Un couple
de jeunes professionnels
LISA
CARDUCCI
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Dr
Xiao Tangfu dans son laboratoire. |
Docteur Xiao, pourriez-vous nous raconter comment vous
avez rencontré votre épouse?
En mai 1999,
de Guiyang, au Sud-Ouest, je suis allé à Anshan, au Nord-Est,
visiter un ami. C’est par son intermédiaire que j’ai connu Lydia
Yang, médecin. Nous partagions idées et sentiments. Je suis resté
une semaine à Anshan, puis j’ai invité Lydia à venir à Guiyang.
Dès sa première visite, elle a beaucoup aimé la vie au Sud. En
juin, nous nous sommes fiancés, et en août, nous nous sommes mariés.
Je suis né en 1969, elle, en 1977. Nous avions respectivement
30 et 22 ans.
Je crois savoir que vous avez fait vos études au
Canada. Vous avez été séparés ces années-là?
En 1997, j’ai commencé mon doctorat en géochimie environnementale sur les
métaux toxiques et la santé humaine au Québec. En janvier 2000,
Lydia a reçu son visa, et nous avons commencé notre nouvelle vie
à Chicoutimi, une petite ville du nord de la province de Québec.
Lydia a passé avec moi mes deux dernières années d’études au Canada.
Chicoutimi est une ville francophone. Comment pouviez-vous
communiquer?
Lydia : C’était difficile. Tangfu était très occupé à l’université
avec sa recherche et sa thèse. Moi, je restais à la maison (un
deux-pièces, au sous-sol); je regardais la télé, faisais le ménage,
et étudiais le français auprès d’une volontaire locale à qui j’enseignais
le chinois. Puis j’ai fréquenté les cours pour immigrants que
la province offrait gratuitement. Trois heures par soir, quatre
soirs par semaine. Cela m’a donné l’occasion de connaître des
étudiants de tous les pays.
L’école était à un quart d’heure de marche. J’aimais y aller, malgré le
froid de l’hiver.
Comment occupiez-vous vos temps libres?
Lydia : Le week-end, nous allions faire des courses. Nous courions
les aubaines. Rendre visite à des professeurs ou à des amis nous
donnait l’occasion de voir comment les Canadiens vivaient. Parfois,
j’accompagnais Tangfu à des conférences à Québec, à Montréal ou
à Ottawa.
Tangfu : Nous avons beaucoup aimé le Canada. C’est une chance inestimable
d’avoir pu vivre et étudier au Québec.
Qu’avez-vous apprécié et détesté le plus?
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Promenade
au bord du lac avec grand-maman. |
Tangfu : Le merveilleux environnement écologique,
culturel et universitaire. La gentillesse des gens aussi.
Lydia: Nous devons beaucoup aux médecins et infirmières de Chicoutimi et
de Québec qui m’ont soignée pendant les 42 jours où j’ai été hospitalisée
pour combattre la naissance prématurée de mon bébé. C’est grâce
à eux que Michael est né à Chicoutimi le 8 octobre 2001, après
39 semaines de grossesse.
Tangfu : Le plus détesté? Difficile à dire. Peut-être l’alimentation.
Le porc et le poulet locaux, même apprêtés à la chinoise, n’avaient
pas de goût. Nous demandions à des amis de nous expédier une fois
par mois des produits achetés dans le quartier chinois de Montréal.
Regrettez-vous d’être revenus en Chine?
Tangfu : J’ai complété mon doctorat en décembre 2001, nous sommes
rentrés en janvier 2002. Plusieurs amis nous incitaient à rester.
Il est vrai que le Canada est un beau pays, mais peut-être pas
l’endroit le plus approprié à la poursuite de ma recherche. En
Chine, je peux trouver un bon poste en recherche, et être mon
propre patron. Actuellement, je suis directeur d’un projet national
et d’un projet provincial de recherche sur les métaux toxiques
(thallium, arsenic et mercure) dans l’environnement et leur impact
sur la santé. J’étudie la contamination provenant non seulement
de l’industrie et de l’agriculture, mais aussi celle qui est due
à des processus naturels des roches, minéraux et minerais. Ce
nouveau mode de contamination de la nature ne doit plus être négligé.
