Une
autre modernité—la peinture chinoise du XXe siècle
en tant que représentation visuelle du changement social
Une exposition qui donne aux visiteurs l’occasion
de poser un nouveau regard sur la peinture chinoise moderne, trop
souvent associée à des stéréotypes propres à la période de la
guerre froide.
« L'Année de la Chine en France », qui se tient en ce début
de siècle, réduit sans aucun doute la distance entre les deux
grands pays sur le plan culturel; cette année ajoute également
de nouvelles pages à l’histoire des échanges culturels entre eux.
Au cours de cette activité, « l’Orient ensoleillé—exposition
de peintures chinoises du XXe siècle » revêt
une grande portée. Cette exposition est une première permettant
de montrer au continent européen les succès de la peinture chinoise
au XXe siècle; les peintres sélectionnés, y compris
des créateurs et des fondateurs des arts modernes chinois, comprennent
des représentants du début du XXe siècle jusqu’à ceux
de la jeune génération des années 1990. Une centaine d’œuvres
sont des chefs-d’oeuvre représentatifs du dernier siècle de la
peinture chinoise. Le but de cette exposition est de permettre
au public français et européen d’admirer la richesse artistique
de la peinture chinoise; d’approfondir sa compréhension de cette
peinture qui reflète les changements et les progrès sociaux; et
de se rendre compte de la valeur culturelle particulière de la
peinture chinoise, pour ainsi mieux connaître les caractérisques
du développement artistique pluraliste dans le monde au XXe
siècle.
Changement et réalisme, deux notions centrales
Le
changement constitue un thème important en Chine. Il ne s’agit
pas d'une transformation partielle ou d'un changement isolé, mais
plutôt d'un changement historique soutenu et profond. Ce changement
a brisé toutes les résistances des oppositions, a dépassé et a
vaincu les forces qui tentaient de le restreindre ou de l’orienter;
il a aussi eut un impact sur la mentalité et l’âme de tous les
acteurs sociaux et a décidé du sort historique de la peinture
chinoise pendant un siècle.
Le trait distinctif de la peinture chinoise
du XXe siècle est de refléter ce changement de la société
et le développement de l’époque. Par rapport aux beaux-arts traditionnels,
les peintres chinois, parleur langage pictural différent, ont
dressé d’une manière sans précédent des portraits réalistes des
diverses époques de la société chinoise. Parmi les thèmes et les
matériaux importants de la peinture, on peut noter les troubles
intérieurs et les invasions étrangères que la nation chinoise
a subis au début du siècle; la guerre de libération nationale
du milieu du siècle; l’édification de la nouvelle époque dans
les années 1950; et finalement le redressement par l’application
de la réforme et de l’ouverture. À partir du terreau réaliste
du changement social, la peinture chinoise a formé une conception
et une notion des valeurs solide. En parcourant le chemin de la
peinture chinoise pendant un siècle, on peut découvrir par des
scènes émouvantes que les peintres chinois ont livré leur pensée
et leur recherche pratique pour démontrer le progrès de la société
chinoise. En traversant le rideau du temps, on peut reconnaître
avec enthousiasme que le flambeau du savoir se transmet de génération
en génération. En traversant les différents courants picturaux
du siècle, le « réalisme » est non seulement une approche
technique, mais aussi une orientation d’esprit; il est devenu
un courant principal de l’approche conceptuelle de la peinture
chinoise. Les artistes ont envahi toutes les sphères de la vie,
ont affronté la réalité et ont fait personnellement l’expérience
de la vie; bon nombre d’œuvres ont enregistré des scènes historiques
particulières, montré une réalité sociale large et riche, ainsi
que reflété les activités sociales et la mentalité des gens.
Par rapport au « réalisme » en tant que forme artistique,
la peinture chinoise manifeste un « esprit réaliste »
et possède une originalité typiquement chinoise.
Une peinture au carrefour de deux mondes
La
peinture chinoise du XXe siècle s’est développée à
la fois en assimilant l’art étranger et en tirant parti de l’héritage
de sa tradition artistique. Au début du siècle, les artistes chinois
de quelques générations sont allés en Europe et dans d'autres
pays pour étudier l’art occidental Ils en ont rapporté non seulement
des genres artistiques nouveaux et des techniques d’expression
différentes, mais aussi de nouvelles notions sur le monde extérieur
et de nouveaux modes visuels de maîtrise du monde extérieur. La
compréhension et la maîtrise de l’esprit rationnel scientifique
et des expériences plastiques des arts traditionnels européens,
acquises les peintres chinois, ont créé un nouveau langage créatif.
