Ma
visite à une famille hui
LISA CARDUCCI
Des cinquante-six ethnies qui composent la
nation chinoise, dix sont musulmanes. Ce sont les ethnies hui, ouïgoure,
kazakhe, kirghiz, tartare, ouzbek, tadjik, dongxiang, salar et bao’an.
Les Hui et les Ouïgours sont si nombreux que leur nom a été donné
à deux des régions autonomes de Chine, soit le Ningxia et le Xinjiang.
C’est justement à Yinchuan, capitale de la région autonome hui du
Ningxia, que je suis allée interroger une famille hui.
Lorsque je suis arrivée au rendez-vous, deux
femmes se trouvaient à domicile. Mesdames Sa et Mu sont deux belles-sœurs.
Madame Sa, la maîtresse de maison, vit à Yinchuan avec son mari
et leurs deux enfants, une fille et un fils. Madame Mu, aussi née
à Yinchuan, vit maintenant au Pakistan avec son mari, qui est le
frère de madame Sa. Elle y enseigne le chinois tandis que monsieur
Sa s’occupe d’affaires religieuses. Le couple a fait connaissance
alors que tous deux faisaient leur maîtrise à Islamabad. Ils sont
revenus en Chine se marier, et leur fils est né à l’étranger. La
famille était de passage en Chine au moment de l’entrevue.
Madame Sa, pourriez-vous nous présenter votre
famille?
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Jeunes
femmes musulmanes de Xining,au Qinghai, portant qui le voile
de velours, qui le bonnet de coton, qui le foulard de soie. |
Je m’appelle Sa Yimei, C’est mon nom chinois,
mais mon nom original est Sara. J’ai 36 ans, et mon mari, 39 ans.
Nous sommes des gens d’affaires; c’est pourquoi mon mari est absent
aujourd’hui, et mon frère l’a accompagné. Nous avons deux enfants,
Yang Dongfei et Yang Dongxuan, qui ont respectivement 13 et 5 ans.
Yang Dongxuan est un enfant
charmant. Je lui ai demandé s’il apprenait à chanter à l’école,
et j’ai eu droit à récital privé.
(à Yang Dongxuan)
Tu portes un bien joli costume; mais il ne me semble pas d’ici…
Sara : C’est ma belle-sœur qui le lui a rapporté du Pakistan (en indiquant
l’autre femme).
Yasmina : Je m’appelle Mu Yuli et j’ai 33 ans. Je viens de rentrer d’Islamabad.
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La
grande mosquée de Yinchuan. |
Que faites-vous donc au Pakistan?
Yasmina : D’abord, j’y ai fait mes études. Mon mari, Ayub, aussi. Maintenant,
nous y vivons et travaillons depuis quelques années. Voici mon fils,
Sa Bo. Il a trois ans...
Sa Bo : et
demi!
« Sa » est un patronyme typiquement
musulman, n’est-ce pas?
Sara : Oui. Il appartient exclusivement à notre communauté, comme Mu, Ha,
Na ; aussi il est rare que l’on rencontre des non musulmans
qui s’appellent Ma. Yang est aussi courant chez les Chinois han.
Les Chinois au Pakistan, pas de problème?
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L'intérieur
de la grande mosquée. |
Yasmina : Quand les Pakistanais apprennent que nous sommes des musulmans de
Chine, ils sont bien contents de nous accueillir. Les Chinois sont
très appréciés au Pakistan. Savez-vous que c’est là que j’ai découvert
La Chine au présent? Cette revue paraît aussi en arabe.
Vous revenez chaque année voir votre famille?
Vous venez passer la fête du Printemps?
Je viens en visite tous les deux ans environ.
D’ailleurs, les Hui ne célèbrent pas le Nouvel An chinois.
Quelle fête chez vous marque le début de l’année?
Nous ne célébrons pas la nouvelle année. Notre
plus grande fête, c’est le Id-al-Adzha (Kurban).
La fête du Sacrifice… Est-ce que tous les musulmans
du monde la célèbrent?
Oui. Cette fête rappelle qu’Abraham
était prêt à sacrifier la vie de son fils croyant, que c’était là
ce que Dieu réclamait de lui. Les célébrations durent d'un à trois
jours. On rend visite à la parenté et aux amis, on danse et chante
ensemble, et on consomme « toutes sortes de bonnes choses »,
entre autres des galettes à l’huile, des mets à base de mouton,
de bœuf.
