SEPTEMBRE,  2003

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

 

Le monde dans un miroir

HUO JIANYING

 

Miroir de bronze datant des Royaumes combattants (480-256 av. J.-C.).

Aujourd’hui, si vous demandez à une femme de prendre une cuvette d’eau, de la poser dans un endroit convenable et de se servir du reflet de son visage dans l’eau pour se faire belle, cette femme pensera certainement que cela est impossible. Pourtant, il y a plus de trois millénaires, les femmes chinoises de différents statuts sociaux devaient se parer ainsi; c’était la seule façon de le faire. La cuvette d’eau servant à refléter une personne fut décrite dans les livres par le caractère chinois « Jian ».

Ce pictogramme se retrouve dans les inscriptions d’objets en bronze et ressemble au dessin suivant : une femme se penche et se mire dans l’eau. Au début, la cuvette d’eau était en terre cuite. À l’âge du bronze, la découverte et le développement de la métallurgie ont permis à la cuvette de bronze de remplacer peu à peu la cuvette en argile. Ainsi le miroir de métal a été produit et largement utilisé à cette époque.

Dans les ruines des deux capitales des Shang (1711-1066 av. J.-C.), au Henan, un miroir en bronze découvert dans le tombeau Fuhao remontait à plus de 3 200 ans. À l’âge de bronze, le miroir fait de ce matériau a d’abord été un objet de luxe pour la haute noblesse, puis il a été popularisé comme article d’usage courant chez les habitants. Très pratique, le miroir en bronze a été utilisé jusqu’au début du XXe siècle. À ce moment-là, la cuvette est devenue un simple récipient. Au XXe siècle, le miroir en métal a été complètement remplacé par le miroir en verre étamé. Pendant plus de 3 000 ans, la cuvette d’eau et le miroir en bronze ont servi non seulement à réfléchir la lumière, à refléter l’image des personnes et des choses, mais encore à comprendre beaucoup d’éléments de la culture, des théories philosophiques, des contes légendaires et des rêves d’avenir. Par exemple, les inscriptions d’un miroir en bronze disaient ceci : « Une lumière spirituelle inonde éternellement ». À proprement parler, cette lumière signifiait les courants de l’histoire et les vicissitudes de la vie. C’est pourquoi ces inscriptions souhaitaient que cette lumière perdure de génération en génération. 

Profiter du miroir pour gouverner le pays 
Miroir de bronze datant des Song.

En 643, Wei Zheng (581-643), ministre et censeur intègre de l’empereur Taizong (Li Shimin) des Tang (618-907) mourut. Profondément affligé, l’empereur Taizong ne tint pas d’audience à la cour pendant cinq jours. Lorsqu’il y revint, il déclara à ses courtisans, d’un ton ému : « En me servant d’un miroir en bronze, je peux être habillé avec soin; en tirant profit de l’expérience des ancêtres, je peux gouverner le pays; en tirant des leçons de mon ministre, je peux perfectionner mon travail. Pour me garder d’actions inconsidérées, je vais tenter de garder ces trois miroirs. Aujourd’hui, la mort de Wei Zheng constitue une perte immense pour moi et ma dynastie, un de mes trois miroirs n’existe plus! »

L’empereur Li Shimin considérait Wei Zheng comme son « miroir ». La fonction de ce « miroir » consistait à l’aider à bien gouverner le pays et à régler judicieusement les rapports entre le souverain et ses sujets.

En tant que censeur intègre, le ministre Wei Zheng était un homme droit et un puits de science. Après avoir bien étudié l’histoire de la grandeur et de la décadence de toutes les dynasties, Wei Zheng a formulé beaucoup de propositions pour consolider et développer la domination de la dynastie des Tang.

Envisageant toutes choses en fonction de l’intérêt du peuple, Wei Zheng osait dire la vérité et ne reculait devant rien. À maintes reprises, en toute franchise, il avait adressé des remontrances à l’empereur Taizong : il fallait bien tirer la leçon de l’extinction de la dynastie des Sui (581-618). Ainsi, il préconisait : « Rester vigilant en temps de paix, abandonner la vie de luxe et mener une vie sobre ». Sous ce principe, la cour devait nommer un fonctionnaire selon ses mérites, être attentive aux avis et appliquer la politique de réduction des fermages et des taxes afin d’alléger les charges de la population.

Le ministre Wei Zheng était connu comme un censeur intègre. D’après les statistiques des documents historiques, au cours de sa vie, il a formulé plus de 200 propositions à l’empereur Taizong. À la veille de sa mort, il a laissé un rapport inachevé.

Dans l’histoire de Chine, Li Shimin fut considéré comme un grand empereur. La période du règne de l’empereur Taizong (627-650) est connue comme la « paix de Zhenguan » et a enregistré une prospérité d’ensemble durant la dynastie féodale des Tang, sous la domination du grand empereur Li Shimin. Ce dernier s’est servi des leçons du passé et des propositions des masses pour gouverner le pays. En se regardant souvent dans le miroir, il avait bien compris la manière de se comporter et les principes liant étroitement les affaires de l’État. Pour bien gouverner son pays, il fallait profiter de ces « miroirs ».