Les peintres chinois ont su tirer profit de l’expérience valable
du modernisme artistique occidental, et ils ont accéléré le renouveau
de la notion artistique. Les particularités les plus évidentes
de leur démarche sont d’avoir réalisé la régénération de leur
propre héritage culturel, sur la base de la compréhension de la
culture étrangère, et d’avoir recherché les échanges entre les
systèmes picturaux chinois et occidental. Au fur et à mesure que
s’élargit l’horizon culturel, les peintres chinois retournent
petit à petit à leur propre tradition picturale, la redécouvrent
et la considèrent comme une nouvelle ressource pour leur style
de création personnel; ils réalisent ainsi une transformation
moderne de la tradition. Leur regard
sur le monde actuel et leur perspective animée par la tradition
permettent la fusion sino-occidentale, un thème historique qui
est en train de devenir une tendance culturelle générale, ce qui
manifeste que la peinture chinoise possède la confiance nécessaire
pour développer sa tradition et affronter le monde.
Le pinceau et l’encre : au rythme de l’époque
La peinture chinoise manifeste également les traits distinctifs de l’époque :
la recherche incessante au plan du langage artistique. Le rythme
du changement et du développement de la société, en tant que condition
extérieure, a aiguillonné l’enthousiasme des peintres pour rechercher
la nouveauté et le changement, la diversité des théories et des
pensées rivalisant pour accélérer les changements de style de
langages artistiques. « Le pinceau et l’encre doivent rattraper
la cadence de l’époque » ; voilà la marque importante
du développement de la peinture chinoise. Surtout ces vingt dernières
années, période de réforme et d’ouverture, la peinture a ciblé
l’exploration en assimilant largement l’art étranger et en innovant,
rejetant par le fait même tout ce qui était révolu. Elle a ainsi
réalisé son idéal culturel de suivre la voie de la tradition vers
le moderne, du moderne vers le contemporain, de l’intérieur vers
l’extérieur.
Un document visuel pour approcher la modernité de l’art chinois
Le choix des œuvres de cette exposition
a mis l’accent sur l’angle sociologique. L’évolution et le changement
de la société chinoise au cours du dernier siècle, y compris le
bouleversement et la transformation qui ont résulté du contact
avec le monde occidental, sans oublier le développement économique
allant du semi-colonialisme, à la planification socialiste à l’économie
du marché, de même que les caractéristiques et les changements
de l’idéologie principale des diverses époques, tout cela a formé
le moteur de l’histoire moderne de la peinture chinoise et a guidé
son évolution vers la compréhension et le genre de l’image. Je
considère la peinture chinoise du XXe siècle comme
un « document visuel » sur l’évolution de la société.
Sous-jacent à l’ordre des œuvres, existe un « mode de discours »
que la peinture chinoise a adopté en introduisant, assimilant
et recherchant la transformation et le renouveau. Si le public
peut comprendre ce « mode de discours », il pourra
approcher « l’autre modernité » de la peinture chinoise.
Discuter la « modernité » propre à la culture de pays différents
constitue le point de départ pour accélérer le développement du
pluralisme culturel dans le monde. Pendant longtemps, la connaissance
du monde extérieur sur la peinture chinoise du XXe
siècle a été très limitée; il la considérait simplement comme
un sous-produit de la culture occidentale ou estimait qu’elle
manquait de la valeur culturelle propre au modernisme occidental,
ou encore, par un préjugé sur l’idéologie sociale, la considérait
grosso modo comme un art entièrement au service de la politique.
Dans bon nombre d’ouvrages sur l’histoire mondiale de l’art
moderne, on ne trouve même pas de chapitres sur la peinture chinoise
du XXe siècle et les autres arts chinois. On peut dire
que la mentalité de la guerre froide et les préjugés culturels
historiques ont nourri la mauvaise compréhension et l’aveuglement
à l’égard de la peinture chinoise du XXe siècle.
Avec la mondialisation actuelle, il est nécessaire de considérer l’histoire
chinoise du XXe siècle sous un angle tout nouveau.
