La
conception idéalisée des Occidentaux sur le Tibet
DU
YONGBIN
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La
steppe Yila à Shangri-la. |
Shangri-la, royaume mythique synonyme d’Utopie
(Thomas More, 1516), a été le fil conducteur du best-seller Lost
Horizon, écrit en 1933 par le romancier américain James Hilton.
L’inspiration de Hilton n’a pas été puisée dans une expérience de
voyage personnelle au Tibet, mais dans des articles du botaniste
américain Joseph Rock qui a vécu dans la région de Kham (zone située
aujourd’hui à la limite du Tibet et de la province du Sichuan) de
1922 à 1949.
En langue tibétaine, Shangri-la signifie le lieu
entourant la source du bonheur. Il tire son origine d’un sûtra bouddhique
disant : au sud de l’Himalaya se dresse Shambhala, une ville
mystérieuse où est préservée la Roue du temps bouddhique Kalacakra
Tantra. C’est un endroit idyllique, rempli de palais colorés, habité
par des gens en santé dont l’esprit est protégé par des moines immortels.
En 1937, Frank Capra a réalisé l’adaptation cinématographique
de Lost Horizon de Hilton pour la Columbia Pictures. La chanson-thème,
Shangri-la, a été populaire dans le monde entier, et ce nom
mythique a depuis lors été employé dans le même contexte que celui
d’un jardin d’Éden et d’Utopie. Dans le film Trente secondes
sur Tokyo, qui raconte le raid effectué par Doolittle sur Tokyo
durant la Seconde Guerre mondiale, lorsqu’on demande au président
Franklin Delano Roosevelt de quel endroit l’avion a décollé, il
répond : « Shangri-la ». À l’origine, Camp David s’appelait
« Shangri-la », mais puisque Robert Kuok Hock-Nien acheta les
droits d’utilisation de ce nom pour sa chaîne d’hôtels, le nom Shangri-la
est maintenant associé avec centres de villégiature et hôtels.
Pour les Occidentaux qui ont lu Lost Horizon,
la localisation reculée du Tibet et sa culture distincte ont engendré
des idées fausses sur la culture et le bouddhisme tibétains. Par
conséquent, la région est toujours entourée de mystère, même en
ce début du XXIe siècle.
Un royaume féérique?
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Tibétain
d'une zone tibétaine. |
Pendant des siècles, le Tibet a été considéré comme un paradis
par les explorateurs et les voyageurs occidentaux. George Orwell
a déclaré qu’il n’y a pas de meilleurs endroits pour les voyageurs
que l’Asie centrale et le Tibet. La topographie magnifique −l’Himalaya,
le mont Qomolangma (Everest), les monts Gangdisê et le fleuve Yarlung
Zangbo− ajoute du charme à la région qui, en plus, est rehaussée
par une culture bien typique.
La religion Bon et le bouddhisme tibétain ont
été pendant des siècles les influences culturelles principales au
Tibet. Le panthéisme et le vaudou de la religion Bon, le tantrisme,
le concept de l’âme réincarnée du trulkou (bouddha vivant),
les rituels religieux, dont la danse, la circumambulation et la
prosternation, du bouddhisme tibétain ont rendu ces religions bien
différentes des autres. Depuis la deuxième moitié du XXe
siècle, l’Occident est entré encore davantage dans une étape « post-moderne »
encore plus avancée de la civilisation matérielle. Toutefois, la
civilisation occidentale ne résout pas les problèmes sociaux profonds
et complexes, ni ne satisfait les besoins spirituels et religieux
de l’être humain. Beaucoup se sont donc tournés vers les systèmes
orientaux de croyance religieuse, et le bouddhisme tibétain a été
une grande source de réconfort. L’émergence de la mondialisation
a rendu les Occidentaux encore plus intéressés à la culture tibétaine,
particulièrement à la lumière des activités des séparatistes tibétains
et des forces occidentales antichinoises durant la dernière moitié
du XXe siècle. C’est ainsi que la question tibétaine
a été internationalisée, ce qui inclut les aspects de la souveraineté,
de la nationalité, de la religion et des droits de la personne.
