MAI  2003

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

 

Servir le pays, l’esprit en paix

LOUISE CADIEUX ,JEAN-YVES GODBOUT et HU CHUNHUA

Un petit bureau mais du grand travail.

En Occident, le service militaire est parfois considéré par certains jeunes comme un « moment difficile à passer. On souhaite continuer tranquillement ses études ou intégrer au plus vite le milieu du travail. Certains pays ont même recours à des campagnes publicitaires pour inciter à adopter la « carrière militaire ».  En Chine, être appelé à faire son service militaire est considéré comme un honneur, et la famille entière considère que  cet honneur d’avoir un fils ou une fille qui fait son service militaire rejaillit sur elle. Certains «élus» font carrière dans l’armée, mais après deux ans de service, beaucoup de jeunes sont démobilisés; ils doivent alors revenir à la vie civile et se chercher un emploi. Ces années-ci, l’implantation plus poussée de l’économie de marché, le redressement des entreprises d’État et le grand nombre de chercheurs d’emploi dans un pays qui compte 1 300 millions d’habitants ne leur facilitent pas la tâche. On peut se demander quel sort est réservé à ces jeunes qui doivent littéralement plonger dans le monde du travail qui, désormais, ne leur assure plus un poste « à vie ». C’est ici qu’entre en jeu un organisme important, en place depuis 1954, et qui est présent dans chaque arrondissement des grandes villes: le Bureau d’arrangement du travail pour soldats démobilisés. Pour en savoir davantage, nous avons rencontré le directeur du Bureau de  l’arrondissement Xicheng de Beijing, un arrondissement situé en plein cœur de la capitale et relativement  important sur les plans économique et culturel.

I. « Si nous étions à leur place…»

Le directeur Wang Jingbiao (à dr.) lors de l’entrevue.

Le Bureau occupe des locaux dans l’emplacement de l’ancien temple de la Lune et, presque de manière prémonitoire, une grosse pierre portant l’inscription « J’espère que vous réussirez »  se dresse près de l’entrée. Dès les premiers moments, le directeur du Bureau, M.Wang Jingbiao, impressionne par la vigueur de sa poignée de mains et sa stature rectiligne, un peu comme celle qu’on imagine pour les militaires de carrière. Bien vite, on s’aperçoit que, de cet homme, émanent avant tout un sens poussé de la psychologie et une attitude profondément humaine.

D’emblée, pour expliquer sa tâche, le directeur Wang dit : « Nous sommes un nuage bleu pour les soldats de la base, car notre travail consiste à ce que chaque soldat démobilisé du quartier se réintègre au mieux dans la société et ait un travail utile.» À ce titre, selon lui, le Bureau effectue un travail important pour la défense nationale, la stabilité sociale et la sécurité de l’État, si bien que le travail est bien accueilli par tous les échelons de la société. Ce travail de concertation est l’un des volets importants du travail du Bureau et se fait d’abord à l’échelon politique et administratif. Ainsi, à l’approche de la période annuelle de démobilisation, se tiennent des réunions d’analyse auxquelles sont convoqués les directeurs de nombreux départements du gouvernement de l’arrondissement. Par exemple, le directeur de l’arrondissement donne ses directives d’ensemble, le directeur des finances assure son soutien, ceux du département du travail et du service du personnel garantissent leur collaboration pour préparer un bon  tremplin pour les jeunes.

Fanion d’honneur offert par les parents des soldats démobilisés.

