À
travers murs et muraille, un autre monde à l'Ouest
DANIEL COGEZ
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Les
murailles de la cité de Gaocheng. |
Champ d'éoliennes près d'Urumqi. |
Je veux bien entendu parler de l'Ouest de la Chine et du Xinjiang…
Impressions d'un voyageur, ce reportage n’a pas l’ambition de décrire
avec précision une situation, mais seulement de restituer une atmosphère.
Bien sûr, beaucoup savent que la région est réputée notamment pour
ses productions de coton, de céréales, de raisins, de tomates et
pour ses produits d'élevage, qu’elle produit du gaz et du pétrole
et que les moyens de communication se sont considérablement développés,
mais c’est plutôt l'animation qui règne dans deux villes de cette
région, Urumqi et Turfan, que j’aimerais vous faire partager.
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Ce n'est pas une mosquée, mais le nouveau grand bazar d'Urumqi. |
Un problème m’intriguait dès mon départ, celui
du décalage horaire. Dans le Xinjiang la
vie quotidienne est réglée sur l'heure de Beijing. Or, par rapport
au soleil, il y a deux heures de différence : quand il est
19 h à Beijing, il faut compter 17 h dans le Xinjiang.
C'est pourquoi les habitants appliquent ce décalage horaire :
les services comme la poste, les banques ou les agences de voyage
ouvrent à 10h et les habitants vont au restaurant à 14 h ou
22 h au lieu de 12h et de 20h qui est l'heure de Beijing. Les
affiches de spectacle pour éviter toute confusion précisent : entrée
à 20h (heure de Beijing).Il faut donc tenir compte de ces différences
horaires quand on se rend dans cette région.
Pour comprendre mieux…
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Des
immeubles vétustes vont laisser place à de nouveaux bâtiments. |
Bien qu'isolée géographiquement par des montagnes
et de vastes déserts, cette région n'est jamais restée à l'écart
du monde. Des échanges se sont créés très tôt avec d'autres peuples
du continent eurasiatique. « Au début de la dynastie des Han
de l'Ouest (206 av. J.-C. 24 apr. J.-C), les contrées occidentales
étaient dominées par les Xiongnu ; en 138 av. J.-C., la dynastie
des Han décida d'envoyer Zhang Qian pour repousser les pillages
des Xiongnu dans les régions frontalières. En 121 av. J.C. l'armée
des Han infligea une lourde défaite aux Xiongnu dans le corridor
de Hexi. Quatre préfectures furent alors établies celles de Wuwei,
de Zhangye, de Jiuquan et de Dunhuang (...). En 60 av. J.-C. l'empereur
Xuandi des Han institua le poste de « général des contrées
occidentales ». En ce temps-là, un conflit avait éclaté au
sein du groupe dirigeant des Xiongnu. Xianshan, prince Rizhu des
Xiongnu,se rendit volontairement à la Cour des Han avec quelques
dizaines de milliers de cavaliers. Les Han de l'Ouest nommèrent
Zheng Ji, général des contrées
occidentales. L'établissement de ce poste marque le début de l'exercice
de la souveraineté sur les contrées occidentales par les Han de
l'Ouest et l'intégration du Xinjiang dans ce pays multiethnique
unifié qu'est la Chine.
« Étant un lieu de passage et le carrefour principal des échanges
économiques et culturels entre l'Orient et l'Occident, le Xinjiang
est depuis l'Antiquité une région où coexistent plusieurs religions.
Avant l'introduction de l'islam, le chamanisme basé sur les croyances
locales, le taoïsme originaire de Chine, le bouddhisme venu de l'Inde,
le zoroastrisme et le manichéisme venus de Perse avaient été pratiqués
au Xinjiang. C'est à la fin du IXe
siècle et au début du Xe que l'islam a été introduit dans le Xinjiang
via les routes de l'Asie centrale et surtout celle de la soie. À
partir du milieu du XIVe siècle, à la suite d'une diffusion forcée,
l'islam devint la religion principale des Mongols, Uygurs, Tatars,
Tadjiks et Kirgiz vivant dans le khanat de Qagatay, fondé dans les
contrées occidentales par le deuxième fils de Gengis Khan, Qagatay.
Au début du XVIe siècle, l'islam a
fini par supplanter le bouddhisme et par devenir la principale religion
pratiquée dans le Xinjiang ». Et de nos jours si différentes religions
coexistent dans cette région, l'islam reste toujours la religion
majoritaire.
Les contrastes de Turfan
Après avoir franchi le désert du Gobi et son paysage lunaire de
terres ocres, grises ou noires sans âme qui vive, l'on parvient
à Turfan dont le climat est étouffant. Bien que l'on soit en septembre
la chaleur est écrasante. Au pas de la mule et nanti d'un chapeau
de paille, on va visiter une cité surgie du néant et retournée au
néant, celle de Gaocheng, dont une partie de l'enceinte en terre
battue se dresse encore au milieu du désert. La cité qui florissait
il y a deux mille ans n'est plus qu'un monceau de ruines, mais celles-ci
sont suffisamment impressionnantes pour mériter une visite. À l'origine,
Gaocheng couvrait une superficie de trois hectares avec son palais,
ses temples et ses habitations ordinaires protégés par de hautes
murailles. Une seule matière a servi à la construction, l'argile
ce qui donne aujourd'hui à la ville un aspect uniforme; parfois
sur quelques murs subsistent des fragments de fresques qui permettent
d'imaginer un espace plus coloré et plus vivant que celui qui est
visible de nos jours.
