Novembre/Décembre 2003

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

À travers murs et muraille, un autre monde à l'Ouest


DANIEL COGEZ

Les murailles de la cité de Gaocheng. Champ d'éoliennes près d'Urumqi.


Je veux bien entendu parler de l'Ouest de la Chine et du Xinjiang… Impressions d'un voyageur, ce reportage n’a pas l’ambition de décrire avec précision une situation, mais seulement de restituer une atmosphère. Bien sûr, beaucoup savent que la région est réputée notamment pour ses productions de coton, de céréales, de raisins, de tomates et pour ses produits d'élevage, qu’elle produit du gaz et du pétrole et que les moyens de communication se sont considérablement développés, mais c’est plutôt l'animation qui règne dans deux villes de cette région, Urumqi et Turfan, que j’aimerais vous faire partager.

Ce n'est pas une mosquée, mais le nouveau grand bazar d'Urumqi.

Un problème m’intriguait dès mon départ, celui du décalage horaire. Dans le Xinjiang la
vie quotidienne est réglée sur l'heure de Beijing. Or, par rapport au soleil, il y a deux heures de différence : quand il est 19 h à Beijing, il faut compter 17 h dans le Xinjiang. C'est pourquoi les habitants appliquent ce décalage horaire : les services comme la poste, les banques ou les agences de voyage ouvrent à 10h et les habitants vont au restaurant à 14 h ou 22 h au lieu de 12h et de 20h qui est l'heure de Beijing. Les affiches de spectacle pour éviter toute confusion précisent : entrée à 20h (heure de Beijing).Il faut donc tenir compte de ces différences horaires quand on se rend dans cette région.

Pour comprendre mieux…

Des immeubles vétustes vont laisser place à de nouveaux bâtiments.

Bien qu'isolée géographiquement par des montagnes et de vastes déserts, cette région n'est jamais restée à l'écart du monde. Des échanges se sont créés très tôt avec d'autres peuples du continent eurasiatique. « Au début de la dynastie des Han de l'Ouest (206 av. J.-C. 24 apr. J.-C), les contrées occidentales étaient dominées par les Xiongnu ; en 138 av. J.-C., la dynastie des Han décida d'envoyer Zhang Qian pour repousser les pillages des Xiongnu dans les régions frontalières. En 121 av. J.C. l'armée des Han infligea une lourde défaite aux Xiongnu dans le corridor de Hexi. Quatre préfectures furent alors établies celles de Wuwei, de Zhangye, de Jiuquan et de Dunhuang (...). En 60 av. J.-C. l'empereur Xuandi des Han institua le poste de « général des contrées occidentales ». En ce temps-là, un conflit avait éclaté au sein du groupe dirigeant des Xiongnu. Xianshan, prince Rizhu des Xiongnu,se rendit volontairement à la Cour des Han avec quelques dizaines de milliers de cavaliers. Les Han de l'Ouest nommèrent Zheng Ji, général des contrées
occidentales. L'établissement de ce poste marque le début de l'exercice de la souveraineté sur les contrées occidentales par les Han de l'Ouest et l'intégration du Xinjiang dans ce pays multiethnique unifié qu'est la Chine.
« Étant un lieu de passage et le carrefour principal des échanges économiques et culturels entre l'Orient et l'Occident, le Xinjiang est depuis l'Antiquité une région où coexistent plusieurs religions. Avant l'introduction de l'islam, le chamanisme basé sur les croyances locales, le taoïsme originaire de Chine, le bouddhisme venu de l'Inde, le zoroastrisme et le manichéisme venus de Perse avaient été pratiqués au Xinjiang. C'est à la fin du IXe
siècle et au début du Xe que l'islam a été introduit dans le Xinjiang via les routes de l'Asie centrale et surtout celle de la soie. À partir du milieu du XIVe siècle, à la suite d'une diffusion forcée, l'islam devint la religion principale des Mongols, Uygurs, Tatars, Tadjiks et Kirgiz vivant dans le khanat de Qagatay, fondé dans les contrées occidentales par le deuxième fils de Gengis Khan, Qagatay. Au début du XVIe siècle, l'islam a
fini par supplanter le bouddhisme et par devenir la principale religion pratiquée dans le Xinjiang ». Et de nos jours si différentes religions coexistent dans cette région, l'islam reste toujours la religion majoritaire.