Réunir un couple après une séparation

Aux Ve et VIe siècle, la Chine connut l’époque des dynasties du Nord et du Sud (420-589). En 589, les Chen, une dynastie du Sud (557-589), dont le domaine comprenait la vallée inférieure du Yangtsé, avaient leur capitale à l’emplacement de l’actuelle Nanjing. Cette petite dynastie régna à une époque de désastres.

Après l’unification du pays, la dynastie des Sui dirigea le fer sur la dynastie des Chen. Yang Su, généralissime des Sui, dirigea sa marine militaire et arriva directement aux murs de la ville de Nanjing, en suivant le cours du Yangtsé. Dans cette situation, la dynastie des Chen ne pouvait que subir les affres d’une guerre.

Le désordre régnait dans la ville, ce fut un sauve-qui-peut général. Dans la cour impériale des Chen, la jolie princesse Lechang et son mari Xu Deyan coupèrent en deux un miroir en bronze avant leur départ, et chacun garda une moitié comme gage de réunion. Ils déterminèrent aussi la date de celle-ci : chaque année, la fête des lanternes (la nuit du 15 de la première lune) allait devenir le moment de leur rendez-vous. À une foire convenue, ils pourraient se réunir à un moment fixé, sous prétexte de vendre leur moitié de miroir.

Après la chute de Nanjing, la princesse fut faite prisonnière par le maréchal Yang Su et devint par la suite sa deuxième épouse.

Miroir carré en bronze des Song.

La deuxième année, lors de la fête des lanternes, Xu Deyan se rendit au rendez-vous convenu à la foire, en apportant sa moitié de miroir. Recherchant partout sa femme dans la foire, Xu Deyan n’en vit pas la moindre ombre. Sombrant dans le désespoir, ses yeux rencontrèrent tout à coup ceux d’un homme habillé en domestique; cet homme tenait la moitié de miroir à la main. Après avoir identifié l’objet en question, cet homme raconta le mauvais sort de la princesse, et Xu Deyan, gendre de l’empereur, ne put s’empêcher de pleurer à chaudes larmes. Songeant intensément à sa compagne, il écrivit un poème sur la moitié de miroir appartenant à sa dulcinée : « Tu m’as quitté en apportant la moitié du miroir, mais je ne vois aujourd’hui que la moitié de ce miroir. Même sous la pleine lune, je ne vois plus ta forme de Chang’e, déesse de la lune. »

Ce domestique rendit la moitié de miroir à sa maîtresse et lui raconta la rencontre qu’il avait faite à la foire. Ayant appris des nouvelles de son mari, la princesse fut transportée de joie, car elle savait que son mari était encore vivant et qu’il la recherchait avec instance. En pensant qu’elle ne pouvait que très rarement le voir malgré le voisinage, elle pleura aussi à chaudes larmes pendant des jours.

Constatant la situation, le maréchal Yang Su, d’un caractère facile, envoya chercher Xu Deyan pour lui rendre sa femme. Quelle surprise! C’est ainsi que ce couple fut réuni à nouveau et put commencer une nouvelle vie après avoir quitté la résidence de Yang Su.

La restauration d’un miroir divisé en deux symbolise la réunion d’un couple après une séparation. L’histoire de ce proverbe s’est transmise de génération en génération.

Dans la Chine antique, nos ancêtres avaient coutume d’échanger un miroir de bronze en témoignage d’amour. Ce miroir les accompagnait toute leur vie et devenait un des objets funéraires après leur mort. De nos jours, on découvre des moitiés de miroirs en bronze ou des miroirs en bronze complets dans des tombeaux antiques. Il y a deux ans, dans le district de Yuxian, des archéologues chinois ont découvert une moitié d’un miroir en bronze dans un tombeau des Tang. Pour chercher l’autre moitié, ils se sont donnés beaucoup de mal, mais en vain. D’après les anciennes mœurs, ils croyaient fermement que cette moitié de miroir en bronze était liée étroitement avec l’autre moitié.

En mai 2003, une découverte archéologique a confirmé leurs conclusions scientifiques. Dans le district de Huaining, province de l’Anhui, le bureau de préservation du patrimoine culturel a découvert les deux moitiés d’un miroir en bronze dans deux tombes distantes de trois mètres. Après vérification, les deux moitiés de miroir s’ajustaient parfaitement. On a donc pu confirmer que ces deux tombes étaient celles d’un couple.

Les anciens estimaient que l’âme d’un homme est éternelle, tant dans le monde de la lumière que dans le monde des ténèbres. On disait qu’une passe se trouvait entre ces deux mondes. Pour empêcher la fuite des informations du monde de la lumière, dans la passe, il y avait des potions magiques pour envoûter les âmes qui y passaient. La moitié d’un miroir funéraire en bronze était considérée comme la preuve de la réunion d’un couple après une séparation.