Le Bureau a également pour mandat de perfectionner la structure de l’organisation et les règlements qui ont trait aux soldats démobilisés. Par exemple, cette année, le gouvernement local a consenti à implanter des politiques préférentielles qui constituent une première à Beijing, voire même au pays. Selon celles-ci, les soldats démobilisés qui se trouvent eux-mêmes du travail recevront une subvention spéciale. Cette dernière couvre l’équivalent de deux années de prestations de chômage et des frais de cotisation à l’assurance vieillesse et à l’assurance médicaments, ce qui représente, pour l’ensemble du Bureau, une somme de 600 000 yuans pour l’année.  L’objectif à court terme est que le tiers des soldats démobilisés du quartier, soit 100 jeunes, puissent en bénéficier, mais à plus long terme, on vise 40 % de ceux-ci. « Ces politiques préférentielles sont avantageuses, dit Wang, elles assurent la tranquillité d’esprit du jeune pendant cinq ans : les deux années du service militaire, il est pris en charge par l’armée; l’année de sa démobilisation, c’est le gouvernement qui s’occupe de lui, et en emploi, ses cotisations sont payées pendant deux ans! »

Mobiliser les entreprises et comprendre les familles

Le directeur Wang sait bien que les milieux politiques ne peuvent pas tout arranger. Ainsi, on travaille à ce que toutes les entreprises de l’arrondissement assurent également leur soutien, en leur présentant les soldats qui ont contribué au pays. « Chaque année, près de 93 % des soldats démobilisés trouvent du travail dans des organisations qui sont rattachées aux organes du gouvernement central ou municipal», dit Wang. 

De plus, le Bureau doit bien connaître la situation économique des familles des soldats concernés, afin de pouvoir trouver le travail approprié qui aidera au mieux leur famille. « Par exemple, il est important de visiter les familles les plus démunies pour bien cerner leur situation particulière, dit M.Wang. Ce fut le cas de la famille de jumeaux qui avaient été démobilisés en même temps. Leur mère est une campagnarde et leur père est handicapé. Le revenu familial est très faible. Après discussions, les deux frères ont trouvé rapidement un emploi dans une compagnie de bus, et la famille s’est sentie rassurée.  Pour régler des cas de ce genre, le Bureau  doit allouer au moins 20 000 yuans par année de son budget d’exploitation annuel de 4 millions de yuans.

Communiquer, expliquer, convaincre

Voilà des mots qui reviennent souvent dans la bouche du directeur Wang, mais c’est parce qu’il connaît bien de ce dont il parle. En effet, sa tâche n’est pas toujours facile. Les soldats ont des attentes différentes, des caractères différents et parfois aussi des idées bien arrêtées. Il y a des cas faciles (ceux qui ont un niveau supérieur de scolarité), mais il y en a d’autres qui donnent du fil à retordre. C’est là qu’entre en jeu la force de persuasion des membres du Bureau pour bien faire comprendre au soldat démobilisé qu’il est avant tout un ouvrier de la société et pas nécessairement un fonctionnaire. « Nous devons expliquer sans répit et bien informer sur la situation concrète de la société. Durant les quatre mois qu’il faut, en moyenne, pour trouver un travail convenable au soldat démobilisé,  nous le convoquons  à cinq reprises pour discuter avec lui », dit le directeur Wang.  Règle générale, il semble que le soldat ne refuse pas le travail qu’on lui offre. Mais parfois, les explications ont du mal à convaincre. Ainsi, l’exemple de ce travailleur du parc Beihai, un lieu touristique du centre-ville de Beijing, à qui le Bureau avait trouvé un poste de service au quai des chaloupes à la disposition des visiteurs. Ce travailleur ne voulait pas accepter d’y travailler. Il trouvait que le travail n’était pas à la hauteur de ses capacités. Après maints et maints échanges, il a finalement accepté le poste et s’est servi de cet emploi comme d’un tremplin pour apprendre les langues étrangères, étant au contact de visiteurs d’un peu partout dans le monde. Satisfait du travail de cet employé, au départ récalcitrant, l’employeur lui a par la suite offert un poste dans le bureau d’administration. « Le soldat doit s’adapter à la société et non l’inverse, dit Wang. Dans ce contexte, l’idéal est que la recherche d’emploi se fasse de manière mutuelle : par le Bureau et  par le soldat. Il faut tenter de changer les mentalités, mais pour rien au monde il ne faut négliger l’équilibre psychologique du soldat démobilisé. C’est là qu’il est particulièrement important de nous dire :  ‘À leur place, que ferions-nous?’ ». Ce n’est qu’ainsi que ce Bureau réussit à satisfaire les soldats, les employeurs, les différents milieux sociaux et les familles. Qui a dit que l’on ne peut contenter tout le monde et son père…?

