JANVIER 2004

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

Ma visite à une famille hui

LISA CARDUCCI

Des cinquante-six ethnies qui composent la nation chinoise, dix sont musulmanes. Ce sont les ethnies hui, ouïgoure, kazakhe, kirghiz, tartare, ouzbek, tadjik, dongxiang, salar et bao’an. Les Hui et les Ouïgours sont si nombreux que leur nom a été donné à deux des régions autonomes de Chine, soit le Ningxia et le Xinjiang. C’est justement à Yinchuan, capitale de la région autonome hui du Ningxia, que je suis allée interroger une famille hui.

Lorsque je suis arrivée au rendez-vous, deux femmes se trouvaient à domicile. Mesdames Sa et Mu sont deux belles-sœurs. Madame Sa, la maîtresse de maison, vit à Yinchuan avec son mari et leurs deux enfants, une fille et un fils. Madame Mu, aussi née à Yinchuan, vit maintenant au Pakistan avec son mari, qui est le frère de madame Sa. Elle y enseigne le chinois tandis que monsieur Sa s’occupe d’affaires religieuses. Le couple a fait connaissance alors que tous deux faisaient leur maîtrise à Islamabad. Ils sont revenus en Chine se marier, et leur fils est né à l’étranger. La famille était de passage en Chine au moment de l’entrevue.

Madame Sa, pourriez-vous nous présenter votre famille?

Jeunes femmes musulmanes de Xining,au Qinghai, portant qui le voile de velours, qui le bonnet de coton, qui le foulard de soie.

Je m’appelle Sa Yimei, C’est mon nom chinois, mais mon nom original est Sara. J’ai 36 ans, et mon mari, 39 ans. Nous sommes des gens d’affaires; c’est pourquoi mon mari est absent aujourd’hui, et mon frère l’a accompagné. Nous avons deux enfants, Yang Dongfei et Yang Dongxuan, qui ont respectivement 13 et 5 ans.

Yang Dongxuan est un enfant charmant. Je lui ai demandé s’il apprenait à chanter à l’école, et j’ai eu droit à récital privé.

(à Yang Dongxuan) Tu portes un bien joli costume; mais il ne me semble pas d’ici…

Sara : C’est ma belle-sœur qui le lui a rapporté du Pakistan (en indiquant l’autre femme).

Yasmina : Je m’appelle Mu Yuli et j’ai 33 ans. Je viens de rentrer d’Islamabad.

La grande mosquée de Yinchuan.

Que faites-vous donc au Pakistan?

Yasmina : D’abord, j’y ai fait mes études. Mon mari, Ayub, aussi. Maintenant, nous y vivons et travaillons depuis quelques années. Voici mon fils, Sa Bo. Il a trois ans...

Sa Bo : et demi!

« Sa » est un patronyme typiquement musulman, n’est-ce pas?

Sara : Oui. Il appartient exclusivement à notre communauté, comme Mu, Ha, Na ; aussi il est rare que l’on rencontre des non musulmans qui s’appellent Ma. Yang est aussi courant chez les Chinois han.

Les Chinois au Pakistan, pas de problème?

L'intérieur de la grande mosquée.

Yasmina : Quand les Pakistanais apprennent que nous sommes des musulmans de Chine, ils sont bien contents de nous accueillir. Les Chinois sont très appréciés au Pakistan. Savez-vous que c’est là que j’ai découvert La Chine au présent? Cette revue paraît aussi en arabe.

Vous revenez chaque année voir votre famille? Vous venez passer la fête du Printemps?

Je viens en visite tous les deux ans environ. D’ailleurs, les Hui ne célèbrent pas le Nouvel An chinois.

Quelle fête chez vous marque le début de l’année?

Nous ne célébrons pas la nouvelle année. Notre plus grande fête, c’est le Id-al-Adzha (Kurban).

La fête du Sacrifice… Est-ce que tous les musulmans du monde la célèbrent?

Oui. Cette fête rappelle qu’Abraham était prêt à sacrifier la vie de son fils croyant, que c’était là ce que Dieu réclamait de lui. Les célébrations durent d'un à trois jours. On rend visite à la parenté et aux amis, on danse et chante ensemble, et on consomme « toutes sortes de bonnes choses », entre autres des galettes à l’huile, des mets à base de mouton, de bœuf.

