Shu
Le, dessinateur du plan des hutong
YA
QI
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M.
Shu devant la porte de l’ancienne demeure de Wan Rong, concubine
du dernier empereur de la dynastie des Qing |
M.
Shu Le interroge les gens de l’endroit sur l’histoire
des hutong. |
M.
Shu examine le vieil arbre de la cour du temple commémoratif
de Yu Qian (1398-1457), haut fonctionnaire de la dynastie des
Ming. |
Si la vie réserve parfois bien des
détours, celle de Shu Le l’a amené à découvrir ceux des nombreux
hutong de Beijing. Son objectif : que ces derniers restent
gravés dans la mémoire de tous.
DANS les années 1980, Shu Le, qui avait
grandi au pied des murs d’enceinte de Beijing, a vu de ses yeux
la démolition et la disparition des hutong (ruelle) de la
vieille ville. Au début, cette situation ne lui a donné que l’envie
de faire un tour dans ces hutong pour graver leur image dans
sa mémoire. Mais après….
C’est ainsi qu’un jour,
M. Shu s’est rendu au hutong Yongkang de l’avenue Dongzhimen,
dans l’arrondissement Dongcheng. Cette ruelle est particulièrement
intéressante, car il y a plusieurs hutong du même nom :
Qianyongkang, HouYongkang, Yangkang N°1, Yangkang N°2, Yangkang
N°3, et ainsi de suite jusqu’à cinq. Ce soir-là, après être revenu
chez lui, cet homme d’un certain âge ne se souvenait plus de la
localisation concrète de ces ruelles. En lisant des documents historiques
de Beijing, il a découvert que, depuis des siècles, le nom et la
localisation des hutong avaient beaucoup changé, mais qu’on
ne savait toujours pas quand et comment ces ruelles l’avaient fait.
« J’ai eu envie de dessiner un plan sur le changement des hutong
de Beijing, dit M. Shu; si un jour il n’y a plus de hutong,
on pourra au moins connaître l’aspect de la vieille ville de Beijing
et le changement qu’ont connu ces hutong dans l’histoire.
» Depuis lors, cet homme a commencé une nouvelle carrière :
mesurer les hutong de ses pas pour en lever un plan.
Un travail de moine
Au début, M. Shu utilisait
un ruban à mesurer de métal. Sans aide, il était obligé d’accrocher
le bout du ruban à son vélo, mais cela créait des difficultés pour
les passants. Un hasard lui a permis de trouver la bonne méthode :
cinq pas réguliers équivalent à trois mètres. Il a donc commencé
à compter le nombre de ses pas pour mesurer les hutong.
En fait, ce n’était pas
la seule façon de ce genre, car au moment de la construction de
la capitale à l’époque des Yuan (1206-1368), on avait aussi remplacé la
règle par le mesurage au pas. Selon un document de cette époque,
on avait élaboré une règle sur la largeur des rues, selon laquelle
une grande rue était large de vingt-quatre pas, une ruelle, de douze
et un hutong, de six. La structure urbaine était ordonnée
comme un échiquier. Le mot hutong, dont la prononciation
tire son origine de la langue mongole, est devenu un mot spécial
dans les travaux d’urbanisme des villes du Nord de la Chine à partir
de la dynastie des Yuan. C’était des bandes qui séparaient les rangées
de maisons. C’est toutefois par hasard que M. Shu a choisi cette
méthode de mesurage.
Non seulement mesure-t-il
la largeur et la longueur d’un hutong, mais il note aussi
sur son esquisse toutes les informations connexes.
Sur ses plans, la localisation et la direction,
ainsi que tous les détails des hutong sont clairs. En les
regardant, on peut savoir comment un hutong est relié à un
autre et connaître son nom ancien et son nom actuel. Ses plans sont
comme un livre historique pour le lecteur. Citons un exemple :
un hutong s’appelait Weiying à l’époque des Ming (ce nom
signifiait garnison de défense, une unité militaire de la dynastie
des Ming), mais après la disparition de cette unité durant les Qing,
la prononciation est restée la même, mais les caractères ont changé
(donner manger à l’aigle), car les enfants de la noblesse aimaient
s’amuser avec un aigle. Après la fondation de la Chine nouvelle
en 1949, le nom de cette ruelle a de nouveau changé et on l’a appelée
Weiying dont le sens est héros du futur. Le nom d’une ruelle recèle
donc toute une série d’événements historiques. En même temps, M.
Shu a rattaché aux numéros de maisons le nom des propriétaires célèbres
qui y ont habité et donné des explications sur quelques constructions
importantes, comme le théâtre Zhushikou par exemple. Ce théâtre,
autrefois nommé Kaiming, a été construit en 1921 grâce à des capitaux
chinois et japonais. C’était une architecture en ciment de style
européen, dont le sol était en granit, les portes ovales et les
installations intérieures relativement modernes. La construction
de ce théâtre a fait sensation à Beijing. Le jour de son ouverture,
Mei Lanfang, célèbre artiste de l’opéra de Pékin, y avait donné
une représentation de Adieu ma concubine. M. Shu a aussi
indiqué sur son plan l’emplacement des vieux arbres de cette ruelle.
Un point de vue personnel
reconnu
Après avoir mesuré les ruelles,
Shu Le a forgé son propre point de vue. D’après lui, la ruelle la
plus étroite à Beijing est le hutong Xiaolaba et non pas
le hutong Zhushikou.
Les spécialistes de l’Édition
des cartes de Chine qui ont vu les plans réalisés par M. Shu ont
déclaré : «C’est un plan différent des autres, l’œuvre d’art
d’un artiste. L’auteur a choisi sa propre méthode (le mesurage au
pas) et le contenu qu’il aimait (la culture et l’histoire des hutong)
pour faire un plan. Bien que ces dessins négligent l’exactitude
qu’exige habituellement ce type d’ouvrage, cette façon synthétique
possède bien des caractéristiques et des points intéressants. »
En 2002, M. Shu a achevé
le mesurage de toutes les ruelles qui s’étendent sur une superficie
de 90 km2 à l’intérieur du deuxième périphérique, noirci
plus de 40 cahiers d’esquisses et pris plus de 10 000 photos. Mais
sans avoir eu le temps de pousser un soupir de soulagement, un travail
encore plus complexe l’attend : transformer ses cahiers de
plans et de notes en un plan de la culture et de l’histoire des
hutong de Beijing.
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