UNE CHINOISE EN FRANCE
LA
PARIS DE M. HUANG (2)
HUANG CAI
Ce mois-ci, M. Huang continue de nous livrer ses
impressions sur Paris, en les mettant toujours en contexte avec
sa vie à Beijing.
Paris pittoresque
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L'affiche
est pourtant bien en vue... |
«À Paris, j’ai souvent remarqué que le
ciel est d’un bleu azur avec des nuages bien blancs, que les pelouses
sont exceptionnellement jolies et qu’il y a beaucoup de verdure.
Mais une conversation avec un jeune Français m’a fait réfléchir.
C’était au jardin du Luxembourg, en fin d’après-midi, et à ma grande
surprise, ce jeune homme m’a salué en parfait mandarin et nous avons
entamé la conversation en chinois!! Il avait passé deux ans à
Beijing pour apprendre les arts martiaux! Maintenant il est membre
de l’équipe nationale des arts martiaux de France. J’ai senti dans
ses paroles tout son amour pour la Chine, mais il m’a dit, à la
fin, « Votre pays est beau, mais la pollution y est grave,
je ne voyais pas facilement la lune...... » En suivant son
regard vers le ciel, une question qui me semblait absurde m’est
venue à l’esprit : la lune est-elle plus claire en France
qu’en Chine? Peut-être l’air y est-il plus pur. À Paris, les voitures
sont nombreuses, tout comme dans les grandes villes chinoises, mais
le système d’alerte et d’antipollution est sans doute plus strict
et très efficace. Durant les premiers jours de mon séjour en France,
à cause de la canicule et de l’émission des véhicules, la pollution
de l’air avait atteint un pic aux yeux des Français; tout le monde
parlait de la gravité du problème, les médias, les chauffeurs, les
piétons. Je me demandais même s’ils n’exagéraient pas un peu… Mais
des mesures draconiennes ont été immédiatement prises, la vitesse
des véhicules a été limitée dans les zones urbaines et sur les autoroutes,
l’utilisation du transport en commun était encouragée, même le prix
de location des vélos avait été diminué de moitié. Je doutais que
ces demandes eussent pu être respectées, mais en roulant sur les
périphériques de Paris, j’ai constaté que les chauffeurs limitaient
effectivement leur vitesse à 60 km/h au lieu de 90! En somme
si l’air est plus pur, la pelouse est plus verte et la lune est
plus claire!
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Scènes typiques
de la vie parisienne. |
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Mais tout n’est pas joli
à Paris! L’amour des Parisiens pour leur chien me semble aller trop
loin, voire même jusqu’à nuire à l’environnement. C’est désagréable
de voir des excréments un peu partout et même parfois de sentir
de mauvaises odeurs. Des sacs plastiques sont mis à la disposition
pour ramasser ces excréments, mais je n’ai jamais vu quelqu’un s’en
servir. Les maîtres devraient montrer leur amour pour leur ville,
pas seulement pour leur fidèle compagnon!
Paris
sereine
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La pétanque
a de nombreux adeptes. |
Peut-être était-ce
à cause du mois d’août, mais je n’ai pas senti le rythme accéléré
que Paris devrait avoir comme centre politique et économique international.
À l’heure de pointe, je n’ai pas vu de rues ou de rames de métro
bondées. De nombreuses boutiques ou petits restaurants étaient fermés.
Beaucoup de gens étaient partis en vacances, j’imagine. Mais dans
le quartier où j’habite, les magasins qui ouvraient levaient leurs
rideaux métalliques tard dans la matinée et les baissaient tôt l’après-midi,
sans parler de la sieste qui durait jusqu’à 16 heures; en plus,
ils étaient tous fermés le dimanche!. Ça ne se fait pas chez nous!
Dans les ruelles de Paris, j’ai vu beaucoup de jolies boutiques,
et j’ai été attiré par les vitrines magnifiquement décorées, je
suis entré dans certaines. Règle générale, une dame ou un monsieur,
qui se cache discrètement au fond de la boutique, limite son accueil
à une simple salutation puis se remet à ses affaires en me laissant
admirer ses articles librement. Il n’est pas pressé de me vendre
sa marchandise comme les vendeurs ou vendeuses en Chine! Un peu
dépaysé par cette relative froideur, il me semblait qu’il tenait
cette boutique non pas pour gagner de l’argent mais pour le plaisir.
S’il arrive à assurer le fonctionnement de ses affaires, n’a-t-il
pas un plan ambitieux de développement, d’expansion? Pour moi, cela
montre en quelque sorte que cette société manque de dynamisme. En
Chine, j’ai déjà entendu dire que le gouvernement français avait
du mal à mener les réformes sociales, que les gens sont satisfaits
de leur vie aisée et refusent des changements qui sont peut-être
nécessaires pour l’avancement. Sous un visage serein, Paris cache
des soucis.
Paris
solitaire
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Les âmes seules
de Paris. |
Ah, cette solitude même en ce mois d’août!
J’ai constaté avec beaucoup de tristesse que la température exceptionnellement
chaude n’a pas réchauffé tous les cœurs. Lorsqu’on quitte les sites
touristiques et que l’on pénètre dans les quartiers d’habitation,
l’ambiance change et le calme règne. Au parc Buttes-Chaumont qui
se trouve à deux pas de mon hôtel, il fait plus frais à l’ombre,
les gens qui viennent s’y asseoir ont même un air froid et distant.
