MARS  2003

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

 

Wenzhou, ou si la richesse m’était contée

ZHAN NI

Wenzhou déploie des efforts pour devenir un pôle de l’industrie légère.

Une histoire raconte qu’un extraterrestre arrive en Chine et suscite un vif intérêt partout. Les Pékinois ont l’intention d’étudier les relations entre ces entités et les humains. Les Shanghaïens, très compétents dans l’organisation d’expositions, décident justement d’en tenir une sur cette nouvelle. Les Cantonais, reconnus pour leur cuisine, pensent à inviter cet extraterrestre chez eux. Pour leur part, doués pour le commerce, les gens de Wenzhou lui disent de manière imaginative : « Monsieur, permettez-nous de vous demander quel genre de commerce nous pourrions faire sur votre planète ? »

C’est une anecdote que l’on raconte à Wenzhou, mais à travers celle-ci, on reconnaît bien le sens des affaires des gens de Wenzhou.

Berceau de la richesse

Le fait que les gens de Wenzhou s’adonnent au commerce remonte loin dans l’histoire. Wenzhou, située dans le sud-est de la province du Zhejiang, est depuis toujours une ville d’adoption. Sans vie stable ni logement fixe, les gens qui y venaient étaient courageux et intrépides, aimaient la liberté, avaient l’esprit d’indépendance et ne se contentaient pas de ce qu’ils avaient. Cette région, éloignée de la capitale, a très peu subi l’influence de la conception traditionnelle de la supériorité de l’agriculture sur le commerce. Les gens de l’école de Yongjia de cette région avaient proposé avec force qu’il faudrait accorder autant d’importance à l’utilitarisme qu’à la moralité. Cet état de choses a influencé profondément la pensée et l’action des locaux et leur a inculqué un esprit commercial plus marqué que celui d’autres régions.

La pénurie des ressources naturelles et le piètre environnement de vie ont trempé le

caractère courageux des gens de Wenzhou. En fait, selon les annales du gouvernement municipal, parmi les gens de cette ville qui, ces dernières années, ont fait du commerce en Chine et à l’étranger, 160 000 sont déjà des patrons. Un peu partout, au Brésil, aux États-Unis, au Japon, en Corée du Sud, aux Philippines et en France, il y a des gens laborieux de Wenzhou.

À la fin de 2002, les entreprises privées représentaient 90 % du total des entreprises de cette ville. Celles-ci réalisaient une valeur de production industrielle de 200  milliards de yuans, soit 85 % de la valeur globale de la production industrielle de cette ville. Un officiel de Wenzhou a dit, en faisant le bilan de l’économie de la ville : « Wenzhou possède deux grandes caractéristiques : son économie de marché a commencé plus tôt et son économie  privée est la plus animée de toute la Chine.

Des vicissitudes

L’histoire de la fabrication des chaussures de Wenzhou remonte très loin dans l’histoire. Sous le règne de Chenghua (1465-1488) de la dynastie des Ming, des chaussures de cette ville étaient offertes en tribut à la cour impériale. Cette industrie a cependant commencé à se développer vraiment dans les années 1930, alors que les chaussures se vendaient bien. Une sorte de chaussures à talon haut  pour dames, conçue et produite à Wenzhou, a été très en vogue dans toute la Chine au cours des années 70. Avec le développement rapide de l’industrie de la chaussure, le nombre d'entreprises de ce secteur s’est multiplié; parmi celles-ci, on en trouvait des bonnes, mais aussi des moins bonnes. Il arrivait souvent que des chaussures ne tiennent le coup que pendant quelques dizaines de minutes...Les Chinois s’efforçaient alors d’éviter comme la peste les produits de mauvaise qualité de Wenzhou.

Le 8 août 1987 a été une date humiliante pour les habitants de Wenzhou et pour leur industrie de la chaussure. Ce jour-là, quelque 5 000 paires de chaussures de mauvaise qualité ont été détruites en public sur la place Wulin de Hangzhou et dans quelques autres endroits. À ce moment-là, Wang Zhentao, de Wenzhou, vendeur de chaussures dans un magasin de la province du Hubei, s'est exclamé: « C’est le prestige et le crédit de Wenzhou qui ont été brûlés. » Ce feu a provoqué le jeune Wang . Il a donc décidé de se lancer dans la production de chaussures. Son idée était fort simple : redonner le prestige et le crédit à Wenzhou. Il a commencé cette carrière difficile après avoir réuni 30 000 yuans de fonds.

Pendant cette période, il a consacré beaucoup d’énergie dans la conception des chaussures. Chaque année, il se rendait en Italie et dans d’autres pays européens pour sonder le marché et procéder à des échanges avec des spécialistes étrangers de ce domaine. Quelques années plus tard, il fondait sa propre agence et son centre de recherche et développement en Italie ; il  y a recruté un styliste de calibre international afin d’être bien branché sur les nouvelles tendances des chaussures dans le monde.

En l’espace de treize ans, Wang Zhentao a transformé une petite fabrique rurale en un groupe de fabrication de chaussures ayant un capital net de plus 300 millions de yuans, lequel se classe parmi les premières entreprises du secteur dans toute la Chine.

Faire le pont entre la marchandise et la culture

Chaîne de montage d’appareils électroniques.

Wang Zhentao n’est pas la seule personne qui se soit rendu compte de l’importance du prestige d’un produit. Parmi les 4 000 entreprises privées de Wenzhou, c’est la marque Hongqingting (libellule rouge) qui est la plus caractéristique.

