Novembre/Décembre 2003

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 


Le seul mensuel multilingue d'intérêt général en Chine, publié en français, anglais, espagnol, allemand, arabe et chinois.

 

UNE CHINOISE EN FRANCE

LA PARIS DE M. HUANG (2)

HUANG CAI

Ce mois-ci, M. Huang continue de nous livrer ses impressions sur Paris, en les mettant toujours en contexte avec sa vie à Beijing.

Paris pittoresque

L'affiche est pourtant bien en vue...

«À Paris, j’ai souvent remarqué que le ciel est d’un bleu azur avec des nuages bien blancs, que les pelouses sont exceptionnellement jolies et qu’il y a beaucoup de verdure. Mais une conversation avec un jeune Français m’a fait réfléchir. C’était au jardin du Luxembourg, en fin d’après-midi, et à ma grande surprise, ce jeune homme m’a salué en parfait mandarin et nous avons entamé la conversation en chinois!! Il avait passé deux ans à Beijing pour apprendre les arts martiaux! Maintenant il est membre de l’équipe nationale des arts martiaux de France. J’ai senti dans ses paroles tout son amour pour la Chine, mais il m’a dit, à la fin, « Votre pays est beau, mais la pollution y est grave, je ne voyais pas facilement la lune...... » En suivant son regard vers le ciel, une question qui me semblait absurde m’est venue à l’esprit :  la lune est-elle plus claire en France qu’en Chine? Peut-être l’air y est-il plus pur. À Paris, les voitures sont nombreuses, tout comme dans les grandes villes chinoises, mais le système d’alerte et d’antipollution est sans doute plus strict et très efficace. Durant les premiers jours de mon séjour en France, à cause de la canicule et de l’émission des véhicules, la pollution de l’air avait atteint un pic aux yeux des Français; tout le monde parlait de la gravité du problème, les médias, les chauffeurs, les piétons. Je me demandais même s’ils n’exagéraient pas un peu… Mais des mesures draconiennes ont été immédiatement prises, la vitesse des véhicules a été limitée dans les zones urbaines et sur les autoroutes, l’utilisation du transport en commun était encouragée, même le prix de location des vélos avait été diminué de moitié. Je doutais que ces demandes eussent pu être respectées, mais en roulant sur les périphériques de Paris, j’ai constaté que les chauffeurs limitaient effectivement leur vitesse à 60 km/h au lieu de 90! En somme si l’air est plus pur, la pelouse est plus verte et la lune est plus claire!

Scènes typiques de la vie parisienne.

Mais tout n’est pas joli à Paris! L’amour des Parisiens pour leur chien me semble aller trop loin, voire même jusqu’à nuire à l’environnement. C’est désagréable de voir des excréments un peu partout et même parfois de sentir de mauvaises odeurs. Des sacs plastiques sont mis à la disposition pour ramasser ces excréments, mais je n’ai jamais vu quelqu’un s’en servir. Les maîtres devraient montrer leur amour pour leur ville, pas seulement pour leur fidèle compagnon!

Paris sereine

La pétanque a de nombreux adeptes.

Peut-être était-ce à cause du mois d’août, mais je n’ai pas senti le rythme accéléré que Paris devrait avoir comme centre politique et économique international. À l’heure de pointe, je n’ai pas vu de rues ou de rames de métro bondées. De nombreuses boutiques ou petits restaurants étaient fermés. Beaucoup de gens étaient partis en vacances, j’imagine. Mais dans le quartier où j’habite, les magasins qui ouvraient levaient leurs rideaux métalliques tard dans la matinée et les baissaient tôt l’après-midi, sans parler de la sieste qui durait jusqu’à 16 heures; en plus, ils étaient tous fermés le dimanche!. Ça ne se fait pas chez nous! Dans les ruelles de Paris, j’ai vu beaucoup de jolies boutiques, et  j’ai été attiré par les vitrines magnifiquement décorées, je suis entré dans certaines. Règle générale, une dame ou un monsieur, qui se cache discrètement au fond de la boutique, limite son accueil à une simple salutation puis se remet à ses affaires en me laissant admirer ses articles librement. Il n’est pas pressé de me vendre sa marchandise comme les vendeurs ou vendeuses en Chine! Un peu dépaysé par cette relative froideur, il me semblait qu’il tenait cette boutique non pas pour gagner de l’argent mais pour le plaisir. S’il arrive à assurer le fonctionnement de ses affaires, n’a-t-il pas un plan ambitieux de développement, d’expansion? Pour moi, cela montre en quelque sorte que cette société manque de dynamisme. En Chine, j’ai déjà entendu dire que le gouvernement français avait du mal à mener les réformes sociales, que les gens sont satisfaits de leur vie aisée et refusent des changements qui sont peut-être nécessaires pour l’avancement. Sous un visage serein, Paris cache des soucis.

Paris solitaire

Les âmes seules de Paris.

