AVRIL  2003

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

 

La vie dans un Hutong

LISA CARDUCCI

La famille de Han Shusuo

Hutong, c’est le mot qui désigne une ruelle à Beijing. La plupart des maisons qu’on y trouve sont anciennes, sans étage, petites, mal éclairées et sans installations sanitaires. Les gens qui y vivent sont le plus souvent de bas niveau d’instruction et, par conséquent, ont un salaire très modeste. Mais cela ne les empêche pas d’être heureux.

Han Shusuo est un retraité de 66 ans. Il y vit depuis 35 ans avec son épouse. Il y a élevé trois enfants; actuellement, son fils, sa bru et sa petite-fille vivent avec lui. Lorsque j’entre chez lui, son épouse me prévient : « Attention! Il fait noir. ». La porte donne dans la cuisine de 2 m sur 5 environ. Je crois la lumière éteinte, mais… il n’y a pas de lumière, sauf une minuscule ampoule économique de 15 W à l’autre extrémité. La nuit en plein jour.

La famille dispose d’une grande pièce de 23 m2 où se trouve le lit des grands-parents au fond et, séparé par un rideau, celui de leur petite-fille. La petite Han Jinyu est assise sur le lit et s’amuse à dessiner avec son cousin, sur la machine à coudre qui sert de table. Tout autour de la pièce, un sofa trois places et un fauteuil séparés par une petite table, quatre chaises de bois, une grande armoire à six portes, un téléviseur, une chaîne de son, une bicyclette, une ancienne glacière qui sert maintenant à ranger des vêtements, et une autre petite armoire. La table ronde pliante est installée au centre de la pièce à l’heure des repas. Ensuite, elle retourne derrière le fauteuil.

Le fils Han et son épouse dorment dans la chambre voisine, une pièce de 14 m2 toute en longueur qu’il a construite au moment de son mariage. On y trouve, outre le lit au fond, une armoire et un ordinateur.

Pas de salle de bains ni de toilettes. Ces dernières se trouvent au coin de la rue, tandis que les douches publiques ou encore celles des lieux de travail sont celles dont on dispose.

Lisa chez Han Shusuo

Lao Han, vous êtes à la retraite depuis combien d’années?

Huit ans. J’ai pris ma retraite à 58 ans.

Quel était votre métier auparavant?

J’étais ébéniste. Presque toute ma famille a travaillé dans cette usine ou dans des emplois qui en dépendaient.

C’est vous qui avez fait vos meubles?

Les meubles que j’avais fabriqués, je les ai tous vendus sauf cette table à tiroir. Ce sont des meubles achetés que nous avons maintenant.

Que faites-vous maintenant pour occuper vos journées? (Quand je pose cette question, les yeux de Han Shusuo brillent; il avait grand hâte de me parler de l’« art » dans lequel il est devenu un maître. Deux postes de télévision l’ont filmé et interviewé déjà.)

Avant, je souffrais de quatre maladies : des palpitations cardiaques, des difficultés respiratoires, des hémorroïdes et une mauvaise circulation sanguine au cerveau. Maintenant, plus rien! Je ne vais jamais consulter le médecin. Pourquoi? Parce que je fais mes exercices assidûment. Je vais vous montrer. J’imite la démarche de cinq animaux : l’éléphant, l’ours, le tigre, le gorille et le kangourou.

En effet, l’imitation est parfaite. C’est vous qui avez inventé cette technique?

Je l’ai perfectionnée. Un copain du Hebei m’avait montré qu’il marchait comme un éléphant. Je me disais : pourtant, il y a quelque chose qui ne va pas. J’ai regardé des émissions sur les animaux à la télé, et je suis allé au zoo plusieurs fois. J’ai bien observé les ours, les éléphants, afin de pouvoir imiter exactement leur démarche.

Vous pratiquez chaque jour?

Un des exercices « santé » de Han Shusuo.

Chaque jour, en toute saison. Je me lève à 4 h; je fais ma toilette puis me rends au parc. Là, je pratique deux ou trois heures. Plusieurs centaines de mètres. Je reviens à la maison vers 8 h, et prends mon petit déjeuner. Je n’ai plus aucun problème de santé.

Vous croyez vraiment que c’est à cause de vos exercices? Ne serait-ce pas le fait de ne plus travailler, d’avoir moins de pression?

Ce sont mes exercices. D’ailleurs, j’ai pris un emploi de gardien de nuit, de 15 h 30 à 1 h.

Mais quand donc dormez-vous?

Après le déjeuner jusqu’au départ pour le travail, et quelques heures la nuit. Et puis, mon travail n’est pas fatigant. Comment j’ai obtenu cet emploi à mon âge? C’est que premièrement, je suis en bonne santé; deuxièmement, que je pourrais utiliser ma technique en cas d’assaut.

En marchant comme les animaux?

Il y a bien d’autres mouvements. Regardez!

