Le
monde dans un miroir
HUO
JIANYING
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Miroir de bronze datant
des Royaumes combattants (480-256 av. J.-C.). |
Aujourd’hui, si vous demandez à
une femme de prendre une cuvette d’eau, de la poser dans un endroit
convenable et de se servir du reflet de son visage dans l’eau
pour se faire belle, cette femme pensera certainement que cela
est impossible. Pourtant, il y a plus de trois millénaires, les
femmes chinoises de différents statuts sociaux devaient se parer
ainsi; c’était la seule façon de le faire. La cuvette d’eau servant
à refléter une personne fut décrite dans les livres par le caractère
chinois « Jian ».
Ce pictogramme se retrouve dans
les inscriptions d’objets en bronze et ressemble au dessin suivant :
une femme se penche et se mire dans l’eau. Au début, la cuvette
d’eau était en terre cuite. À l’âge du bronze, la découverte et
le développement de la métallurgie ont permis à la cuvette de
bronze de remplacer peu à peu la cuvette en argile. Ainsi le miroir
de métal a été produit et largement utilisé à cette époque.
Dans les ruines des deux capitales
des Shang (1711-1066 av. J.-C.), au Henan, un miroir en bronze
découvert dans le tombeau Fuhao remontait à plus de 3 200 ans.
À l’âge de bronze, le miroir fait de ce matériau a d’abord été
un objet de luxe pour la haute noblesse, puis il a été popularisé
comme article d’usage courant chez les habitants. Très pratique,
le miroir en bronze a été utilisé jusqu’au début du XXe
siècle. À ce moment-là, la cuvette est devenue un simple récipient.
Au XXe siècle, le miroir en métal a été complètement
remplacé par le miroir en verre étamé. Pendant plus de 3 000 ans,
la cuvette d’eau et le miroir en bronze ont servi non seulement
à réfléchir la lumière, à refléter l’image des personnes et des
choses, mais encore à comprendre beaucoup d’éléments de la culture,
des théories philosophiques, des contes légendaires et des rêves
d’avenir. Par exemple, les inscriptions d’un miroir en bronze
disaient ceci : « Une lumière spirituelle inonde éternellement ».
À proprement parler, cette lumière signifiait les courants de
l’histoire et les vicissitudes de la vie. C’est pourquoi ces inscriptions
souhaitaient que cette lumière perdure de génération en génération.
Profiter du miroir pour gouverner
le pays
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Miroir de bronze datant
des Song. |
En 643, Wei Zheng (581-643), ministre
et censeur intègre de l’empereur Taizong (Li Shimin) des Tang
(618-907) mourut. Profondément affligé, l’empereur Taizong ne
tint pas d’audience à la cour pendant cinq jours. Lorsqu’il y
revint, il déclara à ses courtisans, d’un ton ému : « En
me servant d’un miroir en bronze, je peux être habillé avec soin;
en tirant profit de l’expérience des ancêtres, je peux gouverner
le pays; en tirant des leçons de mon ministre, je peux perfectionner
mon travail. Pour me garder d’actions inconsidérées, je vais tenter
de garder ces trois miroirs. Aujourd’hui, la mort de Wei Zheng
constitue une perte immense pour moi et ma dynastie, un de mes
trois miroirs n’existe plus! »
L’empereur Li Shimin considérait
Wei Zheng comme son « miroir ». La fonction de ce « miroir »
consistait à l’aider à bien gouverner le pays et à régler judicieusement
les rapports entre le souverain et ses sujets.
En tant que censeur intègre, le
ministre Wei Zheng était un homme droit et un puits de science.
Après avoir bien étudié l’histoire de la grandeur et de la décadence
de toutes les dynasties, Wei Zheng a formulé beaucoup de propositions
pour consolider et développer la domination de la dynastie des
Tang.