Sara :
Pour les musulmans, le mois de jeûne est aussi très important. Le
Ramadan lui-même n’est pas une fête, comme le pensent souvent les
Han; la fête, c’est la fin du jeûne.
Les enfants sont-ils tenus
au jeûne comme les adultes?
Sara : Ils commencent de façon mitigée, un jour sur deux par exemple,
ou bien une partie de la journée
À partir de quel âge?
Les garçons à 12 ans, les filles à 9 ans.
Outre le mari de Yasmina, vous avez d’autres
frères et sœurs, Sara ?
J’ai un frère cadet qui travaille aux Émirats
arabes unis. Il a fait sa maîtrise à Islamabad lui aussi.
Et vos parents?
Mon père est ici, à Yinchuan. C’est un imam. Il
a 60 ans. Ma mère est aussi une personne très active.
J’ai remarqué qu’il y a de très belles mosquées
dans votre quartier. Est-ce que toute la population des environs
est hui?
Il y a aussi beaucoup de Han.
Comment qualifieriez-vous les relations hui-han?
Sara : Excellentes. Chacun vit à sa manière et nous nous entendons
bien.
Yasmina : Les Hui et les Han ont toujours vécu en harmonie. Pas de querelles.
Pas de contradictions.
Votre famille est-elle originaire du Ningxia
ou a-t-elle immigré ?
Sara : Nous sommes tous nés ici, à Yinchuan, et nous y avons fait
nos études primaires et secondaires. Nos enfants également. En plus
de l’école ordinaire, ils suivent des cours privés d’anglais avec
une enseignante han, Liu Dongming. Mon fils est à sa leçon en ce
moment.
Pourquoi l’anglais? Pas l’arabe?
L’arabe, c’est à l’école secondaire et à la maison.
L’arabe permet aux musulmans d’approfondir la connaissance du Coran.
Mais l’anglais, c’est pour le travail. Nous voulons que nos enfants
occupent un bon emploi plus tard. Nous sommes dans le commerce…
Quelles langues parle votre fils, Yasmina?
Il parle chinois, qui est notre langue nationale,
et un peu l’arabe, mais pas celui que nous avons étudié. Une sorte
de dialecte pakistanais. C’est très amusant de l’entendre, quand
il joue avec ses copains.
Pourquoi portez-vous le voile, Yasmina, tandis
que votre sœur porte un bonnet blanc? Est-ce une question de choix?
De commodité peut-être?
Sara : Moi, c’est parce que je vis au Ningxia. Ici, très peu de femmes
hui portent le voile. C’est une coutume. Mais nous nous couvrons
quand même les cheveux.
Est-ce obligatoire pour vous, même dans la
maison?
Sara : S’il n’y a que les membres de la famille, nos parents, nos
enfants, nous pouvons nous découvrir. Mais pas en présence d’étrangers…
Yasmina : Même de nos frères.
Votre voile, Yasmina, est bleu pâle; je le
trouve très joli. La couleur a-t-elle une signification symbolique?
Est-elle liée au pays où l’on vit?
Les musulmans préfèrent surtout le blanc, pour la pureté, et le
vert, qui symbolise l’authenticité. Ce sont nos deux couleurs principales.
Qingzhen, c’est ce que cela veut dire : pureté et vérité.
Qingzhensi, le mot chinois pour « mosquée », signifie
textuellement « temple de la pureté et de la vérité ».
Au cours de son histoire, l’islam en Chine
a connu plusieurs dénominations, comme Dashifa (méthode de l’Ouest), ou xiao jiao (petite religion).
Les premiers musulmans entrés en Chine par la route de la Soie ou
d’autres voies étaient surtout des commerçants. Les Chinois qui
traitaient avec eux les trouvaient fort honnêtes, d’où le qualificatif
zhen (vrai, droit). Par ailleurs, ces musulmans avaient des
habitudes de propreté qui frappaient les Chinois : ils se lavaient
cinq fois par jour avant la prière, ils se déchaussaient pour entrer
à la mosquée, et veillaient à la propreté parfaite des lieux; ce
fut l’origine du second qualificatif, qing (propre, pur).
