AVRIL  2003

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

 

L’émigration et la nostalgie du pays natal

HUO JIANYING

La pagode aux Écritures en pierre, qui remonte à la période d’émigration durant les Ming et des descendants du gros sophora.

Selon l’ancienne philosophie chinoise, la ville natale d’une personne est l’alpha et l’oméga de sa vie. La ville natale et ses habitants sont comme les racines et les feuilles d’un arbre. Ceux qui partent y reviennent un jour, un concept qu’incarne le proverbe chinois : « Les feuilles qui tombent se fixent sur leurs racines.» Même si certaines circonstances empêchent quelqu’un de revenir chez lui, celui-ci n’oubliera jamais ses racines. Selon ce concept, une personne qui ne connaît pas son lieu d’origine doit être méprisée par les autres et ne peut probablement pas vivre en paix.

Depuis des siècles, le gros sophora de Hongtong du Shanxi a symbolisé le pays natal et, par conséquent, a attiré des millions de personnes qui voulaient revenir à leurs sources. Les annales historiques montrent que, durant la dynastie des Ming, les émigrants ont convergé vers cet arbre avant de partir vers d’autres régions du pays. De 1373, sixième année de règne Hongwu, jusqu’en 1417, quinzième année de règne Yongle, la cour des Ming a connu dix-huit vagues d’émigration, et chaque fois elle a dû relocaliser des dizaines de milliers de ménages ruraux dans ce qui est aujourd’hui Beijing, le Hebei, le Shandong, le Henan, l’Anhui, le Hubei, le Gansu, le Shaanxi et la région autonome hui du Ningxia.

Les facteurs d’émigration

À Hongtong, une murale dans le parc pour la Vénération des ancêtres et la Recherche des racines dépeint l’émigration durant la dynastie des Ming.

La dynastie des Ming (1368-1644) a été établie après que les armées d’une insurrection paysanne eurent renversé la dynastie des Yuan (1279-1368). Les guerres sanglantes de rébellion qui menèrent à cet événement durèrent plus de dix ans et coûtèrent la vie de millions de soldats et de civils. Les dirigeants de la dynastie des Yuan prirent des mesures extrêmes pour éradiquer les bases rebelles et réprimer cette rébellion. Les annales montrent que seulement dix-huit familles survécurent au massacre de Yangzhou, et que sept personnes sur dix au Henan, au Shandong, au Hebei, au Jiangsu et dans l’Anhui périrent durant cette guerre.

Les guerres exceptées, vers la fin de la dynastie des Yuan, on enregistra de nombreuses calamités : inondations, sécheresses, sauterelles et épidémies. Selon les annales de l’époque concernant les inondations et les sécheresses, le Shandong fut touché dix-neuf fois, le Henan, dix-sept fois, le Hebei, quinze fois et la région de Lianghuai, huit fois. Beaucoup de personnes moururent, et des villages et des villes furent abandonnés. Dans les cas les plus graves, il y eut également du cannibalisme.

Après la mise en place de la dynastie des Ming, les officiels locaux rapportèrent la situation désolante qui se passait dans les Plaines centrales. La population était décimée, et par conséquent, la force de travail, inadéquate. Les terres cultivées étaient laissées à l’abandon, si bien qu’aucune taxe ne pouvait être collectée. Comme cette situation menaçait la stabilité de la nouvelle dynastie, il était donc urgent que l’empereur Zhu Yuanzhang et ses ministres résolvent ces problèmes. Après consultations avec ses ministres, l’empereur prit la décision de rendre l’émigration obligatoire, et cette politique se poursuivit sous les empereurs suivants et ce, pendant cinquante ans.

Pourquoi émigrer du Shanxi?

La stèle érigée sur le site du gros sophora

Selon une enquête effectuée au Bureau des noms de lieu du district de Daxing de Beijing, Daxing compte 526 villages, dont 110 ont été peuplés par des émigrés qui provenaient du gros sophora de Hongtong du Shanxi. Quarante-cinq de ces villages furent nommés d’après le nom du clan qui avait émigré. La Collection des matériels de référence sur les noms de lieu du district de Zhengding du Hebei montre également que, des 233 villages de Zhengding, trente-quatre sont clairement enregistrés comme ayant été peuplés par les descendants d’émigrés de Hongtong. La famille Lu, du tronc généalogique de la région autonome zhuang du Guangxi, déclare que ses origines se trouvent au district de Hongtong du Shanxi et que les descendants s’élèvent actuellement à plus de 40 000 personnes.

De tels registres peuvent être vus dans plusieurs endroits de Chine. À la fin des Yuan et au début des Ming, le Shanxi était un lieu exceptionnel dans les Plaines centrales car il avait échappé aux désastres naturels et aux autres calamités. La plus grande partie du Shanxi n’avait pas été marquée par la guerre et jouissait d’un climat favorable et de récoltes abondantes. Contrairement aux provinces voisines, la stabilité sociale et la prospérité économique y régnaient, de sorte que sa population croissait. Des statistiques de 1831 (quatorzième année de règne Hongwu) montrent que le Shanxi avait 4,03 millions d’habitants à ce moment-là, par rapport au 1,89 million au Henan et au Hebei.