Ah, cette solitude même en ce mois d’août! J’ai constaté avec beaucoup de tristesse que la température exceptionnellement chaude n’a pas réchauffé tous les cœurs. Lorsqu’on quitte les sites touristiques et que l’on pénètre dans les quartiers d’habitation, l’ambiance change et le calme règne. Au parc Buttes-Chaumont qui se trouve à deux pas de mon hôtel, il fait plus frais à l’ombre, les gens qui viennent s’y asseoir ont même un air froid et distant. Ce sont pour la plupart des personnes âgées. En contraste, des jeunes s’allongent sur l’herbe avec leurs copains pour se réjouir des rayons du soleil ou des enfants jouent sous les regards attendris de leurs parents. Ces gens de soixante-dix ou quatre-vingts ans sont seuls sur les bancs; certains lisent, d’autres sont là sans rien faire, le regard perdu. À leur côté, seulement une canne, un chien tout au plus. Un jour, une dame de plus de quatre-vingts ans qui m’a vu avec ma fille m’a jeté un regard jaloux, son envie de communiquer était palpable. Nous nous sommes approchés et elle nous a parlé de sa jeunesse, des voyages qu’elle avait faits, de son chien, mais au sujet de ses enfants, une phrase courte : « Les enfants? Ils sont partis!» D’après elle, les 11 000 personnes mortes à cause de la canicule, qui sont pour la plupart des gens âgés, c’est une chose qui ne se serait jamais produite en Chine, « Vous tenez aux valeurs familiales, mais chez nous, quand on est âgé, on n’intéresse plus les jeunes! »  Elle a même répété plusieurs fois la dernière phrase…

« Les jeunes, ils ont leur vie, leur travail, leurs enfants, la vie n’est pas facile pour eux! » J’ai essayé de la consoler, mais en vain. J’espérais voir des personnes âgées se regrouper pour des activités collectives, mais malheureusement, au parc Buttes-Chaumont, le matin comme l’après-midi, il n’y a pas ce genre d’organisations. Par contre en Chine, les personnes âgées qui se regroupent pour chanter ou faire un peu de gymnastique font déjà partie de la scène urbaine. À part quelques messieurs qui jouent à la pétanque ou deux ou trois dames qui bavardent, il y a beaucoup d’âmes seules. Pendant le week-end, le parc est plus animé, mais ce sont surtout des jeunes.

Paris gastronomique

Pour nous, la cuisine chinoise est toujours la meilleure, mais la réputation de la cuisine française est tellement grande en Chine que, d’après les Chinois, s’il existe une cuisine qui pourrait se comparer à la nôtre, cela ne peut être que la cuisine française. Cependant, faute de restaurants français abordables en Chine, peu de Chinois ont une idée réelle de la cuisine française. Ils ont l’image d’un monsieur en béret noir avec une baguette sous le bras, mais quoi d’autre? J’ai bien profité de mon séjour en France pour en connaître un peu plus. Après avoir dîné dans des restaurants parisiens, je dois dire que c’est un vrai plaisir. La finesse de la cuisine française mérite bien sa renommée mondiale, non seulement à cause du goût de la viande ou des légumes, de la présentation des mets, des couverts, de l’accompagnement du vin, mais aussi en raison de l’ambiance des restaurants, ce qui attire visiblement moins l’attention des petits restaurateurs chinois. Mais j’ai quelques réserves : c’est surtout à propos de l’heure et de la durée du repas. Un dîner commence à 20 h, c’est déjà tard aux yeux des Chinois, sans compter qu’il faut calculer le temps de faire son choix et de préparer les plats. Le chef nous fait savourer ses œuvres d’art les unes après les autres lentement et longuement. De l’apéritif jusqu’au dessert, sans parler du petit café ou du digestif qui suivent, un dîner peut facilement durer 3 ou 4 heures. Pour les repas des grandes occasions, on peut se permettre un plaisir exceptionnel, mais au quotidien, n’est-ce pas un peu excessif dans la société d’aujourd'hui? Deuxièmement, du point de vue de la santé, j’ai constaté que les Français prennent beaucoup de produits laitiers, mais ils consomment plus de sucre et de matières grasses animales que les Chinois, mais moins de légumes. C’est difficile de résister aux multiples gâteaux si jolis et si moelleux, mais vu ma santé, j’ai dû décliner la tentation. Sur le marché, les fruits sont abondants mais la variété de légumes est moins grande que chez nous.

À l’heure de la mondialisation, le goût des gens est sans doute ce qu’il y a de plus difficile à internationaliser. Le soja me manque beaucoup, mais heureusement il y a des restaurants chinois partout à Paris!»

Monsieur Huang en aurait encore beaucoup à dire et il est visiblement très content de son séjour d’une vingtaine de jours à Paris. Cependant, il insiste à dire que ce ne sont que ses premières impressions. Je lui ai alors demandé : Est-ce que Paris que vous avez sous vos yeux correspond à celui que vous aviez toujours en tête. Il a réfléchi un bon bout de temps, avant de répondre à ma question.  « Oui et non, Oui, parce que la beauté de cette ville ne change pas du jour au lendemain, Paris est toujours belle comme les artistes, les écrivains, les photographes l’ont décrite, même plus. Non, parce que pour moi, comme pour beaucoup de Chinois de cinquante ans ou soixante ans, Paris représente avant tout le sommet du capitalisme où devraient se concentrer tous les exploits du développement matériel avec des néons et des gratte-ciel partout. Pour moi, Paris a toujours été la capitale de l’art et de la culture, et je suis encore fasciné par le niveau culturel de cette ville, J’apprécie aussi le charme qu’on y trouve et l’attitude d’ouverture des Parisiens à l’égard des différentes cultures. C’est cet esprit d’ouverture, de tolérance et de liberté qui est la force de rassemblement de cette ville et qui a fait sa grandeur ».

Pour conclure, monsieur Huang a eu l’idée de comparer Paris à  Beijing, ville où il habite maintenant. Pour lui, Paris est un bijou, Beijing est une fleur; toutes les deux brillent sous le soleil, mais la fleur est plus vivante que le bijou…