Les
laiderons de l’Antiquité chinoise
HUO
JIANYING
Le
mois dernier, nous vous présentions les beautés de l’Antiquité chinoise.
Mais la Chine a aussi connu des laiderons notoires. Celles-ci ont
toutefois su tirer parti d’autres atouts…
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Figurine féminine
des Jin (265-420). |
DANS certaines scènes de l’opéra
de Pékin, des rôles de femmes ayant une tortue peinte sur le visage
symbolisent ce que, dans l’Antiquité, on appelait des laiderons, bien que des femmes aient été héroïques et éminentes.
Bien que ces visages peints ne soient pas des visages réalistes, ils montrent
la différence entre la beauté et la laideur. Cette unité des contraires
laisse une vive impression aux spectateurs. Zhong Wuyan est un
rôle représentatif de ces laiderons.
Un
laideron gouverne son pays
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Fleur de lotus
au front, maquillage féminin de Zhong Lichun dans l’opéra de
Pékin. |
Zhong Lichun était une femme du royaume de Qi de la période des Royaumes
combattants (480 -222 av. J.-C.). Son surnom Wuyan
( pas de sel) vient du fait qu'elle était née à un endroit où il
y avait pénurie de sel. Dans un roman classique, un auteur
raconte son histoire fascinante. Il y a plusieurs centaines d’années,
on a aussi adapté ce roman pour le théâtre. Ces dernières années,
il a été porté à l’écran à six reprises. On dit aussi qu'un téléfilm
en préparation aurait Zhong Lichun comme principal personnage.
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Statuette
funéraire en terre cuite avec deux petites nattes, période
des Royaumes combattants (480-222 av. J.-C.). |
D’après des sources historiques, Zhong Lichun était laide à faire peur :
front bas, yeux creux, pommettes saillantes, gros ventre, arête
du nez très haute, énorme pomme d’Adam, grosse tête à cheveux clairsemés
et vilaine peau. C’est justement à cause de cette mauvaise mine
qu'elle était encore célibataire à 40 ans.
Malgré cette tare congénitale, Zhang ne s’est jamais abandonnée au désespoir.
Dès son enfance, elle a toujours étudié assidûment et persévéré
dans ses activités. Finalement, elle est devenue versée à la fois
dans les lettres et dans l’art militaire. Elle avait de fortes
capacités à créer des exploits et à rendre service à la patrie.
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Figurine tricolore
costaude des Tang (618-907). |
La période des Royaumes combattants est une époque où les principautés se
sont disputé l’hégémonie et où les faibles ont été la proie
des forts. Le roi Xuan de Qi, qui était alors le souverain,
ne recherchait que les plaisirs de la vie et n’avait pas
envie de gouverner son État. Cette situation préoccupait beaucoup
Zhong Lichun. Pour sauver sa patrie, elle se fit passer pour une
fille d’honneur. Puis, elle guetta une occasion pour rencontrer
en personne le roi Xuan dans le palais royal. Mais sa laideur fit
rire tout le monde. Le roi Xuan lui demanda alors : «Étant
donné ta laideur, en vertu de quelles habiletés es-tu entrée
dans mon palais? » Zhong Lichun répondit : « Je
n’ai pas d’autres capacités particulières que celle de connaître
bon nombre de devinettes! » Le roi Xuan répliqua :
« Si tes devinettes peuvent toucher le point sensible des affaires
d’État, alors tu as eu raison d’entrer dans mon palais; sinon, je
te punirai d'avoir fait irruption dans mon palais sans autorisation.
»
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Figurine
de femme nomade des Jin (1115-1234). |
Sur l’avis du roi, Zhong Lichun fit quatre gestes: ouvrir grands les yeux;
ouvrir la bouche; lever la main; et se frapper le genou. Elle dit
aussi deux courtes expressions : « Attention! C’est très dangereux!
Mais le roi et les gens de la cour ne comprirent rien à ce qu’elle
avait fait.
C'est alors que Zhong Lichun expliqua. Ouvrir grands les yeux signifie aider
le roi à bien observer la situation du pays. Ouvrir la bouche veut
dire demander aux sujets de soumettre leurs suggestions. Lever la
main indique de chasser les flatteurs. Et se frapper le genou signifie
démolir les pavillons où l'on passe son temps à courir après les
plaisirs. Après avoir entendu son explication, le roi Xuan se mit
en colère et voulut la décapiter.
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Peinture
d’une femme des dynasties du Nord (386-534). |
Mais Zhong Lichun savait rester calme devant les coups durs. Elle rétorqua :
« Permettez-moi de vous présenter d’abord ces quatre suggestions
et vous me décapiterez ensuite. Actuellement, le royaume
de Qi est sous la menace des ennemis. Comme roi du pays, vous avez
des écarts de conduite. Il faut nommer les gens de la cour selon
leurs mérites et faire le meilleur usage des ressources humaines
et matérielles.
