AOÛT  2003

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

 

S'aimer les uns les autres, une quête fascinante

WANG KEPING

Les étudiants en langues passent souvent des commentaires sur les difficultés qu'ils rencontrent avec la langue chinoise, plus particulièrement en ce qui concerne l'ambiguïté de certains caractères.  Ce point est également vrai pour leur sens philosophique.  Le caractère « ren » (), par exemple, a la même prononciation qu'un autre « ren » (  ). Le premier signifie personne ou être humain, tandis que le second signifie bienveillance ou amour humain.  Alors que la structure de ce sec­ond « ren » est composée de deux personnes ( ), l'amour humain qu'il implique est souvent défini comme réciproque ou comme une bienveillance partagée.  Cette dernière se manifeste dans les interactions sociales entre au moins deux personnes. Il est généralement reconnu que « ren » (  ) est issu de l'intérêt et de la compréhension mutuels dans le but de nourrir de bonnes relations humaines.

L’importance des relations humaines

Dans la société vivement compétitive d'aujourd'hui, de plus en plus de gens se rendent compte de l'importance des bonnes relations humaines.  De telles relations sont facilitées et maintenues par ce qui peut être vu comme de l’amour humain (). Celui-ci est considéré comme l’amour de soi, prolongé d'abord aux membres de la famille et exprimé sous forme de respect pour les personnes âgées et d'affection pour les jeunes.  Il peut aussi s'étendre aux voisins, à la communauté et aux collègues de travail, quand toutes les personnes concernées s'efforcent d'accroître leur sentiment d'appartenance, leur compréhension mutuelle et leur étroite coopération. De cela résulte le dao de ren () en tant qu'amour humain. Le dao lui-même est considéré comme une vertu cardinale dans le confucianisme, incarnant l'esprit général de la philosophie chinoise.

Alors, comment quelqu'un peut-il rechercher le dao de ren ? Voici les deux principes directeurs :

« N'impose pas aux autres ce que tu ne désires pas pour toi-même »; et

« Aide les autres à se déployer au même degré que tu souhaites le faire toi-même et aide les autres à atteindre autant leurs buts que tu souhaites atteindre les tiens. »

Le premier principe exhorte à se mettre dans la situation d'un autre, à traiter les autres comme on voudrait l’être. Ceci nourrit la générosité en ne s’accordant pas des avantages aux dépens des intérêts et émotions des autres.

Le second principe conseille d'élargir son esprit et de respecter les règles. Ce faisant, l’on diminue l'égoïsme et accélère sa propre croissance vers l'atteinte de la perfection. Cette sorte de ren équivaut à la fraternité, mais peut être développée plus avant jusqu'au niveau suprême d’« aimer les humains et de prendre grand soin des choses » (ren min ai wu).  À ce niveau, le dao de ren devient l’amour universel envers l’humanité et toutes choses sous le ciel.  Dans le présent contexte de mondialisation, ce second principe revêt une valeur inestimable pour l'écologie sociale, l'éthique environnementale et le développement durable.

Que nous apprend l’histoire?

Historiquement, la quête d'amour humain était l'un des objectifs principaux du néo-confucianisme pendant la dynastie des Song (960-1279);  celle-ci a encouragé une réflexion con­sciente sur « les joies de Confucius et de Yan Hui » (Kong-Yan le chu).  Cette joie est venue de la recherche rig­oureuse du dao de ren et se retrouve dans deux citations courantes des Analectes (Lunyu). L'une de ces citations est de Confucius lui-même : « Avec du riz brut à manger, avec que de l'eau à boire, et avec mon coude comme oreiller, je trouve le plaisir en tout.  La richesse et l'honneur obtenus par des moyens immoraux ont autant à faire avec moi que les nuages qui passent. »  L'autre passage se rapporte à son disciple préféré Yan Hui : « Comme Hui est admirable! Un plein bol de riz à manger, une pleine gourde d'eau à boire et une résidence misérable, tout cela est une épreuve que d’autres trouveraient intolérable; mais Hui ne permet pas que cela affecte sa joie.  Comme Hui est admirable! »

Comment Confucius et Yan Hui pouvaient-ils ressentir plaisir et joie dans de telles conditions de vie pénibles?  Qu'est-ce qui a bien pu être à la source de leur logique?

Il y a trois possibilités clés.  D'abord, ni Confucius ni Yan Hui ne furent jamais déprimés ou au désespoir.  Tous les deux furent des optimistes (le tian pai) s'en tenant, face à l'état des choses, à une attitude philosophique minimisant leur triste situation. Lorsque confrontés aux situations les plus difficiles, ils ont semblé garder espoir pour le meilleur.  En second lieu, ils étaient capables d'autonomie et de tolérance, non pas dans le sens d'être satisfaits de ce qu'ils étaient et de ce qu'ils avaient, mais d'accepter ce que le destin pouvait leur apporter.  Ils ont ainsi été enchantés de leur destin prédéterminé par le Ciel (le tian zhi ming) et s’y sont adaptés.  Enfin, ils prenaient un tel plaisir à leur poursuite du dao de ren qu'ils en oubliaient leur pauvreté; ils se libéraient ainsi d'y porter trop attention et de s'en soucier.  Ils appréciaient le dao pour la capacité qu'il leur donnait de traiter à la légère leurs maigres pitances dans la vie quotidienne (an pin le dao).  Ce qu'ils cherchaient du dao, c’était l'illumination; et ils étaient prêts à sacrifier leur vie à cet effet.  Car Confucius a proclamé : « Si on me parle du dao le matin, je serai heureux de mourir en soirée. »

À propos, il est erroné de conclure que Confucius ne faisait aucune distinction entre la pauvreté et la richesse, ou que ça lui était égal d'être riche ou pauvre.  Il insistait sur le fait que les hommes ont de l’aversion pour la pauvreté et le bas statut, tandis qu’ils désirent richesse et statut élevé.  Si quelqu'un ne peut pas obtenir la richesse et l’honneur dans la droiture, il ne devrait pas s'en faire et apprécier sa vie telle qu'elle est.  Confucius était toujours disposé à améliorer le côté matériel de sa vie.  Une fois, il est allé aussi loin qu'admettre être disposé à travailler comme garde maniant le fouet, à l'extérieur du marché, si cela lui permettait de devenir riche.  Il se trouve toutefois qu'il a suivi ses penchants naturels pour l'étude et la poursuite du dao.

Bref, « le plaisir de Confucius et Yan Hui » est principalement attribuable à une dévotion consciencieuse envers le dao de ren, ainsi qu’à un sens aigu de la dignité personnelle face aux difficultés.  Ce trait est particulier au « gentleman » ou « homme de vertu » (junzi); c’est une caractéristique idéalisée dans le confucianisme et exprimée par Mencius comme le « grand homme » (da zhang fu).  Une telle personne est censée posséder trois vertus de base : (1) elle ne peut se faire corrompre ni par les richesses ni par les honneurs;  (2) ni la pauvreté ni des conditions modestes ne peuvent la faire s’écarter de ses principes;  (3) ni les menaces ni la force ne peuvent l'assujettir.  Tout cela est plus facile à dire qu'à faire. On ne peut le réaliser qu'en cultivant un sens humain des valeurs et une forte volonté morale.

(WANG KEPING est vice-directeur de l'Institut des études transculturelles de l'Université des langues étrangères no 2 de Beijing.)