SEPTEMBRE,  2003

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

 

Un homme de projets et de réalisations

LISA CARDUCCI

Pendant que Ying Yuanma répond à une de mes questions, A Xuan écoute attentivement.

Né dans une famille agricole à Xuanju, au Zhejiang, Ying a fait ses études universitaires à Beijing, après quoi il s’est établi à Hangzhou, capitale de sa  province. Il a 32 ans et sa femme, 29.

Ying Yuanma, pourquoi portez-vous ce prénom?

J’ai deux frères et trois sœurs. Mon frère aîné était militaire au Sichuan lorsque je suis né. C’est en pensant à lui, qui élevait des chevaux (ma) et qui était dans une région lointaine (yuan), que ma mère a composé mon prénom.

Ma femme s’appelle Wu Fengxuan, mais nous l’appelons A Xuan. Dans les campagnes, il est d’usage d’ajouter un « A » devant le prénom.

Notre fille s’appelle Ying Yixiao (un sourire). On dit qu’un sourire d’une jeune fille peut attirer tous les garçons; deux sourires permettent d’occuper une ville; trois sourires peuvent faire tomber un pays. Xiaoxiao n’avait que quelques jours quand elle a souri la première fois.

Vous venez tous deux de familles rurales?

Oui. Chaque année je travaillais aux champs, même durant mes études universitaires pendant les vacances. Depuis 1994, je n’ai pas pu; j’espère retourner.

 A Xuan : Moi, j’ai une sœur et un frère; mes parents travaillent encore à la campagne.

Comment vous êtes-vous connus?

A Xuan : Par l’intermédiaire d’amis en 1995. J’étais vendeuse dans un magasin ici, à Hangzhou.

Et vous vous êtes mariés…

YYM : En 1997. Une célébration collective pour marquer le retour de Hongkong à la patrie. Notre province a organisé le mariage de 97 couples. Tout était gratuit. Nous avons planté un arbre sur une colline. Nous sommes allés au lac de l’Ouest; chaque couple avait un parapluie rouge.

La belle vie continue depuis?

A Xuan : Nous avons passé des périodes difficiles.

YYM : Quand j’ai décidé d’épouser A Xuan, je voulais lui donner une vie stable. Alors j’ai acheté un appartement de 40 m2, en empruntant 50 000 yuans. Nous vivions de 500 yuans par mois. Pas facile de rembourser la dette.

Vous aviez quitté votre travail, A Xuan?

Oui. Mon mari voulait que j’étudie. D’abord, l’ordinateur. Puis j’ai passé deux fois l’examen d’entrée à l’université mais j’ai échoué. J’ai appris à conduire. J’ai même commencé à étudier le français. Un mois seulement, parce que j’étais enceinte.

Ying Yuanma parmi ses étudiants de français dans un salon de thé.

C’est un empêchement aux études?

Ma première grossesse s’était terminée par une fausse couche. Il y avait des risques et je devais faire attention. J’ai occupé plusieurs petits emplois : vendeuse de produits de décoration; dans une société pharmaceutique; dans une école d’enfants sourds-muets à aider les enseignants. L’année suivante, l’école a reçu des diplômés, et j’ai perdu mon emploi.

Depuis la naissance de la petite, vous n’êtes pas retournée au travail?

Non. Mais Xiaoxiao ira bientôt au jardin d’enfants, et je pourrai soit travailler, soit étudier.

Vous sentez-vous seule?

A Xuan : Parfois, oui. Je n’ai personne avec qui échanger. Ni pour prendre soin de la petite. Même quand je vais chez le médecin, je dois l’emmener.

Que recherchez-vous davantage dans le travail à l’extérieur?

Me faire des amies, voir d’autres personnes. Mais aussi me sentir utile. Et gagner de l’argent moi-même.

YYM : Si A Xuan veut rester à la maison, elle le peut. Par contre, sortir de la maison aide à mieux voir l’importance de la famille.

Qui prend les décisions concernant le foyer, l’enfant?

Bien sûr, c’est ma femme. Je travaille au bureau, et j’enseigne le français. Je n’ai pas beaucoup de temps. Je donne un tiers de mon salaire à A Xuan, je garde un tiers, le reste rembourse l’emprunt à la banque.

Qu’est-il advenu de votre appartement de 40m2?

Lorsque j’ai quitté mon premier emploi dans une compagnie d’exportation de thé, après six ans, mon salaire était de 1 200 yuans par mois (145 USD). J’avais commencé à 180 yuans (22 USD) en 1993. Si j’étais resté là, je gagnerais au maximum 1 500 yuans par mois. On voulait me garder; il a fallu six mois pour débattre le cas. Maintenant, je viens de quitter mon deuxième emploi, dans une usine de thé. Quand les usines acquièrent le droit d’exporter, elles ont besoin de personnel qui connaît les langues étrangères. Mon salaire était de 2 500 yuans au début, et a doublé en quatre ans; mais je ne pouvais plus me développer. Mon nouveau poste me rapporte 6 500 yuans (783 USD), plus une commission sur les ventes. Je n’aurais jamais cru! À la fin de cette année, sans doute.

Nous aurions pu passer notre vie dans le premier appartement. Il suffit d’avoir un endroit pour vivre. Mais nous l’avons vendu pour acheter celui-ci, de 95 m2 : un grand salon, une grande chambre et une moyenne, la troisième sert de bureau. La cuisine et la salle de bains sont passablement grands pour la Chine.

Le Zhejiang est une province riche de la Chine.

