Novembre/Décembre 2003

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

Une autre modernité—la peinture chinoise du XXe siècle en tant que représentation visuelle du changement social

Une exposition qui donne aux visiteurs l’occasion de poser un nouveau regard sur la peinture chinoise moderne, trop souvent associée à des stéréotypes propres à la période de la guerre froide.

« L'Année de la Chine en France », qui se tient en ce début de siècle, réduit sans aucun doute la distance entre les deux grands pays sur le plan culturel; cette année ajoute également de nouvelles pages à l’histoire des échanges culturels entre eux. Au cours de cette activité, « l’Orient ensoleillé—exposition de peintures chinoises du XXe siècle » revêt une grande portée. Cette exposition est une première permettant de montrer au continent européen les succès de la peinture chinoise au XXe siècle; les peintres sélectionnés, y compris des créateurs et des fondateurs des arts modernes chinois, comprennent des représentants du début du XXe siècle jusqu’à ceux de la jeune génération des années 1990. Une centaine d’œuvres sont des chefs-d’oeuvre représentatifs du dernier siècle de la peinture chinoise. Le but de cette exposition est de permettre au public français et européen d’admirer la richesse artistique de la peinture chinoise; d’approfondir sa compréhension de cette peinture qui reflète les changements et les progrès sociaux; et de se rendre compte de la valeur culturelle particulière de la peinture chinoise, pour ainsi mieux connaître les caractérisques du développement artistique pluraliste dans le monde au XXe siècle.

Changement et réalisme, deux notions centrales

Le changement constitue un thème important en Chine. Il ne s’agit pas d'une transformation partielle ou d'un changement isolé, mais plutôt d'un changement historique soutenu et profond. Ce changement a brisé toutes les résistances des oppositions, a dépassé et a vaincu les forces qui tentaient de le restreindre ou de l’orienter; il a aussi eut un impact sur la mentalité et l’âme de tous les acteurs sociaux et a décidé du sort historique de la peinture chinoise pendant un siècle.

Le trait distinctif de la peinture chinoise du XXe siècle est de refléter ce changement de la société et le développement de l’époque. Par rapport aux beaux-arts traditionnels, les peintres chinois, parleur langage pictural différent, ont dressé d’une manière sans précédent des portraits réalistes des diverses époques de la société chinoise. Parmi les thèmes et les matériaux importants de la peinture, on peut noter les troubles intérieurs et les invasions étrangères que la nation chinoise a subis au début du siècle; la guerre de libération nationale du milieu du siècle; l’édification de la nouvelle époque dans les années 1950; et finalement le redressement par l’application de la réforme et de l’ouverture. À partir du terreau réaliste du changement social, la peinture chinoise a formé une conception et une notion des valeurs solide. En parcourant le chemin de la peinture chinoise pendant un siècle, on peut découvrir par des scènes émouvantes que les peintres chinois ont livré leur pensée et leur recherche pratique pour démontrer le progrès de la société chinoise. En traversant le rideau du temps, on peut reconnaître avec enthousiasme que le flambeau du savoir se transmet de génération en génération. En traversant les différents courants picturaux du siècle, le « réalisme » est non seulement une approche technique, mais aussi une orientation d’esprit; il est devenu un courant principal de l’approche conceptuelle de la peinture chinoise. Les artistes ont envahi toutes les sphères de la vie, ont affronté la réalité et ont fait personnellement l’expérience de la vie; bon nombre d’œuvres ont enregistré des scènes historiques particulières, montré une réalité sociale large et riche, ainsi que reflété les activités sociales et la mentalité  des gens. Par rapport au « réalisme » en tant que forme artistique, la peinture chinoise manifeste un « esprit réaliste » et possède une originalité typiquement chinoise.

