La vie privée en Chine
Durant une longue période, le mot « vie
privée (en chinois Yinsi) » en Chine avait la consonance
de secret honteux ou de rapports sexuels, et presque tous les
Chinois le passaient sous silence. Dans le Dictionnaire du
chinois moderne (édition en 1983), l'un des ouvrages de référence
faisant autorité dans le pays, ce caractère signifie la mauvaise
chose dont on ne veut pas parler. « Autrefois, on prêtait peu
d'attention en Chine à la protection de la vie privée, car on
n'avait presque pas de secrets personnels suivant les traditions
chinoises », a dit Yu Hai, professeur de sociologie à l'université
Fudan de Shanghai. « Pendant plusieurs millénaires, les Chinois
vivaient dans le cadre de la grande famille (généralement de trois
générations ou au-dessus) », a-t-il expliqué, « le rapport familial
n'existait qu'entre les aînés et descendants, sans donner aucune
importance à l'individu. On encourageait les membres de la famille
à vivre intimement et en bons termes. Dans ce cas-là, comment
aurait-on pu parler de vie privée ? »
Si quelqu'un demandait à s'isoler, il était considéré comme
étant déloyal et contraire aux bienséances de la famille.
Dans les premières décennies suivant la Libération du pays,
les gens étaient appelés à se donner corps et âme au Parti et
à lui confier tout ce qu'ils pensaient. La critique et la divulgation
des secrets d'autrui, qui étaient alors encouragées, constituaient
l'intrusion dans la vie privée des gens simples. « Cette intrusion
a soulevé en retour la curiosité et l'ardeur à découvrir la vie
privée des autres », a indiqué l'écrivain Meng Haojun. En 1998
est paru un best-seller qui a exposé pour la première fois en
Chine ce sujet tabou pendant tant d'années.
Ce livre donne la preuve que la vie privée n'est pas l'apanage
des célébrités. Les gens simples ont réalisé qu'ils ont aussi
leur propre vie privée.
« Après de longues années de silence sur la vie privée, des
gens vont à l'autre extrême, soit à l'excès en cette matière »,
a indiqué Yu. Il croit que les Chinois manquent d'espace individuel
et de personnalité à cause d'idées traditionnelles. Certains Chinois
n'ont pas encore compris la ligne de démarcation entre le privé
et le public. Ils étendent leur espace de vie jusqu'au passage
public ou parlent à haute voix à minuit. Le mot Yinsi a
été employé souvent à tort ou à raison. Tout peut être appelé
« vie privée » lorsqu'on porte plainte et demande un dédommagement.
Beaucoup de gens qui ont ce mot plein la bouche ne respectent
pas pour autant la vie privée des autres. « Le problème n'est
pas de réclamer à grands cris la protection de la vie privée,
mais il faut d'abord apprendre à respecter l'espace des autres
», a fait remarquer Yu.
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