Dans le célèbre roman « Le pèlerinage vers l'Ouest », un site des
environs de Turfan est mentionné, celui de la montagne ardente,
Huo yan shan. Rouge comme la braise, la terre flambe sous
les rayons du soleil; la température au sol atteint et parfois dépasse
les 70°. C'est pourquoi aucune plante n'a réussi à prendre racine
à cet endroit. Les hommes cependant grâce à leur ingéniosité ont
réussi à s'implanter. Quelques murs et des toits en terre séchée
suffisent à écarter les rayons trop brûlants du soleil. De l'eau
est
amenée par un système hydraulique ingénieux et la vie des hommes
s'organise.
Un hameau a été reconstitué décrivant le mode de vie des habitants
de la région : vêtements et tapis fabriqués sur des métiers
à tisser, nourriture, coutumes et traditions. Parmi ces dernières
la musique et la danse occupent une place privilégiée et tout au
long de notre voyage les accents d'une musique rythmée par les tambours
et les fifres reviendront comme un leitmotiv.
Après avoir contemplé la visite de la montagne ardente, à quelques
kilomètres de là, nous
allons pénétrer dans le monde de la fraîcheur avec la vallée du
raisin et le système d'irrigation typique de la région, les fameux
« karez » ou canaux souterrains. Dans toute la Chine, on
consomme les raisins séchés de Turfan. La vigne croît en abondance
dans une vallée irriguée et le raisin récolté est mis à sécher dans
des bâtiments plus ou moins vastes dont les parois sont à claire-voie.
La vigne produit à la fois des grappes délicieuses, mais sert aussi
à ombrager de petits jardins ou de vastes allées. S'étirant au
pied de la montagne noire, la vallée du raisin est comme un bienfait
de la
nature.Pour faire venir l'eau directement de la chaîne des Tianshan,
un réseau
d'irrigation souterrain a été creusé à main d'homme. Dans cette
région les pluies sont rares et l'évaporation intense sur une terre
chauffée à blanc. Les karez, canaux souterrains avec des
puits d'aération disposés régulièrement tous les 150 mètres, ont
permis de résoudre le problème. Le réseau dont la longueur totale
est de plus de 1000 km fournit 300.000 m3 d'eau à l'oasis
de Turfan.
Une frénésie de constructions
Deux cents kilomètres séparent Turfan de la capitale du Xinjiang.
En empruntant l'autoroute qui relie les deux villes, on apercevra
deux sources d'énergie indispensables à notre époque, le pétrole
exploité dans un champ pétrolifère et l'électricité produite par
des éoliennes. Les pompes qui puisent le pétrole ressemblent à de
gros insectes vert foncé tandis que les éoliennes blanches lancent
vers le ciel bleu leurs pales au sommet d'un
pylône blanc également. Aux alentours circulent comme au temps jadis
des
troupeaux de chameaux, de moutons et de chèvres.Quand on entre dans
Urumqi, on est tout de suite frappé par la frénésie de constructions
qui y règne. Une nouvelle gare, un nouveau musée et de nouveaux
bureaux et centres commerciaux sont en cours d'édification. Des
immeubles de plusieurs étages s'affalent dans un nuage de gravats
et de
poussière; aussitôt, les pelleteuses entrent en action avant que
ne se
dressent des bâtiments de béton et de verre.Le principal bazar d'Urumqi
porte le nom d'Er dao qiao. Bien que la façade ait
une vague couleur locale, intérieurement il ressemble à tous les
grands magasins de Chine. Juste en face, un nouveau grand bazar
vient d'être construit. Il a nécessité 450 milliards d'investissements
et couvre une surface de 4 hectares (60 mu) avec une esplanade
de 7000 m2. Ses murs de brique rouge, ses tours et ses
minarets pointus évoquent irrésistiblement les mosquées du Xinjiang,
mais les seules prières qu'on y récite sont celles de la consommation;
de nombreuses boutiques proposeront les produits chinois ou ceux
de l'artisanat local, les fameux tapis notamment, et l'on y trouvera
aussi les fast-foods américains ainsi que l'enseigne d'une grande
chaîne de distribution française.
Musique et sidérolithe
Urumqi se caractérise par l'animation de ses rues; ici des danseuses
invitées à mettre en valeur une grande marque de téléphone mobile
; là se produisent spontanément des danseurs et des cracheurs de
feu; ailleurs, déambulent et marchandent les vendeurs à la sauvette
avec les uns des paquets de chemises, des vestes, des pantalons
et même une simple paire de bottines en cuir! C'est pour nous un
vrai festival de couleurs, de bruits
et ... d'odeurs. Partout en effet l'on vend les fameuses brochettes
de mouton ou de boeuf sur des fourneaux de toutes les tailles, les
uns très simples en plein air, les autres plus grands équipés d'une
hotte et d'une cheminée ornant la devanture d'un grand restaurant.
L'animation dans les rues augmente à mesure que le soleil décline.
Et aussi tandis que défilent les limousines d'un mariage brusquement
retentit le concert joyeux d'un groupe de musiciens jouant des fifres
et des tambourins qui accompagnent les jeunes mariés.
Avant de quitter cette ville aux préoccupations très terriennes,
nous voulons parler d'un objet très curieux venu de l'espace : une
sidérolithe. Il s'agit d'une masse de fer de trente tonnes tombée
au XIXe siècle dans la préfecture d'Altay district de Qinghe. Dans
le monde trois exemplaires ont été trouvés : en Afrique, au Groenland
et au Xinjiang. Constitué à 88% de fer et 9% de nickel, cet énorme
bloc contient aussi du cobalt, du cuivre, du phosphore et du chrome
... Il est visible à l'entrée du musée d'Urumqi.
En regagnant Beijing avec les moyens modernes de communication,
nous ne pouvons nous empêcher de penser au lent cheminement des
caravanes qui traversaient le Xinjiang le long de la célèbre « route
de la Soie ».
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