Envisageant toutes choses en fonction
de l’intérêt du peuple, Wei Zheng osait dire la vérité et ne reculait
devant rien. À maintes reprises, en toute franchise, il avait
adressé des remontrances à l’empereur Taizong : il fallait
bien tirer la leçon de l’extinction de la dynastie des Sui (581-618).
Ainsi, il préconisait : « Rester vigilant en temps de
paix, abandonner la vie de luxe et mener une vie sobre ».
Sous ce principe, la cour devait nommer un fonctionnaire selon
ses mérites, être attentive aux avis et appliquer la politique
de réduction des fermages et des taxes afin d’alléger les charges
de la population.
Le ministre Wei Zheng était connu
comme un censeur intègre. D’après les statistiques des documents
historiques, au cours de sa vie, il a formulé plus de 200 propositions
à l’empereur Taizong. À la veille de sa mort, il a laissé un rapport
inachevé.
Dans l’histoire de Chine, Li Shimin
fut considéré comme un grand empereur. La période du règne de
l’empereur Taizong (627-650) est connue comme la « paix de
Zhenguan » et a enregistré une prospérité d’ensemble durant
la dynastie féodale des Tang, sous la domination du grand empereur
Li Shimin. Ce dernier s’est servi des leçons du passé et des propositions
des masses pour gouverner le pays. En se regardant souvent dans
le miroir, il avait bien compris la manière de se comporter et
les principes liant étroitement les affaires de l’État. Pour bien
gouverner son pays, il fallait profiter de ces « miroirs ».
Réunir un couple après une séparation
Aux Ve et VIe
siècle, la Chine connut l’époque des dynasties du Nord et du Sud
(420-589). En 589, les Chen, une dynastie du Sud (557-589), dont
le domaine comprenait la vallée inférieure du Yangtsé, avaient
leur capitale à l’emplacement de l’actuelle Nanjing. Cette petite
dynastie régna à une époque de désastres.
Après l’unification du pays, la
dynastie des Sui dirigea le fer sur la dynastie des Chen. Yang
Su, généralissime des Sui, dirigea sa marine militaire et arriva
directement aux murs de la ville de Nanjing, en suivant le cours
du Yangtsé. Dans cette situation, la dynastie des Chen ne pouvait
que subir les affres d’une guerre.
Le désordre régnait dans la ville,
ce fut un sauve-qui-peut général. Dans la cour impériale des Chen,
la jolie princesse Lechang et son mari Xu Deyan coupèrent en deux
un miroir en bronze avant leur départ, et chacun garda une moitié
comme gage de réunion. Ils déterminèrent aussi la date de celle-ci :
chaque année, la fête des lanternes (la nuit du 15 de la première
lune) allait devenir le moment de leur rendez-vous. À une foire
convenue, ils pourraient se réunir à un moment fixé, sous prétexte
de vendre leur moitié de miroir.
Après la chute de Nanjing, la princesse
fut faite prisonnière par le maréchal Yang Su et devint par la
suite sa deuxième épouse.
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Miroir carré en bronze
des Song. |
La deuxième année, lors de la fête
des lanternes, Xu Deyan se rendit au rendez-vous convenu à la
foire, en apportant sa moitié de miroir. Recherchant partout sa
femme dans la foire, Xu Deyan n’en vit pas la moindre ombre. Sombrant
dans le désespoir, ses yeux rencontrèrent tout à coup ceux d’un
homme habillé en domestique; cet homme tenait la moitié de miroir
à la main. Après avoir identifié l’objet en question, cet homme
raconta le mauvais sort de la princesse, et Xu Deyan, gendre de
l’empereur, ne put s’empêcher de pleurer à chaudes larmes. Songeant
intensément à sa compagne, il écrivit un poème sur la moitié de
miroir appartenant à sa dulcinée : « Tu m’as quitté
en apportant la moitié du miroir, mais je ne vois aujourd’hui
que la moitié de ce miroir. Même sous la pleine lune, je ne vois
plus ta forme de Chang’e, déesse de la lune. »
Ce domestique rendit la moitié
de miroir à sa maîtresse et lui raconta la rencontre qu’il avait
faite à la foire. Ayant appris des nouvelles de son mari, la princesse
fut transportée de joie, car elle savait que son mari était encore
vivant et qu’il la recherchait avec instance. En pensant qu’elle
ne pouvait que très rarement le voir malgré le voisinage, elle
pleura aussi à chaudes larmes pendant des jours.