Après avoir entendu les quatre suggestions de Zhong Lichun, la colère du
roi Xuan s’était non seulement apaisée, mais il avait eu une grande
prise de conscience. Il répliqua alors avec émotion :
« Si nous gouvernons les affaires d’État en fonction des avis
de Zhong Lichun, notre pays ne sera plus en péril. » Zhong
Lichun a été non seulement retenue par le roi, mais est même
devenue sa reine.
Avec l’aide de Zhong Lichun, les affaires liées à la gouverne de l’État
se sont considérablement améliorées. Le roi Xuan confia
au stratège Sun Bin et au général Tian Ji le mandat de reprendre
une dizaine de villes. Dès lors, le royaume de Qi devint un pays
puissant qui pouvait rivaliser avec celui de Qin (221-206 av.J.-C.).
Zhong Lichun avait non seulement des capacités politiques remarquables,
mais encore était un expert militaire éminent.
D’après des documents historiques, le roi Xuan entretenait beaucoup de belles
concubines à la cour. En réalité, son lien avec la pauvre Zhong
Lichun n’était qu’un mariage politique. Xia Yinchun était une jolie
concubine adorée par le roi Xuan et une chanson circulait au sein
de la population à cet effet : « Si le roi a des problèmes
à résoudre, il pense à son laideron Zhong Lichun ; si le roi
est libre, à sa jolie concubine Xia Yingchun ». Dans l’histoire,
on peut rendre justice à Zhong Lichun qui laissa son nom à la postérité.
Zhong Lichun n’était pas la seule….
Au cours du dernier millénaire, la Chine
a vu naître à tour de rôle quatre belles femmes renommées dans l'histoire
(Xi Shi, Wang Zhaojun, Diao Chan et Yang Yuhuan) et quatre laiderons
tout aussi renommées (Zhong Lichun, Mo Wu, Meng Guang et Ruan Nü).
Depuis l’Antiquité, le peuple chinois désapprouve le fait de juger les gens
d’après leur apparence. En parlant d’une beauté, la combinaison
de la moralité et de la belle apparence semble être la condition
principale et la plus pérenne. Nées à différentes époques, les
quatre laiderons renommées avaient une origine et un statut social
différents. Cependant, elles partageaient des caractéristiques
communes : richesse intérieure, talents, sagesse et vertu.
Née durant la Haute Antiquité, la légendaire Mo Wu est habituellement mise
au premier rang des laiderons chinoises de l’époque. Cette femme
était non seulement très laide, mais son apparence était bizarre
aussi. Cependant, elle avait une moralité irréprochable, donnait
toujours l’exemple, surtout grâce à son intelligence et à sa sagesse
hors du commun. Toutes ces qualités suscitèrent l’admiration de
l’empereur Jaune, un des fondateurs de la nation chinoise, qui épousa
Mo Wu par la suite. Pour ne pas tromper les attentes de son mari,
Mo Wu éduqua non seulement les femmes de sa tribu dans le respect
de la moralité, mais encore aida l’empereur à vaincre Yandi, chef
d’une autre tribu, réalisant ainsi un brillant exploit dans l’évolution
sociale de la nation chinoise. Depuis des millénaires, on n’a pas
dissimulé sa laideur et on a valorisé son brillant exploit historique
pour la nation chinoise. En tant que femme de haute moralité et
épouse de l’empereur Jaune, Mo Wu est vraiment une des femmes représentatives
et méritoires.
En réalité, les laiderons de l’Antiquité dont l’histoire s’est transmise
de génération en génération étaient des femmes ordinaires de la
société. Toutes ces femmes ont aussi acquis amour et vie heureuse
en s’appuyant sur leurs mains travailleuses, leur sagesse et leur
haute moralité.
Les
laiderons de haute moralité
Sous la dynastie des Han de l’Est (25-220), Liang Hong, un pauvre lettré,
avait été très assidu à ses études et était considéré comme un savant
renommé, alors qu'à cette même période, bon nombre de familles riches
s’alliaient par mariage les unes aux autres. Cet homme avait une
grande droiture de cœur et méprisait les gens influents et les flatteries.
Après avoir refusé bien des propositions, il avait jeté son dévolu
sur Meng Guang, une jeune femme laide de son voisinage. Meng Guang,
vêtue de neuf, entra chez lui après leur cérémonie de mariage, mais
Liang Hong ne s’occupa pas d’elle durant une semaine. Le
huitième jour, après avoir enlevé son maquillage et son costume
de mariage, Meng Guang reprit les travaux ménagers. Liang Hong
lui déclara alors avec contentement : « C’est bon !
