origine de la langue mongole, est devenu un mot spécial dans les travaux d’urbanisme des villes du Nord de la Chine à partir de la dynastie des Yuan. C’était des bandes qui séparaient les rangées de maisons. C’est toutefois par hasard que M. Shu a choisi cette méthode de mesurage.

Non seulement mesure-t-il la largeur et la longueur d’un hutong, mais il note aussi sur son esquisse toutes les informations connexes.

Sur ses plans, la localisation et la direction, ainsi que tous les détails des hutong sont clairs. En  les regardant, on peut savoir comment un hutong est relié à un autre et connaître son nom ancien et son nom actuel. Ses plans sont comme un livre historique pour le lecteur. Citons un exemple : un hutong s’appelait Weiying à l’époque des Ming (ce nom signifiait garnison de défense, une unité militaire de la dynastie des Ming), mais après la disparition de cette unité durant les Qing, la prononciation est restée la même, mais les caractères ont changé (donner manger à l’aigle), car les enfants de la noblesse aimaient s’amuser avec un aigle. Après la fondation de la Chine nouvelle en 1949, le nom de cette ruelle a de nouveau changé et on l’a appelée Weiying dont le sens est héros du futur. Le nom d’une ruelle recèle donc toute une série d’événements historiques. En même temps, M. Shu a rattaché aux numéros de maisons le nom des propriétaires célèbres qui y ont habité et donné des explications sur quelques constructions importantes, comme le théâtre Zhushikou par exemple. Ce théâtre, autrefois nommé Kaiming, a été construit en 1921 grâce à des capitaux chinois et japonais. C’était une architecture en ciment de style européen, dont le sol était en granit, les portes ovales et les installations intérieures relativement modernes. La construction de ce théâtre a fait sensation à Beijing. Le jour de son ouverture, Mei Lanfang, célèbre artiste de l’opéra de Pékin, y avait donné une représentation de Adieu ma concubine. M. Shu a aussi indiqué sur son plan l’emplacement des vieux arbres de cette ruelle.

Un point de vue personnel reconnu

Après avoir mesuré les ruelles, Shu Le a forgé son propre point de vue. D’après lui, la ruelle la plus étroite à Beijing est le hutong Xiaolaba et non pas le hutong Zhushikou.

Les spécialistes de l’Édition des cartes de Chine qui ont vu les plans réalisés par M. Shu ont déclaré : «C’est un plan différent des autres, l’œuvre d’art d’un artiste. L’auteur a choisi sa propre méthode (le mesurage au pas) et le contenu qu’il aimait (la culture et l’histoire des hutong) pour faire un plan. Bien que ces dessins négligent l’exactitude qu’exige habituellement ce type d’ouvrage, cette façon synthétique possède bien des caractéristiques et des points intéressants. »

En 2002, M. Shu a achevé le mesurage de toutes les ruelles qui s’étendent sur une superficie de 90 km2 à l’intérieur du deuxième périphérique, noirci plus de 40 cahiers d’esquisses et pris plus de 10 000 photos. Mais sans avoir eu le temps de pousser un soupir de soulagement, un travail encore plus complexe l’attend : transformer ses cahiers de plans et de notes en un plan de la culture et de l’histoire des hutong de Beijing.