II.  Leur champ de bataille : le monde du travail

Actuellement en Chine, les jeunes soldats démobilisés affrontent un marché du travail qui est beaucoup plus compétitif que celui auquel leurs aînés ont été confrontés. Si, pendant la période de leur service militaire, beaucoup avouent n’avoir pensé qu’aux « honneurs de la vie militaire », ils disent aussi se sentir bien désemparés lors de leur retour à la vie civile. Pour brosser un tableau plus concret de leur situation, nous avons rencontré cinq de ces jeunes qui ont accepté de partager un peu de leur histoire avec nous;  deux employeurs nous ont aussi  expliqué pourquoi les soldats démobilisés sont habituellement de bonnes recrues pour un emploi.

Wang Jiaxing, 20 ans. Démobilisé en décembre 2002, Wang a effectué son service militaire dans l’armée de mer à Qinhuangdao, à quelques centaines de kilomètres au nord-est de Beijing. Il attend actuellement un emploi et donne un coup de main au Bureau en effectuant du travail clérical.

« J’avais toujours rêvé d’être soldat, car ça permet de tremper le caractère, et j’ai fait mon service militaire dès la fin de mes études secondaires de deuxième cycle. Là, j’ai effectué des tâches de secrétariat et aussi du travail manuel, bien sûr. Après les deux ans de service, j’ai songé à faire carrière dans l’armée, j’ai passé l’examen et l’ai même réussi. Mais après mûre réflexion, j’ai décidé de revenir chez moi, à Beijing. Mon premier objectif est de me trouver un travail convenable, mais comme je sais que mon niveau de culture est assez limité, je vais devoir me contenter de ce que l’on m’offrira; j’ai bien l’intention de me perfectionner. Pour moi, le Bureau est comme une famille, je ne me sens pas seul pour trouver du travail. »

Zhang Xiaohua, 24 ans. Démobilisé en décembre 1999, Zhang a fait son service militaire dans la province du Shanxi et travaille depuis avril 2000 à l’hôtel Guoyi. Dans son cas, comme l’intégration au milieu du travail a été plus difficile au début, l’employeur et Zhang lui-même ont dû user de patience et croire que le Bureau avait fait le bon choix en l’y envoyant…

« Dans l’armée, je ne connaissais pas grand chose au fonctionnement de la société; tout ce que je savais, c’est que j’aurais un travail en sortant. Dans ce sens-là, je considérais le Bureau comme un point d’appui et je lui faisais confiance. Une fois en poste, les premiers trois mois ont été vraiment difficiles. Je nettoyais les couloirs et les WC, je trouvais que ce travail ne me convenait pas. J’en ai discuté avec mon directeur qui m’a dit : ``Ne considère pas ton travail comme une charge, mais comme un départ; le plus important maintenant, c’est d’obéir aux ordres.`` Malgré mes problèmes persistants, la direction a continué de me faire confiance et m’a envoyé travailler au bureau d’électricité. Comme je n’y connaissais rien, on a dû m’expliquer les techniques. Parallèlement, le service d’administration et le service du personnel s’informait de mon  sort. Trois mois plus tard, on m’affectait au bureau de la sécurité qui avait un poste disponible. Je me suis senti fier, car c’était un poste très convoité. Cela fait deux ans que j’y suis et que je suis heureux. Je sens qu’on s’occupe de moi. J’ai obtenu à deux reprises le titre de meilleur employé de l’hôtel et, l’année dernière, celui de meilleur employé du personnel des organisations rattachées aux autorités centrales. Si c’était à refaire, je referais confiance au Bureau. »

Zhang Xiaofeng, 28 ans. Démobilisé en décembre 1996, après avoir fait son service militaire en Mongolie intérieure dans le domaine des télécommunications. Depuis avril 1997, Zhang travaille à l’hôtel Guoyi qui lui a finalement offert l’occasion de travailler dans le domaine qu’il affectionne : les télécoms.

