L’émigration
et la nostalgie du pays natal
HUO
JIANYING
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La
pagode aux Écritures en pierre, qui remonte à la période d’émigration
durant les Ming et des descendants du gros sophora. |
Selon l’ancienne philosophie
chinoise, la ville natale d’une personne est l’alpha et l’oméga
de sa vie. La ville natale et ses habitants sont comme les racines
et les feuilles d’un arbre. Ceux qui partent y reviennent un jour,
un concept qu’incarne le proverbe chinois : « Les feuilles
qui tombent se fixent sur leurs racines.» Même si certaines circonstances
empêchent quelqu’un de revenir chez lui, celui-ci n’oubliera jamais
ses racines. Selon ce concept, une personne qui ne connaît pas
son lieu d’origine doit être méprisée par les autres et ne peut
probablement pas vivre en paix.
Depuis des siècles, le gros
sophora de Hongtong du Shanxi a symbolisé le pays natal et, par
conséquent, a attiré des millions de personnes qui voulaient revenir
à leurs sources. Les annales historiques montrent que, durant
la dynastie des Ming, les émigrants ont convergé vers cet arbre
avant de partir vers d’autres régions du pays. De 1373, sixième
année de règne Hongwu, jusqu’en 1417, quinzième année de règne
Yongle, la cour des Ming a connu dix-huit vagues d’émigration,
et chaque fois elle a dû relocaliser des dizaines de milliers
de ménages ruraux dans ce qui est aujourd’hui Beijing, le Hebei,
le Shandong, le Henan, l’Anhui, le Hubei, le Gansu, le Shaanxi
et la région autonome hui du Ningxia.
Les facteurs
d’émigration
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À
Hongtong, une murale dans le parc pour la Vénération des ancêtres
et la Recherche des racines dépeint l’émigration durant la
dynastie des Ming. |
La dynastie des Ming (1368-1644)
a été établie après que les armées d’une insurrection paysanne
eurent renversé la dynastie des Yuan (1279-1368). Les guerres
sanglantes de rébellion qui menèrent à cet événement durèrent
plus de dix ans et coûtèrent la vie de millions de soldats et
de civils. Les dirigeants de la dynastie des Yuan prirent des
mesures extrêmes pour éradiquer les bases rebelles et réprimer
cette rébellion. Les annales montrent que seulement dix-huit familles
survécurent au massacre de Yangzhou, et que sept personnes sur
dix au Henan, au Shandong, au Hebei, au Jiangsu et dans l’Anhui
périrent durant cette guerre.
Les guerres exceptées, vers
la fin de la dynastie des Yuan, on enregistra de nombreuses calamités :
inondations, sécheresses, sauterelles et épidémies. Selon les
annales de l’époque concernant les inondations et les sécheresses,
le Shandong fut touché dix-neuf fois, le Henan, dix-sept fois,
le Hebei, quinze fois et la région de Lianghuai, huit fois. Beaucoup
de personnes moururent, et des villages et des villes furent abandonnés.
Dans les cas les plus graves, il y eut également du cannibalisme.
Après la mise en place de la
dynastie des Ming, les officiels locaux rapportèrent la situation
désolante qui se passait dans les Plaines centrales. La population
était décimée, et par conséquent, la force de travail, inadéquate.
Les terres cultivées étaient laissées à l’abandon, si bien qu’aucune
taxe ne pouvait être collectée. Comme cette situation menaçait
la stabilité de la nouvelle dynastie, il était donc urgent que
l’empereur Zhu Yuanzhang et ses ministres résolvent ces problèmes.
Après consultations avec ses ministres, l’empereur prit la décision
de rendre l’émigration obligatoire, et cette politique se poursuivit
sous les empereurs suivants et ce, pendant cinquante ans.
Pourquoi
émigrer du Shanxi?
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La
stèle érigée sur le site du gros sophora |
Selon une enquête effectuée
au Bureau des noms de lieu du district de Daxing de Beijing, Daxing
compte 526 villages, dont 110 ont été peuplés par des émigrés
qui provenaient du gros sophora de Hongtong du Shanxi. Quarante-cinq
de ces villages furent nommés d’après le nom du clan qui avait
émigré. La Collection des
matériels de référence sur les noms de lieu du district de
Zhengding du Hebei montre également que, des 233 villages de Zhengding,
trente-quatre sont clairement enregistrés comme ayant été peuplés
par les descendants d’émigrés de Hongtong. La famille Lu, du tronc
généalogique de la région autonome zhuang du Guangxi, déclare
que ses origines se trouvent au district de Hongtong du Shanxi
et que les descendants s’élèvent actuellement à plus de 40 000
personnes.
De tels registres peuvent être
vus dans plusieurs endroits de Chine. À la fin des Yuan et au
début des Ming, le Shanxi était un lieu exceptionnel dans les
Plaines centrales car il avait échappé aux désastres naturels
et aux autres calamités. La plus grande partie du Shanxi n’avait
pas été marquée par la guerre et jouissait d’un climat favorable
et de récoltes abondantes. Contrairement aux provinces voisines,
la stabilité sociale et la prospérité économique y régnaient,
de sorte que sa population croissait. Des statistiques de 1831
(quatorzième année de règne Hongwu) montrent que le Shanxi avait
4,03 millions d’habitants à ce moment-là, par rapport au 1,89
million au Henan et au Hebei.
