AOÛT  2003

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

 

Un couple de jeunes professionnels

LISA CARDUCCI

Dr Xiao Tangfu dans son laboratoire.

Docteur Xiao, pourriez-vous nous raconter comment vous avez rencontré votre épouse?

En mai 1999, de Guiyang, au Sud-Ouest, je suis allé à Anshan, au Nord-Est, visiter un ami. C’est par son intermédiaire que j’ai connu Lydia Yang, médecin. Nous partagions idées et sentiments. Je suis resté une semaine à Anshan, puis j’ai invité Lydia à venir à Guiyang. Dès sa première visite, elle a beaucoup aimé la vie au Sud. En juin, nous nous sommes fiancés, et en août, nous nous sommes mariés. Je suis né en 1969, elle, en 1977. Nous avions respectivement 30 et 22 ans.

Je crois savoir que vous avez fait vos études au Canada. Vous avez été séparés ces années-là?

En 1997, j’ai commencé mon doctorat en géochimie environnementale sur les métaux toxiques et la santé humaine au Québec. En janvier 2000, Lydia a reçu son visa, et nous avons commencé notre nouvelle vie à Chicoutimi, une petite ville du nord de la province de Québec. Lydia a passé avec moi mes deux dernières années d’études au Canada.

Chicoutimi est une ville francophone. Comment pouviez-vous communiquer?

Lydia : C’était difficile. Tangfu était très occupé à l’université avec sa recherche et sa thèse. Moi, je restais à la maison (un deux-pièces, au sous-sol); je regardais la télé, faisais le ménage, et étudiais le français auprès d’une volontaire locale à qui j’enseignais le chinois. Puis j’ai fréquenté les cours pour immigrants que la province offrait gratuitement. Trois heures par soir, quatre soirs par semaine. Cela m’a donné l’occasion de connaître des étudiants de tous les pays.

L’école était à un quart d’heure de marche. J’aimais y aller, malgré le froid de l’hiver.

Comment occupiez-vous vos temps libres?

Lydia : Le week-end, nous allions faire des courses. Nous courions les aubaines. Rendre visite à des professeurs ou à des amis nous donnait l’occasion de voir comment les Canadiens vivaient. Parfois, j’accompagnais Tangfu à des conférences à Québec, à Montréal ou à Ottawa.

Tangfu : Nous avons beaucoup aimé le Canada. C’est une chance inestimable d’avoir pu vivre et étudier au Québec.

Qu’avez-vous apprécié et détesté le plus?

Promenade au bord du lac avec grand-maman.

Tangfu : Le merveilleux environnement écologique, culturel et universitaire. La gentillesse des gens aussi.

Lydia: Nous devons beaucoup aux médecins et infirmières de Chicoutimi et de Québec qui m’ont soignée pendant les 42 jours où j’ai été hospitalisée pour combattre la naissance prématurée de mon bébé. C’est grâce à eux que Michael est né à Chicoutimi le 8 octobre 2001, après 39 semaines de grossesse.

Tangfu : Le plus détesté? Difficile à dire. Peut-être l’alimentation. Le porc et le poulet locaux, même apprêtés à la chinoise, n’avaient pas de goût. Nous demandions à des amis de nous expédier une fois par mois des produits achetés dans le quartier chinois de Montréal.

Regrettez-vous d’être revenus en Chine?

Tangfu : J’ai complété mon doctorat en décembre 2001, nous sommes rentrés en janvier 2002. Plusieurs amis nous incitaient à rester. Il est vrai que le Canada est un beau pays, mais peut-être pas l’endroit le plus approprié à la poursuite de ma recherche. En Chine, je peux trouver un bon poste en recherche, et être mon propre patron. Actuellement, je suis directeur d’un projet national et d’un projet provincial de recherche sur les métaux toxiques (thallium, arsenic et mercure) dans l’environnement et leur impact sur la santé. J’étudie la contamination provenant non seulement de l’industrie et de l’agriculture, mais aussi celle qui est due à des processus naturels des roches, minéraux et minerais. Ce nouveau mode de contamination de la nature ne doit plus être négligé. Non, aucun regret.

Vous avez ramené un bébé « étranger » en Chine. Cela veut dire problèmes ou avantages?

Tangfu : Michael est le seul bébé étranger à l’Académie des sciences de Chine à Guyang, une sorte de vedette! Il est citoyen canadien; nous pourrions donc avoir un second enfant après cinq ans, selon la Loi de planification familiale de Chine, mais il n’est pas sûr que nous nous prévaudrons de cet avantage.

Lydia : Des problèmes aussi. Michael n’est pas enregistré sur notre livret de famille; théoriquement, il est un résidant « au noir ». Nous devons faire proroger son visa une fois l’an auprès du bureau local de police. Aussi, il nous faudra payer cher pour sa scolarité.

Vous venez d’emménager dans ce logement?

Tangfu : L’Institut de géologie a fait construire un bâtiment de 32 appartements pour les jeunes docteurs. Selon le contrat, après dix ans de travail ici, nous jouirons de la propriété. Notre appartement est au 6e étage; il a 120 m2: trois chambres à coucher, une salle à manger, un bureau, un salon, la cuisine et la salle de bains. Il nous a fallu deux mois pour la décoration, au coût de 600 USD environ.

Lydia : C’est ici que Michael a fait ses premiers pas. Notre nouvelle maison est très confortable, chaleureuse, ornée de plantes et de fleurs. Nous avons une pièce où regarder des films (DVD) et pour le karaoke; j’adore chanter. Nous avons installé la télévision câblée et l’Internet à haut débit. Cette maison fut un beau cadeau pour mes 25 ans. Je pense que notre foyer est comparable à ceux des pays développés.

