MARS  2003

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

 

Notre-Dame de Paris peut-elle charmer le Grand Palais

du peuple?

LOUISE CADIEUX

L’arrivée à Beijing de l’adaptation musicale de ce classique de Victor Hugo avait été annoncée à grand renfort de publicité. Une première : un spectacle musical entièrement en français en Chine! Le seul arrêt en Asie! Plus de cent tonnes d’accessoires et de costumes transportés directement de France! À l’évidence, les francophones et les francophiles de Beijing se faisaient déjà une fête d’y assister.

Mais alors que ces derniers connaissent Hugo pour avoir étudié ses œuvres et qu’ils peuvent bien souvent fredonner des musiques de Richard Cocciante et des paroles de Luc Plamondon, les principaux maîtres d’œuvre du spectacle avec Gilles Maheu, le metteur en scène, le public chinois, lui, pouvait-il tomber sous le charme de ce spectacle musical qui semble si loin de leur culture? Bien sûr, on savait que Notre-Dame de Paris avait déjà soulevé l’enthousiasme de quelque quatre millions de spectateurs depuis sa création... mais si les barrières culturelles et linguistiques étaient plus fortes que tout? Foi de spectatrice, c’était bien méconnaître le pouvoir de la musique, quand les mots nous échappent.

À grand événement, grande salle!

Disons tout de suite pour ceux qui ne sont jamais venus en Chine, que le Grand Palais du peuple, à deux pas de la place Tian’an men, c’est d’abord et avant tout le lieu des délibérations de l’Assemblée populaire nationale, l’endroit où se tiennent aussi les rencontres du gouvernement avec ses hôtes distingués. À l’occasion aussi, on y tient des concerts ou des rassemblements importants. Avec son bâtiment imposant, ses salles immenses, ses marbres, l’endroit ne manque pas de solennité. Pour y entrer, on doit montrer patte blanche, et le soir de cette première, on ne faisait pas exception à la règle, puisque tous les sacs à main ou sacs devaient être laissés à une consigne située à l’extérieur du bâtiment.

Dans la grande salle où allait se tenir le spectacle, la composition de la foule des spectateurs, qui remplissaient le rez-de chaussée et un balcon, était relativement disparate : beaucoup de jeunes, quelques familles, très peu de personnes âgées et une proportion relativement importante d’étrangers, francophones ou non. On sentait toutefois que tous avaient hâte de voir enfin ce spectacle que les critiques avaient qualifié d’apogée d’une longue série de versions de la même histoire− quatre spectacles musicaux, trois opéras, deux ballets et sept films, dont le film d’animation de Disney l’avaient en effet précédé. Dix minutes après l’heure prévue pour le début du spectacle, la salle faisait entendre son impatience.

Et le rideau s’est levé sur une vraie fête pour les sens : acteurs-chanteurs, danseurs et acrobates ont évolué pendant quelques deux heures dans un véritable feu roulant de numéros, appuyés par une mise en scène ingénieuse et des décors ultra-modernes.  À Beijing, la distribution comprenait  Shirel en Esmeralda, la gitane sensuelle,  Jérôme Collet en Quasimodo, Cyril Niccolai en Gringoire qui marquera de son talent l’air célèbre de L’ère des cathédrales, Richard Charest en un fringant Phœbus, Michel Pascal en sinistre Frollo et Boddy Julienne en Clopin.

Contrairement à beaucoup de spectacles de ce genre avec musique sur scène, là, les acteurs chantaient en play-back et concentraient toute leur énergie à nous faire ressentir l’émotion de l’intrigue. De plus, au lieu d’utiliser des microphones, ils utilisaient des micro-casques, une touche moderne qu’on ne voit habituellement que dans les concerts pop. Peut-être était-ce pour mieux faire intégrer aux plus conservateurs, la contradiction entre les costumes et les airs à la touche moderne et cette histoire du XIXe siècle... 