Cette question est devenue un point chaud sur le plan international,
l’une des trois questions sensibles (Taiwan, commerce et Tibet),
de même que la question centrale de la lutte de la Chine contre
les forces antichinoises. Sous l’influence de facteurs intérieurs
et extérieurs, l’essence même de la culture tibétaine est devenue
difficile à saisir.
Un Shangri-la sur terre
La civilisation tibétaine s’est développée principalement le long
de deux axes : l’axe religieux et l’axe profane. Pendant longtemps,
le Tibet est demeuré une société largement homogène et isolée, peu
affectée par d’autres cultures. Sa culture traditionnelle bipolaire,
au sein de laquelle coexistent le religieux et le profane, la tendance
aristocratique et folklorique, est par conséquent restée intacte.
Puisque le bouddhisme tibétain dominait la société et les mentalités
et que la « culture de l’élite religieuse » représentait
le courant principal, la culture profane n’a joué qu’un rôle accessoire
dans la société tibétaine traditionnelle. Néanmoins, elle a joui
d'une grande vitalité et a exercé une grande influence parmi la
population.
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Art
tibétain moderne. |
Au Tibet, la culture profane traditionnelle possède
des aspects aristocratiques et populaires. La noblesse tibétaine
incarne une combinaison d’aspects culturels tibétains, indiens et
occidentaux, mais comme elle ne représente qu’un faible pourcentage
de la population du Tibet, son influence culturelle est très limitée.
La culture folklorique englobe l’élite des personnes qui s’adonnent
à la médecine tibétaine, à l’astronomie, aux arts et à la culture
populaires. Cette dernière comprend les ballades et les épopées,
comme celle du roi Gésar, les chants folkloriques et les danses,
telles que xuanzi et guozhuang, de même que les traditions
folkloriques liées aux fêtes, mariages, funérailles et tabous, ainsi
qu’aux autres coutumes sociales et de vie des Tibétains. Ces aspects
profanes de la culture tibétaine se sont imbriqués avec des éléments
mythologiques pour donner naissance au mythe du Tibet. L’isolement
du Tibet a pris fin avec l’invasion des colonialistes britanniques
au XXe siècle, laquelle a constitué du même coup une
intrusion de la culture moderne. La religion autochtone en a subi
un dur revers, ce qui a favorisé le développement de la culture
profane. La libération pacifique et la réforme démocratique du Tibet
ont provoqué la dissolution de l’ancienne théocratie dirigeante,
de sorte que la culture profane est devenue le courant principal.
Des fêtes culturelles modernes −sommet du Qomolangma de Xigazê,
Khamspa de Qamdo et Yarlung de Shannan− forment maintenant
des compléments aux fêtes plus traditionnelles.
Dans les années 1990, la vague tibétaine a déferlé
en Chine et outre-mer. Elle a été caractérisée par l’expansion du
bouddhisme tibétain et par un intérêt grandissant dans l’aspect
tantrique du bouddhisme tibétain. Le Tibet et l’ethnie tibétaine
forment maintenant le thème de nombreux ouvrages artistiques et
littéraires, de films ou de documentaires. On compte plusieurs savants
en tibétologie, et le plus grand nombre d’œuvres en tibétologie
publiées ces deux dernières décennies a grandement amélioré la compréhension
d’ensemble de la culture tibétaine.
Le développement économique et social remarquable
a apporté de grands changements au Tibet. Les principales villes
possèdent maintenant des communications pratiques, des comptoirs
boursiers et des cafés Internet. Les ordinateurs personnels et les
téléphones portables sont également chose courante. Les communications
modernes ont rétréci l’écart entre le Tibet et le monde extérieur,
et le plus grand nombre de personnes qui se rendent au Tibet permettra
certainement d’en faire émerger une image plus réaliste.
Du Yongbin est chercheur du Centre de recherche
en tibétologie de Chine.
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