Ce sont pour la plupart des personnes âgées. En contraste, des jeunes
s’allongent sur l’herbe avec leurs copains pour se réjouir des rayons
du soleil ou des enfants jouent sous les regards attendris de leurs
parents. Ces gens de soixante-dix ou quatre-vingts ans sont seuls
sur les bancs; certains lisent, d’autres sont là sans rien faire,
le regard perdu. À leur côté, seulement une canne, un chien tout
au plus. Un jour, une dame de plus de quatre-vingts ans qui m’a
vu avec ma fille m’a jeté un regard jaloux, son envie de communiquer
était palpable. Nous nous sommes approchés et elle nous a parlé
de sa jeunesse, des voyages qu’elle avait faits, de son chien, mais
au sujet de ses enfants, une phrase courte : « Les
enfants? Ils sont partis!» D’après elle, les 11 000 personnes mortes
à cause de la canicule, qui sont pour la plupart des gens âgés,
c’est une chose qui ne se serait jamais produite en Chine, « Vous
tenez aux valeurs familiales, mais chez nous, quand on est âgé,
on n’intéresse plus les jeunes! » Elle a même répété plusieurs
fois la dernière phrase…
« Les jeunes, ils ont
leur vie, leur travail, leurs enfants, la vie n’est pas facile pour
eux! » J’ai essayé de la consoler, mais en vain. J’espérais voir
des personnes âgées se regrouper pour des activités collectives,
mais malheureusement, au parc Buttes-Chaumont, le matin comme l’après-midi,
il n’y a pas ce genre d’organisations. Par contre en Chine, les
personnes âgées qui se regroupent pour chanter ou faire un peu de
gymnastique font déjà partie de la scène urbaine. À part quelques
messieurs qui jouent à la pétanque ou deux ou trois dames qui bavardent,
il y a beaucoup d’âmes seules. Pendant le week-end, le parc est
plus animé, mais ce sont surtout des jeunes.
Paris
gastronomique
Pour nous, la cuisine chinoise est toujours la meilleure, mais la réputation
de la cuisine française est tellement grande en Chine que, d’après
les Chinois, s’il existe une cuisine qui pourrait se comparer à
la nôtre, cela ne peut être que la cuisine française. Cependant,
faute de restaurants français abordables en Chine, peu de Chinois
ont une idée réelle de la cuisine française. Ils ont l’image d’un
monsieur en béret noir avec une baguette sous le bras, mais quoi
d’autre? J’ai bien profité de mon séjour en France pour en connaître
un peu plus. Après avoir dîné dans des restaurants parisiens, je
dois dire que c’est un vrai plaisir. La finesse de la cuisine française
mérite bien sa renommée mondiale, non seulement à cause du goût
de la viande ou des légumes, de la présentation des mets, des couverts,
de l’accompagnement du vin, mais aussi en raison de l’ambiance des
restaurants, ce qui attire visiblement moins l’attention des petits
restaurateurs chinois. Mais j’ai quelques réserves : c’est
surtout à propos de l’heure et de la durée du repas. Un dîner commence
à 20 h, c’est déjà tard aux yeux des Chinois, sans compter
qu’il faut calculer le temps de faire son choix et de préparer les
plats. Le chef nous fait savourer ses œuvres d’art les unes après
les autres lentement et longuement. De l’apéritif jusqu’au dessert,
sans parler du petit café ou du digestif qui suivent, un dîner peut
facilement durer 3 ou 4 heures. Pour les repas des grandes occasions,
on peut se permettre un plaisir exceptionnel, mais au quotidien,
n’est-ce pas un peu excessif dans la société d’aujourd'hui?
Deuxièmement, du point de vue de la santé, j’ai constaté que les
Français prennent beaucoup de produits laitiers, mais ils consomment
plus de sucre et de matières grasses animales que les Chinois, mais
moins de légumes. C’est difficile de résister aux multiples gâteaux
si jolis et si moelleux, mais vu ma santé, j’ai dû décliner la tentation.
Sur le marché, les fruits sont abondants mais la variété de légumes
est moins grande que chez nous.
À l’heure de la mondialisation, le goût des gens est sans doute ce qu’il
y a de plus difficile à internationaliser. Le soja me manque beaucoup,
mais heureusement il y a des restaurants chinois partout à Paris!»
Monsieur Huang en aurait encore beaucoup à dire et il est visiblement
très content de son séjour d’une vingtaine de jours à Paris. Cependant,
il insiste à dire que ce ne sont que ses premières impressions.
Je lui ai alors demandé : Est-ce que Paris que vous avez sous
vos yeux correspond à celui que vous aviez toujours en tête.
Il a réfléchi un bon bout de temps, avant de répondre à ma question.
« Oui et non, Oui, parce que la beauté de cette ville ne change
pas du jour au lendemain, Paris est toujours belle comme les artistes,
les écrivains, les photographes l’ont décrite, même plus. Non, parce
que pour moi, comme pour beaucoup de Chinois de cinquante ans ou
soixante ans, Paris représente avant tout le sommet du capitalisme
où devraient se concentrer tous les exploits du développement matériel
avec des néons et des gratte-ciel partout. Pour moi, Paris a toujours
été la capitale de l’art et de la culture, et je suis encore fasciné
par le niveau culturel de cette ville, J’apprécie aussi le charme
qu’on y trouve et l’attitude d’ouverture des Parisiens à l’égard
des différentes cultures. C’est cet esprit d’ouverture, de tolérance
et de liberté qui est la force de rassemblement de cette ville et
qui a fait sa grandeur ».
Pour conclure, monsieur Huang a eu l’idée
de comparer Paris à Beijing, ville où il habite maintenant. Pour
lui, Paris est un bijou, Beijing est une fleur; toutes les deux
brillent sous le soleil, mais la fleur est plus vivante que le bijou…
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