Servir
le pays, l’esprit en paix
LOUISE
CADIEUX ,JEAN-YVES GODBOUT et HU CHUNHUA
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Un
petit bureau mais du grand travail. |
En Occident, le service militaire est parfois
considéré par certains jeunes comme un « moment difficile
à passer. On souhaite continuer tranquillement ses études ou intégrer
au plus vite le milieu du travail. Certains pays ont même recours
à des campagnes publicitaires pour inciter à adopter la « carrière
militaire ». En Chine, être appelé à faire son service militaire
est considéré comme un honneur, et la famille entière considère
que cet honneur d’avoir un fils ou une fille qui
fait son service militaire rejaillit sur elle. Certains «élus»
font carrière dans l’armée, mais après deux ans de service, beaucoup
de jeunes sont démobilisés; ils doivent alors revenir à la vie
civile et se chercher un emploi. Ces années-ci, l’implantation
plus poussée de l’économie de marché, le redressement des entreprises
d’État et le grand nombre de chercheurs d’emploi dans un pays
qui compte 1 300 millions d’habitants ne leur facilitent
pas la tâche. On peut se demander quel sort est réservé à ces
jeunes qui doivent littéralement plonger dans le monde du travail
qui, désormais, ne leur assure plus un poste « à vie ». C’est
ici qu’entre en jeu un organisme important, en place depuis 1954,
et qui est présent dans chaque arrondissement des grandes villes:
le Bureau d’arrangement du travail pour soldats démobilisés.
Pour en savoir davantage, nous avons rencontré le directeur du
Bureau de l’arrondissement Xicheng de Beijing, un arrondissement
situé en plein cœur de la capitale et relativement important sur les plans économique et culturel.
I. «
Si nous étions à leur place…»
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Le
directeur Wang Jingbiao (à dr.) lors de l’entrevue. |
Le
Bureau occupe des locaux dans l’emplacement de l’ancien temple
de la Lune et, presque de manière prémonitoire, une grosse pierre
portant l’inscription « J’espère que vous réussirez » se dresse près de l’entrée. Dès les premiers
moments, le directeur du Bureau, M.Wang Jingbiao, impressionne
par la vigueur de sa poignée de mains et sa stature rectiligne,
un peu comme celle qu’on imagine pour les militaires de carrière.
Bien vite, on s’aperçoit que, de cet homme, émanent avant tout
un sens poussé de la psychologie et une attitude profondément
humaine.
D’emblée,
pour expliquer sa tâche, le directeur Wang dit : « Nous sommes
un nuage bleu pour les soldats de la base, car notre travail consiste
à ce que chaque soldat démobilisé du quartier se réintègre au
mieux dans la société et ait un travail utile.» À ce titre, selon
lui, le Bureau effectue un travail important pour la défense nationale,
la stabilité sociale et la sécurité de l’État, si bien que le
travail est bien accueilli par tous les échelons de la société.
Ce travail de concertation est l’un des volets importants du travail
du Bureau et se fait d’abord à l’échelon politique et administratif.
Ainsi, à l’approche de la période annuelle de démobilisation,
se tiennent des réunions d’analyse auxquelles sont convoqués les
directeurs de nombreux départements du gouvernement de l’arrondissement.
Par exemple, le directeur de l’arrondissement donne ses directives
d’ensemble, le directeur des finances assure son soutien, ceux
du département du travail et du service du personnel garantissent
leur collaboration pour préparer un bon
tremplin pour les jeunes.
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Fanion
d’honneur offert par les parents des soldats démobilisés. |
Le
Bureau a également pour mandat de perfectionner la structure de
l’organisation et les règlements qui ont trait aux soldats démobilisés.
Par exemple, cette année, le gouvernement local a consenti à implanter
des politiques préférentielles qui constituent une première à
Beijing, voire même au pays. Selon celles-ci, les soldats démobilisés
qui se trouvent eux-mêmes du travail recevront une subvention
spéciale. Cette dernière couvre l’équivalent de deux années de
prestations de chômage et des frais de cotisation à l’assurance
vieillesse et à l’assurance médicaments, ce qui représente, pour
l’ensemble du Bureau, une somme de 600 000 yuans pour l’année.