Constatant la situation, le maréchal
Yang Su, d’un caractère facile, envoya chercher Xu Deyan pour
lui rendre sa femme. Quelle surprise! C’est ainsi que ce couple
fut réuni à nouveau et put commencer une nouvelle vie après avoir
quitté la résidence de Yang Su.
La restauration d’un miroir divisé
en deux symbolise la réunion d’un couple après une séparation.
L’histoire de ce proverbe s’est transmise de génération en génération.
Dans la Chine antique, nos ancêtres
avaient coutume d’échanger un miroir de bronze en témoignage d’amour.
Ce miroir les accompagnait toute leur vie et devenait un des objets
funéraires après leur mort. De nos jours, on découvre des moitiés
de miroirs en bronze ou des miroirs en bronze complets dans des
tombeaux antiques. Il y a deux ans, dans le district de Yuxian,
des archéologues chinois ont découvert une moitié d’un miroir
en bronze dans un tombeau des Tang. Pour chercher l’autre moitié,
ils se sont donnés beaucoup de mal, mais en vain. D’après les
anciennes mœurs, ils croyaient fermement que cette moitié de miroir
en bronze était liée étroitement avec l’autre moitié.
En mai 2003, une découverte archéologique
a confirmé leurs conclusions scientifiques. Dans le district de
Huaining, province de l’Anhui, le bureau de préservation du patrimoine
culturel a découvert les deux moitiés d’un miroir en bronze dans
deux tombes distantes de trois mètres. Après vérification, les
deux moitiés de miroir s’ajustaient parfaitement. On a donc pu
confirmer que ces deux tombes étaient celles d’un couple.
Les anciens estimaient que l’âme
d’un homme est éternelle, tant dans le monde de la lumière que
dans le monde des ténèbres. On disait qu’une passe se trouvait
entre ces deux mondes. Pour empêcher la fuite des informations
du monde de la lumière, dans la passe, il y avait des potions
magiques pour envoûter les âmes qui y passaient. La moitié d’un
miroir funéraire en bronze était considérée comme la preuve de
la réunion d’un couple après une séparation.
Clair miroir haut suspendu
Pendant des millénaires, dans la
société féodale, les fonctionnaires aimaient s’attirer les éloges
ayant recours au symbolisme des mots : incorruptible comme
l’eau limpide, vue perçante comme un miroir et rendre toujours
de justes sentences. Pour défendre les intérêts des dominateurs,
les empereurs de chaque dynastie espéraient que leurs fonctionnaires
soient impartiaux en observant la discipline et les lois.
Dans la grande salle d’un tribunal,
on voyait souvent une tablette horizontale où l’on avait écrit :
« Clair miroir haut suspendu », ce qui signifiait
la clairvoyance du juge lui permettant de rendre de justes sentences,
ou « Miroir de Qin haut suspendu ».
Cette
tablette montrait que ce fonctionnaire réglait une affaire avec
impartialité, de sa vue perçante, et
qu’il était incorruptible.
Le
miroir de Qin. On disait que le premier empereur des Qin (221-206
av. J.-C.) possédait un miroir magique servant à refléter l’image
des organes vitaux du corps humain et la qualité des personnes.
À l’époque féodale imbue de superstitions, les contrevenants n’osaient
pas douter du vrai et du faux. Dans une certaine mesure, cette
tablette horizontale avait un effet dissuasif.
