La
retraite productive
LISA
CARDUCCI
Pan
Zipei et Min Xiangye célèbrent cette année leur 40e
anniversaire de mariage. Ils sont étonnamment encore très jeunes,
d’apparence et d’esprit. Tous deux à la retraite, ils mènent une
vie idéale. Actifs, ils n’ont pas le temps de s’ennuyer. Cette
entrevue a été réalisée chez eux, à Yinchuan, dans la région autonome
hui du Ningxia, lors de la fête du Printemps 2003.
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Pour le professeur Pan, collectionner les poteries antiques
est une forme d’art. |
Monsieur
Pan et madame Min, ni l’un ni l’autre n’êtes originaires du Ningxia.
Comment se fait-il que vous vous trouviez ici?
Pan : Mes grands-parents (paternels) sont originaires de Tianjin.
Sous les Qing, ils travaillaient au palais impérial où ils s’occupaient
de montage des peintures. Ils disposaient d’un laissez-passer
qui leur permettait l’accès et la sortie libres du palais. Après
la chute des Qing, ils se sont installés au Xinjiang.
Au
Xinjiang? Mais pourquoi si loin? Y étaient-ils forcés?
Non, ce fut un
choix libre afin d’avoir une vie meilleure et tranquille. Ainsi,
ils s’éloignaient du danger, car on ne savait pas ce qui pouvait
arriver à Beijing.
Et
c’est au Xinjiang que vous êtes né?
Oui, en février
1937, à Urumqi. Quand j’avais douze ans, ma famille s’est déplacée
à Lanzhou, dans la province du Gansu.
C’est
donc à Lanzhou que vous avez fait vos études?
Mes études secondaires,
oui. Ensuite, un de mes camarades, Liu Junwei, et moi avons été
choisis pour entrer à l’Académie des beaux-arts de Xi’an, sans
examen d’admission. Seulement deux, dans tout le pays dans cette
circonstance. Après nos études, Xi’an voulait nous garder comme
enseignants, mais nous avons finalement été placés par l’État
à Yinchuan, et nous y sommes toujours.
Qu’en
est-il de vous, Min Xiangye?
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La
Mongolie intérieure inspire le pinceau de Min Xiangye. |
Je suis née à Lüshun,
au Liaoning. À un certain moment, ma grand-mère, voyant son âge
avancer, a exprimé le désir de retourner au Shandong, province
d’origine de notre famille. J’ai deux frères aînés et deux cadets.
Cela faisait beaucoup de monde à placer. Mes parents pensaient
que j’aurais meilleure chance à Beijing, et m’ont envoyée vivre
chez mon oncle qui s’y trouvait. De là, je suis partie pour le
Ningxia. J’ai commencé à travailler à l’âge de 15 ans.
C’est
donc au Ningxia que vous avez connu votre époux?
En effet. Nous
étions collègues de travail, au Palais des expositions de Yinchuan
(Ningxia Zhanlan Guan). Quand nous nous sommes mariés,
j’avais 18 ans et lui, 26. L’année suivante, je mettais au monde
mon premier enfant. J’ai donc moins de 20 ans de différence avec
ma fille.
Quel
était votre emploi au Palais des expositions?
J’étais appariteur
ou accessoiriste pour les expositions. Je devais trouver ou fabriquer
le matériel qui servirait selon les circonstances.
Et
vous, professeur Pan?
J’y ai travaillé
de 1961 à 1984. On y avait ouvert une classe de peinture. De peinture
révolutionnaire pour propager les idées politiques de l’époque.
Ensuite, de 1984 jusqu’à ma retraite, en 1997, j’ai enseigné les
arts à l’université du Ningxia.
Vous
étiez tous deux très loin de vos familles. Receviez-vous leur
visite à l’occasion?
Min : Mon père est venu deux fois au Ningxia, et moi je suis retournée
trois fois dans ma famille.
C’est
bien peu…
Min : Les salaires étaient très bas, et les conditions de voyage
très pénibles.
Pan : Quand j’étais étudiant à Xi’an, je retournais à Lanzhou pour
les vacances. Après notre mariage, nous y sommes allés deux fois
ensemble. Mais la plupart du temps, c’est elle qui y allait, seule
ou avec les enfants, par exemple pour prendre soin de ma mère
malade.
Vous
n’avez ni frère ni sœur, professeur Pan?
Je suis fils unique.
Pendant
que vous étiez au Palais des expositions, vous avez enseigné?
Pan : Oui, beaucoup. Surtout aux enfants de mes collègues, et d’autres.
Min : Mais cela ne rapportait pas grand chose…
Avez-vous
eu des élèves particulièrement doués?
Du Jinsu. Et je
ne dis pas cela parce qu’il est votre mari. Du Jinsu a continué
dans les arts. Les autres ont abandonné. Ou bien quelques-uns
occupent des postes en rapport avec les arts… Cependant nos relations
ont toujours été très bonnes. Certains viennent m’offrir leurs
vœux à chaque nouvelle année. Par exemple, celui qui a téléphoné
tout à l’heure, il appelait du Tibet.
(Nous
étions le deuxième jour de l’année de la Chèvre. Pendant les deux
heures d’entrevue, le professeur Pan a reçu trois visites et deux
appels téléphoniques.)
Min
Xiangye, vous avez pris votre retraite à 50 ans. Racontez-moi
comment vous passez votre temps maintenant.
La retraite, c’est
très bien. Nous avons le temps de nous asseoir et d’échanger,
le temps de lire. Nous voyageons, en Mongolie intérieure par exemple,
dans des endroits sauvages et désertiques comme dans la bannière
de Ejina. Nous en rapportons plein d’images pour notre art. Il
y a aussi des voyages organisés une fois l’an par notre unité
de travail, pour les retraités. C’est très agréable.
