UN
COUPLE « MIXTE », C’EST SEULEMENT UN COUPLE
LISA CARDUCCI
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Le couple en voyage aux
monts Huangshan. |
Yang Huaikuo en compagnie de sa belle-mère. |
Au Palais d’Été en 1998. |
Les Chinois s’intéressent énormément aux couples
qu’on appelle aussi « internationaux ». Alors que ces
derniers passent inaperçus dans des pays d’immigration comme le
Canada ou les États-Unis, vu la diversité énorme des origines nationales
de la population, en Chine, les non-Chinois sont encore une infime
minorité; par ailleurs, ce pays plusieurs fois millénaire n’a que
25 ans de pratique de l’ouverture.
Patricia Hérau et Yang Huaikuo, ou Hawk Yang
de votre nom anglais, allons-y sans préambule; racontez-moi comment
vous vous êtes connus.
Yang : C’était à l’Institut des langues de Beijing comme il s’appelait
alors. Patricia étudiait le chinois, en 1997, et moi l’anglais.
Après les cours, pour nous détendre, nous causions; je m’apprêtais
à étudier le français comme deuxième langue étrangère, et elle me
parlait de son pays.
Et depuis, vous ne vous êtes plus jamais séparés?
Patricia : Je suis retournée en France à la fin de l’année. Nous sommes
restés en contact par correspondance. Puis Yang a décidé de venir
me voir dans mon milieu. Il a rencontré ma famille aussi. L’été
suivant, je suis revenue, mon troisième séjour.
Toujours à l’Institut?
Patricia : Non, dans un hôtel adjacent, une chambre sans fenêtres. Ensuite,
nous habitions en ville, très loin du campus. Personne à l’institut
n’était au courant de notre relation; c’est pourquoi ce fut la surprise
quand nous avons annoncé notre mariage en 1999.
Vous êtes tous deux diplômés en langues; travaillez-vous
dans votre domaine de formation?
HY : Non, je suis gérant de production d’équipement informatique,
mais l’anglais me sert quand même.
Patricia : Depuis deux ans, je suis assistante du conseiller nucléaire
à l’ambassade de France, et chargée des nouvelles technologies;
c’est un secteur nouveau. Je m’occupe surtout des affaires administratives.
Le chinois me sert aussi, même s’il n’est pas ma langue principale
de travail. Je fais un peu d’interprétariat…
Pour un étranger sans spécialisation, il est
plutôt difficile de trouver du travail en Chine, n’est-ce pas?
Patricia : Bien sûr! J’ai occupé divers emplois. J’ai connu les affres
de la recherche, de l’inquiétude une fois employée, de la tromperie…
Par vos employeurs? Des Chinois?
Non, des étrangers. Dans tous les cas. La police qui vient, et
vous interroge pendant des heures, puis vous colle une amende… parce
que vous travaillez illégalement… Je faisais de la vente à ce moment-là.
Nous étions cinq étrangers en situation illégale, dont deux au bureau
quand la police est venue. Nous n’avions pas de permis de travail,
mais c’est la société qui est censée le fournir… Après un calcul,
les patrons ont régularisé ma situation car je faisais gagner trois
fois mon salaire à l’entreprise.
Et le logement?
Nous, nous pouvons dire que nous avons eu de la chance. Nous avons
évité d’une semaine une descente de police. Depuis huit mois que
nous habitons ici, les policiers sont venus une fois. Ils sont arrivés
à 22 h, six personnes, et en ont eu jusqu’à minuit. Mais nous
avions tous les documents requis : mariage, certificat de travail,
visa, contrat de location. Ils n’ont rien trouvé contre nous et
maintenant nous avons la paix. Le problème c’est que les règles
ne sont pas claires. Par exemple, l’an dernier, les médias disaient
qu’il n’y avait plus de différence entre les logements pour étrangers
et pour Chinois. Mais on n’a jamais vu le texte de loi. En fait,
la différence était abolie pour l’achat, pas pour la location.
Le personnel des ambassades non seulement n’a
pas ces problèmes mais ne connaît pas la situation des étrangers
qui viennent d’eux-mêmes en Chine.
Auprès de vos familles respectives, votre mariage
a-t-il causé de l’émoi, sinon de l’opposition?
Patricia : Il y a un précédent dans ma famille, à savoir que mon grand
frère a épousé une Taiwanaise et vit à Taiwan. Ça ne se passe pas
très bien entre eux, ni avec la famille. Ils se disputent souvent,
pour des problèmes d’argent. Alors ma mère m’a dit : « Tu
sais à quoi t’attendre; tu connais la culture chinoise et tu as
un exemple. Tu prends ta décision en connaissance de cause. »
Pas d’opposition, mais une mise en garde. Et
vous, Hawk Yang?
Oh! Oh! … Ma famille n’était pas d’accord. Quand
ma mère a su que j’avais une amie étrangère, elle a pleuré. Je suis
le seul fils et l’aîné; mes parents pensaient que j’allais partir.
Mais à force de parler, je leur ai fait comprendre que Patricia
était une fille très bien, qu’elle parlait chinois… L’année suivante,
ils ont fait sa connaissance quand nous sommes allés au Jilin (province
du Nord-Est), et ils l’ont appréciée. Ils ne croyaient pas pouvoir
l’accepter. Il y a de petits problèmes de culture, pas entre nous
deux mais entre elle et mes parents. Ils voudraient qu’elle se comporte
en bru chinoise. J’ai dû leur expliquer que sa culture est différente,
et qu’elle est libre. Il y a eu des moments difficiles, mais ensuite,
tout est rentré dans l’ordre.
