MAI  2003

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

 

Redécouvrir le calme

HUANG CAI

Strasbourg charme par son calme.

Le calme est une beauté fragile, rare dans notre monde. Je me félicite de le trouver dans les villes françaises.

À Strasbourg, j’habite dans un immeuble d’habitation de quatre étages, dans un quartier résidentiel. Le premier matin après mon arrivée, j’ai été réveillée par les pépiements des oiseaux sous ma fenêtre. C’était une grande surprise pour moi, car, à Beijing, j’habite en plein cœur du centre-ville, à un pas de la fameuse Xiushuijie (la rue Xiushui, où les touristes viennent acheter des articles en soie) et j’étais habituée au vacarme quotidien de la ville chinoise qui se poursuit même jusqu’à minuit. Tous les matins, je me réveillais au grincement sonore des freins du bus qui s’approche de l’arrêt ou par l’annonce: « Voici le bus 120, à destination de Zuo’andonglu, les passagers sont priés de...d’un ton monotone et insupportable à 6 h du matin.

N’est-ce pas merveilleux d’être réveillée le matin par les petits oiseaux ? Ne suis-je pas privilégiée de loger dans un logement bien situé? Que se passe-t-il dans les autres quartiers ? Ce point d’interrogation en tête, j’ai prêté l’oreille à ce qui se passe autour de moi.

Pourquoi tout ce calme ?

Le premier week-end, sortie de chez-moi, je me croyais dans un film de science-fiction où tout le monde vit dans une autre planète, ou vivre un conte de fées dans lequel Strasbourg était devenue une Belle au bois dormant. Les rues étaient vides, les voitures dormaient sur le trottoir… ; seule une petite fumée sortant de la cheminée d’un immeuble voisin m’indiquait que ce n’était pas un tableau, mais un dimanche matin. J’entendais les cloches de l’église, mais, ce n’est que la vue d’une dame et de son chien, durant leur promenade matinale, qui me fit revenir à la réalité.

En me souvenant des rues chinoises animées et bruyantes, je demandai à mes copains français où étaient passés les Français ? Ils m’ont dit que, pour les Français, le dimanche, c’est le moment réservé à la famille ; contrairement aux Chinois qui sortent pour faire les courses le dimanche, les Français restent à la maison, d’autant plus que les magasins sont tous fermés ! Voilà la première raison que j’avais trouvé pour expliquer le calme dans les rues françaises.

Mais au fur et à mesure de ma découverte de Strasbourg, j’ai constaté que, presque tous les jours et n’importe où, on peut retrouver facilement ce calme. Cela est dû d’une part à la densité relativement faible de la population, mais aussi aux comportements des citoyens.

Dans les rues, contrairement à la situation où les chauffeurs chinois s’énervent facilement et klaxonnent, impatients, derrière un conducteur un peu maladroit, les conducteurs français ne klaxonnent jamais, ou presque, puisque pendant ces trois mois passés à Strasbourg, la seule fois que j’ai entendu le klaxon, c’était un cortège de voitures, qui venait de se mettre en branle à la sortie d’une cérémonie de mariage à l’église. Les nouveaux mariés voulaient partager leur bonheur avec tout le monde. Les passants acceptaient ce tintamarre avec le sourire, un peu comme les pétards de notre fête du Printemps.

Dans tous les espaces publics, le calme est apprécié et respecté par les Français. Dans mon immeuble, par exemple, où logent une dizaine de familles, on entend rarement des gens parler dans le couloir, ou dans la cage d’ascenseur, même à l’heure de pointe. Les gens se contentent d’un bonjour discret, avec un petit sourire, lorsqu’ils rencontrent leurs voisins. Il arrive même des fois où les parents empêchent immédiatement leurs enfants de crier. En Chine, dans les couloirs d’un bâtiment résidentiel, règne habituellement une ambiance plus conviviale, mais plus bruyante. Les voisins profitent de leur rencontre pour échanger quelques mots sur la météo, la fluctuation des prix, les dernières nouvelles de la ville, sur tout ce qui les intéresse. Et comme ces conversations débutent toujours avec des salutations chaleureuses, l’intérêt de la communication semble se traduire par la montée des voix!

Mais on ne doit pas en déduire que les Français n’aiment pas la convivialité, bien au contraire ; les Français aiment bien s’exprimer, les Chinois diraient même qu’ils sont un peu trop loquaces. Ces derniers apprécient les gens qui ont une richesse intellectuelle à l’intérieur, mais qui ne la laissent pas facilement échapper. Chez les Français, l’éloquence est considérée comme l’une des qualités à rechercher. Ne vous êtes-vous donc pas rendu compte que les films français sont bourrés de dialogues humoristiques, de mots d’esprit… mais qu’ils n’en finissent plus ? Mais les Français tiennent beaucoup à ce que leur conversation soit réservée, comme un plaisir qu’ils se feraient à eux-mêmes, et ne gêne pas les autres. Chez les Français, un dîner peut durer 4 ou 5 heures, et on se réjouit des délices de la cuisine et des échanges spirituels, mais, au contraire des restaurants chinois où règne un tapage éternel, les restaurants français sont relativement calmes, les gens parlent à voix feutrée, quelquefois en chuchotant, surtout lors de leur repas aux chandelles ! Le volume est si bas, qu’il arrive à ceux qui n’ont pas parfaitement maitrisé la plus belle langue du monde d’avoir du mal à comprendre !

Autre pays, autres mœurs

Une autre anecdote peut bien vous démontrer le comportement différent des Français par rapport aux Chinois. Une fois, mes quatre amis chinois avaient pris le TGV en France. Comme c’était leur première expérience, ils avaient apporté avec eux tout ce qu’il fallait pour tuer le temps pendant le trajet, tout comme ils l’auraient fait dans un train chinois. Installés au milieu du wagon, tout en se félicitant d’avoir quatre places ensemble, ils avaient vidé leur sac à dos et sortaient des sacs de friandises, de cacahouètes, de graines de tournesol..., une fille avait même mis sur la tablette des ailes de poulet braisées dans la sauce de soja qu’elle avait eu la gentillesse de préparer pour ses compagnons de route. À peine le train sorti de la gare, ils se sont mis à jouer aux cartes en riant et en parlant à voix haute. Une scène que l’on trouve dans des milliers de wagons qui circulent tous les jours en Chine. Mais cette fois, ces quatre personnes ont bien vite pris conscience que l’atmosphère dans ce wagon français était différente de ce qu’ils connaissaient en Chine. Silencieux, les autres passagers ne parlaient pas ou peu, la plupart lisaient un bouquin ou jouissaient de la musique par leur baladeur ; si jamais un bébé pleurait, immédiatement, sa maman l’emmenait dans l’espace entre les deux wagons, par peur de déranger les autres. Tout confus, ces Chinois ont vite arrangé les cartes et tout remis en ordre. Le wagon a  retrouvé le calme. Le confort des trains français semble largement apprécié par les voyageurs d’ailleurs dans le monde ; à part ses avancées techniques, la gentillesse des Français y est aussi pour quelque chose.

Il y a quelques années en Chine, des gens qui étaient déjà conscients des bruits ennuyeux ont fait appel à la lutte contre la pollution sonore. Des détecteurs de bruits ont été érigés à quelques carrefours de Beijing. Mais depuis, rien n’a radicalement changé. Loin d’être une question technique, il s’agit plutôt de changer la mentalité de chaque citoyen. Retrouver le calme des espaces publics, c’est d’abord prendre en considération l’existence d’autrui et la respecter.