En 1995, Qian Jinbo, qui s’était occupé de la vente pendant huit ans, est revenu dans son pays natal, le district de Yongjia de Wenzhou. Lorsqu’il a fondé sa société, il a d’abord pensé à introduire des idées culturelles. À cette époque-là, l’ambiance commerciale était très forte. Toutefois, passionné de culture, Qian Jinbo estimait que Wenzhou et l’industrie de la chaussure de Chine étaient un « désert culturel ». « Je trouve qu’il manque actuellement quelque chose à la si grande ville qu'est Wenzhou, quelque chose de semblable au  festival de la bière de Munich, au festival du cinéma de Cannes ou aux festivals du vêtement de Dalian et du cerf-volant de Weifang. D’ailleurs, ces deux derniers événements se passent sur la même côte que nous », a lancé Qian, avec beaucoup de regrets. Qian est né dans un petit village, au bord de la rivière Nanxi de la province du Zhejiang. Quand il était petit, une libellule rouge s’était posée sur le livre qu’il était en train de lire. Qian en avait été très ému : il s’était senti proche de cet insecte et en harmonie avec la nature.

Pour la ville de Wenzhou, capitale de la chaussure, Qian Jinbo se charge consciencieusement de la tâche importante d'y créer un environnement culturel et d'en renforcer la capacité concurrentielle sur le marché international. La conception de son entreprise consiste à rapprocher la culture de la marchandise et l’entreprise de la société. 

En 1999, Qian a commencé à étudier l’histoire de la chaussure. Il a alors fondé le premier centre de recherche sur la culture de la chaussure et le premier musée de la culture de la chaussure ; il a aussi publié le premier dictionnaire en Chine sur les chaussures. Après sept années d’efforts, l’entreprise Hongqingting s’est beaucoup développée: elle se place au premier rang du pays parmi les entreprises du secteur. Son chiffre d’affaires annuel atteint 830 millions de yuans. Qian Jinbo a été élu « première personne de la culture de la chaussure de Chine ». Grâce à sa contribution à la culture, cette entreprise a créé une légende dans l’histoire de la fabrication des chaussures en Chine.

D’une entreprise familiale à une famille d’entreprises

Un atelier du groupe Hongqingting, connu pour ses chaussures.

Presque toutes les entreprises de Wenzhou sont issues d'une famille. Cependant, avec leur développement et depuis l’entrée de la Chine à l’OMC, de plus en plus d'entreprises de cette ville, autrefois de type familial, se sont transformées en entreprises modernes.

Parmi ces dernières, le groupe Zhengtai peut être considéré comme l'une des plus brillantes. Nan Cunhui, président du conseil d’administration de ce groupe, a dit : « Après avoir accumulé et assuré la plus-value des capitaux, nous avons pris conscience qu’il faudrait absolument que l’entreprise sorte du cocon familial et qu’elle soit plus ouverte à la société, afin de réaliser un grand bond en avant, et ce en se transformant de la gestion de la production jusqu'à l’exploitation des capitaux.

Le groupe Zhengtai, fondé en 1984 avec les 50 000 yuans que Nan Cunhui et son ami avait réunis, est aujourd’hui une grande SARL par actions. Le groupe compte actuellement 106 actionnaires, dont la majorité ne sont plus des membres de la famille. C’est d'ailleurs le cas du plus gros actionnaire qui détient des actions pour des centaines de millions de yuans. Quoique la structure des actions soit encore teintée d’une couleur familiale, le groupe applique une gestion selon les critères d’une SARL. Nan Cunhui souhaite que son entreprise soit une entreprise aux intérêts de tout le monde.

« Les entreprises ne peuvent pas se détacher des succursales familiales, a dit Nan. Sans ces dernières entreprises, il n’y aurait pas d’industries à Wenzhou. Mais le développement affronte toujours des défis. Il faut savoir se surpasser pour que l’entreprise ait un bel avenir. »

Les habitants de Wenzhou restent modestes lorsque les gens découvrent des produits typiques de Wenzhou et en font l'éloge ; ceux-ci appartiennent à divers secteurs, dont la production de chaussures, l’industrie du cuir, la confection, les appareils électriques à basse tension, les pièces détachées de voiture et de motocyclette, les articles en plastique, les lunettes, les stylos, les briquets, les serrures, etc. Les habitants de la ville considèrent que ces exploits sont dus à leur diligence et que le gouvernement fait bien son travail dans tout cela.

Le rôle du gouvernement

Au cours de la Foire internationale de l’industrie légère, qui a eu lieu à Wenzhou en octobre 2002, le magasin de vêtement Baoxiniao a été ouvert au centre-ville, et Qian Xingzhong,  le maire de cette ville,  avait été invité pour l’inauguration. Ce n’est pas une chose très difficile d’inviter un officiel important à participer à la cérémonie d’ouverture, mais il faut payer l’invitation et l’invité ne peut pas mettre un sou dans sa poche. Le gouvernement municipal de Wenzhou a bien voulu profiter de cette occasion pour soutenir l’entreprise, et cette somme d’argent a été spécialement utilisée dans les services d’assistance publique. On dit que chaque année, des millions de yuans proviennent de ce domaine.

D’après le maire, le gouvernement municipal ressemble à un organisme de service dont le travail est de soutenir le développement des entreprises privées. Ce que le gouvernement doit faire, c’est de créer un environnement social stable pour que ces entreprises se développent par elles-mêmes. Lorsque le développement de l’entreprise a atteint un certain niveau, le gouvernement municipal lui conseille de changer sa structure industrielle et lui fournit des informations sur le marché, le développement économique de différents pays et régions, ainsi que des connaissances sur l’OMC. Aujourd’hui, aux yeux des entrepreneurs de Wenzhou, le gouvernement municipal est un fournisseur d'informations, un agent de liaison, mais pas un parent ou un gérant.

C’est une autre richesse du développement de l’économie de Wenzhou.