Une peinture au carrefour de deux mondes

La peinture chinoise du XXe siècle s’est développée à la fois en assimilant l’art étranger et en tirant parti de l’héritage de sa tradition artistique. Au début du siècle, les artistes chinois de quelques générations sont allés en Europe et dans d'autres pays pour étudier l’art occidental Ils en ont rapporté non seulement des genres artistiques nouveaux et des techniques d’expression différentes, mais aussi de nouvelles notions sur le monde extérieur et de nouveaux modes visuels de maîtrise du monde extérieur. La compréhension et la maîtrise de l’esprit rationnel scientifique et des expériences plastiques des arts traditionnels européens, acquises les peintres chinois, ont créé un nouveau langage créatif. Les peintres chinois ont su tirer profit de l’expérience valable du modernisme artistique occidental, et ils ont accéléré le renouveau de la notion artistique. Les particularités les plus évidentes de leur démarche sont d’avoir réalisé la régénération de leur propre héritage culturel, sur la base de la compréhension de la culture étrangère, et d’avoir recherché les échanges entre les systèmes picturaux chinois et occidental. Au fur et à mesure que s’élargit l’horizon culturel, les peintres chinois retournent petit à petit à leur propre tradition picturale, la redécouvrent et la considèrent comme une nouvelle ressource pour leur style de création personnel; ils réalisent ainsi une transformation moderne de la tradition. Leur regard sur le monde actuel et leur perspective animée par la tradition permettent la fusion sino-occidentale, un thème historique qui est en train de devenir une tendance culturelle générale, ce qui manifeste que la peinture chinoise possède la confiance nécessaire pour développer sa tradition et affronter le monde.

Le pinceau et l’encre : au rythme de l’époque

La peinture chinoise manifeste également les traits distinctifs de l’époque : la recherche incessante au plan du langage artistique. Le rythme du changement et du développement de la société, en tant que condition extérieure, a aiguillonné l’enthousiasme des peintres pour rechercher la nouveauté et le changement, la diversité des théories et des pensées rivalisant pour accélérer les changements de style de langages artistiques. « Le pinceau et l’encre doivent rattraper la cadence de l’époque » ; voilà la marque importante du développement de la peinture chinoise. Surtout ces vingt dernières années, période de réforme et d’ouverture, la peinture a ciblé l’exploration en assimilant largement l’art étranger et en innovant, rejetant par le fait même tout ce qui était révolu. Elle a ainsi réalisé son idéal culturel de suivre la voie de la tradition vers le moderne, du moderne vers le contemporain, de l’intérieur vers l’extérieur.

Un document visuel pour approcher la modernité de l’art chinois

Le choix des œuvres de cette exposition a mis l’accent sur l’angle sociologique. L’évolution et le changement de la société chinoise au cours du dernier siècle, y compris le bouleversement et la transformation qui ont résulté du contact avec le monde occidental, sans oublier le développement économique allant du semi-colonialisme, à la planification socialiste à l’économie du marché, de même que les caractéristiques et les changements de l’idéologie principale des diverses époques, tout cela a formé le moteur de l’histoire moderne de la peinture chinoise et a guidé son évolution vers la compréhension et le genre de l’image. Je considère la peinture chinoise du XXe siècle comme un « document visuel » sur l’évolution de la société. Sous-jacent à l’ordre des œuvres, existe un « mode de discours »  que la peinture chinoise a adopté en introduisant, assimilant et recherchant la transformation et le renouveau. Si le public peut comprendre ce « mode de discours »,  il pourra approcher « l’autre modernité » de la peinture chinoise.

Discuter la « modernité » propre à la culture de pays différents constitue le point de départ pour accélérer le développement du pluralisme culturel dans le monde. Pendant longtemps, la connaissance du monde extérieur sur la peinture chinoise du XXe siècle a été très limitée; il la considérait simplement comme un sous-produit de la culture occidentale ou estimait qu’elle manquait de la valeur culturelle propre au modernisme occidental, ou encore, par un préjugé sur l’idéologie sociale, la considérait grosso modo comme un art entièrement au service de la politique. Dans bon nombre d’ouvrages sur l’histoire mondiale de l’art moderne, on ne trouve même pas de chapitres sur la peinture chinoise du XXe siècle et les autres arts chinois. On peut dire que la mentalité de la guerre froide et les préjugés culturels historiques ont nourri la mauvaise compréhension et l’aveuglement à l’égard de la peinture chinoise du XXe siècle.