Clair miroir haut suspendu

Pendant des millénaires, dans la société féodale, les fonctionnaires aimaient s’attirer les éloges ayant recours au symbolisme des mots : incorruptible comme l’eau limpide, vue perçante comme un miroir et rendre toujours de justes sentences. Pour défendre les intérêts des dominateurs, les empereurs de chaque dynastie espéraient que leurs fonctionnaires soient impartiaux en observant la discipline et les lois.

Dans la grande salle d’un tribunal, on voyait souvent une tablette horizontale où l’on avait écrit : « Clair miroir haut suspendu », ce qui signifiait la clairvoyance du juge lui permettant de rendre de justes sentences, ou « Miroir de Qin haut suspendu ».

 Cette tablette montrait que ce fonctionnaire réglait une affaire avec impartialité, de sa vue perçante, et  qu’il était incorruptible.

 Le miroir de Qin. On disait que le premier empereur des Qin (221-206 av. J.-C.) possédait un miroir magique servant à refléter l’image des organes vitaux du corps humain et la qualité des personnes. À l’époque féodale imbue de superstitions, les contrevenants n’osaient pas douter du vrai et du faux. Dans une certaine mesure, cette tablette horizontale avait un effet dissuasif.

À l’époque des Tang, Feng Lülian, officier subalterne de la province du Hebei, refusa un miroir en bronze offert par son ami, en disant : « En tant que fonctionnaire, je peux toucher mon salaire, mais je n’ose pas accepter un cadeau des autres. » Il a écrit une devise : « À travers l’eau limpide, on voit le fond, le miroir reflète toujours mon cœur; en tant que fonctionnaire, je dois être d’une parfaite intégrité. »

Miroir de bronze losangé remontant aux Song (960-1279).

Pendant les années de règne de l’empereur Zhenzong des Song (998-1022), un fonctionnaire de la cour impériale conservait un miroir convexe en bronze. On disait que ce miroir magique pouvait produire une image d’un périmètre de cent kilomètres quand on cherchait à entrer en relation avec un haut fonctionnaire. Ce fonctionnaire fit présent de son miroir magique au premier ministre Lü Mengzheng. Ce dernier dit, en riant dans sa barbe : « Mon visage n’a que la superficie d’une assiette, comment pourrais-je produire une image si énorme? » Ainsi, ce fonctionnaire ne put arriver à ses fins.

Depuis l’Antiquité jusqu’aujourd’hui, le peuple chinois aime toujours le miroir à qui il assigne non seulement la fonction de refléter l’image d’une personne, mais aussi plusieurs fonctions sociales et vertus humaines. Il est un symbole de la lumière, une preuve de sincérité, l’incarnation de la justice et un prodige pour chasser les mauvais esprits.

Document

Moulage : La fabrication d’un miroir en bronze demande d’abord de préparer un moule en terre cuite, gravé et façonné, dans lequel on verse du cuivre fondu qui, une fois solidifié, conserve la forme prise dans le moule. Souvent, le miroir de bronze est orné de motifs, de dessins ou d'inscriptions. Au centre de son envers, une anse sert à attacher une corde.

Matières premières : Le cuivre, l’étain et le plomb sont les matières premières du miroir. La proportion d’alliage a changé selon les périodes. À l’époque des Han, elle était formée de 60-70 % de cuivre, 23-25 % d’étain et 4-6 % de plomb, ce qui constitue une proportion idéale.

Traitement : Le traitement du miroir en bronze tient dans le polissage. On mêle de la poudre d’étain avec du mercure pour polir la surface du miroir jusqu'à ce qu’il puisse réfléchir la lumière. Durant l’Antiquité, cette technique était également maîtrisée par des artisans ambulants. Une fois que le miroir en bronze avait perdu ses propriétés réfléchissantes, on cherchait un artisan pour le polir.

Forme : La forme du miroir en bronze était très variée : ronde, carrée, en losange, octogonale, etc.

Dimension : En général, il y avait trois dimensions de miroir : grande, moyenne et petite. Le diamètre du petit miroir en bronze était de trois à huit centimètres. On avait l’habitude de le suspendre à la taille avec une corde en couleurs; le miroir de bronze de dimension moyenne avait 10-40 cm de diamètre. On pouvait le tenir à la main, le suspendre au mur ou le déposer sur la coiffeuse. Celui de plus de 40 cm appartenait au type de grande dimension. En 1980, à Zibo, dans la province du Shandong, on a découvert un grand miroir en bronze rectangulaire de 115×57 cm.

Autres : Sauf le miroir en bronze qui sert à refléter l’image d’une personne, il y a en outre le miroir concave.

Il y a plus de deux mille ans, il existait une sorte de miroir en bronze qui pouvait refléter à l’envers ses dessins et ses inscriptions. Ce miroir magique suscitait bien des conjectures. Il y a 1 000 ans, Shen Kuo, un homme de science des Song, révéla les secrets de ce miroir. C’était l’ornement qui créait les différentes épaisseurs du miroir, et les étapes successives de refroidissement pendant le moulage avaient produit de petites traces qui reflétaient la lumière de cet ornement.