FÉVRIER  2003

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

 

La vie privée en Chine

 

Durant une longue période, le mot « vie privée (en chinois Yinsi) » en Chine avait la consonance de secret honteux ou de rapports sexuels, et presque tous les Chinois le passaient sous silence. Dans le Dictionnaire du chinois moderne (édition en 1983), l'un des ouvrages de référence faisant autorité dans le pays, ce caractère signifie la mauvaise chose dont on ne veut pas parler. « Autrefois, on prêtait peu d'attention en Chine à la protection de la vie privée, car on n'avait presque pas de secrets personnels suivant les traditions chinoises », a dit Yu Hai, professeur de sociologie à l'université Fudan de Shanghai. « Pendant plusieurs millénaires, les Chinois vivaient dans le cadre de la grande famille (généralement de trois générations ou au-dessus) », a-t-il expliqué, « le rapport familial n'existait qu'entre les aînés et descendants, sans donner aucune importance à l'individu. On encourageait les membres de la famille à vivre intimement et en bons termes. Dans ce cas-là, comment aurait-on pu parler de vie privée ? »
Si quelqu'un demandait à s'isoler, il était considéré comme étant déloyal et contraire aux bienséances de la famille.
Dans les premières décennies suivant la Libération du pays, les gens étaient appelés à se donner corps et âme au Parti et à lui confier tout ce qu'ils pensaient. La critique et la divulgation des secrets d'autrui, qui étaient alors encouragées, constituaient l'intrusion dans la vie privée des gens simples. « Cette intrusion a soulevé en retour la curiosité et l'ardeur à découvrir la vie privée des autres », a indiqué l'écrivain Meng Haojun. En 1998 est paru un best-seller qui a exposé pour la première fois en Chine ce sujet tabou pendant tant d'années.
Ce livre donne la preuve que la vie privée n'est pas l'apanage des célébrités. Les gens simples ont réalisé qu'ils ont aussi leur propre vie privée.
« Après de longues années de silence sur la vie privée, des gens vont à l'autre extrême, soit à l'excès en cette matière », a indiqué Yu. Il croit que les Chinois manquent d'espace individuel et de personnalité à cause d'idées traditionnelles. Certains Chinois n'ont pas encore compris la ligne de démarcation entre le privé et le public. Ils étendent leur espace de vie jusqu'au passage public ou parlent à haute voix à minuit. Le mot Yinsi a été employé souvent à tort ou à raison. Tout peut être appelé « vie privée » lorsqu'on porte plainte et demande un dédommagement. Beaucoup de gens qui ont ce mot plein la bouche ne respectent pas pour autant la vie privée des autres. « Le problème n'est pas de réclamer à grands cris la protection de la vie privée, mais il faut d'abord apprendre à respecter l'espace des autres », a fait remarquer Yu.