Zhu
Feiyue, un vrai de vrai
LOUISE
CADIEUX
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La calligraphie,
un art qui combine technique et émotion. |
En
Chine, on dit que parmi dix peintres, un seul peut aussi maîtriser
la calligraphie, et que parmi dix calligraphes, un seul peut espérer
se dire graveur. C’est justement un artiste faisant partie de
ce noyau d’élus, à la fois peintre, calligraphe et graveur, qui
nous livre ses impressions sur sa vie, son œuvre et la peinture
chinoise.
« Chercher la vérité dans les
faits », a dit un jour Deng Xiaoping pour orienter le travail
de ceux qu’il voulait conduire vers une vie meilleure. Tout observateur
de la nature chinoise ne peut manquer d’y voir la trace du pragmatisme
qui caractérise si bien les Chinois.
À cette caractéristique, Zhu
Feiyue n’échappe pas non plus, car elle empreint tout son cheminement
et son œuvre. C’est un homme qui veut rester collé à la nature
et aux humains, pour mieux transmettre les impressions et les
émotions qu’il en tire. Après plus de trente ans de carrière,
au moment où cet artiste sent le besoin de faire un bilan pour
créer davantage et mieux, ce sont aussi deux mots bien concrets
qui l’inspirent au quotidien : « Retour authentique ». «
Bien sûr, je donne aussi au mot retour le sens d’orientation,
mais cette orientation authentique ne s’applique pas qu’à moi,
elle est universelle. En effet, tout le monde espère présenter
sa réalité, ses idées, ses relations concrètes, dit-il, et ce
n’est qu’à la condition de chercher l’authenticité qu’on peut
avoir du succès. » Ainsi, Zhu Feiyue apparaît bien loin du type
de l’artiste marginal que l’on imagine souvent. Son studio est
situé dans un hutong,
au milieu des gens, ces gens qu’il aime et veut connaître. Il
s’entoure aussi d’amis, issus de différents milieux, mais, contrairement
à bon nombre de personnes d’aujourd’hui, il est prêt à sacrifier
quantité de choses pour rester fidèle à cette authenticité de
la réalité qu’il chérit plus que tout.
Au gré
de la vie
Quand on a toujours aimé l’art
et qu’on peint « pour vrai » depuis l’âge de 15 ans, il va sans
dire que la vie d’artiste n’a pas connu que des jours heureux.
Zhu avoue franchement les difficultés du métier, mais aussi que
c’est sa détermination à prospérer qui l’a maintenu dans ce métier.
Il ne cache pas non plus qu’il a dû s’adonner aux affaires pendant
plusieurs années pour joindre les deux bouts. Et pendant cette période, ce sont ses amis
qui l’ont soutenu, sans oublier une théorie qu’il avait fait sienne : si la peinture et la calligraphie sont un art,
être en affaires, c’est aussi l’art d’entrer en contact avec les
personnes.
En fait, c’est l’un de ses maîtres,
Zhang Shiyan, professeur de l’Institut
central des Beaux-Arts
qui l’a incité à quitter le monde des affaires et à revenir
à temps plein à la peinture. Il a suivi ce conseil, car pour Zhu,
un maître signifie bien davantage qu’un
« transmetteur » d’enseignement technique; à ses yeux,
il est un maître de vie. Auprès de Zhang, de Zhang Zhiyun, de
Zhao Guodong et de Zhao Wen, trois autres maîtres des premières
heures, il a appris non seulement les rudiments de la calligraphie et de la peinture, mais aussi
la culture chinoise et les poèmes anciens. De ces maîtres, il
garde aussi en mémoire une phrase bien précise : « Si tu
prends la voie de la calligraphie et de la peinture, tu devras
toujours perfectionner ton niveau de peinture et de culture, sinon
tu n’avanceras pas. » Et pour Zhu, se perfectionner veut dire
à la fois approfondir la connaissance des caractères chinois
et aller le plus près possible de la réalité, pour bien
la sentir.
C’est ainsi qu’un beau jour,
il est parti pendant trois mois aux monts Taihang, avec pratiquement
pour seul bagage son crayon et quatre paires de chaussures en
toile, comme il aime à le dire, pour voir de plus près la réalité
des monts, des eaux et de la nature qu’il aime peindre. « Une
oeuvre, il faut la faire dans la nature, dit-il, sinon elle est
morte. Une belle œuvre ne peut pas sortir strictement d’un studio. Un peintre doit enrichir ses connaissances
et fouiller tous les aspects de la réalité; pour présenter cette
réalité, j’ai marché des heures durant et j’ai logé chez l’habitant.
En me préparant un repas, ces gens, qui ne connaissent rien à
la peinture, ont témoigné d’un profond respect pour ceux qui s’y
engagent et j’y ai vécu des moments précieux. À une autre occasion,
aux chutes Hukou, sur le fleuve Jaune, j’ai senti que l’eau venait
du ciel. Cette ambiance, ce n’est que la nature qui pouvait me
l’offrir. »
« Danser
et chanter avec son pinceau »
Aux yeux de certains Occidentaux
pour qui la peinture est souvent associée au fort contraste de
couleurs vives et à des tableaux à la symbolique puissante, la
peinture chinoise peut sembler très collée à la réalité. Cependant,
s’arrêter à cette impression serait faire preuve d’injustice pour
cette peinture qui manifeste aussi l’individualité du créateur.