L’objectif à court terme est que le tiers des soldats démobilisés
du quartier, soit 100 jeunes, puissent en bénéficier, mais à plus
long terme, on vise 40 % de ceux-ci. « Ces politiques préférentielles
sont avantageuses, dit Wang, elles assurent la tranquillité d’esprit
du jeune pendant cinq ans : les deux années du service militaire,
il est pris en charge par l’armée; l’année de sa démobilisation,
c’est le gouvernement qui s’occupe de lui, et en emploi, ses cotisations
sont payées pendant deux ans! »
Mobiliser
les entreprises et comprendre les familles
Le
directeur Wang sait bien que les milieux politiques ne peuvent
pas tout arranger. Ainsi, on travaille à ce que toutes les entreprises
de l’arrondissement assurent également leur soutien, en leur présentant
les soldats qui ont contribué au pays. « Chaque année, près de
93 % des soldats démobilisés trouvent du travail dans des organisations
qui sont rattachées aux organes du gouvernement central ou municipal»,
dit Wang.
De
plus, le Bureau doit bien connaître la situation économique des
familles des soldats concernés, afin de pouvoir trouver le travail
approprié qui aidera au mieux leur famille. « Par exemple, il
est important de visiter les familles les plus démunies pour bien
cerner leur situation particulière, dit M.Wang. Ce fut le cas
de la famille de jumeaux qui avaient été démobilisés en même temps.
Leur mère est une campagnarde et leur père est handicapé. Le revenu
familial est très faible. Après discussions, les deux frères ont
trouvé rapidement un emploi dans une compagnie de bus, et la famille
s’est sentie rassurée. Pour régler des cas de ce genre, le Bureau
doit allouer au moins 20 000 yuans par année de son
budget d’exploitation annuel de 4 millions de yuans.
Communiquer,
expliquer, convaincre
Voilà
des mots qui reviennent souvent dans la bouche du directeur Wang,
mais c’est parce qu’il connaît bien de ce dont il parle. En effet,
sa tâche n’est pas toujours facile. Les soldats ont des attentes
différentes, des caractères différents et parfois aussi des idées
bien arrêtées. Il y a des cas faciles (ceux qui ont un niveau
supérieur de scolarité), mais il y en a d’autres qui donnent du
fil à retordre. C’est là qu’entre en jeu la force de persuasion
des membres du Bureau pour bien faire comprendre au soldat démobilisé
qu’il est avant tout un ouvrier de la société et pas nécessairement
un fonctionnaire. « Nous devons expliquer sans répit et bien informer
sur la situation concrète de la société. Durant les quatre mois
qu’il faut, en moyenne, pour trouver un travail convenable au
soldat démobilisé, nous
le convoquons à cinq reprises
pour discuter avec lui », dit le directeur Wang.
Règle générale, il semble que le soldat ne refuse pas le
travail qu’on lui offre. Mais parfois, les explications ont du
mal à convaincre. Ainsi, l’exemple de ce travailleur du parc Beihai,
un lieu touristique du centre-ville de Beijing, à qui le Bureau
avait trouvé un poste de service au quai des chaloupes à la disposition
des visiteurs. Ce travailleur ne voulait pas accepter d’y travailler.
Il trouvait que le travail n’était pas à la hauteur de ses capacités.
Après maints et maints échanges, il a finalement accepté le poste
et s’est servi de cet emploi comme d’un tremplin pour apprendre
les langues étrangères, étant au contact de visiteurs d’un peu
partout dans le monde. Satisfait du travail de cet employé, au
départ récalcitrant, l’employeur lui a par la suite offert un
poste dans le bureau d’administration. « Le soldat doit s’adapter
à la société et non l’inverse, dit Wang. Dans ce contexte, l’idéal
est que la recherche d’emploi se fasse de manière mutuelle :
par le Bureau et par le
soldat. Il faut tenter de changer les mentalités, mais pour rien
au monde il ne faut négliger l’équilibre psychologique du soldat
démobilisé. C’est là qu’il est particulièrement important de nous
dire : ‘À leur place, que ferions-nous?’ ». Ce n’est
qu’ainsi que ce Bureau réussit à satisfaire les soldats, les employeurs,
les différents milieux sociaux et les familles. Qui a dit que
l’on ne peut contenter tout le monde et son père…?
