Novembre/Décembre 2003

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

Les eunuques ont disparu, mais un musée les fait vivre

Beijing offre à ses nombreux visiteurs un musée incomparable. Celui-ci présente la culture de ceux qui ont consacré leur vie au service de leur empereur. 

Le Musée de la culture des eunuques, situé dans le district Shijingshan de Beijing, est construit sur la base de la sépulture de l’eunuque Tian Yi de la dynastie des Ming (1368-1644). C’est le premier musée de Chine consacré à ce sujet. Il fait face à la fameuse voie ancienne dite des « grelots de chameaux » qui, à l’époque, était le seul chemin d'accès à la capitale. Le musée s’adosse aux majestueux monts Panlong.

L’eunuque (huanguan), nommé également taijian après la dynastie des Ming, est l’homme castré qui servait auprès de l’empereur et de sa famille dans le palais impérial; il était souvent appelé « gonggong », par respect. Ce genre de serviteurs de la cour a existé tant en Chine qu’à l’étranger. En effet, il en a existé en Égypte et en Grèce antiques, dans l’Empire romain et en Perse, mais seulement pour une courte durée; après la période esclavagiste, ils n’ont plus fait partie de l’histoire. Au contraire, en Chine, le système des eunuques, remontant à la dynastie des Xia (XXIe-XVIe s. av. J.-C.) et des Shang (XVIe –XIe s. av. J.-C.), s’est enrichi au fil du temps et a connu son apogée sous les Ming : un colossal système d’eunuques était formé au sein de vingt-quatre départements comprenant 12 jian, 4 si et 8 ju; parmi ceux-ci, le jian de présidence cérémoniale était le département dominant. Tian Yi  en était le directeur : l’eunuque de commandement (zhangyin taijian).

Tian Yi (1534-1605), émasculé à l’âge de 9 ans, a passé 63 ans de sa vie à la cour, et jusqu’à sa mort vers 72 ans, il a été successivement au service des empereurs Jiaqing ayant régné de 1521 à 1566, Longqing de 1566 à 1572 et Wanli de 1572 à 1620. Qualifié de consciencieux, prudent, sage et circonspect, il a été comblé de faveurs par ces souverains et a été promu jusqu’au grade de quatrième rang. Wanli, profondément affligé par le décès de Tian Yi, a spécialement suspendu la réception à la cour pendant trois jours, et il a fait ériger une salle et une stèle en commémoration perpétuelle de cet eunuque. Ses successeurs et admirateurs se sont fait enterrer au même endroit pour former un grand cimetière d’eunuques, d’où, aujourd’hui, le Musée de la culture des eunuques.
Le cimetière forme la partie principale du musée. Bien qu’il n’ait pas la somptuosité des tombeaux des Ming et que sa taille soit relativement petite, le sépulcre de cet eunuque, favori des empereurs, n’est dépourvu d’aucun élément nécessaire. Derrière le portique se prolonge la voie de l’Esprit, en direction de la sépulture, et les grandes huabiao sur le côté sont minutieusement sculptées. Ces huabiao sont des piliers flanqués au sommet de deux ailes, surmontés d'un animal fabuleux accroupi en forme de lion, appelé hou et dont le corps est couvert de nuages sculptés parmi lesquels serpente un énorme dragon. Ils servent souvent d’ornement pour les monuments impériaux. Ces éléments nous révèlent le statut élevé dont a joui l’eunuque de son vivant. La statue d’une personne âgée qui surveille le tombeau est celle d’un fonctionnaire de grade de premier rang, alors que Tian Yi n’avait atteint que le quatrième rang. Après avoir pénétré dans le deuxième portique (lingxingmen), trois pavillons de stèles se dressent devant nous, et leurs inscriptions relatent les mérites de Tian Yi et les décrets impériaux le concernant. Ensuite vient la porte de la Longévité (shouyumen), symbolisant la séparation du monde des mortels de l’autre monde. À l’époque, cette porte restait toujours fermée et les cérémonies de sacrifice se tenaient au dehors, dans la salle des Plaisirs (xiangdian). La tombe de Tian Yi et celles de quatre autres eunuques se trouvent derrière la porte. Les sépultures et les offrandes sont des sculptures sur pierre très raffinées, dont la plupart sont en marbre blanc. Selon les Chinois de l’Antiquité, contrairement au bois, la pierre n’a pas de vie, c’est pourquoi les matériaux de construction utilisés pour les tombeaux sont souvent en pierre, alors que ceux des maisons sont en bois. Justement, les salles d’habitation de la Cité interdite sont construites en bois alors que les Tombeaux des Ming le sont en pierre.

Les sculptures du tombeau de Tian Yi sont particulièrement remarquables. Les animaux tels les dragons, les lions et les cerfs, de même que les végétaux de bon augure comme le plantain et l'amadouvier, sont palpitants de vie. Autour de ces tombeaux, quelques dalles sculptées sur marbre blanc représentent chacune une histoire antique. Par exemple, « Sun Kang admire la neige », « Su Wu mène un troupeau de moutons », « Yang Xu à la pêche ». On y trouve aussi des motifs symbolisant des allégories. La menuiserie du Temple Fahai, la maçonnerie de pierre de la sépulture de Tian Yi et le travail souterrain du temple Chengen constituent trois prouesses techniques du district de Shijingshan.

À l’ouest du cimetière, on trouve les salles d’exposition qui relatent les différents aspects de ce phénomène historique qu’est la culture des eunuques : l’évolution du système des eunuques, l’exécution de leurs missions, ainsi que leurs mariages et leurs familles, nous révélant ainsi leur vie mystérieuse et les faits véridiques les concernant.
Avec la mort du dernier eunuque Sun Yaoting des Qing en 1996, les eunuques se sont retirés à jamais de la scène de l’histoire chinoise. Ce musée est le lieu  idéal pour découvrir la culture qui les entoure.