À l’entracte, les commentaires fusent

À regarder les physionomies, il y avait des spectateurs tombés sous le charme et des sceptiques... pas encore convaincus. Quelques interviews nous ont permis de sonder le pouls de la salle. À ma grande surprise, ce n’était pas des Chinois qui se montraient les plus déboussolés devant le traitement avant-gardiste d’un intouchable de la littérature! Ainsi, un spectateur d’origine égyptienne trouvait la mise en scène vraiment trop moderne, tout en appréciant ces airs accrocheurs; une spectatrice anglaise commenta, pour sa part, que le spectacle manquait du grandiose des spectacles musicaux, et qu’à la longue, ces airs, tous écrits par un seul compositeur, en venaient à trop se ressembler. Un francophone de souche avait surtout apprécié, quant à lui, l’aspect humain qu’on avait très bien fait ressortir, et surtout, la pertinence des thèmes développés par rapport à la situation sociale actuelle : les sans-papier, les sans-abri, l’intolérance religieuse, sans parler de l’éternel triangle amoureux.

Chez les Chinois, toujours avides de découvrir, on était visiblement venu d’abord pour voir ce qui se faisait ailleurs. On connaissait peu Hugo ou l’œuvre.  Il y avait aussi ceux qui avaient vaguement entendu parler de Victor Hugo, étudié ses œuvres traduites en chinois et avaient voulu absolument voir le spectacle. Ainsi, cette petite famille, dont la jeune adolescente disait aimer beaucoup Hugo, et dont le père nous révéla avoir défrayé lui-même le coût des billets, une somme relativement élevée pour un budget chinois, tout simplement parce qu’il croyait cela important pour la culture de sa fille.

Un amateur de littérature de Shanghai était venu exprès à Beijing pour assister au spectacle, plutôt que d’attendre sa venue à Shanghai. « C’est vraiment formidable de pouvoir revivre le nomadisme des bohémiens du Moyen-âge, traduit artistiquement et d’une façon très moderne», déclara-t-il. « C’est la première fois que je saisis le charme des chansons françaises », a commenté une étudiante de l’Université des langues de Beijing.

Deux jeunes hommes dans la vingtaine, qui avaient reçu les billets en cadeau, se sont dits franchement indifférents, alors qu’un jeune couple, aussi dans la vingtaine, avait aimé beaucoup. C’était sans contredit un spectacle qu’ils auraient recommandé à leurs meilleurs amis. Par contre, alors que le spectacle ravissait madame Pan, une employée d’âge moyen du ministère des Affaires étrangères, son père qui l’accompagnait, âgé de 73 ans, ne s’y retrouvait plus.

Le défi a-t-il été relevé?

Au fur et à mesure du déroulement du spectacle, la salle est entrée dans le jeu et l’a superbement exprimé à la fin, alors que de nombreux spectateurs se sont levés et ont entonné, avec les acteurs, L’air des cathédrales, comme si la mélodie leur avait toujours été connue. Le pari était gagné.

Dans les jours suivants, les médias ont, dans l’ensemble, souligné l’atmosphère mode et artistique de cette ancienne histoire. On a qualifié l’ambiance de mystérieuse et propice à présenter un Victor Hugo très vivant. Un célèbre critique n’a point caché son engouement pour la pièce en disant que Notre-Dame de Paris était un grand succès parmi les nombreuses comédies musicales classiques et modernes, d’autant que la complexité de l’intrigue du roman et le nombre excessif des personnages avaient été parfaitement simplifiés dans le spectacle.  Des experts de la scène ont indiqué que, pour un habitant d’une ville appelée à devenir métropole internationale, la connaissance de quelques chansons en anglais et de spectacles musicaux des États-Unis ne suffisait plus. Le succès de Notre-Dame de Paris en version française montre que les Chinois sont de plus en plus enclins à accepter une culture diversifiée. Un dernier commentaire traduit bien l’opinion générale. « Le roman de ce grand écrivain, remanié au son d’une musique rock aux rythmes très marqués, nous a ensorcelé.»

Et quand, comme moi, on vit à Beijing depuis plus de huit ans, retrouver le charme des chansons françaises dans un milieu chinois qu’on aime, n’est-ce pas combiner le meilleur des deux mondes?