II. Leur
champ de bataille : le monde du travail
Actuellement
en Chine, les jeunes soldats démobilisés affrontent un marché
du travail qui est beaucoup plus compétitif que celui auquel leurs
aînés ont été confrontés. Si, pendant la période de leur service
militaire, beaucoup avouent n’avoir pensé qu’aux « honneurs
de la vie militaire », ils disent aussi se sentir bien désemparés
lors de leur retour à la vie civile. Pour brosser un tableau plus
concret de leur situation, nous avons rencontré cinq de ces jeunes
qui ont accepté de partager un peu de leur histoire avec nous; deux employeurs nous ont aussi expliqué pourquoi les soldats démobilisés sont
habituellement de bonnes recrues pour un emploi.
Wang
Jiaxing, 20 ans.
Démobilisé en décembre 2002, Wang a
effectué son service militaire dans l’armée de mer à Qinhuangdao,
à quelques centaines de kilomètres au nord-est de Beijing. Il
attend actuellement un emploi et donne un coup de main au Bureau
en effectuant du travail clérical.
« J’avais
toujours rêvé d’être soldat, car ça permet de tremper le caractère,
et j’ai fait mon service militaire dès la fin de mes études secondaires
de deuxième cycle. Là, j’ai effectué des tâches de secrétariat
et aussi du travail manuel, bien sûr. Après les deux ans de service,
j’ai songé à faire carrière dans l’armée, j’ai passé l’examen
et l’ai même réussi. Mais après mûre réflexion, j’ai décidé de
revenir chez moi, à Beijing. Mon premier objectif est de me trouver
un travail convenable, mais comme je sais que mon niveau de culture
est assez limité, je vais devoir me contenter de ce que l’on m’offrira;
j’ai bien l’intention de me perfectionner. Pour moi, le Bureau
est comme une famille, je ne me sens pas seul pour trouver du
travail. »
Zhang
Xiaohua, 24 ans.
Démobilisé en décembre 1999, Zhang a fait son service militaire
dans la province du Shanxi et travaille depuis avril 2000 à l’hôtel
Guoyi. Dans son cas, comme l’intégration au milieu du travail
a été plus difficile au début, l’employeur et Zhang lui-même ont
dû user de patience et croire que le Bureau avait fait le bon
choix en l’y envoyant…
« Dans
l’armée, je ne connaissais pas grand chose au fonctionnement de
la société; tout ce que je savais, c’est que j’aurais un travail
en sortant. Dans ce sens-là, je considérais le Bureau comme un
point d’appui et je lui faisais confiance. Une fois en poste,
les premiers trois mois ont été vraiment difficiles. Je nettoyais
les couloirs et les WC, je trouvais que ce travail ne me convenait
pas. J’en ai discuté avec mon directeur qui m’a dit : ``Ne
considère pas ton travail comme une charge, mais comme un départ;
le plus important maintenant, c’est d’obéir aux ordres.`` Malgré
mes problèmes persistants, la direction a continué de me faire
confiance et m’a envoyé travailler au bureau d’électricité. Comme
je n’y connaissais rien, on a dû m’expliquer les techniques. Parallèlement,
le service d’administration et le service du personnel s’informait
de mon sort. Trois mois
plus tard, on m’affectait au bureau de la sécurité qui avait un
poste disponible. Je me suis senti fier, car c’était un poste
très convoité. Cela fait deux ans que j’y suis et que je suis
heureux. Je sens qu’on s’occupe de moi. J’ai obtenu à deux reprises
le titre de meilleur employé de l’hôtel et, l’année dernière,
celui de meilleur employé du personnel des organisations rattachées
aux autorités centrales. Si c’était à refaire, je referais confiance
au Bureau. »
Zhang
Xiaofeng, 28 ans.
Démobilisé en décembre 1996, après avoir fait son service militaire
en Mongolie intérieure dans le domaine des télécommunications.
Depuis avril 1997, Zhang travaille à l’hôtel Guoyi qui lui
a finalement offert l’occasion de travailler dans le domaine qu’il
affectionne : les télécoms.