Moi, je n’ai pas de problèmes culturels. J’oublie
que Patricia n’est pas chinoise. Les problèmes, ils sont dans les
yeux des autres qui nous regardent.
Moi aussi, je suis allé en France, dans sa famille.
La famille de son père est une famille de 7 enfants, et celle de
sa mère, de 12. Son père, sa mère, son deuxième grand frère, ils
sont bien. Je pense qu’ils m’aiment bien, n’est-ce pas, Patricia?
Patricia : Plusieurs étaient surpris de la taille et de l’élégance de
Yang. La plupart des Chinois qui sont en France viennent du Fujian,
du Zhejiang; ils sont petits et foncés. C’est l’image que les Français
se font des Chinois.
Pour plaire à votre belle-famille, acceptez-vous
de vous prêter au « jeu culturel »?
Patricia : Aucunement. La première fois que je suis allée dans la famille, on
a passé le temps à manger. Comme nous n’avons pas discuté, les choses
se sont bien passées. C’est après que j’ai commencé à ressentir
un malaise. Par exemple, au Nouvel An, selon la tradition, on reste
en famille, à la maison. On regarde la télé. Je m’embêtais et je
voulais sortir. Plusieurs fois de suite.
En fait, je savais ce qu’on attendait de moi.
Je connaissais la culture. Mais je me voyais mal jouer la comédie
et construire sur une base de mensonge.
HY : Il y a eu des améliorations et des rapprochements des deux
côtés. Mes parents ont commencé à apprendre l’anglais et sont allés
en France. Les siens sont venus deux fois en Chine.
Patricia : Et maintenant ma mère s’est mise à étudier le chinois.
(Les étrangers qui vivent un certain temps
en Chine, et surtout qui aiment ce pays, jouent souvent ce rôle
d’ambassadeurs de la culture. Économiquement aussi, ils contribuent
au développement du tourisme en Chine. Combien de parents, d’amis
et de lecteurs décident de venir visiter la Chine parce qu’un membre
de leur famille ou une connaissance y vit, ou parce qu’ils ont été
influencés par des articles de la plume d’étrangers!)
HY : Le fait que Patricia parlait chinois a beaucoup favorisé son
insertion dans ma famille.
Patricia : Nous pouvions communiquer tout de même!
Vous comptez rester toujours en Chine?
HY : Nous allons probablement aller en France l’été prochain. Je
voudrais obtenir un diplôme de 3e cycle en gestion, en
français, et Patricia a une possibilité de travail intéressante.
Après, on verra.
Patricia : Cela ferait six ans en Chine. C’est tout de même assez long.
Peut-être irons-nous dans un pays anglophone ensuite, histoire de
changer, d’absorber de nouvelles connaissances… J’aimerais bien
une vie comme ça!
Vous songez à avoir un enfant?
Patricia : Jusqu’à il y a deux ans, je n’avais aucune sécurité d’emploi,
de logement, de revenu; pas d’assurance-santé, de sécurité sociale.
Une situation très précaire. Avoir un enfant dans un hôpital chinois…
ils sont assez forts en césariennes; et les hôpitaux internationaux
m’auraient coûté le prix d’une voiture. De ma poche. Heureusement,
jusqu’ici, ses parents ne nous ont pas trop poussés. Maintenant,
un bébé, cela se calcule, se programme. C’est moins romantique mais
plus réaliste. C’est pourquoi nous avons deux chats actuellement.
On verra en France.
Vous fréquentez des amis?
HY : Oui, surtout des couples mixtes. Mais ici les gens vont et
viennent. Les camarades d’université sont dans d’autres villes,
ou à l’étranger même. La stabilité est difficile.
Vous faites du sport?
HY : Du volley surtout, et du badminton.
Patricia : Moi, c’est la course et la natation. Quand je faisais mon MBA
(Master in Business Administration), j’ai un peu laissé aller. Maintenant
j’ai repris et j’ai participé à la « City-to-Surf Race »
(14 km) à Sydney cet été.
Et d’autres activités?
Patricia : À la différence des jeunes Français que je rencontre, je ne
suis pas tellement « soirées », ou « bars ».
J’aime un style de vie plutôt « santé » : bien manger,
faire attention à son corps.
HY : J’aime beaucoup la musique : les groupes rock. Et l’ordinateur.
Je m’intéresse au cinéma. Nous regardons énormément de DVD. Pendant
l’épidémie de SRAS, c’était deux ou trois par semaine.
Chinois ou étrangers?
Chinois… il y en a de bons. Quelques-uns ont percé,
comme Zhang Yimou sur qui j’ai fait mon essai de fin d’études. Mais
maintenant, il y a bien peu de créations d’intérêt. Quand l’imagination
y est, c’est le budget qui manque. On fait des films avec un but.
L’art, ce n’est pas cela.
Et la cuisine, vous mangez français ou chinois?
Patricia : Les deux, mais je ne fais pas bien les plats chinois parce que j’essaie
de réduire l’huile, le sel, etc. Cela ne donne pas de bons résultats.
HY : Le midi, je mange souvent à l’extérieur, donc beaucoup, et
trop de viande. Le soir, je me suis habitué à manger plus légèrement.
Au début, je trouvais la cuisine française fade. Les règles ne sont
pas les mêmes. Maintenant, je me suis adapté.
L’adaptation, c’est aussi le secret d’un mariage
réussi.
Patricia : Tout de même, il faut beaucoup de force à un étranger pour vivre
ici. Quand on est confronté tous les jours à des problèmes d’argent,
de visa, de travail, de logement, cela peut mettre la vie et le
bonheur d’un couple en danger. Il faut dire qu’on a peut-être eu
une bonne dose de chance aussi.
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