MARS  2003

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

 

 

Les gens ordinaires ont-ils une histoire ?

LISA CARDUCCI

Cette première entrevue de ma nouvelle chronique nous montrera que toute personne présente un intérêt. Il s'agit de savoir le découvrir, comme j'ai tenté de le faire en la personne de Yang Wentao avec qui j'ai souvent l'occasion de discuter puisqu'il est notre chauffeur. Depuis trois ans, il fait la navette quatre fois par jour entre les locaux de Beijing Information et l'hôtel de l'Amitié où résident la plupart des experts étrangers qui travaillent pour les médias.

Wang Yantao a 38 ans.

Depuis combien d’années conduisez-vous une voiture?

Quatorze ans. Ce n’est pas peu, pour la Chine, mais je ne suis pas un doyen non plus.

Auparavant, quelle était votre fonction?

Je faisais la distribution de Beijing Review. À ce moment-là, la revue était imprimée dans plusieurs langues. Depuis 2001, comme il ne reste sur papier que l’édition anglaise, il y a moins de travail. Alors on m’a proposé cette nouvelle fonction.

Elle vous plaît?

Oui. Certains de mes amis trouvaient humiliant d’être « au service » d’autres personnes. Pas moi.

Qu’est-ce qui vous ennuie le plus dans votre travail? Si vous deviez changer d’emploi, qu’aimeriez-vous faire? Autrement dit, qu’est-ce qui est le plus important pour vous dans le travail?

Le plus important, c’est d’aimer son travail. Et j’aime le mien; c’est pourquoi je n’y trouve rien d’ennuyant. Si je devais changer, à supposer que j’aie tous les choix, je serais peut-être photographe.

Trouvez-vous des avantages à votre nouveau poste? Votre salaire, par exemple, est-il plus élevé qu’auparavant?

J’aime bien véhiculer des étrangers parce que j’ai ainsi l’occasion d’apprendre plein de choses : sur le caractère, les habitudes, la façon d’être de gens de divers pays et sur les pays mêmes. Si mes passagers étaient des Chinois, il n’y aurait rien de nouveau. Quant à mon salaire, il est un peu plus bas qu’auparavant, mais ça ne fait rien. Parce que j’aime bien mon travail.

Puis-je vous demander combien vous gagnez?

Chaque mois, je touche 850 yuans (un peu plus de 100 USD). Mais vous le savez, en Chine, le salaire en liquide est une chose, le revenu total une autre. Un travailleur reçoit divers genres d’aide matérielle sans qu’il s’agisse d’argent. Par exemple, si on achète une maison…

Des petits bonheurs simples.

Votre appartement, vous l’avez acheté?

Oui, et celui de mes parents aussi. Maintenant, ils sont retraités. Nous habitons le même bâtiment, eux au deuxième étage, ma femme, mon fils et moi au onzième.

Vous disposez de combien de mètres carrés?

Chaque appartement, 42 environ. Une chambre, un salon, et les services. Mais la cuisine, chez moi, ne sert presque jamais.

Vous mangez au restaurant?

Mais non! Je fais la cuisine chez mes parents. C’est comme une grande famille. Nous montons chez nous pour dormir, peut-on dire. Alors je donne 700 yuans par mois à mes parents; je ne veux pas qu’ils aient à toucher à leur propre argent.

Vous aimez faire la cuisine ou vous êtes obligé?

J’aime bien, depuis toujours. D’abord parce que je peux satisfaire mes propres goûts; je n’aime pas toujours la cuisine que préparent les autres.

Vous considérez-vous un bon cuisinier?

Cuisinier… c’est un grand mot. Mais, c’est bon. Les autres aiment manger ce que je prépare. Et puis, j’ai toujours fait la cuisine même avant de me marier, donc j’ai acquis une certaine technique. Parfois, il est difficile de préparer un repas qui plaise à cinq personnes de goûts et d’âges différents. Mes parents, qui ont 71 et 69 ans, aiment les mets à bâse de pâte, les soupes, les zhou (bouillie, potage, purée), les légumes. Mon fils, lui, c’est un mangeur de viande.

Vous recevez souvent des amis à dîner?

Non. Mais à la fête du Printemps l’an dernier, nous étions 24 à table. J’ai préparé 8 kg de viande, du poisson, du poulet. Nous avons fait des jiaozi en équipe; je préparais la pâte et quatre ou cinq personnes y mettaient la farce; c’était assez rapide. J’ai travaillé deux jours pour ce repas, et en une demi-heure, ils avaient tout dévoré. C’est… frustrant. Cette année, nous avons dîné au restaurant.

Votre femme ne cuisine pas?

Non. Elle ne sait pas cuisiner. Sa part, c’est le ménage et le lavage. Elle aime ce qui a rapport à l’eau. Mes parents me passent un coup de fil dans la journée, je leur dis quels légumes apprêter, et nous nous entendons pour acheter ce qui manque sans doubler les courses.

Que fait votre épouse?