« J’aurais
bien voulu rester dans l’armée, mais mes notes n’étaient pas tout
à fait suffisantes. À ma démobilisation, j’avais deux façons de
me trouver un poste : par l’entreprise de mon père qui acceptait
les enfants de ses employés, ou par le Bureau. J’ai choisi le
Bureau car je ne voulais pas travailler avec mon père et je trouvais
que le Bureau était un bon trait d’union entre la vie militaire
et la vie civile. De 1997 à 2001, j’ai travaillé dans quatre secteurs
à l’hôtel. Durant ces années, j’ai senti beaucoup de pression,
car travailler de nuit, faire du ménage ou de la comptabilité,
ça ne me convenait pas. Je voulais partir. Finalement, l’administration
a découvert que je pouvais travailler dans les télécoms, et on
m’a affecté au bon fonctionnement du standard téléphonique. L’hôtel
m’a même envoyé suivre une formation qui vaut 20 000 yuans, le
salaire d’une année! Maintenant, ça va. Ce qui m’intéresse, c’est
de faire un bon travail. Je ne pense pas aux promotions, c’est
l’affaire du directeur ces choses-là. »
Wang
Xin, 26 ans.
Démobilisée en décembre 1996, cette jeune femme avait occupé le
poste de standardiste pour les dirigeants pendant son service
militaire. Seule à Beijing lors de sa démobilisation, le Bureau
lui a donné la confiance dont elle avait besoin.
« Mes
parents sont originaires de Beijing mais ils vivent maintenant
à la campagne. À ma démobilisation, mon cas était donc particulier
car je n’avais pas d’habitation. Très vite, j’ai commencé à travailler
à l’hôtel Guoyi comme femme de ménage. Grâce à mes efforts, j’ai
été nommée chef d’équipe. Maintenant, je fais le service dans
les salles de conférence. De nature timide, la direction de l’hôtel
m’a beaucoup aidée à faire des progrès. J’ai gagné à deux reprises
le titre d’employé modèle de l’hôtel et, l’année dernière, j’ai
participé au concours sur les techniques de service hôtelier.
J’ai remporté le premier prix de ce concours national. Pour moi,
le Bureau et l’hôtel, ce sont comme mes parents. Ils m’ont donné
confiance et appui.
Deng
Jing, 22 ans.
Démobilisé en décembre 2000 après avoir
fait son service militaire au département de l’état-major de la
province du Hubei, Deng travaille maintenant au service de sécurité
du Centre de vulgarisation scientifique du parc zoologique de
Beijing
«
Dans l’armée, je n’ai jamais pensé à l’avenir; à ma démobilisation,
j’étais donc un peu inquiet car je ne connaissais rien de la situation
de Beijing. Dès ma première rencontre avec le personnel du
Bureau, je me suis dit : ``Enfin, un endroit qui peut s’occuper
de nous! C’est un appui pour mon avenir.``Quatre mois après ma
démobilisation, j’avais du travail. Je suis content d’avoir été
affecté au nouveau Centre de vulgarisation scientifique du zoo,
car je sens que je pourrai y apprendre beaucoup, surtout que j’ai
toujours aimé les animaux. Même si je trouve que le travail du
Bureau est pas mal bon, si j’avais quelque chose à leur suggérer,
je leur dirais d’élargir encore davantage les offres d’emploi.
Ce serait encore meilleur. »
Et
les employeurs, que disent-ils de ces jeunes recrues? Tant Mme
Zhang de l’hôtel Guoyi que M. Xiao, du Centre de vulgarisation
scientifique, ont tenu des propos semblables. Parmi des candidats
à un poste, ils préfèrent les jeunes qui sont recommandés par
le Bureau d’arrangement du travail pour soldats démobilisés. Selon
leurs dires, ces jeunes ont contribué à l’État, ils ont un caractère
bien trempé et ils savent ce que veut dire « pression du
travail ». Ils ont reçu une formation stricte qu’aucune autre
école n’aurait pu leur donner. Cette formation pousse les jeunes
à aller de l’avant, de sorte que leur travail fournit une base
à une gestion bien organisée.