« J’aurais bien voulu rester dans l’armée, mais mes notes n’étaient pas tout à fait suffisantes. À ma démobilisation, j’avais deux façons de me trouver un poste : par l’entreprise de mon père qui acceptait les enfants de ses employés, ou par le Bureau. J’ai choisi le Bureau car je ne voulais pas travailler avec mon père et je trouvais que le Bureau était un bon trait d’union entre la vie militaire et la vie civile. De 1997 à 2001, j’ai travaillé dans quatre secteurs à l’hôtel. Durant ces années, j’ai senti beaucoup de pression, car travailler de nuit, faire du ménage ou de la comptabilité, ça ne me convenait pas. Je voulais partir. Finalement, l’administration a découvert que je pouvais travailler dans les télécoms, et on m’a affecté au bon fonctionnement du standard téléphonique. L’hôtel m’a même envoyé suivre une formation qui vaut 20 000 yuans, le salaire d’une année! Maintenant, ça va. Ce qui m’intéresse, c’est de faire un bon travail. Je ne pense pas aux promotions, c’est l’affaire du directeur ces choses-là. »

Wang Xin, 26 ans. Démobilisée en décembre 1996, cette jeune femme avait occupé le poste de standardiste pour les dirigeants pendant son service militaire. Seule à Beijing lors de sa démobilisation, le Bureau lui a donné la confiance dont elle avait besoin.

« Mes parents sont originaires de Beijing mais ils vivent maintenant à la campagne. À ma démobilisation, mon cas était donc particulier car je n’avais pas d’habitation. Très vite, j’ai commencé à travailler à l’hôtel Guoyi comme femme de ménage. Grâce à mes efforts, j’ai été nommée chef d’équipe. Maintenant, je fais le service dans les salles de conférence. De nature timide, la direction de l’hôtel m’a beaucoup aidée à faire des progrès. J’ai gagné à deux reprises le titre d’employé modèle de l’hôtel et, l’année dernière, j’ai participé au concours sur les techniques de service hôtelier. J’ai remporté le premier prix de ce concours national. Pour moi, le Bureau et l’hôtel, ce sont comme mes parents. Ils m’ont donné confiance et appui.

Deng Jing, 22 ans. Démobilisé en décembre 2000 après avoir fait son service militaire au département de l’état-major de la province du Hubei, Deng travaille maintenant au service de sécurité du Centre de vulgarisation scientifique du parc zoologique de Beijing

« Dans l’armée, je n’ai jamais pensé à l’avenir; à ma démobilisation, j’étais donc un peu inquiet car je ne connaissais rien de la situation de Beijing. Dès ma première rencontre avec le personnel du Bureau, je me suis dit : ``Enfin, un endroit qui peut s’occuper de nous! C’est un appui pour mon avenir.``Quatre mois après ma démobilisation, j’avais du travail. Je suis content d’avoir été affecté au nouveau Centre de vulgarisation scientifique du zoo, car je sens que je pourrai y apprendre beaucoup, surtout que j’ai toujours aimé les animaux. Même si je trouve que le travail du Bureau est pas mal bon, si j’avais quelque chose à leur suggérer, je leur dirais d’élargir encore davantage les offres d’emploi. Ce serait encore meilleur. »

Et les employeurs, que disent-ils de ces jeunes recrues? Tant Mme Zhang de l’hôtel Guoyi que M. Xiao, du Centre de vulgarisation scientifique, ont tenu des propos semblables. Parmi des candidats à un poste, ils préfèrent les jeunes qui sont recommandés par le Bureau d’arrangement du travail pour soldats démobilisés. Selon leurs dires, ces jeunes ont contribué à l’État, ils ont un caractère bien trempé et ils savent ce que veut dire « pression du travail ». Ils ont reçu une formation stricte qu’aucune autre école n’aurait pu leur donner. Cette formation pousse les jeunes à aller de l’avant, de sorte que leur travail fournit une base à une gestion bien organisée.