Sara : Pour les musulmans, le mois de jeûne est aussi très important. Le Ramadan lui-même n’est pas une fête, comme le pensent souvent les Han; la fête, c’est la fin du jeûne.

Les enfants sont-ils tenus au jeûne comme les adultes?

Sara : Ils commencent de façon mitigée, un jour sur deux par exemple, ou bien une partie de la journée

À partir de quel âge?

Les garçons à 12 ans, les filles à 9 ans.

Outre le mari de Yasmina, vous avez d’autres frères et sœurs, Sara ?

J’ai un frère cadet qui travaille aux Émirats arabes unis. Il a fait sa maîtrise à Islamabad lui aussi.

Et vos parents?

Mon père est ici, à Yinchuan. C’est un imam. Il a 60 ans. Ma mère est aussi une personne très active.

J’ai remarqué qu’il y a de très belles mosquées dans votre quartier. Est-ce que toute la population des environs est hui?

Il y a aussi beaucoup de Han.

Comment qualifieriez-vous les relations hui-han?

Sara : Excellentes. Chacun vit à sa manière et nous nous entendons bien.

Yasmina : Les Hui et les Han ont toujours vécu en harmonie. Pas de querelles. Pas de contradictions.

Votre famille est-elle originaire du Ningxia ou a-t-elle immigré ?

Sara : Nous sommes tous nés ici, à Yinchuan, et nous y avons fait nos études primaires et secondaires. Nos enfants également. En plus de l’école ordinaire, ils suivent des cours privés d’anglais avec une enseignante han, Liu Dongming. Mon fils est à sa leçon en ce moment.

Pourquoi l’anglais? Pas l’arabe?

L’arabe, c’est à l’école secondaire et à la maison. L’arabe permet aux musulmans d’approfondir la connaissance du Coran. Mais l’anglais, c’est pour le travail. Nous voulons que nos enfants occupent un bon emploi plus tard. Nous sommes dans le commerce…

Quelles langues parle votre fils, Yasmina?

Il parle chinois, qui est notre langue nationale, et un peu l’arabe, mais pas celui que nous avons étudié. Une sorte de dialecte pakistanais. C’est très amusant de l’entendre, quand il joue avec ses copains.

Pourquoi portez-vous le voile, Yasmina, tandis que votre sœur porte un bonnet blanc? Est-ce une question de choix? De commodité peut-être?

Sara : Moi, c’est parce que je vis au Ningxia. Ici, très peu de femmes hui portent le voile. C’est une coutume. Mais nous nous couvrons quand même les cheveux.

Est-ce obligatoire pour vous, même dans la maison?

Sara : S’il n’y a que les membres de la famille, nos parents, nos enfants, nous pouvons nous découvrir. Mais pas en présence d’étrangers…

Yasmina : Même de nos frères.   

Votre voile, Yasmina, est bleu pâle; je le trouve très joli. La couleur a-t-elle une signification symbolique? Est-elle liée au pays où l’on vit?

Les musulmans  préfèrent surtout le blanc, pour la pureté, et le vert, qui symbolise l’authenticité. Ce sont nos deux couleurs principales. Qingzhen, c’est ce que cela veut dire : pureté et vérité. Qingzhensi, le mot chinois pour « mosquée », signifie textuellement « temple de la pureté et de la vérité ».

Au cours de son histoire, l’islam en Chine a connu plusieurs dénominations, comme Dashifa (méthode de l’Ouest), ou xiao jiao (petite religion). Les premiers musulmans entrés en Chine par la route de la Soie ou d’autres voies étaient surtout des commerçants. Les Chinois qui traitaient avec eux les trouvaient fort honnêtes, d’où le qualificatif zhen (vrai, droit). Par ailleurs, ces musulmans avaient des habitudes de propreté qui frappaient les Chinois : ils se lavaient cinq fois par jour avant la prière, ils se déchaussaient pour entrer à la mosquée, et veillaient à la propreté parfaite des lieux; ce fut l’origine du second qualificatif, qing (propre, pur).