Alors, Han Shusuo me donne une démonstration : se donner un coup de pied au front, tourner, sauter, se plier, etc.  J’essaie à mon tour de marcher à quatre pattes. Le plus difficile est de garder la tête levée, ce qui est fort important dit maître Han.

Certains mouvements tiennent du taiji, d’autres du qigong. Vous êtes déjà allé au temple Shaolin (où les moines pratiquent le gongfu)?

Non, jamais. J’ai étudié par moi-même. Je suis parti des livres, le Damo San Jing, et j’ai perfectionné la méthode en y ajoutant mon expérience; elle est devenue le Wu Qin Gong (5 animaux).

Vous ne songez pas à rédiger vos principes? Votre fils pourrait dessiner les graphiques…

Écrire? Non, je n’ai pas la culture nécessaire.

Vous avez des disciples?

Il y a des gens qui apprennent de moi. Quelques jeunes, mais davantage de vieux.

Votre épouse, vos enfants?

Ma femme pratique une autre sorte d’exercices. Elle a une bonne santé elle aussi.

Combien d’enfants avez-vous? Pouvez-vous me présenter votre famille?

J’ai deux filles et un fils. Tous mariés. Ils ont tous un enfant, respectivement une fille de 16 ans, un fils de 8 ans et une fille de 5 ans. Mes deux filles viennent tous les samedis ou dimanches.

La maison est à vous?

C’est-à-dire que je n’aurais pas le droit de la vendre. Je paie un loyer de 40 yuans (5 USD) par mois.

Habiter dans un hutong, comment considérez-vous cela? Vous vous entendez bien avec les voisins?

Très bien. Nous avons de très bonnes relations. Le seul problème, c’est que nous manquons d’espace. Regardez ce désordre…

Pas de salle de bains, les calorifères alimentés par les briquettes de charbon…

Nous y sommes habitués. Être obligés de surveiller les briquettes et de les remplacer, c’est ennuyeux, bien sûr, mais nous avons l’habitude. Dans les grands bâtiments d’habitation, on n’a pas à s’occuper de ça…

Vous avez l’air songeur. Vous rêvez de déménager?

Mon seul rêve, c’est de conserver ma bonne santé!

Et le danger d’émanation de gaz toxiques?

C’est la façon dont nous vivons.

C’est un quartier paisible?

Oui, ça va. Pas loin d’ici, il y a une unité de l’État bien gardée par la police.

Parle-t-on de démolition?

Ce qui devait être démoli l’a été. On ne démolit plus.

Ces carreaux de céramique, ce plafonnier, ils ne datent pas des années 1970, il me semble.

Non; nous avons fait des rénovations depuis.

Vos enfants ont-ils tous fréquenté l’université?

Non… Avoir de l’instruction, c’est une grande chose : quand on est cultivé, on comprend beaucoup mieux le monde, la vie.

Que font vos trois enfants et quels sont leurs revenus?

La grande est comptable dans une petite entreprise ; elle gagne peu mais son mari gagne davantage. La deuxième travaillait dans une entreprise d’État; elle a été mise à pied et n’a pas encore trouvé d’emploi. Mon fils travaille à la production d’une émission de télévision pour la CCTV depuis quelques mois mais il n’a pas encore touché son salaire qui devrait être d’environ 1 000 yuans. Il fait un peu de travail à la pige pour un journal. Ma femme et moi touchons une pension de retraite respectivement de 630 et 791 yuans par mois. Ma bru, selon la charge de travail du mois, gagne entre 500 et 1 000 yuans par mois. Mon travail de concierge me rapporte 10 yuans par jour.  À nous quatre, cela fait moins de 400 USD par mois, et la petite, qui va au jardin d’enfants, c’est un gros morceau du budget : environ 400 yuans (50 USD) par semestre, plus 400 pour trois mois de cours spéciaux comme l’anglais ou les arts.

C’est loin, le jardin d’enfants?

Non, tout près. Sa grand-mère l’y conduit et va la chercher chaque jour.

Je demande à l’aînée des enfants Han si elle ou ses frère et sœur n’ont jamais songé à émigrer.

Nous sommes habitués de vivre ici. D’ailleurs, dans les autres pays il y a aussi des problèmes. Aussi bien garder les nôtres.

Lao Han, croyez-vous que vos petits-enfants auront un meilleur avenir?

Certainement meilleur! Déjà, ils apprennent qui l’anglais, qui le wushu, et le pays change rapidement... Bien sûr que leur vie sera différente de la nôtre.

Puis, je m’adresse à sa première petite-fille : Et toi, dans un an tu iras à l’université. Que voudrais-tu étudier? Tu as des projets d’avenir?

Je ne sais pas. Je change tout le temps.

Crois-tu en toi-même. Penses-tu que tu peux réussir ce que tu veux vraiment faire?

Ou…i.

À ce moment-là, j’entends passer un vol de colombes portant des sifflets, une activité bien typique des quartiers populaires de Beijing. Quelqu’un élève des colombes dans le voisinage. Et vous, vous avez des animaux?

Nous n’avons pas de place… Des poissons, là, le petit aquarium dans le coin…