Non, aucun regret.
Vous avez ramené un bébé « étranger » en
Chine. Cela veut dire problèmes ou avantages?
Tangfu : Michael est le seul bébé étranger à l’Académie des sciences
de Chine à Guyang, une sorte de vedette! Il est citoyen canadien;
nous pourrions donc avoir un second enfant après cinq ans, selon
la Loi de planification familiale de Chine,
mais il n’est pas sûr que nous nous prévaudrons de cet avantage.
Lydia : Des problèmes aussi. Michael n’est pas enregistré sur notre
livret de famille; théoriquement, il est un résidant « au
noir ». Nous devons faire proroger son visa une fois l’an
auprès du bureau local de police. Aussi, il nous faudra payer
cher pour sa scolarité.
Vous venez d’emménager dans ce logement?
Tangfu : L’Institut de géologie a fait construire un bâtiment de 32
appartements pour les jeunes docteurs. Selon le contrat, après
dix ans de travail ici, nous jouirons de la propriété. Notre appartement
est au 6e étage; il a 120 m2: trois chambres
à coucher, une salle à manger, un bureau, un salon, la cuisine
et la salle de bains. Il nous a fallu deux mois pour la décoration,
au coût de 600 USD environ.
Lydia : C’est ici que Michael a fait ses premiers pas. Notre nouvelle
maison est très confortable, chaleureuse, ornée de plantes et
de fleurs. Nous avons une pièce où regarder des films (DVD) et
pour le karaoke; j’adore chanter. Nous avons installé la télévision
câblée et l’Internet à haut débit. Cette maison fut un beau cadeau
pour mes 25 ans. Je pense que notre foyer est comparable à ceux
des pays développés.
Racontez-nous une journée ordinaire de votre vie.
Tangfu: Je me lève à 6h45 et fais mon jogging. À 7h30, je prends mon petit
déjeuner au restaurant. De 8 à 12h, je travaille au bureau ou
au laboratoire. Je reviens déjeuner à la maison et jouer avec
Michael jusqu’à 14h, puis retourne travailler jusqu’à 17h30. Je
joue au basket ou au soccer une demi-heure, et à 18 h, nous dînons.
Ensuite, je regarde le téléjournal et joue avec mon fils. De 20
à 22h, je navigue dans l’Internet ou j’écris.
Lydia: Comme je n’ai pas d’emploi, l’avant-midi je fais du travail de maison
et des courses. Je prépare le repas. L’après-midi, je regarde
la télé, je lis en anglais ou en français et je prends soin de
mon fils.
C’est toujours vous qui faites la cuisine?
Tangfu : Nous cuisinons à tour de rôle ou les deux ensemble.
Quels sont vos mets préférés?
Le matin, des nouilles au boeuf ou au porc, et du lait. Aux autres repas,
riz, brocoli, tofu, porc et poisson. Michael adore le brocoli
et le poisson.
Votre belle-mère vit avec vous, Lydia…
Le père de Tangfu est décédé en 2000; sa mère de 74 ans était seule au
Hubei, donc nous l’avons amenée vivre ici.
Tangfu : Les jeunes femmes n’aiment pas que leur belle-mère soit trop
près habituellement, mais Lydia a une très bonne relation avec
ma mère. Elle l’amène souvent dans les magasins, lui achète des
vêtements, des chaussures. Ma mère aime bien l’ambiance de la
ville, très différente de notre village de montagne du Hubei.
Pourquoi Lydia ne peut-elle pratiquer sa profession
à Guiyang?