Sa localisation sur le plateau de lœss, où les terres arables étaient limitées, signifiait toutefois que le Shanxi n’avait aucun avantage pour l’élevage ni aucun potentiel de développement agricole. Ces conditions rendaient la province propice à l’émigration impériale. La plupart des émigrants provenaient de six préfectures. Celles-ci comprenaient Pingyang et Liaozhou dans le Shanxi du Sud et du Sud-Est, lesquelles avaient 51 districts, dont vingt-huit administrés par Pingyang. Hongtong était le plus important. Le décret impérial énonçait un ratio d’émigration de trois personnes dans les familles de quatre, et de cinq, dans celles qui comptaient huit membres. Les contrevenants étaient sévèrement punis. Hongtong, le plus grand district, était le lieu d’origine de la plupart des émigrants.

Hongtong possédait des communications commodes, des routes postales qui conduisaient dans différents endroits. Dans ce contexte, le gouvernement des Ming mit en place un bureau des affaires d’émigration dans un ancien temple qui y était situé. Les gens de divers endroits du Shanxi affluaient vers le gros sophora, à côté du temple, pour les documents d’émigration et la compensation de voyage et de relocalisation, avant de partir vers une nouvelle vie dans un lieu étrange et inconnu.

Au fil du temps, pour beaucoup de personnes, le souvenir du pays natal s’est effacé, mais leur aspiration à le revoir ne s’est jamais éteinte. Après plusieurs générations, ce sentiment s’est cristallisé dans ces lignes : « Si vous me demandez d’où viennent mes ancêtres, ma réponse est : du gros sophora de Hongtong du Shanxi. » Cette ligne s’est avérée vraie depuis plus de 600 ans, dans la plus grande partie de la Chine et parmi les Chinois d’outre-mer.

Les motivations historiques

La pagode Feihong à l’intérieur du temple Guangsheng de Hongtong.

L’empereur Zhu Yuanzhang était né dans une famille pauvre. Il avait travaillé comme gardien de vaches, fermier et s’était fait moine pendant un certain temps. Il connaissait bien l’économie rurale, et sa politique d’émigration avait des applications pratiques concernant la restauration et le développement de la production agricole.

Le principe de base de sa politique d’émigration était de transférer les habitants des endroits pauvres en terres arables vers d’autres régions où celles-ci étaient plus abondantes, et les habitants des régions densément peuplées vers les régions qui l’étaient moins. Chaque émigrant recevait une compensation de voyage et d’implantation et 17 mu (1,14 hectare) de terres incultes pour cultiver; il bénéficiait également d’une exemption fiscale de trois ans. Ceux qui étaient particulièrement habiles en agriculture étaient encouragés à cultiver des zones plus vastes.

Outre les émigrés, les forces armées, des civils et des marchands furent mobilisés pour revitaliser l’agriculture. Au début de la dynastie des Ming, plus d’un million de soldats furent stationnés dans neuf villes stratégiques du nord-ouest de la Chine, afin de garder la frontière qui s’étendait sur des milliers de kilomètres. Les soldats recevaient une terre et les outils nécessaires pour résoudre leurs problèmes de pénurie de nourriture, alors que le gouvernement de la dynastie des Ming offrait aux civils et aux marchands des incitatifs pour prendre des terres à forfait ou y investir.

De la quatorzième à la vingt-sixième année de règne Hongwu, la superficie de terres cultivées de la Chine a presque doublé, passant de 24,5 millions d’hectares à 57 millions, et la population a augmenté de 700 000 personnes. Les revenus annuels en céréales représentaient le double de ceux enregistrés durant la dynastie des Yuan. Selon les registres historiques, l’émigration fut rapidement suivie par une grande prospérité, et quelque douze ans plus tard, la dynastie des Ming connut son apogée.

La nostalgie du pays natal

La référence au gros sophora que léguèrent les ancêtres comme lieu d’origine incita beaucoup de descendants des émigrés des Ming à organiser des voyages de retour aux racines au district de Hongtong, bien qu’ils eussent été chez eux dans d’autres villes. Beaucoup y viennent chaque année. Toutefois, sauf une pagode d’Écritures en pierre, rien ne reste de cette histoire qui date de 600 ans. À la place du gros sophora se dresse maintenant une stèle en pierre, érigée il y a cent ans, et sur laquelle est inscrite : « Site de l’ancien sophora ». Selon les locaux, les nombreux gros sophoras sont les descendants de la troisième génération du gros sophora original, planté durant la dynastie des Han (206 av. J.-C. - 220 apr. J.-C.)

Chaque tablette de la salle commémorative est gravée d’un nom de famille. Lorsqu’ils trouvent leur nom de famille, ceux qui cherchent leurs origines rendent hommage et font des dons pour exprimer leur identification avec leur pays natal et témoigner du respect à son égard. Bien peu ne trouvent pas leur nom de famille dans cette salle.

Qu’elle ait été bien ou mal accueillie par les émigrants de l’époque, la grande émigration du Shanxi a encouragé les échanges culturels et technologiques dans l’ancienne Chine et a grandement contribué au développement économique et social du pays.