Elle est éducatrice dans un jardin d’enfants. Temporairement, elle s’occupe de la gestion des besoins du personnel de son unité, mais elle va bientôt reprendre son poste. Avec le développement de la Chine, ses qualifications n’étaient plus suffisantes et elle a décidé de retourner aux études à temps partiel, le soir. Elle a obtenu un diplôme d’institut collégial. Une fois terminé ce cours de trois ans, elle en a commencé un autre, en informatique. Tout en travaillant, ce n’est pas facile.

Bien des Chinois sont en faveur du planning familial qui restreint les naissances à un enfant par couple, pour la raison que les frais d’éducation sont élevés. Pouvez-vous me donner un aperçu de ce que coûte votre fils?

Oh! Je n’ai jamais calculé. Quand il faut de l’argent, sa mère paie ou elle me dit combien et je paie. Je n’ai pas idée des dépenses annuelles.

Il a 8 ans. Que voudrait-il faire plus tard?

Je le lui demande parfois, mais il répond : « On verra dans ce temps-là. » Il est assez bon élève; il aime surtout les sciences…  Peut-être sera-t-il un acteur?

Qu’est-ce qui vous fait penser cela?

Il suit des cours depuis l’âge de deux ans et demi, et je pense qu’il a du talent. Le dimanche matin. Et l’après-midi, des cours de dessin.

Faites-vous des projets vous-même pour lui?

Non. C’est sa vie. Il fera ce qu’il voudra. D’ailleurs, la Chine change tellement vite qu’il est utopique de faire des plans aujourd’hui que la situation nous obligera à changer demain

Vous rentrez du travail vers 17 h 30. D’abord, le repas. Et ensuite?

Le quotidien : la vaisselle, les vêtements… Ma femme et moi collaborons bien. Celui qui voit que l’autre est fatigué ou a besoin d’aide n’attend pas qu’on le lui demande. Après le dîner, je veille aux devoirs de mon fils. Ensuite, je regarde un peu la télé, et surtout j’aime bien naviguer dans Internet. Pour les nouvelles d’abord, puis pour jouer aux cartes, ou faire du chatting. Il y a une femme du Henan avec qui je suis devenu ami de cette façon. Maintenant, nous ne nous écrivons plus.

Vous vous êtes brouillés ou vous manquez de temps?

Ce n’est pas ainsi. On dirait qu’un certain temps, on a beaucoup à dire, puis tout à coup, on a tout dit, alors on se tait. Mais nous nous téléphonons environ une fois par semaine. L’amitié est restée.

Que pensez-vous des mariages par Internet?

Je n’y crois pas. Quand on écrit, on n’est pas vraiment soi-même. On joue un rôle. Le mariage, c’est autre chose.

Vous êtes fils unique?

Non. J’ai une sœur et un frère aîné et une sœur cadette.

Y a-t-il entre vous des malentendus parce que vos parents habitent avec vous et non avec eux?

Les devoirs, une tâche quotidienne.

En Chine, on dit que l’on ignore ceux qui sont près et qu’on pense à ceux qui sont loin. J’ai de très bonnes relations avec mes frère et sœurs, et eux ont confiance en moi. C’est ce qui importe. Ils savent que si nos parents ont besoin de quelque chose, je vais m’en occuper. Par exemple, il a fait froid tout le mois d’octobre l’automne dernier, et le chauffage ne commence normalement qu’en novembre. Alors je leur ai acheté une chaufferette électrique. Les vieux, ils s’inquiètent toujours pour l’argent. Ils ne voulaient pas s’en servir pour ne pas dépenser. Mais je leur ai parlé, je les ai convaincus en disant : « Tous vos enfants sont bien établis, et ma femme et moi continuerons de prendre soin de vous. Pour qui vous faut-il épargner? Maintenant, ils sont bien contents d’utiliser la chaufferette.

Vous m’avez parlé il y a quelque temps de votre intention d’apprendre l’anglais. Qu’en est-il advenu?

Je n’ai pas trouvé de partenaire. Seul, on n’a jamais l’occasion de s’exercer après les cours. C’est trop difficile. Ce n’est que partie remise.

Qu’est-ce qui vous tient le plus à cœur et que vous n’avez pas encore réalisé?

Peut-être… avoir une plus grande maison. Pour que mon fils ait son propre espace. Il faut qu’il soit indépendant, et la présence d’un enfant nuit aussi à la vie d’un couple.

Y a-t-il quelque chose qui vous fait craindre l’avenir?

Mon avenir personnel? Non. Mais ce que je crains le plus pour le pays, c’est que la Chine soit un jour impliquée dans une guerre. Ça, oui, je le crains vraiment. Et je crains aussi les calamités naturelles contre lesquelles l’homme n’a pas de défense, un tremblement de terre... Quand j’écoute les nouvelles, je me dis que les États-Unis sont « la police du monde » et c’est bien ennuyeux; mais aussi, parfois, je pense que s’ils n’étaient pas là, ce serait aussi bien ennuyeux. La paix, je souhaite seulement la paix dans le monde.