Racontez-nous une journée ordinaire de votre vie.

Tangfu: Je me lève à 6h45 et fais mon jogging. À 7h30, je prends mon petit déjeuner au restaurant. De 8 à 12h, je travaille au bureau ou au laboratoire. Je reviens déjeuner à la maison et jouer avec Michael jusqu’à 14h, puis retourne travailler jusqu’à 17h30. Je joue au basket ou au soccer une demi-heure, et à 18 h, nous dînons. Ensuite, je regarde le téléjournal et joue avec mon fils. De 20 à 22h, je navigue dans l’Internet ou j’écris.

Lydia: Comme je n’ai pas d’emploi, l’avant-midi je fais du travail de maison et des courses. Je prépare le repas. L’après-midi, je regarde la télé, je lis en anglais ou en français et je prends soin de mon fils.

C’est toujours vous qui faites la cuisine?

Tangfu : Nous cuisinons à tour de rôle ou les deux ensemble.

Quels sont vos mets préférés?

Le matin, des nouilles au boeuf ou au porc, et du lait. Aux autres repas, riz, brocoli, tofu, porc et poisson. Michael adore le brocoli et le poisson.  

Votre belle-mère vit avec vous, Lydia…

Le père de Tangfu est décédé en 2000; sa mère de 74 ans était seule au Hubei, donc nous l’avons amenée vivre ici.

Tangfu : Les jeunes femmes n’aiment pas que leur belle-mère soit trop près habituellement, mais Lydia a une très bonne relation avec ma mère. Elle l’amène souvent dans les magasins, lui achète des vêtements, des chaussures. Ma mère aime bien l’ambiance de la ville, très différente de notre village de montagne du Hubei.

Pourquoi Lydia ne peut-elle pratiquer sa profession à Guiyang?

Quand nous sommes revenus du Canada, l’Institut avait préparé un emploi pour Lydia, mais l’Académie des sciences requérait une importante réduction du personnel des 108 instituts. Le nôtre devait passer de 300 personnes à 150; il était bien évident que l’on ne retiendrait pas les services de Lydia. 

Lydia : C’est très embêtant; pas de travail veut dire pas d’assurances médicale et sociale, et pas de revenus. Comme compensation, l’Institut verse 400 yuans (50 USD) par mois.

Tangfu : L’Institut demande au gouvernement provincial de trouver un poste pour Lydia, car la province du Guizhou est sous-développée et devrait tout faire pour garder les jeunes scientifiques.

Comment voyez-vous l’avenir de votre enfant?

Tangfu : Nous espérons seulement qu’il se développe bien : bon caractère, amour de la nature et de la société, optimisme, endurance dans les difficultés, les échecs, les frustrations. Nous ne prétendons pas à des exploits scolaires. Nous le guiderons vers les sports, les arts, la protection de la nature, le bénévolat, les sciences, en respectant ses propres intérêts. Nous espérons que Michael fasse ses études universitaires en Chine puis poursuive au Canada ou aux États-Unis. Ainsi, il sera un être indépendant et contribuera à la vie moderne.

Lydia : Comme nous l’a suggéré une pédagogue, son père parle anglais avec lui et moi, chinois. Il connaît même des mots du dialecte du Hubei, appris de sa grand-mère et que j’ignore.

Est-ce difficile d’être père et professeur?

Tangfu : Oui, bien que mon fils me donne de grandes joies. Je ne peux travailler tranquille à la maison ni passer mes week-ends au bureau comme autrefois. Je dois m’occuper de lui, jouer avec lui, l’amener au parc, faire le cheval. Quand il est fatigué, il préfère sa mère. Il fouille la maison comme un détective. Si je m’enferme pour travailler, il frappe à la porte et pleure; il s’empare de la souris de l’ordinateur... À table, il faut lui donner à manger. Lydia aime bien aller danser; pouvons-nous l’emmener? Ou faire les courses avec lui? Pourtant, il me manque beaucoup quand je pars pour une conférence ou travailler sur le chantier.

Votre tâche professionnelle est-elle lourde?

Tangfu, Lydia et Michael sur la pelouse de l'Académie des Sciences.

L’enseignement amène la réputation, mais la recherche est lourde. D’abord, il faut demander des subventions chaque année. Si les projets ne sont pas financés, je peux perdre mon poste de professeur, donc mon revenu. Ensuite, je dois guider mes étudiants en recherche. Enfin, je dois publier davantage d’articles dans des revues internationales, et contribuer encore plus au travail de laboratoire.

Vous avez des passe-temps?

Tangfu : L’Internet, le jeu de weiqi, l’escalade, la natation et le jardinage.

 Lydia: Le chant, le lèche-vitrines, la décoration intérieure, la cuisine. Tous deux aimons beaucoup voyager. Nous avons vu Hongkong, Tokyo, Séoul et le Canada. Nous projetons de visiter l’Asie du Sud et l’Europe quand nous aurons de l’argent.

Vous avez une voiture?

Non, et la bicyclette n’est pas populaire à Guiyang ou les rues sont en pente. Nous nous déplaçons en autobus ou taxi.

Avant de quitter nos lecteurs, qu’aimeriez-vous ajouter?

Tangfu : La Chine se développe rapidement : économie, lois et sciences. Le niveau de vie atteint déjà celui des pays développés sous certains aspects : maison, jardin, Internet à haut débit, cinéma, téléphone portable, bars, discothèques, enseignement, loterie, football, Bourse…

Aussi, la Chine est plus « environnementale » que jamais. Le gouvernement prend des mesures pour protéger l’écologie; la population est sensibilisée et se porte volontaire; les chercheurs sont mieux subventionnés.