Je voudrais vous poser une question… c’est très délicat. Vous n’êtes pas obligées de répondre.

Yasmina : Allez-y!

Certaines personnes disent que des imams gardent pour eux-mêmes les aumônes offertes par les fidèles, qu’ils s’achètent des voitures de luxe. Que leur répondriez-vous?

Yasmina : C’est absurde. Aucun imam ne ferait une chose pareille. S’ils ont une voiture, c’est que leur famille a de l’argent personnel. Ce n’est pas l’argent des pauvres qu’ils ont dépensé.

Sara : Notre famille, par exemple, est à l’aise parce que nous travaillons fort, dans le commerce.

Y a-t-il dans la communauté hui des familles dont les enfants ne fréquentent pas l’école pour des raisons financières?

Sara : Beaucoup, et c’est un grand malheur. Un des principaux problèmes des Hui. Le niveau d’instruction est généralement bas. Il nous faut progresser encore beaucoup dans ce domaine.

L’islam pratiqué au Pakistan est-il différent de celui du Ningxia?

Yasmina : Il n’y a qu’un islam, où que ce soit au monde, comme il n’y a qu’un Dieu. Les règles sont les mêmes pour tous : ce qu’on peut manger, ce qu’on ne doit pas manger… La façon de sacrifier les animaux de boucherie. La prière.

Pourtant, il y a des musulmans qui fument ou consomment de l’alcool.

Cela ne change pas les règles. Dans toutes les religions, il y a des gens qui dérogent. Dans tous les pays, il existe des citoyens qui ne suivent pas les lois.

Et le pèlerinage à La Mecque, vous l’avez fait?

Moi, si. Mon mari également. Ma belle-sœur, pas encore.

(à Sara) Vous le ferez?

J’en ai l’intention. C’est une question de temps.

Le gouvernement chinois aide-t-il les musulmans qui ne peuvent se rendre en Arabie saoudite par leurs propres moyens?

Yasmina : Beaucoup! Il fournit une aide considérable. Chaque année, un grand nombre de musulmans chinois vont à La Mecque aux frais de l’État. De plus, toutes les formalités, passeport, visa, sont très faciles dans ce cas. Il y a aussi des sociétés musulmanes qui apportent leur aide.

Quels sont vos principes de base dans l’éducation des enfants?

D’abord, aimer son pays. Ensuite, respecter l’islam, notre religion. Puis, faire du bien autour de soi.

Si vous aviez un désir à exprimer, lequel serait-ce?

Sara (sans hésitation) : Il y a de « faux » musulmans qui affichent dans leurs restaurants la plaque d’authenticité musulmane. Ils l’ont obtenue par des moyens détournés, et ils nous trompent. On ne peut avoir confiance et être tranquilles. J’aimerais tellement qu’on règle définitivement ce problème.

Deux semaines plus tard, les médias rapportaient l’arrestation de 1 500 commerçants (boucheries, restaurants surtout) à Yinchuan, coupables de cet abus de confiance. Le vœu de Sara était donc en voie de réalisation.

Je vais souvent dans les restaurants musulmans à Beijing, ici, au Ningxia, ou ailleurs, parce que j’aime cette cuisine. Mais j’ai remarqué que plusieurs de ces restaurants servent pourtant de l’alcool. Est-ce à dire qu’ils ne sont pas authentiques?

Sara : C’est exact. Ils servent peut-être aussi de la viande de bêtes mortes de maladie. Cela nous est interdit. Il faut absolument corriger cette situation.

Je ne vous apprendrai pas qu’une grande partie du monde a assimilé le terrorisme à l’islam. Quelle est votre réaction?

Yasmina : C’est triste. C’est bien triste.

Sara : Et injuste.

Yasmina : L’islam est une religion de paix. Les musulmans aiment la paix. On a détourné l’islam de son chemin.

Tout de même, au fond de chaque malheur, il y a du positif : le monde entier s’intéresse au monde arabe et à l’islam maintenant.

Puissent-ils se départir de leurs préjugés et découvrir la vérité.