Ces
tricots que vous portez
tous deux, c’est vous qui les avez faits?
Oui, c’est moi.
C’est
après la retraite que vous avez commencé à peindre?
Depuis plus de
trente ans que je vivais en compagnie d’un peintre, c’était presque
inévitable. Quand il enseignait à la maison, j’écoutais
ses leçons. Je passais et repassais, pour lui verser du thé, ou
arroser les plantes, et j’en profitais pour regarder et assimiler.
En 1997, un beau jour, j’ai décidé de prendre le pinceau et de
m’essayer à la tâche.
Pan : Avec d’excellents résultats. Elle a beaucoup de talent!
Vous
avez dit tout à l’heure que vos salaires étaient très bas au Palais
des expositions. Cela voulait dire combien en chiffres?
Min : Je gagnais 28 yuans par mois, et lui, 56.
Vous
aviez des enfants. Quelles difficultés avez-vous rencontrées?
Min : Chaque matin, il me fallait emmener ma fille chez la gardienne
et la reprendre le soir. Il en coûtait 15 yuans par mois. Quand
mon fils est né, il fallait payer 40 yuans pour deux enfants,
en plus du lait, des céréales et des œufs pour eux. Mais à ce
moment-là, nos salaires étaient passés à 30 et 60 yuans respectivement.
Quand j’élevais
mes enfants, c’est moi seule qui m’occupais d’eux, en plus des
travaux du ménage et de mon emploi à l’extérieur.
Pan : Elle a été une bonne femme et m’a beaucoup aidé. Moi, je n’avais
qu’à peindre et enseigner.
Min : Mais je ne me plains pas. J’ai eu la chance de trouver un excellent
mari, et je suis très satisfaite de mon sort.
Pendant
vos années de travail, avez-vous déjà craint de perdre votre gagne-pain?
Min : Les étudiants ont toujours bien apprécié leur professeur. Il
y aurait donc toujours du travail pour lui. Le chômage dû à la
mise à pied de surplus de personnel, cela n'a commencé que ces
dernières années, après sa retraite. Ce danger ne nous a pas touchés.
Vous
avez toujours habité ici?
Pan : Non. Nous sommes venus ici en 1983. Nous disposons de 55 mètres
carrés. Un salon et deux chambres.
Y
compris l’atelier?
Non. L’atelier,
c’était une partie du jardin auparavant. Ce n’est que récemment
que nous l’avons fait construire.
L’espace
vous suffit?
Min : Bien sûr! Les enfants sont partis. Notre fille est au Canada
depuis cinq ans. Notre fils est marié et vit au Shandong.
Vous
n’avez jamais pensé aller rejoindre votre fille au Canada?
Pan : Nous irions peut-être pour voir, l’ambiance, les lieux, la
vie… Pas pour émigrer. En outre, le billet d’avion, le passeport,
le visa, tout cela coûte très cher.
Min : Et puis, il faut acheter les toiles, les couleurs… À l’étranger,
c’est encore plus cher. Comme nous ne sommes pas connus à l’extérieur
du pays, nous vendrions peu ou pas; il nous faudrait recommencer
à zéro. Aussi, notre fille travaille; cela veut dire que nous
serions seuls toute la journée, sans amis, et nous ne parlons
pas anglais.
Nous sommes encore
jeunes et bien portants! Cette année, 58 et 66 ans. Pourquoi émigrer?
Nous n’avons pas encore besoin d’aide. Et quand nous en aurons
besoin, nous engagerons quelqu’un ici.
Pan : Et notre inspiration? Elle est dans le nord-ouest de la Chine.
C’est ce qui nous convient le mieux.
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Chaque
poterie a son histoire. Photos : Lisa Carducci. |
Peignez-vous
beaucoup?
Pan : En 2000-2001, j’ai fait une vingtaine de tableaux, parce que
j’avais des commandes. L’an dernier, je n’ai pas produit autant.
Il
me semble que vous aimez les plantes…
Min : Tous deux nous aimons cultiver des fleurs, des plantes vertes,
des courges décoratives. Ces rosiers dans le jardin, d’avril à
novembre, ils sont de toute beauté!
Et
ces superbes crêtes-de-coq?
Min : J’en cultive chaque année. Je les coupe au sommet de leur gloire
et les suspends la tête en bas pour les faire sécher. Les professeurs
de beaux-arts m’en demandent toujours comme modèles pour leurs
étudiants.
(Ici
eut lieu une longue conversation sur l’histoire des Xia de l’Ouest,
sur la beauté des paysages fantastiques de la Mongolie intérieure,
sur l’art érotique, les fresques de l’antiquité gréco-romaine,
etc.)
Vous
collectionnez aussi des poteries antiques?
Pan : Oui. La retraite, c’est bien pour cela. On a du temps pour
ce que l’on aime. On n’est pas pressé de produire, on n’a pas
à rencontrer d’échéances, comme une exposition. Pour un artiste,
la retraite n’existe pas vraiment. Si on a envie de travailler,
on travaille. Si on n’aime pas quelque chose, on fait autre chose.
Ce n’est pas comme pour un ouvrier ou un employé qui n’ont plus
qu’à se tourner les pouces quand ils prennent leur retraite. Ou
même certains artistes, comme les danseurs de ballet.
La
liberté, en fait…
Pan : Oui, la liberté.
Comment
qualifieriez-vous votre vie de retraités?
Pan : Idéale.
Min. Il ne nous manque rien.