Les contrastes de Turfan

Après avoir franchi le désert du Gobi et son paysage lunaire de terres ocres, grises ou noires sans âme qui vive, l'on parvient à Turfan dont le climat est étouffant. Bien que l'on soit en septembre la chaleur est écrasante. Au pas de la mule et nanti d'un chapeau de paille, on va visiter une cité surgie du néant et retournée au néant, celle de Gaocheng, dont une partie de l'enceinte en terre battue se dresse encore au milieu du désert. La cité qui florissait il y a deux mille ans n'est plus qu'un monceau de ruines, mais celles-ci sont suffisamment impressionnantes pour mériter une visite. À l'origine, Gaocheng couvrait une superficie de trois hectares avec son palais, ses temples et ses habitations ordinaires protégés par de hautes murailles. Une seule matière a servi à la construction, l'argile ce qui donne aujourd'hui à la ville un aspect uniforme;  parfois sur quelques murs subsistent des fragments de fresques qui permettent d'imaginer un espace plus coloré et plus vivant que celui qui est visible de nos jours.
Dans le célèbre roman « Le pèlerinage vers l'Ouest », un site des environs de Turfan est mentionné, celui de la montagne ardente, Huo yan shan. Rouge comme la braise, la terre flambe sous les rayons du soleil; la température au sol atteint et parfois dépasse les 70°. C'est pourquoi aucune plante n'a réussi à prendre racine à cet endroit. Les hommes cependant grâce à leur ingéniosité ont réussi à s'implanter. Quelques murs et des toits en terre séchée suffisent à écarter les rayons trop brûlants du soleil. De l'eau est
amenée par un système hydraulique ingénieux et la vie des hommes s'organise.
Un hameau a été reconstitué décrivant le mode de vie des habitants de la région : vêtements et tapis fabriqués sur des métiers à tisser, nourriture, coutumes et traditions. Parmi ces dernières la musique et la danse occupent une place privilégiée et tout au long de notre voyage les accents d'une musique rythmée par les tambours et les fifres reviendront comme un leitmotiv.
Après avoir contemplé la visite de la montagne ardente, à quelques kilomètres de là, nous
allons pénétrer dans le monde de la fraîcheur avec la vallée du raisin et le système d'irrigation typique de la région, les fameux « karez » ou canaux souterrains. Dans toute la Chine, on consomme les raisins séchés de Turfan. La vigne croît en abondance dans une vallée irriguée et le raisin récolté est mis à sécher dans des bâtiments plus ou moins vastes dont les parois sont à claire-voie. La vigne produit à la fois des grappes délicieuses, mais sert aussi à ombrager de petits jardins ou de vastes allées. S'étirant au
pied de la montagne noire, la vallée du raisin est comme un bienfait de la
nature.Pour faire venir l'eau directement de la chaîne des Tianshan, un réseau
d'irrigation souterrain a été creusé à main d'homme. Dans cette région les pluies sont rares et l'évaporation intense sur une terre chauffée à blanc. Les karez, canaux souterrains avec des puits d'aération disposés régulièrement tous les 150 mètres, ont permis de résoudre le problème. Le réseau dont la longueur totale est de plus de 1000 km fournit 300.000 m3 d'eau à l'oasis de Turfan.

Une frénésie de constructions

Deux cents kilomètres séparent Turfan de la capitale du Xinjiang. En empruntant l'autoroute qui relie les deux villes, on apercevra deux sources d'énergie indispensables à notre époque, le pétrole exploité dans un champ pétrolifère et l'électricité produite par des éoliennes. Les pompes qui puisent le pétrole ressemblent à de gros insectes vert foncé tandis que les éoliennes blanches lancent vers le ciel bleu leurs pales au sommet d'un
pylône blanc également. Aux alentours circulent comme au temps jadis des
troupeaux de chameaux, de moutons et de chèvres.Quand on entre dans Urumqi, on est tout de suite frappé par la frénésie de constructions qui y règne. Une nouvelle gare, un nouveau musée et de nouveaux bureaux et centres commerciaux sont en cours d'édification. Des immeubles de plusieurs étages s'affalent dans un nuage de gravats et de
poussière; aussitôt, les pelleteuses entrent en action avant que ne se
dressent des bâtiments de béton et de verre.Le principal bazar d'Urumqi porte le nom d'Er dao qiao. Bien que la façade ait une vague couleur locale, intérieurement il ressemble à tous les grands magasins de Chine. Juste en face, un nouveau grand bazar vient d'être construit. Il a nécessité 450 milliards d'investissements et couvre une surface de 4 hectares (60 mu) avec une esplanade de 7000 m2. Ses murs de brique rouge, ses tours et ses minarets pointus évoquent irrésistiblement les mosquées du Xinjiang, mais les seules prières qu'on y récite sont celles de la consommation; de nombreuses boutiques proposeront les produits chinois ou ceux de l'artisanat local, les fameux tapis notamment, et l'on y trouvera aussi les fast-foods américains ainsi que l'enseigne d'une grande chaîne de distribution française.

Musique et sidérolithe

Urumqi se caractérise par l'animation de ses rues; ici des danseuses invitées à mettre en valeur une grande marque de téléphone mobile ; là se produisent spontanément des danseurs et des cracheurs de feu; ailleurs, déambulent et marchandent les vendeurs à la sauvette avec les uns des paquets de chemises, des vestes, des pantalons et même une simple paire de bottines en cuir! C'est pour nous un vrai festival de couleurs, de bruits
et ... d'odeurs. Partout en effet l'on vend les fameuses brochettes de mouton ou de boeuf sur des fourneaux de toutes les tailles, les uns très simples en plein air, les autres plus grands équipés d'une hotte et d'une cheminée ornant la devanture d'un grand restaurant.
L'animation dans les rues augmente à mesure que le soleil décline. Et aussi tandis que défilent les limousines d'un mariage brusquement retentit le concert joyeux d'un groupe de musiciens jouant des fifres et des tambourins qui accompagnent les jeunes mariés.

Avant de quitter cette ville aux préoccupations très terriennes, nous voulons parler d'un objet très curieux venu de l'espace : une sidérolithe. Il s'agit d'une masse de fer de trente tonnes tombée au XIXe siècle dans la préfecture d'Altay district de Qinghe. Dans le monde trois exemplaires ont été trouvés : en Afrique, au Groenland et au Xinjiang. Constitué à 88% de fer et 9% de nickel, cet énorme bloc contient aussi du cobalt, du cuivre, du phosphore et du chrome ... Il est visible à l'entrée du musée d'Urumqi.

En regagnant Beijing avec les moyens modernes de communication, nous ne pouvons nous empêcher de penser au lent cheminement des caravanes qui traversaient le Xinjiang le long de la célèbre « route de la Soie ».