Quand nous sommes revenus du Canada, l’Institut avait préparé un emploi
pour Lydia, mais l’Académie des sciences requérait une importante
réduction du personnel des 108 instituts. Le nôtre devait passer
de 300 personnes à 150; il était bien évident que l’on ne retiendrait
pas les services de Lydia.
Lydia : C’est très embêtant; pas de travail veut dire pas d’assurances
médicale et sociale, et pas de revenus. Comme compensation, l’Institut
verse 400 yuans (50 USD) par mois.
Tangfu : L’Institut demande au gouvernement provincial de trouver
un poste pour Lydia, car la province du Guizhou est sous-développée
et devrait tout faire pour garder les jeunes scientifiques.
Comment voyez-vous l’avenir de votre enfant?
Tangfu : Nous espérons seulement qu’il se développe bien : bon
caractère, amour de la nature et de la société, optimisme, endurance
dans les difficultés, les échecs, les frustrations. Nous ne prétendons
pas à des exploits scolaires. Nous le guiderons vers les sports,
les arts, la protection de la nature, le bénévolat, les sciences,
en respectant ses propres intérêts. Nous espérons que Michael
fasse ses études universitaires en Chine puis poursuive au Canada
ou aux États-Unis. Ainsi, il sera un être indépendant et contribuera
à la vie moderne.
Lydia : Comme nous l’a suggéré une pédagogue, son père parle anglais
avec lui et moi, chinois. Il connaît même des mots du dialecte
du Hubei, appris de sa grand-mère et que j’ignore.
Est-ce difficile d’être père et professeur?
Tangfu : Oui, bien que mon fils me donne de grandes joies. Je ne peux
travailler tranquille à la maison ni passer mes week-ends au bureau
comme autrefois. Je dois m’occuper de lui, jouer avec lui, l’amener
au parc, faire le cheval. Quand il est fatigué, il préfère sa
mère. Il fouille la maison comme un détective. Si je m’enferme
pour travailler, il frappe à la porte et pleure; il s’empare de
la souris de l’ordinateur... À table, il faut lui donner à manger.
Lydia aime bien aller danser; pouvons-nous l’emmener? Ou faire
les courses avec lui? Pourtant, il me manque beaucoup quand je
pars pour une conférence ou travailler sur le chantier.
Votre tâche professionnelle est-elle lourde?
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Tangfu,
Lydia et Michael sur la pelouse de l'Académie des Sciences. |
L’enseignement amène la réputation, mais la recherche est lourde. D’abord,
il faut demander des subventions chaque année. Si les projets
ne sont pas financés, je peux perdre mon poste de professeur,
donc mon revenu. Ensuite, je dois guider mes étudiants en recherche.
Enfin, je dois publier davantage d’articles dans des revues internationales,
et contribuer encore plus au travail de laboratoire.
Vous avez des passe-temps?
Tangfu : L’Internet, le jeu de weiqi,
l’escalade, la natation et le jardinage.
Lydia: Le chant, le lèche-vitrines, la décoration intérieure, la cuisine.
Tous deux aimons beaucoup voyager. Nous avons vu Hongkong, Tokyo,
Séoul et le Canada. Nous projetons de visiter l’Asie du Sud et
l’Europe quand nous aurons de l’argent.
Vous avez une voiture?
Non, et la bicyclette n’est pas populaire à Guiyang ou les rues sont en
pente. Nous nous déplaçons en autobus ou taxi.
Avant de quitter nos lecteurs, qu’aimeriez-vous ajouter?
Tangfu : La Chine se développe rapidement : économie, lois et
sciences. Le niveau de vie atteint déjà celui des pays développés
sous certains aspects : maison, jardin, Internet à haut débit,
cinéma, téléphone portable, bars, discothèques, enseignement,
loterie, football, Bourse…
Aussi, la Chine est plus « environnementale » que jamais. Le
gouvernement prend des mesures pour protéger l’écologie; la population
est sensibilisée et se porte volontaire; les chercheurs sont mieux
subventionnés.