Cette histoire est constituée par une série de changements sociaux
qui correspondent à l’établissement de la modernité elle-même;
parallèlement, on doit approcher la peinture chinoise du XXe
siècle sous ce même angle : découvrir sa modernité par les
relations entre l’art et la société.
Ce genre de modernité est une modernité de forme particulière. Elle se
différencie de la modernité de l’art actuel basé sur le libéralisme,
se démarque également de celle des pays de l’Est et de ceux l’Asie
du Sud-Est imprégnés de l’environnement culturel confucéen. Dès
le début du XXe siècle, la peinture chinoise a formé
son propre espace de développement au travers les relations complexes
entre les forces du changement social, les habitudes et les modes
de pensée traditionnels ; c’est là que résident son charme
et ses caractéristiques qui reflètent les changements de la société
chinoise depuis cent ans. Il faut inclure à la peinture chinoise
du XXe siècle l’arrière-plan de la modernisation de
la société pour découvrir sa valeur culturelle et « l’environnement »
historique de développement de l’art chinois. Le plus important
est que, sous un fond de « globalisation », on puisse
découvrir les caractéristiques intrinsèques et la logique du modèle
culturel de différentes régions, ce qui ne peut que contribuer
à approfondir la compréhension et les échanges mutuels entre des
cultures différentes.
Les oeuvres exposées proviennent du Musée national des beaux-arts de
Chine, des musées nationaux et des collections privées. En vue
de faire ressortir les caractéristiques principales de la peinture
chinoise du XXe siècle, les peintres sélectionnés sont
des artistes qui vivent et travaillent pour la plupart sur le
continent chinois. L’exposition est divisée en quatre parties :
« Lumière et Salut du pays », «Tradition et Changement »,
« Révolution et Construction », « Réalité et Manifestation » ;
elle suit un ordre temporel et thématique, ce qui permet au public
de percevoir nettement la réflexion qu’apporte l’art de différentes
époques sur la réalité, de saisir les relations artistiques sino-occidentales −
de « révolution à réforme », d’« introduction à
transformation »− et de capter les changements de notions
artistiques, c’est-à-dire de « société à individualité ».
Je suis très reconnaissant du soutien apporté par le Comité mixte des
Années de la culture Chine-France à la conception de cette exposition,
et je remercie sincèrement tous les conseillers artistiques et
les membres du Comité des experts pour l’aide qu’ils ont fournie ;
je remercie également les unités organisatrices des deux parties,
ainsi que M. Alain Sayag, chargé de projet de la partie française
pour son apport. Cette exposition a été organisée dans le but
commun de souligner l’importance des échanges culturels différents
et de comprendre la différence de développement de cultures différentes.
Paris est la capitale
de la peinture de la France et de l’Europe. Depuis le début du
XXe siècle et par la suite, des groupes d’artistes
chinois y sont allés pour étudier et effectuer des recherches
sur la peinture française et européenne. Ils ont tiré beaucoup
d’expériences profitables des traditions culturelles françaises
et européennes, et ils en ont développé un sentiment profond envers
l’art français. Aujourd’hui, leurs œuvres sont exposées à Paris,
ce qui symbolise la vitalité des échanges amicaux et artistiques
des peuples chinois et français grâce à l’art visuel. Je dois
indiquer spécialement que, en mai 1933, le premier président de
l’Institut central des Beaux-Arts où je travaille actuellement,
M. Xu Beihong (Hsü Pei-Hung), pionnier de la peinture chinoise
du XXe siècle, avait organisé « L’exposition des
Beaux-Arts modernes chinois » à Paris, exposition au cours
de laquelle étaient exposées les premières œuvres de peintres
chinois. Soixante-dix ans plus tard, sous de nouvelles conditions
culturelles, cette exposition reflète l’évolution de la peinture
chinoise au XXe siècle et est un témoignage que les
échanges artistiques sino-français remontent très loin dans l’histoire.
Cette exposition intitulée « L’Orient ensoleillé » a
pour but de manifester les efforts de quelques générations de
peintres chinois, d’explorer la voie du développement artistique
à la chinoise et d’ajouter une page brillante ayant une touche
culturelle distincte à l’art du XXIe siècle dans le
monde.
FAN
DI’AN concepteur du projet, vice-président de l’Institut
central des Beaux-Arts