S'aimer les uns les autres, une quête fascinante
WANG KEPING
Les
étudiants en langues passent souvent des commentaires sur les
difficultés qu'ils rencontrent avec la langue chinoise, plus particulièrement
en ce qui concerne l'ambiguïté de certains caractères. Ce point est également vrai pour leur sens
philosophique. Le caractère
« ren » (
), par exemple,
a la même prononciation qu'un autre « ren » (
). Le premier
signifie personne ou être humain, tandis que le second
signifie bienveillance ou amour humain.
Alors que la structure de ce second « ren
» est composée de deux personnes (
),
l'amour humain qu'il implique est souvent défini comme réciproque
ou comme une bienveillance partagée.
Cette dernière se manifeste dans les interactions sociales
entre au moins deux personnes. Il est généralement reconnu que
« ren » (
)
est issu de l'intérêt et de la compréhension mutuels dans le but
de nourrir de bonnes relations humaines.
L’importance des relations humaines
Dans la société vivement compétitive d'aujourd'hui, de plus en plus
de gens se rendent compte de l'importance des bonnes relations
humaines. De telles relations sont facilitées et maintenues
par ce qui peut être vu comme de l’amour humain (
).
Celui-ci est considéré
comme l’amour de soi, prolongé d'abord aux membres de la famille
et exprimé sous forme de respect pour les personnes âgées et d'affection
pour les jeunes. Il peut aussi s'étendre aux voisins, à la communauté
et aux collègues de travail, quand toutes les personnes concernées
s'efforcent d'accroître leur sentiment d'appartenance, leur compréhension
mutuelle et leur étroite coopération. De cela résulte le dao de ren (
)
en tant qu'amour humain. Le dao lui-même est considéré comme une vertu
cardinale dans le confucianisme, incarnant l'esprit général de
la philosophie chinoise.
Alors, comment quelqu'un peut-il rechercher le dao de ren ? Voici les deux
principes directeurs :
« N'impose pas aux autres
ce que tu ne désires pas pour toi-même »; et
« Aide les autres à se déployer au même degré que tu souhaites
le faire toi-même et aide les autres à atteindre autant leurs
buts que tu souhaites atteindre les tiens. »
Le premier principe exhorte à se mettre dans la situation d'un autre,
à traiter les autres comme on voudrait l’être. Ceci nourrit la
générosité en ne s’accordant pas des avantages aux dépens des intérêts et émotions des autres.
Le second principe conseille d'élargir son esprit et de respecter les
règles. Ce faisant, l’on diminue l'égoïsme et accélère sa propre
croissance vers l'atteinte de la perfection. Cette sorte de ren équivaut à la fraternité, mais peut être développée plus avant
jusqu'au niveau suprême d’« aimer les humains et de prendre
grand soin des choses » (ren
min ai wu). À ce niveau, le dao de ren devient l’amour
universel envers l’humanité et toutes choses sous le ciel. Dans le présent contexte de mondialisation,
ce second principe revêt une valeur inestimable pour l'écologie
sociale, l'éthique environnementale et le développement durable.
Que
nous apprend l’histoire?
Historiquement,
la quête d'amour humain était l'un des objectifs principaux du
néo-confucianisme pendant la dynastie des Song (960-1279); celle-ci a encouragé une réflexion consciente
sur « les joies de Confucius et de Yan Hui » (Kong-Yan le chu). Cette joie
est venue de la recherche rigoureuse du dao de ren et se retrouve
dans deux citations courantes des
Analectes (Lunyu).
L'une de ces citations est de Confucius lui-même : « Avec
du riz brut à manger, avec que de l'eau à boire, et avec mon coude
comme oreiller, je trouve le plaisir en tout.
La richesse et l'honneur obtenus par des moyens immoraux
ont autant à faire avec moi que les nuages qui passent. »
L'autre passage se rapporte à son disciple préféré Yan
Hui : « Comme Hui est admirable! Un plein bol de riz
à manger, une pleine gourde d'eau à boire et une résidence misérable,
tout cela est une épreuve que d’autres trouveraient intolérable;
mais Hui ne permet pas que cela affecte sa joie. Comme Hui est admirable! »
Comment Confucius et Yan Hui pouvaient-ils ressentir plaisir et joie
dans de telles conditions de vie pénibles?
Qu'est-ce qui a bien pu être à la source de leur logique?
Il y a trois possibilités
clés. D'abord, ni Confucius
ni Yan Hui ne furent jamais déprimés ou au désespoir. Tous les deux furent des optimistes (le tian pai) s'en tenant, face à l'état
des choses, à une attitude philosophique minimisant leur triste
situation. Lorsque confrontés aux situations les plus difficiles,
ils ont semblé garder espoir pour le meilleur.
En second lieu, ils étaient capables d'autonomie et de
tolérance, non pas dans le sens d'être satisfaits de ce qu'ils
étaient et de ce qu'ils avaient, mais d'accepter ce que le destin
pouvait leur apporter. Ils
ont ainsi été enchantés de leur destin prédéterminé par le Ciel
(le tian zhi ming) et s’y sont adaptés.
Enfin, ils prenaient un tel plaisir à leur poursuite
du dao de ren qu'ils en oubliaient leur pauvreté;
ils se libéraient ainsi d'y porter trop attention et de s'en soucier. Ils appréciaient le dao pour la capacité qu'il leur donnait de traiter à la légère leurs
maigres pitances dans la vie quotidienne (an pin le dao). Ce qu'ils
cherchaient du dao, c’était
l'illumination; et ils étaient prêts à sacrifier leur vie à cet
effet. Car Confucius a proclamé : « Si on me parle
du dao le matin, je
serai heureux de mourir en soirée. »
À propos, il est erroné
de conclure que Confucius ne faisait aucune distinction entre
la pauvreté et la richesse, ou que ça lui était égal d'être riche
ou pauvre. Il insistait sur le fait que les hommes ont
de l’aversion pour la pauvreté et le bas statut, tandis qu’ils
désirent richesse et statut élevé.
Si quelqu'un ne peut pas obtenir la richesse et l’honneur
dans la droiture, il ne devrait pas s'en faire
et apprécier sa vie telle qu'elle est.
Confucius était toujours disposé à améliorer le côté matériel
de sa vie. Une fois, il est allé
aussi loin qu'admettre être disposé à travailler comme garde maniant
le fouet, à l'extérieur du marché, si cela lui permettait de devenir
riche. Il se trouve toutefois qu'il a suivi ses penchants
naturels pour l'étude et la poursuite du dao.
Bref, « le plaisir
de Confucius et Yan Hui » est principalement attribuable
à une dévotion consciencieuse envers le dao
de ren, ainsi qu’à un sens aigu de la dignité
personnelle face aux difficultés.
Ce trait est particulier
au « gentleman » ou « homme de vertu »
(junzi); c’est une caractéristique idéalisée dans le confucianisme
et exprimée par Mencius comme le « grand homme » (da zhang fu). Une telle personne est censée posséder trois vertus de base :
(1) elle ne peut se faire corrompre ni par les richesses ni par
les honneurs; (2) ni la
pauvreté ni des conditions modestes ne peuvent la faire s’écarter
de ses principes; (3) ni les menaces ni la force ne peuvent l'assujettir.
Tout cela est plus facile à dire
qu'à faire. On ne peut le réaliser qu'en cultivant un sens
humain des valeurs et une forte volonté morale.
(WANG KEPING est vice-directeur
de l'Institut des études transculturelles de l'Université des
langues étrangères no 2 de Beijing.)