Sa localisation sur le plateau
de lœss, où les terres arables étaient limitées, signifiait toutefois
que le Shanxi n’avait aucun avantage pour l’élevage ni aucun potentiel
de développement agricole. Ces conditions rendaient la province
propice à l’émigration impériale. La plupart des émigrants provenaient
de six préfectures. Celles-ci comprenaient Pingyang et Liaozhou
dans le Shanxi du Sud et du Sud-Est, lesquelles avaient 51 districts,
dont vingt-huit administrés par Pingyang. Hongtong était le plus
important. Le décret impérial énonçait un ratio d’émigration de
trois personnes dans les familles de quatre, et de cinq, dans
celles qui comptaient huit membres. Les contrevenants étaient
sévèrement punis. Hongtong, le plus grand district, était le lieu
d’origine de la plupart des émigrants.
Hongtong possédait des communications
commodes, des routes postales qui conduisaient dans différents
endroits. Dans ce contexte, le gouvernement des Ming mit en place
un bureau des affaires d’émigration dans un ancien temple qui
y était situé. Les gens de divers endroits du Shanxi affluaient
vers le gros sophora, à côté du temple, pour les documents d’émigration
et la compensation de voyage et de relocalisation, avant de partir
vers une nouvelle vie dans un lieu étrange et inconnu.
Au fil du temps, pour beaucoup
de personnes, le souvenir du pays natal s’est effacé, mais leur
aspiration à le revoir ne s’est jamais éteinte. Après plusieurs
générations, ce sentiment s’est cristallisé dans ces lignes :
« Si vous me demandez d’où viennent mes ancêtres, ma réponse est :
du gros sophora de Hongtong du Shanxi. » Cette ligne s’est avérée
vraie depuis plus de 600 ans, dans la plus grande partie de la
Chine et parmi les Chinois d’outre-mer.
Les motivations
historiques
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La
pagode Feihong à l’intérieur du temple Guangsheng de Hongtong. |
L’empereur Zhu Yuanzhang était
né dans une famille pauvre. Il avait travaillé comme gardien de
vaches, fermier et s’était fait moine pendant un certain temps.
Il connaissait bien l’économie rurale, et sa politique d’émigration
avait des applications pratiques concernant la restauration et
le développement de la production agricole.
Le principe de base de sa politique
d’émigration était de transférer les habitants des endroits pauvres
en terres arables vers d’autres régions où celles-ci étaient plus
abondantes, et les habitants des régions densément peuplées vers
les régions qui l’étaient moins. Chaque émigrant recevait une
compensation de voyage et d’implantation et 17 mu (1,14 hectare) de terres incultes pour
cultiver; il bénéficiait également d’une exemption fiscale de
trois ans. Ceux qui étaient particulièrement habiles en agriculture
étaient encouragés à cultiver des zones plus vastes.
Outre les émigrés, les forces
armées, des civils et des marchands furent mobilisés pour revitaliser
l’agriculture. Au début de la dynastie des Ming, plus d’un million
de soldats furent stationnés dans neuf villes stratégiques du
nord-ouest de la Chine, afin de garder la frontière qui s’étendait
sur des milliers de kilomètres. Les soldats recevaient une terre
et les outils nécessaires pour résoudre leurs problèmes de pénurie
de nourriture, alors que le gouvernement de la dynastie des Ming
offrait aux civils et aux marchands des incitatifs pour prendre
des terres à forfait ou y investir.
De la quatorzième à la vingt-sixième
année de règne Hongwu, la superficie de terres cultivées de la
Chine a presque doublé, passant de 24,5 millions d’hectares à
57 millions, et la population a augmenté de 700 000 personnes.
Les revenus annuels en céréales représentaient le double de ceux
enregistrés durant la dynastie des Yuan. Selon les registres historiques,
l’émigration fut rapidement suivie par une grande prospérité,
et quelque douze ans plus tard, la dynastie des Ming connut son
apogée.
La nostalgie
du pays natal
La référence au gros sophora
que léguèrent les ancêtres comme lieu d’origine incita beaucoup
de descendants des émigrés des Ming à organiser des voyages de
retour aux racines au district de Hongtong, bien qu’ils eussent
été chez eux dans d’autres villes. Beaucoup y viennent chaque
année. Toutefois, sauf une pagode d’Écritures en pierre, rien
ne reste de cette histoire qui date de 600 ans. À la place du
gros sophora se dresse maintenant une stèle en pierre, érigée
il y a cent ans, et sur laquelle est inscrite : « Site de
l’ancien sophora ». Selon les locaux, les nombreux gros sophoras
sont les descendants de la troisième génération du gros sophora
original, planté durant la dynastie des Han (206 av. J.-C. - 220
apr. J.-C.)
Chaque tablette de la salle
commémorative est gravée d’un nom de famille. Lorsqu’ils trouvent
leur nom de famille, ceux qui cherchent leurs origines rendent
hommage et font des dons pour exprimer leur identification avec
leur pays natal et témoigner du respect à son égard. Bien peu
ne trouvent pas leur nom de famille dans cette salle.
Qu’elle ait été bien ou mal
accueillie par les émigrants de l’époque, la grande émigration
du Shanxi a encouragé les échanges culturels et technologiques
dans l’ancienne Chine et a grandement contribué au développement
économique et social du pays.