Avec la mondialisation actuelle, il est nécessaire de considérer l’histoire chinoise du XXe siècle sous un angle tout nouveau. Cette histoire est constituée par une série de changements sociaux qui correspondent à l’établissement de la modernité elle-même; parallèlement, on doit approcher la peinture chinoise du XXe siècle sous ce même angle : découvrir sa modernité par les relations entre l’art et la société.

Ce genre de modernité est une modernité de forme particulière. Elle se différencie de la modernité de l’art actuel basé sur le libéralisme, se démarque également de celle des pays de l’Est et de ceux l’Asie du Sud-Est imprégnés de l’environnement culturel confucéen. Dès le début du XXe siècle, la peinture chinoise a formé son propre espace de développement au travers les relations complexes entre les forces du changement social, les habitudes et les modes de pensée traditionnels ; c’est là que résident son charme et ses caractéristiques qui reflètent les changements de la société chinoise depuis cent ans. Il faut inclure à la peinture chinoise du XXe siècle l’arrière-plan de la modernisation de la société pour découvrir sa valeur culturelle et « l’environnement » historique de développement de l’art chinois. Le plus important est que, sous un fond de « globalisation », on puisse découvrir les caractéristiques intrinsèques et la logique du modèle culturel de différentes régions, ce qui ne peut que contribuer à approfondir la compréhension et les échanges mutuels entre des cultures différentes.

Les oeuvres exposées proviennent du Musée national des beaux-arts de Chine, des musées nationaux et des collections privées. En vue de faire ressortir les caractéristiques principales de la peinture chinoise du XXe siècle, les peintres sélectionnés sont des artistes qui vivent et travaillent pour la plupart sur le continent chinois. L’exposition est divisée en quatre parties : « Lumière et Salut du pays », «Tradition et Changement », « Révolution et Construction », « Réalité et Manifestation » ; elle suit un ordre temporel et thématique, ce qui permet au public de percevoir nettement la réflexion qu’apporte l’art de différentes époques sur la réalité, de saisir les relations artistiques sino-occidentales − de « révolution à réforme », d’« introduction à transformation »− et de capter les changements de notions artistiques, c’est-à-dire de « société à individualité ».

Je suis très reconnaissant du soutien apporté par le Comité mixte des Années de la culture Chine-France à la conception de cette exposition, et je remercie sincèrement tous les conseillers artistiques et les membres du Comité des experts pour l’aide qu’ils ont fournie ; je remercie également les unités organisatrices des deux parties, ainsi que M. Alain Sayag, chargé de projet de la partie française pour son apport. Cette exposition a été organisée dans le but commun de souligner l’importance des échanges culturels différents et de comprendre la différence de développement de cultures différentes.

Paris est la capitale de la peinture de la France et de l’Europe. Depuis le début du XXe siècle et par la suite, des groupes d’artistes chinois y sont allés pour étudier et effectuer des recherches sur la peinture française et européenne. Ils ont tiré beaucoup d’expériences profitables des traditions culturelles françaises et européennes, et ils en ont développé un sentiment profond envers l’art français. Aujourd’hui, leurs œuvres sont exposées à Paris, ce qui symbolise la vitalité des échanges amicaux et artistiques des peuples chinois et français grâce à l’art visuel. Je dois indiquer spécialement que, en mai 1933, le premier président de l’Institut central des Beaux-Arts où je travaille actuellement, M. Xu Beihong (Hsü Pei-Hung), pionnier de la peinture chinoise du XXe siècle, avait organisé « L’exposition des Beaux-Arts modernes chinois » à Paris, exposition au cours de laquelle étaient exposées les premières œuvres de peintres chinois. Soixante-dix ans plus tard, sous de nouvelles conditions culturelles, cette exposition reflète l’évolution de la peinture chinoise au XXe siècle et est un témoignage que les échanges artistiques sino-français remontent très loin dans l’histoire. Cette exposition intitulée « L’Orient ensoleillé » a pour but de manifester les efforts de quelques générations de peintres chinois, d’explorer la voie du développement artistique à la chinoise et d’ajouter une page brillante ayant une touche culturelle distincte à l’art du XXIe siècle dans le monde.

FAN DI’AN  concepteur du projet, vice-président de l’Institut central des Beaux-Arts