Ainsi, tu es ma femme idéale ! » Plus tard, Liang Hong
ayant écrit un poème qui avait offensé des gens influents, il dut
quitter sa famille et mener une vie errante et misérable loin de
son pays. Sa femme l’accompagna sans récriminer. Chaque jour,
elle lui préparait des plats et les lui servait sur un plateau.
C'est ainsi que l’affection et le respect de Meng Guang permirent
à ce couple de passer une vie harmonieuse.
L’intelligence de Ruan Nü surpassait celle des autres, mais malheureusement,
elle n’avait pas une belle apparence. Après la cérémonie de mariage,
Xu Yun, son mari, voulut partir discrètement. Ruan Nü tira aussitôt
son mari par le bras. Celui-ci s’arracha des bras de sa femme en
disant : « La femme doit rester vertueuse dans sa conduite,
ses paroles, son maintien et son travail. À quelle exigence réponds-tu? »
Ruan Nü répliqua : « Je ne manque que d’un bon maintien.
Mais les lettrés doivent aussi connaître cent métiers; corresponds-tu
à cela? » Ruan Nü répondit : « Complètement. » Xu
Yun rétorqua alors : « La moralité occupe la première
place des cent métiers ; tu es sensuelle tu n’as donc pas raison
de dire que tu corresponds complètement. » Ruan Nü ne pouvait plus
rien ajouter. Après avoir vécu ensemble, Xu Yun réalisa que sa
femme avait de grandes qualités morales et qu’elle était dotée d’un
courage et d’une sagesse exceptionnels. Dès lors, il éprouva une
sincère affection pour elle et le couple mena une vie heureuse.
Les
laiderons des milieux philosophiques
Hormis les quatre laiderons de l’Antiquité, certaines autres ont connu une
grande réputation depuis plus de 2 000 ans.
Zhuang Zhou, philosophe taoïste du IVe siècle avant Jésus-Christ,
est l’auteur d’une partie du Classique du maître transcendant
de Nanhua. Ce philosophe, qui s’est bercé des illusions du
monde et vivait dans une société contradictoire, a campé une célèbre
laideron de l’Antiquité : Dong Shi.
Dans l’ouvrage attribué à Zhuang Zhou, une histoire connue de tous raconte
les actions de Xi Shi, une beauté de l’Antiquité connue dans le
royaume de Yue, à l’époque des Printemps et Automnes (770-480 av.
J.-C.). Ayant mal au cœur, Xi Shi marchait en touchant souvent
sa poitrine et en fronçant ses sourcils. Dong Shi, une laideron
du même village, imitait souvent cet exemple. Les villageois se
dépêchaient alors de fermer leur porte ou l’évitaient en amenant
leur enfant. Zhuang Zhou estima que Dong Shi ne connaissait que
son apparence.
En réalité, l’idée directrice de Zhuang Zhou ne concernait pas la beauté
ou la laideur de ces femmes; en fonction de la doctrine confucianiste,
il fit des critiques sur les rites et les principes du droit des
Zhou. Il estima que ces rites et principes doivent changer en fonction
du temps. Si on les applique mécaniquement, c’est comme faire du
canotage sur la terre ou comme si l’on aidait un singe à porter
un ancien habit de cérémonie des Zhou. L’histoire du laideron Dong
Shi qui imitait ce que faisait Xi Shi est l’un des trois arguments
apportés par Zhuang Zhou.
À son avis, l’apparence du laideron Dong Shi n’est pas la sienne propre,
mais elle correspond plutôt à celle de son imitation maladroite.
Dans son ouvrage Zhuangzi, Zhuang Zhou écrit : « Mao
Qiang et Li Ji étaient deux beautés de l’Antiquité. Pourtant, elles
faisaient peur aux poissons, aux oiseaux et aux cerfs; tous ces
animaux ne comprenaient pas à quel point elles étaient belles.
D’après son point de vue philosophique, la nature de l’univers
est relative. Il n’existe pas de différence absolue car le jugement
est subjectif. De l’avis de Zhuang Zhou, la beauté et la laideur
n’ont ni différence qualitative, ni limite sérieuse, ni même un
standard distinctif.
Avec le temps qui passe, on oublie graduellement la doctrine de Zhong Lijun
sur la gouvernance d’un pays. Dong Shi imitant le froncement de
sourcils de la belle Xi Shi et se rendant ainsi plus laide est une
histoire qui s’est transmise de génération en génération.
Il y a plus de 2 000 ans, Confucius a dit : « La richesse intérieure
constitue la beauté ». Quelle ressemblance frappante avec
le point de vue esthétique moderne! Se conduire avec grâce a plus
de valeur qu'un maintien gracieux . En matière de
beauté, certains atouts féminins ont été déclassés au fil du temps.
La vraie beauté éternelle n’est pas un élément lié seulement à la
vue, car la source des connaissances réside dans l’ensemble des
sensations reçues du monde extérieur par tous les sens.
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