Oui. Pourtant, le salaire moyen à Hangzhou est inférieur à 2 000 yuans. La population de la province est de 45 millions, je crois, mais il y a au moins 400 000 personnes encore très pauvres.

Et le prix des maisons?

Il a beaucoup augmenté. Nous avons payé cet appartement 4 000 yuans (482 USD) le mètre carré en 1999 et nous pourrions le vendre à plus de 7 000. Trop de spéculateurs dans l’immobilier. La moitié des propriétaires de Hangzhou viennent d’autres villes ou provinces. Il manque d’appartements bien que l’on construise sans cesse. La croissance du prix du logement ici n’est pas normale.

Votre travail est-il lourd?

L’avant-midi, il n’y a pas grand-chose à faire parce que nous devons communiquer avec l’Europe ou l’Afrique, où c’est encore la nuit. Je me lève à 8 ou 9 h. Parfois je reste à la maison pour m’occuper de ma fille ou aider ma femme. Je prends mon courrier électronique. L’après-midi, je vais toujours au bureau. Le travail n’est pas très difficile. J’ai aussi des classes de français le soir, au moins six heures par semaine. Le samedi aussi. Quand je rentre à la maison, je joue avec ma fille ou lui raconte des histoires. Je me couche vers minuit.

Vous participez aux travaux ménagers?

Quand j’étais célibataire, je cuisinais toujours. On peut dire que A Xuan a appris de moi, et finalement elle m’a remplacé. Je ne m’occupe pas du ménage. Elle se plaint de moi, souvent… Mais quand je rentre à la maison, je suis très fatigué.

Vous voyez des amis? Avez-vous des activités de couple?

Souvent des amis de mon village natal ou des camarades d’études viennent à Hangzhou. Je dois m’occuper d’eux. À la télé, il y a de très beaux films. Si j’ai le temps, je les regarde avec ma femme. Quand il y a des activités en dehors, comme une rencontre au salon de thé, j’emmène ma famille si c’est possible. À la Saint-Valentin, nous sommes allés chanter au karaoké jusqu’à une heure du matin, avec des amis.

Vous faites du sport?

Vraiment pas. Je me rends compte que ma santé est moins bonne qu’auparavant.

Et vous fumez!

Oui, et cela nuit à ma gorge quand je parle en classe. La cigarette, c’est une habitude, comme le maquillage pour les femmes.

Le français est important dans votre vie?

Dans les compagnies d’import-export, il faut des francophones. Dans les salles d’exposition, beaucoup de clients, même de Hongkong, parlent français. Nous avons une bonne dizaine de pays clients en Afrique. En Europe, surtout la France et la Belgique. C’est le français qui a fait de ma vie ce qu’elle est.

Pas d’exportation vers l’Amérique?

Seulement du thé de très basse qualité dont les Chinois ne veulent pas. Les États-Unis font du thé en sachet, ou du thé instantané.

Vous êtes allés à l’étranger?

Au Maroc, en Gambie, en Mauritanie, au Sénégal. Mais jamais en France, sauf en transit! Parfois, on envoie d’autres francophones; parfois, c’est la France qui refuse le visa.

Que voudriez-vous changer dans la vie?

YYM : Je suis satisfait de ma vie, pas toujours de mon travail. Autrefois, le thé était très important dans l’exportation chinoise; de nouveaux produits l’ont supplanté. Aussi j’aimerais que chacun considère la société comme la sienne, qu’on avance ensemble. Les relations sont plus importantes que la tâche. Par contre, mon salaire me permet d’aider ma famille et celle de A Xuan. Parfois, je songe à aller faire une maîtrise. Ou à enseigner à temps plein, un métier où on n’a pas à faire la concurrence. En fait, je ne suis pas un commerçant dans l’âme.

A Xuan et Xiaoxiao au restaurant.

A Xuan : Moi, j’aimerais que Xiaoxiao puisse fréquenter l’école longtemps et avoir une solide formation. Qu’elle grandisse heureuse et ait un avenir aisé. La vie, l’éducation sont beaucoup plus faciles qu’autrefois.

Croyez-vous qu’elle puisse recevoir une bonne instruction en Chine même?

A Xuan : Étudier à l’étranger, c’est bien après l’université, pour se perfectionner. Avant, l’enfant reçoit une formation qui ne lui convient pas, et au retour, il est dépaysé.

YYM : Notre génération n’a pas reçu beaucoup des parents. Ils nous ont donné à manger, voilà qui suffisait à l’époque, et nous les en remercions.

Pour la génération de notre enfant par contre, il y aura des problèmes d’emploi. Je souhaite que ma fille ait un bon équilibre psychologique, pour pouvoir résister à la pression du travail, de la vie. Qu’elle puisse subvenir à ses propres besoins. Ma femme et moi sommes la première génération d’immigrants de la campagne à la ville. Des parents veulent aider les jeunes parfois, mais les jeunes ne veulent pas « hériter »; ils veulent se construire un avenir eux-mêmes.

Nos parents n’ont rien sauf le soutien de leurs enfants. Nous, quand nous serons âgés, nous ne dépendrons pas de nos enfants. La société a changé. En Chine, chaque couple n’a qu’un enfant. Peut-il prendre soin de quatre ou six personnes âgées ? Ensuite, certains jeunes quitteront même le pays. Comment compter sur eux ?

La génération de Xiaoxiao sera indépendante. Ces jeunes-là devront travailler dur, vaincre la compétition, penser davantage. Ils ne peuvent pas avoir les mêmes relations avec nous que nous avec nos parents. Les parents doivent s’adapter à la façon nouvelle de penser, de parler, d’échanger. L’idéal, c’est d’être comme des amis.