Je voudrais vous poser une question… c’est
très délicat. Vous n’êtes pas obligées de répondre.
Yasmina : Allez-y!
Certaines personnes disent que des imams gardent
pour eux-mêmes les aumônes offertes par les fidèles, qu’ils s’achètent
des voitures de luxe. Que leur répondriez-vous?
Yasmina : C’est absurde. Aucun imam ne ferait une chose pareille. S’ils
ont une voiture, c’est que leur famille a de l’argent personnel.
Ce n’est pas l’argent des pauvres qu’ils ont dépensé.
Sara : Notre famille, par exemple, est à l’aise parce que nous travaillons
fort, dans le commerce.
Y a-t-il dans la communauté hui des familles
dont les enfants ne fréquentent pas l’école pour des raisons financières?
Sara : Beaucoup, et c’est un grand malheur. Un des principaux problèmes
des Hui. Le niveau d’instruction est généralement bas. Il nous faut
progresser encore beaucoup dans ce domaine.
L’islam pratiqué au Pakistan est-il différent
de celui du Ningxia?
Yasmina : Il n’y a qu’un islam, où que ce soit au monde, comme il n’y
a qu’un Dieu. Les règles sont les mêmes pour tous : ce qu’on
peut manger, ce qu’on ne doit pas manger… La façon de sacrifier
les animaux de boucherie. La prière.
Pourtant, il y a des musulmans qui fument ou
consomment de l’alcool.
Cela ne change pas les règles. Dans toutes les
religions, il y a des gens qui dérogent. Dans tous les pays, il
existe des citoyens qui ne suivent pas les lois.
Et le pèlerinage à La Mecque, vous l’avez fait?
Moi, si. Mon mari également. Ma belle-sœur, pas
encore.
(à Sara) Vous
le ferez?
J’en ai l’intention. C’est une question de temps.
Le gouvernement chinois aide-t-il les musulmans
qui ne peuvent se rendre en Arabie saoudite par leurs propres moyens?
Yasmina : Beaucoup! Il fournit une aide considérable. Chaque année, un grand
nombre de musulmans chinois vont à La Mecque aux frais de l’État.
De plus, toutes les formalités, passeport, visa, sont très faciles
dans ce cas. Il y a aussi des sociétés musulmanes qui apportent
leur aide.
Quels sont vos principes de base dans l’éducation
des enfants?
D’abord, aimer son pays. Ensuite, respecter l’islam,
notre religion. Puis, faire du bien autour de soi.
Si vous aviez un désir à exprimer, lequel serait-ce?
Sara (sans hésitation) : Il y a de « faux » musulmans
qui affichent dans leurs restaurants la plaque d’authenticité musulmane.
Ils l’ont obtenue par des moyens détournés, et ils nous trompent.
On ne peut avoir confiance et être tranquilles. J’aimerais tellement
qu’on règle définitivement ce problème.
Deux semaines plus tard, les médias rapportaient
l’arrestation de 1 500 commerçants (boucheries, restaurants
surtout) à Yinchuan, coupables de cet abus de confiance. Le vœu
de Sara était donc en voie de réalisation.
Je vais souvent dans les restaurants musulmans
à Beijing, ici, au Ningxia, ou ailleurs, parce que j’aime cette
cuisine. Mais j’ai remarqué que plusieurs de ces restaurants servent
pourtant de l’alcool. Est-ce à dire qu’ils ne sont pas authentiques?
Sara : C’est exact. Ils servent peut-être aussi de la viande de bêtes
mortes de maladie. Cela nous est interdit. Il faut absolument corriger
cette situation.
Je ne vous apprendrai pas qu’une grande partie
du monde a assimilé le terrorisme à l’islam. Quelle est votre réaction?
Yasmina : C’est
triste. C’est bien triste.
Sara : Et injuste.
Yasmina : L’islam est une religion de paix. Les musulmans aiment la paix.
On a détourné l’islam de son chemin.
Tout de même, au fond de chaque
malheur, il y a du positif : le monde entier s’intéresse au
monde arabe et à l’islam maintenant.
Puissent-ils se départir de leurs préjugés et
découvrir la vérité.
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