Redécouvrir le calme
HUANG CAI
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Strasbourg charme par son calme. |
Le calme est une beauté fragile, rare dans notre monde. Je me félicite de
le trouver dans les villes françaises.
À Strasbourg, jhabite dans un immeuble dhabitation de quatre étages,
dans un quartier résidentiel. Le premier matin après mon arrivée,
jai été réveillée par les pépiements des oiseaux sous ma
fenêtre. Cétait une grande surprise pour moi, car, à Beijing,
jhabite en plein cur du centre-ville, à un pas de
la fameuse Xiushuijie (la rue Xiushui, où les touristes viennent
acheter des articles en soie) et jétais habituée au vacarme
quotidien de la ville chinoise qui se poursuit même jusquà
minuit. Tous les matins, je me réveillais au grincement sonore
des freins du bus qui sapproche de larrêt ou par lannonce:
« Voici le bus 120, à destination de Zuoandonglu, les
passagers sont priés de...dun ton monotone et insupportable
à 6 h du matin.
Nest-ce pas merveilleux dêtre réveillée le matin par les petits
oiseaux ? Ne suis-je pas privilégiée de loger dans un logement
bien situé? Que se passe-t-il dans les autres quartiers ?
Ce point dinterrogation en tête, jai prêté loreille
à ce qui se passe autour de moi.
Pourquoi tout ce calme ?
Le premier week-end,
sortie de chez-moi, je me croyais dans un film de science-fiction
où tout le monde vit dans une autre planète, ou vivre un conte
de fées dans lequel Strasbourg était devenue une Belle au bois
dormant. Les rues étaient vides, les voitures dormaient sur le
trottoir
; seule une petite fumée sortant de la cheminée
dun immeuble voisin mindiquait que ce nétait
pas un tableau, mais un dimanche matin. Jentendais les cloches
de léglise, mais, ce nest que la vue dune dame
et de son chien, durant leur promenade matinale, qui me fit revenir
à la réalité.
En me souvenant des rues chinoises animées et bruyantes, je demandai à mes
copains français où étaient passés les Français ? Ils mont
dit que, pour les Français, le dimanche, cest le moment
réservé à la famille ; contrairement aux Chinois qui sortent
pour faire les courses le dimanche, les Français restent à la
maison, dautant plus que les magasins sont tous fermés !
Voilà la première raison que javais trouvé pour expliquer
le calme dans les rues françaises.
Mais au fur et à mesure de ma découverte de Strasbourg, jai constaté
que, presque tous les jours et nimporte où, on peut retrouver
facilement ce calme. Cela est dû dune part à la densité
relativement faible de la population, mais aussi aux comportements
des citoyens.
Dans les rues, contrairement à la situation où les chauffeurs chinois sénervent
facilement et klaxonnent, impatients, derrière un conducteur un
peu maladroit, les conducteurs français ne klaxonnent jamais,
ou presque, puisque pendant ces trois mois passés à Strasbourg,
la seule fois que jai entendu le klaxon, cétait un
cortège de voitures, qui venait de se mettre en branle à
la sortie dune cérémonie de mariage à léglise. Les
nouveaux mariés voulaient partager leur bonheur avec tout le monde.
Les passants acceptaient ce tintamarre avec le sourire, un peu
comme les pétards de notre fête du Printemps.
Dans tous les espaces publics, le calme est apprécié et respecté par les Français.
Dans mon immeuble, par exemple, où logent une dizaine de familles,
on entend rarement des gens parler dans le couloir, ou dans la
cage dascenseur, même à lheure de pointe. Les gens
se contentent dun bonjour discret, avec un petit sourire,
lorsquils rencontrent leurs voisins. Il arrive même des
fois où les parents empêchent immédiatement leurs enfants de crier.
En Chine, dans les couloirs dun bâtiment résidentiel, règne
habituellement une ambiance plus conviviale, mais plus bruyante.
Les voisins profitent de leur rencontre pour échanger quelques
mots sur la météo, la fluctuation des prix, les dernières nouvelles
de la ville, sur tout ce qui les intéresse. Et comme ces conversations
débutent toujours avec des salutations chaleureuses, lintérêt
de la communication semble se traduire par la montée des voix!
Mais on ne doit pas en déduire que les Français naiment pas la convivialité,
bien au contraire ; les Français aiment bien sexprimer,
les Chinois diraient même quils sont un peu trop loquaces.
Ces derniers apprécient les gens qui ont une richesse intellectuelle
à lintérieur, mais qui ne la laissent pas facilement échapper.
Chez les Français, léloquence est considérée comme lune
des qualités à rechercher. Ne vous êtes-vous donc pas rendu compte
que les films français sont bourrés de dialogues humoristiques,
de mots desprit
mais quils nen finissent
plus ? Mais les Français tiennent beaucoup à ce que leur
conversation soit réservée, comme un plaisir quils se feraient
à eux-mêmes, et ne gêne pas les autres. Chez les Français, un
dîner peut durer 4 ou 5 heures, et on se réjouit des délices de
la cuisine et des échanges spirituels, mais, au contraire des
restaurants chinois où règne un tapage éternel, les restaurants
français sont relativement calmes, les gens parlent à voix feutrée,
quelquefois en chuchotant, surtout lors de leur repas aux chandelles !
Le volume est si bas, quil arrive à ceux qui nont
pas parfaitement maitrisé la plus belle langue du monde davoir
du mal à comprendre !
Autre pays, autres murs
Une
autre anecdote peut bien vous démontrer le comportement différent
des Français par rapport aux Chinois. Une fois, mes quatre amis
chinois avaient pris le TGV en France. Comme cétait leur
première expérience, ils avaient apporté avec eux tout ce quil
fallait pour tuer le temps pendant le trajet, tout comme ils lauraient
fait dans un train chinois. Installés au milieu du wagon, tout
en se félicitant davoir quatre places ensemble, ils avaient
vidé leur sac à dos et sortaient des sacs de friandises, de cacahouètes,
de graines de tournesol..., une fille avait même mis sur la tablette
des ailes de poulet braisées dans la sauce de soja quelle
avait eu la gentillesse de préparer pour ses compagnons de route.
À peine le train sorti de la gare, ils se sont mis à jouer aux
cartes en riant et en parlant à voix haute. Une scène que lon
trouve dans des milliers de wagons qui circulent tous les jours
en Chine. Mais cette fois, ces quatre personnes ont bien vite
pris conscience que latmosphère dans ce wagon français était
différente de ce quils connaissaient en Chine. Silencieux,
les autres passagers ne parlaient pas ou peu, la plupart lisaient
un bouquin ou jouissaient de la musique par leur baladeur ;
si jamais un bébé pleurait, immédiatement, sa maman lemmenait
dans lespace entre les deux wagons, par peur de déranger
les autres. Tout confus, ces Chinois ont vite arrangé les cartes
et tout remis en ordre. Le wagon a
retrouvé le calme. Le confort des trains français semble
largement apprécié par les voyageurs dailleurs dans le monde ;
à part ses avancées techniques, la gentillesse des Français y
est aussi pour quelque chose.
Il y a quelques années en Chine, des gens qui étaient déjà conscients des
bruits ennuyeux ont fait appel à la lutte contre la pollution
sonore. Des détecteurs de bruits ont été érigés à quelques carrefours
de Beijing. Mais depuis, rien na radicalement changé. Loin
dêtre une question technique, il sagit plutôt de changer
la mentalité de chaque citoyen. Retrouver le calme des espaces
publics, cest dabord prendre en considération lexistence
dautrui et la respecter.