À l’époque des Tang, Feng Lülian,
officier subalterne de la province du Hebei, refusa un miroir
en bronze offert par son ami, en disant : « En tant
que fonctionnaire, je peux toucher mon salaire, mais je n’ose
pas accepter un cadeau des autres. » Il a écrit une devise :
« À travers l’eau limpide, on voit le fond, le miroir reflète
toujours mon cœur; en tant que fonctionnaire, je dois être d’une
parfaite intégrité. »
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Miroir de bronze losangé
remontant aux Song (960-1279). |
Pendant les années de règne de
l’empereur Zhenzong des Song (998-1022), un fonctionnaire de la
cour impériale conservait un miroir convexe en bronze. On disait
que ce miroir magique pouvait produire une image d’un périmètre
de cent kilomètres quand on cherchait à entrer en relation avec
un haut fonctionnaire. Ce fonctionnaire fit présent de son miroir
magique au premier ministre Lü Mengzheng. Ce dernier dit, en riant
dans sa barbe : « Mon visage n’a que la superficie d’une
assiette, comment pourrais-je produire une image si énorme? »
Ainsi, ce fonctionnaire ne put arriver à ses fins.
Depuis l’Antiquité jusqu’aujourd’hui,
le peuple chinois aime toujours le miroir à qui il assigne non
seulement la fonction de refléter l’image d’une personne, mais
aussi plusieurs fonctions sociales et vertus humaines. Il est
un symbole de la lumière, une preuve de sincérité, l’incarnation
de la justice et un prodige pour chasser les mauvais esprits.
Document
Moulage :
La fabrication d’un miroir en bronze demande d’abord de
préparer un moule en terre cuite, gravé et façonné, dans
lequel on verse du cuivre fondu qui, une fois solidifié,
conserve la forme prise dans le moule. Souvent, le
miroir de bronze est orné de motifs, de dessins ou d'inscriptions.
Au centre de son envers, une anse sert à attacher une corde.
Matières premières : Le cuivre, l’étain et le plomb
sont les matières premières du miroir. La proportion
d’alliage a changé selon les périodes. À l’époque des Han,
elle était formée de 60-70 % de cuivre, 23-25 %
d’étain et 4-6 % de plomb, ce qui constitue une proportion
idéale.
Traitement :
Le traitement du miroir en bronze tient dans le polissage.
On mêle de la poudre d’étain avec du mercure pour polir
la surface du miroir jusqu'à ce qu’il puisse réfléchir la
lumière. Durant l’Antiquité, cette technique était également
maîtrisée par des artisans ambulants. Une fois que le miroir
en bronze avait perdu ses propriétés réfléchissantes, on
cherchait un artisan pour le polir.
Forme :
La forme du miroir en bronze était très variée : ronde,
carrée, en losange, octogonale, etc.
Dimension :
En général, il y avait trois dimensions de miroir :
grande, moyenne et petite. Le diamètre du petit miroir en
bronze était de trois à huit centimètres. On avait l’habitude
de le suspendre à la taille avec une corde en couleurs; le
miroir de bronze de dimension moyenne avait 10-40 cm
de diamètre. On pouvait le tenir à la main, le suspendre
au mur ou le déposer sur la coiffeuse. Celui de plus de
40 cm appartenait au type de grande dimension. En 1980,
à Zibo, dans la province du Shandong, on a découvert un
grand miroir en bronze rectangulaire de 115×57 cm.
Autres :
Sauf le miroir en bronze qui sert à refléter l’image d’une
personne, il y a en outre le miroir concave.
Il y a plus de deux mille
ans, il existait une sorte de miroir en bronze qui pouvait
refléter à l’envers ses dessins et ses inscriptions. Ce
miroir magique suscitait bien des conjectures. Il y a 1
000 ans, Shen Kuo, un homme de science des Song, révéla
les secrets de ce miroir. C’était l’ornement qui créait
les différentes épaisseurs du miroir, et les étapes successives
de refroidissement pendant le moulage avaient produit de
petites traces qui reflétaient la lumière de cet ornement.
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