En fait, c’est que les points de départ de la perception de la
réalité diffèrent dans l’art occidental et dans l’art chinois.
Dans la peinture occidentale, on utilise d’abord un fond de couleur
pour ensuite faire apparaître l’image réelle selon les règles
de la perspective.
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La
peinture de pivoines offerte à La Chine au présent. |
En peinture chinoise, c’est
le fond blanc qui est la base réelle où hommes et espace se confondent
et s’unissent dans un mouvement gracieux, grâce au pinceau et
à l’encre qui sont les outils au service de cet art subtil.
Cependant, Zhu Feiyue aime bien
réconcilier art chinois et art occidental. Pour lui, l’essentiel,
c’est que les deux veulent exprimer, présenter. Et c’est en prenant
l’exemple de la peinture de pivoines, fleur emblématique de la
Chine, que Zhu nous fait comprendre sa conception sur l’art chinois.
« La peinture traditionnelle
chinoise est basée sur l’eau et l’encre, et
le défi qu’elle pose d’abord
est d’unifier l’eau et l’encre, dit-il. Pour un peintre moderne,
l’approche de la peinture traditionnelle est d’abord un travail
minutieux de connaissance de la technique. Il faut ensuite accumuler
en soi tous les aspects de l’objet à peindre. Par exemple, dans
le cas de la pivoine, on veut d’abord la regarder parce qu’elle
est belle, mais il faut aussi savoir bien la rendre sur papier.
Il faut donc admirer méticuleusement la structure des branches,
des feuilles, des fleurs et organiser la composition. Si on n’a
pas bien admiré notre objet et intégré sa structure, le tableau
ne sera pas bien composé. Mais il faut sortir de ce niveau technique,
aller au-delà, enrichir les connaissances dans tous les domaines.
Ainsi, l’œuvre accomplie pourra représenter à la fois la beauté
de la fleur, la beauté de la composition et la beauté de la pensée
du peintre. Par exemple, selon le type de pivoine que je vais
peindre, la fleur symbolisera la prospérité, l’espoir, la richesse
du pays, ou bien le bonheur familial, des célébrations plus intimes.
Et celui qui regarde la peinture de pivoine pourra éprouver exactement
ce que j’ai voulu exprimer. »
Selon Zhu, c’est l’expression
du caractère de l’artiste, de sa technique qui compte. Tout en
s’inspirant très directement de la réalité, on doit s’éloigner
de la copie. Par exemple, pour la calligraphie d’un caractère,
il faut d’abord très bien le connaître, mais il faut aussi que
le mouvement du pinceau et le résultat final transmettent bien
l’émotion. Une simple reproduction ferait de l’artiste rien d’autre
qu’un ouvrier. En somme,
le réalisme de la peinture chinoise, c’est aussi
l’évocation de l’essence même de la réalité.
Un libre
penseur qui voit loin
Zhu Feiyue voue beaucoup de
respect à ses maîtres, mais il a aussi l’audace et l’originalité
des vrais artistes pour qui le dépassement est le seul moteur.
Selon ses dires : « Au début, je regardais les peintures
des maîtres et je les trouvais fort belles. Je voulais en faire
autant et même les dépasser, sans toutefois avoir l’idée de devenir
un maître. Je voulais seulement faire de la peinture et de la
calligraphie. Mais une œuvre n’est jamais une réussite parfaite,
parce que chaque œuvre possède sa conception propre, chaque artiste
a ses forces et ses faiblesses. Un artiste ne doit jamais penser
les mots « le plus » s’il veut réellement avancer. Sous cet angle,
les œuvres des grands maîtres sont éternelles, mais on ne peut
pas dire qu’elles soient parfaites. Je les admire pour l’étude
de l’art, mais chacun a son point de vue.»
Venant de Zhu Feiyue, ces paroles
n’ont rien de frondeur ou de désobligeant. Elles sont tout simplement
l’expression de quelqu’un qui remet son oeuvre sans cesse sur
le métier. Pour ce faire, son papier et ses pinceaux sont prêts
24 h sur 24, et si l’inspiration du moment vient à manquer pour
achever une oeuvre, il préfère la laisser de côté.
Aujourd’hui, ce libre penseur
a un disciple qu’il aiguillonne dans cette voie de l’amélioration
continue. Probablement que ce dernier a reconnu en Zhu Feiyue,
non pas seulement un maître, au sens propre, mais un vrai de vrai,
un artiste authentique dans tout son être.
Et comme les plus grands, sans
cesse, Zhu explore, met au point et raffine ses techniques artistiques.
Gageons que très bientôt, il acceptera de partager avec nous certaines
de celles-ci. C’est un rendez-vous que nous prenons avec lui!